Avis du 19 décembre 1996
Dans son rapport annuel pour l'année 1995, le Conseil avait formulé quatorze propositions qui sont rappelées ci-dessous dans l'ordre de présentation qui leur avait été donné (pages 48 à 50 du rapport 1995)
Propositions concernant le statut des magistrats
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Information des magistrats sur les réclamations dirigées contre un projet qui les concerne, et des requérants sur le sort de leurs observations.
Proposition retenue par la chancellerie.2.
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Irrévocabilité d'une candidature après la saisine du Conseil. Le Conseil a noté, en 1996, une accentuation de la pratique suivie par le ministère de la justice. Ainsi des candidats pour lesquels le Conseil avait été saisi de propositions de nomination suivies d'un avis favorable n'ont pas rejoint leurs postes. Leur décret de nomination n'est pas intervenu et la chancellerie a proposé pour eux une nouvelle affectation lors du mouvement suivant.
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Notation des magistrats classés hors hiérarchie, à l'exception des membres de la Cour de cassation et des chefs de cour.
Le garde des sceaux a diffusé une circulaire de rappel en ce sens.
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Institution d'une liste d'aptitude spéciale pour la nomination des maîtres de conférence à l'Ecole nationale de la magistrature.
Propositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature
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Individualisation du budget du Conseil supérieur de la magistrature dans la nomenclature budgétaire voté en tant que budget autonome par le Parlement.
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Compétence donnée aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat pour saisir le Conseil supérieur de la magistrature.
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Elargissement de la compétence du Conseil supérieur aux propositions de nomination des procureurs généraux.
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Consultation du Conseil supérieur sur la nomination de son secrétaire administratif et de son secrétaire administratif adjoint. Au cours de l'année 1996, comme déjà au cours de l'année précédente, il a été procédé au changement des titulaires de ces postes sans concertation avec le Conseil supérieur. La réitération de cette pratique accrédite le sentiment que les collaborateurs directs du Conseil sont maintenus dans un rôle de représentants de l'exécutif au sein de cette institution. En outre l'instabilité accrue des titulaires de ces fonctions et la longueur inexpliquée des vacances de poste a gêné le fonctionnement administratif du Conseil qui, à l'issue de sa deuxième année d'exercice, attend la nomination de son cinquième secrétaire.
- Communication au Conseil des rapports dits sectoriels de l'inspection générale des services judiciaires.
Propositions concernant la mission disciplinaire
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Développement de l'enseignement de la déontologie professionnelle à l'Ecole nationale de la magistrature.
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Attribution d'une voix prépondérante au président de chacune des deux formations disciplinaires du Conseil.
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Renforcement des garanties procédurales lors de la procédure disciplinaire.
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Adaptation de la liste des sanctions disciplinaires.
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Prise en charge sur les frais de justice criminelle des dépenses engagées au cours d'une instance disciplinaire.
Les propositions nos 10 à 14 font l'objet d'une réflexion approfondie menée par l'inspection générale ou par la chancellerie, dans le sens des préoccupations du Conseil.
Il est rappelé que la plupart des réformes proposées par le Conseil supérieur en 1995 suppose une modification de dispositions constitutionnelles, législatives ou réglementaires.
Depuis la publication du rapport, en octobre 1995, une proposition de loi qui reprend certaines des suggestions précédentes a été déposée devant l'Assemblée Nationale (no 2898 du 20 juin 1996) par M. Barbier (Gilbert), député.
En outre, plusieurs questions écrites se sont fait l'écho de ces propositions, en particulier les questions de M. Plasait (Bernard), sénateur (Journal officiel débats du Sénat du 26 septembre 1996 no 12660 à 12668 p. 2497 et 2498).
Il résulte de l'énumération ci-dessus qu'à la fin de l'année 1996, sur quatorze propositions faites par le Conseil supérieur en octobre 1995, quelques unes seulement ont été suivies d'effet.
PROPOSITIONS NOUVELLES
Propositions concernant les magistrats du parquet
Le Conseil supérieur a relevé qu'au cours de l'année 1996, plusieurs de ses avis négatifs n'ont pas été suivis par l'autorité de nomination. Cette attitude nouvelle, rendue possible par l'institution d'une formation compétente pour les magistrats du parquet, rompt avec une tradition établie en matière d'avis simple pour les magistrats du siège depuis 1946. Elle interrompt de même la pratique suivie également pour les magistrats du parquet dans l'année qui a suivi la révision constitutionnelle de 1993.
Cette situation a conduit le Conseil à s'interroger sur l'opportunité de substituer l'avis conforme à l'avis simple pour la nomination des magistrats du parquet.
