Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
25/03/1994
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions)
Avis
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (11 avril 1994)
Mots-clés
Délai raisonnable
Retard
Légalité
Diligence
Etat de magistrat
Fonctions
Déplacement d'office
Substitut du procureur de la République
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Absence de traitement des dossiers dans un délai raisonnable

La commission de discipline du parquet, sur la poursuite disciplinaire exercée à l’encontre de M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V,

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 70-642 du 17 juillet 1970, notamment les articles 63, 64 et 65 de ce texte ;

Vu ensemble la dépêche en date du 16 juin 1993 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet, saisissant cette commission pour avis sur la sanction disciplinaire que les faits retenus à l’encontre de M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, lui paraissent devoir entraîner ;

Vu l’enquête diligentée par M. Roger Gaunet, avocat général à la Cour de cassation, rapporteur de la commission, l’entier dossier de la procédure ayant été préalablement communiqué à M. X. et mis à la disposition de ses conseils ;

Vu le dossier administratif de M. X, également mis préalablement à la disposition de ce magistrat et de ses conseils ;

Les débats s’étant déroulés le 15 mars 1994, à huis clos, en présence de M. Jean-François Weber, directeur des services judiciaires, et de M. X., assisté de Me Yann Choucq, avocat au barreau de Nantes, Me Françoise Gallot-Lavallée, avocat au barreau du Mans, et de M. Jean-Claude Nicod, substitut du procureur général près la cour d’appel de Pau, lesquels, ainsi que le directeur des services judiciaires et les membres de la commission, ont dispensé M. l’avocat général Gaunet de la lecture du rapport qui leur avait été préalablement communiqué, M. Y, procureur de la République à V, ayant été reçu en son témoignage, M. X ayant été entendu en ses explications, puis M. Jean-François Weber, directeur des services judiciaires, Me Choucq, Me Gallot-Lavallée et M. Nicod ayant ensuite présenté leurs observations, M. X ayant eu la parole le dernier ;

L’affaire ayant ensuite été mise en délibéré au 25 mars 1994 ;

Considérant qu’il n’est pas établi que M. X ait abusivement autorisé des gardes à vue contre quatre personnes pendant quarante-huit heures, jusqu’au lundi 5 avril 1993 à 4 heures, alors que les services de police n’avaient pas envisagé une présentation plus précoce et ont travaillé jusqu’au 5 avril à 0 h 30 pour parfaire la procédure ;

Considérant, en revanche, que doit être retenu le grief fait à M. X de n’avoir pas donné, dans un délai raisonnable, une suite à de nombreuses procédures dont il avait la charge ;

Considérant que, bien que mis en garde à plusieurs reprises et malgré ses promesses de régulariser la situation, ce magistrat avait, le17 décembre 1992, en instance de traitement 477 procédures d’enquêtes et en attente de règlement quarante-sept dossiers d’instruction, dont trente-trois communiqués depuis plus de trois mois en 1992 et quatre communiqués en 1991 ; qu’un nouveau contrôle effectué le 18 mars 1993 faisait apparaître la présence dans le bureau de M. X de quatre piles de vingt-cinq centimètres de courriers non traités et de trente-neuf dossiers d’instruction non réglés, dont trente-quatre figuraient déjà dans la liste précédente ; que le 16 avril 1993, il avait encore à régler quarante-trois dossiers dont trois de 1991 et trente-cinq de 1992 ;

Considérant, sans retenir d’autres cas, qu’il est établi que M. X a « oublié » pendant dix-sept mois, ainsi qu’il l’admet, de régler une procédure d’instruction sans difficulté particulière, qui lui avait été confiée alors qu’il était délégué au parquet de W ; qu’il a attendu six mois pour transmettre à la chambre d’accusation une procédure que le juge d’instruction avait terminée par une ordonnance de non-lieu et dont il avait relevé appel et un an pour faire parvenir à la cour d’appel un dossier d’assistance éducative portant sur la garde d’un enfant et qui avait « échappé à son attention » ;

Considérant que la nature et le nombre des affaires confiées à M. X ne justifiaient pas de tels retards dès lors, d’une part, que ces dossiers étaient évacués sans difficultés par ses collègues lorsqu’ils assuraient ce service soit avant lui, soit à l’occasion des congés, et d’autre part, que ce magistrat, à certaines époques, avait démontré qu’il était en mesure de faire face aux tâches qui lui étaient confiées ;

Considérant que M. X n’a pas tenu les promesses de régularisation faites à ses chefs hiérarchiques ;

Considérant que l’ensemble des faits ci-dessus rapportés, commis sur une longue période, caractérise, de la part de M. X, une grave carence et une insuffisance professionnelle persistantes ; que celui-ci, en ne traitant pas dans un délai raisonnable les procédures qu’il avait en charge, a fait preuve d’un manque évident du sens de ses responsabilités et a ainsi failli aux devoirs de son état ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction du déplacement d’office, prévue par l’article 45, 2°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, relative au statut de la magistrature ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X, par les soins du secrétaire de la commission de discipline du parquet.