Décision disciplinaire du 15 septembre 2022
- Les faits
Détaché au sein de la xxx pour exercer les fonctions de juge d’instruction à compter du 1er septembre 2016, M. X a notamment été en charge de plusieurs informations judiciaires susceptibles d’impliquer un homme d’affaires et des personnalités xxx. Ces procédures ont fait l’objet d’une couverture médiatique importante et provoqué une crise au sein des institutions administratives et judiciaires xxx.
C’est dans ce contexte que les autorités xxx ont renoncé à solliciter le renouvellement du détachement de M. X, lequel a pris fin le 31 août 2019.
M. X s’est alors exprimé sur le fonctionnement de la justice à xxx et la situation des magistrats yyy qui y sont détachés dans des fonctions judiciaires, d’une part, dans un article intitulé « le juge qui accuse xxx » paru dans L’Obs du 24 octobre 2019, d’autre part, dans les émissions « Pièces à convictions : scandales à Xxx – les révélations d’un juge » diffusée sur France 3 le 10 juin 2020 et « Complément d’enquête » diffusée sur France 2 le 7 janvier 2021.
- Les manquements disciplinaires
Le Premier ministre a saisi le CSM par acte du 15 septembre 2021. Il reproche à M. X d’avoir manqué à ses devoirs de prudence, de délicatesse, de réserve et d’avoir porté atteinte à l’image et au crédit de la justice française par ses prises de parole médiatiques répétées et qualifiées de « polémiques » sur les justices xxx et française.
- La décision du CSM
Par décision du 15 septembre 2022, le Conseil, après avoir écarté les exceptions de procédure soulevées par M. X, a jugé qu’il n’avait commis aucun manquement à la discipline et qu’en conséquence, il n’y avait pas lieu au prononcé d’une sanction.
- Sur les exceptions de procédure
Sur la nullité de l’acte de saisine du Premier ministre, le Conseil a considéré que la compétence disciplinaire à l’égard de M. X avait été attribuée au Premier ministre à compter du décret de déport n° 2020-1293 du 23 octobre 2020 et qu’il n’avait pas à apprécier la conformité à la Constitution de ce décret pris en application d’une loi dont la constitutionnalité n’avait pas été régulièrement contestée.
Sur la nullité de la saisine de l’inspection générale de la justice, le Conseil a constaté que le garde des sceaux, ministre de la justice s’était trouvé dans une situation objective de conflit d’intérêts en ordonnant une enquête administrative à l’encontre de M. X, après l’avoir pris à partie, en qualité d’avocat de l’une des personnes inculpées par ce dernier, dans un article de W.
Il a toutefois estimé que cette situation de conflit d’intérêts n’avait pas eu d’incidence sur le déroulement de l’enquête administrative et qu’en tout état de cause une éventuelle irrégularité de cette dernière aurait été sans effet sur la validité de la saisine du Conseil, dont elle ne constitue pas un préalable nécessaire.
- Sur le fond
Le Conseil a été amené à préciser les contours de la liberté d’expression des magistrats.
Sur le manquement au devoir de prudence, le Conseil a précisé que si un magistrat est responsable de ses propos et des images auxquelles il se prête, les conditions du montage d’une émission de télévision ne peuvent, en revanche, lui être reprochées, sauf à faire peser sur lui une responsabilité dénuée de pouvoir et, partant, à dissuader les magistrats d’intervenir dans les media audiovisuels.
Sur le manquement au devoir de délicatesse, le Conseil a estimé que les propos de M. X sur la rémunération des magistrats détachés à xxx et les conditions du renouvellement de leur détachement étaient généraux, formulés de façon interrogative et qu’ils ne visaient nommément aucun magistrat. Dès lors, ils ne pouvaient constituer en eux-mêmes un manquement à la délicatesse.
Sur le manquement au devoir de réserve et sur l’atteinte à l’image et au crédit de la justice française, le Conseil a rappelé que la liberté d’expression de tout citoyen bénéficie d’un niveau élevé de protection, mais qu’elle doit être conciliée, s’agissant des magistrats, avec leur devoir de réserve posé par l’article 10 de l’ordonnance statutaire.
Se fondant sur de nombreuses décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil a considéré que M. X s’était exprimé, de façon non outrancière, sans divulguer d’information secrète, sur un sujet d’intérêt général ancien et que sa prise de parole revêtait un intérêt particulier pour le débat public et les citoyens, nul mieux qu’un magistrat ayant exercé à xxx ne pouvant porter témoignage de ces conditions d’exercice. En conséquence, celui-ci n’a pas excédé les limites de sa liberté d’expression.
Rappel : la présente décision disciplinaire a été rendue par la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour les magistrats du siège, composée de magistrats et personnalités extérieures.