Le Conseil a été encouragé dans cette voie par les déclarations faites par le Président de la République, le 12 décembre 1996, selon lesquelles il convient de se poser la question de savoir s'il est normal que le parquet dépende de la chancellerie et d'examiner sérieusement la possibilité de rendre le parquet indépendant du garde des sceaux, formule qui présenterait beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients.
Dans cette perspective le Conseil supérieur a retenu deux propositions qui lui paraissent susceptibles d'orienter la réforme nécessaire de l'institution judiciaire.
La première de ces propositions concerne le mode de nomination des magistrats du ministère public, la seconde a trait aux relations entre le garde des sceaux, ministre de la justice, et ces mêmes magistrats.
a- La nomination des magistrats du parquet
Si l'on excepte la nomination du procureur général près la Cour de cassation et des procureurs généraux près les cours d'appel, qui a fait l'objet de la proposition no 7 rappelée ci-dessus du Conseil supérieur, les autres nominations de magistrats du parquet - y compris celles des procureurs de la République, directement chargés par la loi de la mise en mouvement de l'action publique - interviennent sur proposition du garde des sceaux, le Conseil supérieur de la magistrature étant alors appelé à donner un avis simplement consultatif dont on vient de rappeler qu'il n'est pas toujours suivi.
Ces particularités nourrissent, à l'intérieur même du corps de la magistrature mais aussi dans l'opinion publique, un soupçon sur l'indépendance des magistrats concernés vis-à-vis du pouvoir politique et sur leur liberté d'action, comme l'a noté le Président de la République lors de son intervention du 12 décembre 1996.
L'institution judiciaire gagnerait donc à voir disparaître un tel soupçon, même s'il est largement injustifié.
La solution peut être recherchée dans une assimilation totale des magistrats du parquet à leurs homologues du siège, tant en ce qui concerne les modalités de leur nomination qu'au regard de l'action disciplinaire qui peut être exercée à leur encontre.
Dans un tel schéma, les procureurs généraux et les procureurs de la République - comme les premiers présidents et les présidents des tribunaux de grande instance - relèveraient d'un pouvoir de proposition qui serait confié à la formation du parquet du Conseil supérieur de la magistrature. Les autres magistrats continueraient d'être nommés sur proposition du garde des sceaux, mais après un avis conforme du Conseil.
Sur le plan disciplinaire, il reviendrait par ailleurs à la formation compétente du Conseil de rendre une décision, et non plus seulement d'émettre un avis, sur le bien-fondé des poursuites dont elle serait saisie.
Ainsi se trouverait concrètement appliqué le principe de l'unité de la magistrature d'ores et déjà affirmé par les textes qui la régissent.
b- Les liens entre le ministre de la justice et les parquets
Chargé de mettre en ouvre, en matière pénale, la politique définie par le gouvernement dont il est membre, le ministre de la justice doit conserver la charge de la coordination et de l'harmonisation qui s'imposent dans l'exercice de l'action publique. Il demeurerait donc de sa responsabilité de donner aux magistrats du parquet toutes instructions utiles quant aux orientations générales qui doivent être suivies et aux grands choix qui doivent être effectués.
En revanche, le ministre de la justice devrait se voir expressément retirer tout pouvoir dans la conduite des procédures particulières.
Dans un tel dispositif, les magistrats du ministère public apprécieraient seuls la suite à donner aux plaintes et dénonciations dont ils sont saisis. Ils détermineraient seuls le sens des réquisitions, orales mais aussi écrites, qu'il leur appartient de prendre, cela à tous les stades de la procédure.
Ils agiraient alors dans la limite des attributions que la loi leur confère et sous réserve, notamment, des droits des victimes.
Ils agiraient, également, dans le respect du pouvoir hiérarchique inhérent à l'organisation du parquet et auquel ils demeureraient soumis, le substitut exerçant ses fonctions sous l'autorité du procureur de la République et ce dernier sous le contrôle du procureur général.
Proposition relative au rayonnement extérieur de l'institution judiciaire française
Il a été relevé qu'un certain nombre de pays francophones et non francophones de l'Union européenne, d'Europe centrale et orientale, du Maghreb, de l'Afrique au sud du Sahara, d'Asie et d'Amérique, sont dotés d'institutions homologues ou proches du Conseil supérieur de la magistrature et, dans certains cas, inspirées plus ou moins directement ou indirectement du modèle français et de son évolution.
L'intérêt suscité par l'institution française, la communauté de culture juridique existant entre la France et de nombreux Etats, permettent d'envisager une réflexion concertée sur les Conseils mis en place.
Le Conseil supérieur croit pouvoir suggérer au Président de la République, son président, la tenue d'une conférence de ces institutions à l'instar de celle qui réunit chaque année les cours constitutionnelles européennes.