Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La commission de discipline du parquet,
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, et notamment les articles 59 et suivants sur la discipline des magistrats du parquet ;
Vu la dépêche de M. le garde des sceaux en date du 4 juillet 1963, qui a saisi la commission de discipline des faits reprochés à M. X, substitut général à la cour d’appel de V ; ensemble le rapport de M. le procureur général près ladite cour du 11 mai 1963 ;
Vu les pièces de l’enquête à laquelle il a été procédé par M. Touren, désigné en qualité de rapporteur pour la présente affaire par M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission ;
Ouï M. Touren, en son rapport,
Ouï M. X., à qui son dossier personnel, ainsi que les pièces de l’enquête et le rapport de M. Touren ont été communiqués, conformément aux articles 64 et 55 du texte précité ;
Attendu, en ce qui concerne les griefs qui pourraient être adressés à M. X au sujet du sens de ses réquisitions, que la liberté de la parole du ministère public est consacrée par l’article 33 du code de procédure pénale ; que la commission, dans ces conditions, n’estime pas devoir les retenir, ni même avoir à les examiner ;
Mais attendu que ce principe ne saurait couvrir les écarts d’expression, surtout lorsque ceux-ci sont étrangers au fond de l’affaire et qu’ils mettent en cause à la fois le lien de subordination hiérarchique qui est à la base de l’organisation du ministère public et l’autorité du procureur général dans le fonctionnement de ses services ;
Attendu qu’il est fait grief à M. X d’avoir, au cours d’une audience de la cour d’assises de V, laissé entendre dans son réquisitoire, par le caractère équivoque de ses propos, que si on avait pu l’obliger à tenir à cette audience le siège du ministère public, on ne pouvait l’obliger à requérir au-delà de ce que sa conscience lui dictait, laissant ainsi supposer une pression que le pouvoir hiérarchique aurait exercée sur lui ;
Attendu que si M. X conteste la matérialité de ces paroles, celles-ci peuvent être considérées comme établies, sinon dans leur exactitude littérale, du moins dans leur sens général, par les déclarations concordantes du procureur général et du président de la cour d’assises ;
Attendu que ce faisant M. X ne pouvait se dissimuler qu’il portait contre son chef hiérarchique une imputation dont la gravité lui échappait d’autant moins qu’il la savait sans fondement, puisqu’il a déclaré lui-même à la commission qu’il n’avait reçu de lui aucune instruction ni conseil quant au sens de ses réquisitions ;
Attendu en outre que M. X s’est plaint dans son réquisitoire d’avoir été chargé, malgré son état de santé, de l’affaire que l’on jugeait et a pris la cour et le public à témoins de l’injustice qu’il y avait à lui imposer de soutenir l’accusation dans les affaires les plus difficiles ;
Attendu que de pareils écarts de langage, en admettant même que leur auteur, emporté par les ardeurs incontrôlées de l’improvisation, n’ait pas eu d’intentions malicieuses à l’égard du procureur général, ce qui paraît incertain si l’on se réfère au comportement de M. X depuis que la procédure criminelle en question lui avait été attribuée, témoignent d’une absence grave de contrôle de la pensée et de maîtrise de la parole ;
Attendu que des faits ci-dessus exposés, il résulte que M. X a commis un manquement aux devoirs de son état ;
Attendu cependant qu’il convient de tenir compte de l’état de santé de l’intéressé qui a pu exercer une influence fâcheuse sur son équilibre nerveux ;
Par ces motifs,
La commission, à la majorité de ses membres,
Émet l’avis que M. X fasse l’objet d’une mesure de déplacement d’office.