Publication de l'avis rendu par la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature

Saisine pour avis du 19 juin 2020

15 septembre 2020
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A la suite des propos tenus le 10 juin 2020 par Mme Eliane Houlette, ancienne procureure de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris, devant la commission d’enquête parlementaire relative à l’indépendance de la justice au sujet de l’enquête ayant visé M. François Fillon, le Président de la République a saisi la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, en application de l’article 65 de la Constitution, pour savoir si le parquet national financier (PNF) « a pu exercer son activité en toute sérénité, sans pression, dans le cadre d’un dialogue normal et habituel avec le parquet général ». Il lui a demandé de prendre en compte le cadre institutionnel du « parquet à la française » c’est-à-dire un « parquet indivisible, hiérarchisé, sans instruction du garde des Sceaux dans les affaires individuelles ».

Pour répondre à cette demande d’avis, la formation plénière du Conseil a procédé à l’audition de magistrats – actuels et anciens - du parquet national financier, du parquet général près la cour d’appel de Paris, de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et de membres du cabinet de l’ancien garde des sceaux. Ce dernier n’a pas donné suite à l’invitation de la formation plénière à laquelle il a toutefois transmis une note explicative. Des pièces ont par ailleurs été demandées au PNF, à la cour d’appel de Paris et à la DACG couvrant une période comprise entre l’ouverture de l’enquête préliminaire et le renvoi de M. François Fillon devant le tribunal correctionnel. Le Conseil a enfin reçu des contributions spontanées.

Au terme d’investigations approfondies, le Conseil, réuni en formation plénière, après en avoir délibéré, a adopté, le 15 septembre 2020, l’avis suivant :

1. Il n’apparaît pas que des « pressions » aient été exercées sur les magistrats du parquet général près la cour d’appel de Paris ou du PNF par le garde des sceaux, son cabinet ou la DACG ; une attention particulière a pu être portée, à tous les échelons de la chaîne hiérarchique, à une affaire comportant un enjeu démocratique majeur, mais cette attention n’a conduit le pouvoir exécutif ni à formuler la moindre instruction à l’adresse de l’autorité judiciaire, ni même à solliciter des remontées d’informations dans une mesure dépassant substantiellement la pratique usuelle.

2. Les relations qui se sont nouées entre le parquet général près la cour d’appel de Paris et le PNF, placé sous l’autorité hiérarchique du premier mais chargé de conduire l’enquête de façon indépendante, ont été marquées par des tensions et des antagonismes, fondés sur des analyses juridiques divergentes, qui ont sans doute pu être vécus par plusieurs magistrats du PNF comme vecteurs d’une « pression ». Pour autant, le terme de « pression » ne doit pas être entendu ici au sens d’« influence coercitive » mais plutôt au sens de « source de stress ». En toute hypothèse, le ressenti des protagonistes n’obère pas le constat, au demeurant partagé par l’ensemble des intervenants, que les prérogatives respectives du PNF et du parquet général près la cour d’appel de Paris ont été respectées, et que la justice a fonctionné dans cette affaire de façon indépendante et conforme aux principes régissant l’exercice du ministère public.

3. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette procédure ont néanmoins suscité certaines incompréhensions fortes dans une partie de l’opinion publique, que les propos de Mme Eliane Houlette ont ravivées, et qui pourraient être levées au prix d’une double réforme de structure : une rationalisation des remontées d’informations entre les parquets et le ministère de la justice, et une consolidation du statut du ministère public.

4.  S’agissant des remontées d’informations, il est nécessaire que le garde des sceaux soit destinataire d’informations vérifiées et de rapports objectifs sur certaines affaires individuelles pour lui permettre d’exercer pleinement ses missions constitutionnelles et institutionnelles. Toutefois, le statut et le régime juridique des remontées d’informations, y compris les critères justifiant le signalement d’une affaire, qui ne font l’objet aujourd’hui que d’une simple circulaire, doivent être consacrés dans un texte de valeur législative, qui rappellerait l’interdiction de la transmission de pièces de procédure, la prohibition de la remontée d’informations sur des actes d’enquête à venir, le caractère secret des informations transmises et fixerait la liste des personnes autorisées à recevoir ces informations. Par ailleurs, l’article 5 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature devrait préciser que l’autorité du garde des sceaux sur les magistrats du parquet ne porte pas sur l’exercice de l’action publique.

5. S’agissant du statut du ministère public, le Conseil estime qu’un alignement intégral du mode de nomination et de la discipline des magistrats du parquet sur ceux des magistrats du siège contribuerait à renforcer la confiance que les citoyens doivent pouvoir placer dans la Justice. Une telle évolution impliquerait :

- de confier à la formation du Conseil compétente à l’égard des magistrats du parquet le pouvoir de proposer la nomination des procureurs de la République, des procureurs généraux et des membres du parquet général de la Cour de cassation ; la réforme consistant à ne prévoir, pour les plus hautes fonctions, qu’un avis conforme ne permettrait au Conseil que de s’opposer à la proposition du pouvoir exécutif, alors qu’un pouvoir de proposition lui donnerait la responsabilité du choix et écarterait ainsi tout soupçon d’interférences du pouvoir exécutif 

- de soumettre la nomination des autres magistrats du parquet à l’avis conforme de la formation du Conseil compétente ;

- de transférer au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de décision en matière disciplinaire pour les magistrats du parquet.

 

L’avis rendu par la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature a été remis au Président de la République le 15 septembre 2020, lors de sa rencontre avec les membres du Conseil supérieur de la magistrature.