Avis de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature du 13 décembre 2023
Le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi le 2 mai 2023 par le ministre de la Justice d’une demande d’avis en application de l’article 65 de la Constitution.
La demande s’appuyait sur le souhait d’approfondir la réflexion sur le statut de la magistrature et l’objectif de mieux préserver l’image de la justice. Elle portait en premier lieu sur l’articulation entre liberté d’expression des magistrats et l’obligation déontologique de réserve et de discrétion, plus particulièrement quant à l’usage des réseaux sociaux, aux formes d’expression « à l’occasion d’audiences solennelles, ou encore par le biais de l’expression syndicale ». En second lieu, elle était relative à l’exercice du droit de grève par les magistrats.
En ce qui concerne l’exercice du droit de grève, le Conseil supérieur de la magistrature considère qu’il ne lui appartient pas de trancher cette question, qui relève selon lui des juridictions constitutionnelle, administratives et européennes.
S’agissant de la liberté d’expression des magistrats et de sa conciliation avec l’obligation de réserve, le Conseil rappelle que le principe général est celui de la liberté d’expression des magistrats, qu’ils doivent exercer « dans les limites du respect de [leur] serment et notamment des devoirs de réserve, d’impartialité, de délicatesse, de respect du secret professionnel et de l’image qu’[ils] renvoie[ent] de la justice ».
Le Conseil rappelle que la liberté d’expression des magistrats n’est pas consacrée pour leur seul bénéfice mais qu’elle constitue « une garantie pour chacun des justiciables. Les magistrats, qui exercent leur fonction avec indépendance, constituant ainsi l’un des piliers de l’État de droit, ont le devoir de faire le nécessaire pour préserver ce dernier ainsi que les autres valeurs fondamentales dont ils sont les gardiens. »
Il précise que si des restrictions sont apportées à la liberté d’expression des magistrats, c’est « pour venir au soutien d’autres principes tout aussi fondamentaux » dont celui de « garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
Il en déduit que l’examen au cas par cas de la limitation de la liberté d’expression des magistrats doit prendre en compte la nature du discours, les fonctions exercées et le public concerné.
Le Conseil supérieur de la magistrature estime que l’expression du magistrat est d’autant plus importante que celui-ci occupe un poste élevé dans la hiérarchie de l’institution, notamment lorsqu’il s’agit d’un chef de cour ou de juridiction. Il rappelle que les discours prononcés lors des audiences de rentrée solennelle constituent un moment privilégié pour « exposer publiquement les sujets de satisfaction et de préoccupation des magistrats et fonctionnaires aussi bien quant à la situation de la juridiction où ils exercent leurs fonctions qu’en ce qui concerne l’évolution de l’institution judiciaire, y compris les réformes en cours et la législation et la réglementation applicables ».
S’agissant de la prise de parole syndicale, le Conseil rappelle que la liberté d’expression syndicale doit être « conciliée avec les obligations déontologiques découlant du statut des magistrats, en particulier le devoir de réserve. Ainsi, même dans l'exercice de son mandat et pour la défense des intérêts professionnels, le représentant syndical doit-il veiller à garder une certaine mesure ». Il insiste cependant sur le fait que la reconnaissance du droit syndical a « inéluctablement pour conséquence de conférer aux organisations syndicales et à leurs représentants un droit de s’exprimer qui est encore plus large que celui qui résulte du droit commun. En particulier, la possibilité d’adopter un ton polémique, pouvant comporter une certaine vigueur, constitue un corollaire indispensable à un plein exercice de la liberté syndicale ».
Rappel : le présent avis a été rendu par la formation plénière du CSM, qui comprend 8 personnes qui ne sont pas magistrats et 7 magistrats.