Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
05/12/2003
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Avis
Révocation sans suspension des droits à pension
Décision Garde des sceaux
Conforme (14 janvier 2004)
Mots-clés
Corruption
Argent
Avantage
Blanchiment
Mise en examen
Intervention
Conseils
Amitié
Impartialité
Légalité
Probité
Abus des fonctions
Honneur
Institution judiciaire (loyauté)
Révocation sans suspension des droits à pension
Substitut du procureur de la République (premier)
Fonction
Premier substitut du procureur de la République
Résumé
Acceptation par un magistrat du parquet de sommes d’argent, cadeaux et invitations pour lui-même et les membres de sa famille, remis par des personnes impliquées dans des affaires pénales auxquelles il dispensait des conseils juridiques et qui étaient parties à une affaire dont il était saisi. Intervention en faveur d’un repris de justice rencontré par l’intermédiaire de ces personnes
Décision(s) associée(s)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance modifiée n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par les lois organiques n° 94-101 du 5 février 1994 et n° 2001-539 du 25 juin 2001 ;

Vu l’arrêté du 1er avril 2003 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, portant interdiction pour M. X, d’exercer les fonctions de premier substitut du procureur de la République près le tribunal de grande de instance de V ;

Vu la dépêche du 28 mai 2003 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, au procureur général soussigné, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de ce magistrat mis préalablement à sa disposition ;

Considérant que l’affaire a été mise en délibéré à l’issue de débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le vendredi 5 décembre 2003 et au cours desquels :

M. X a comparu, assisté de Me Vaslin, avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis, qui a déposé un mémoire en défense ;

Le rapporteur a été dispensé par toutes les parties et les membres du Conseil de la lecture intégrale de son rapport qui leur avait été antérieurement communiqué ;

M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications, M. le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, Me Vaslin a été entendu en sa plaidoirie et M. X a eu la parole le dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;

Considérant que M. X a été mis en examen, le 11 février 2003, par un juge d’instruction de W, des chefs de blanchiment aggravé, recel de fonds et valeurs provenant d’abus de biens sociaux et de banqueroute par détournement d’actifs, trafic d’influence et corruption passive ; qu’il a été placé sous mandat de dépôt de cette date jusqu’au 9 octobre 2003 et que l’instruction de cette affaire se poursuit ;

Considérant qu’il est imputé à M. X, par l’acte de saisine du Conseil supérieur, d’une part, d’avoir entretenu des relations avec des personnes mises en cause dans une importante affaire de blanchiment d’argent et, d’autre part, d’être intervenu en faveur de ces personnes ;

Considérant, s’agissant du premier de ces griefs, qu’il ressort des pièces versées au dossier disciplinaire et des déclarations faites par M. X au rapporteur de la présente affaire, qu’il a entretenu des relations amicales, de 1992 à 2000, avec des personnes aujourd’hui impliquées dans une vaste affaire de blanchiment, les nommés Y, Z et A ;

Considérant que de 1992 à l994, M. X a reçu des mains de Z. une montre Breitling, des stylo-bille de grandes marques et obtenu le prêt d’une voiture Mercedes pendant des vacances ainsi que le prix d’un voyage en Grèce offert à ses filles ;

Considérant que de 1994 à 1997, M. X a reçu des mains de Y et de A, de façon régulière, des enveloppes contenant environ 5 000 francs (762,25 euros) chacune ; qu’ils lui ont également remis des vêtements, une montre Rolex d’occasion, un appareil photographique de marque Epson et des tailleurs pour son épouse ; que lui ont, en outre, été offerts les frais de scolarité de l’une de ses filles au Cours Pigier, une bague destinée à son épouse, des travaux faits à son domicile par des employés de A ; qu’à l’occasion de repas qu’ils lui offraient chaque vendredi, les nommés Y et A obtenaient de lui des avis juridiques ;

Considérant qu’enfin, de 1997 à 1999, alors même que M. X espaçait ses rencontres avec Y et A en raison de leur renvoi devant le tribunal correctionnel, une de ses filles a été embauchée par l’une des sociétés contrôlées par Y et que celui-ci a pris en charge les frais d’un voyage que Mme X fit en Israël ;

Considérant, s’agissant des interventions de M. X intéressant ses amis, qu’il a établi lui-même un réquisitoire définitif, le 10 novembre 1998, dans une affaire où les époux A et Y étaient poursuivis pour faux, usage de faux, abus de biens sociaux, infractions aux règles de la facturation, marchandage de main-d’œuvre, complicité et recel de ces délits ; qu’il a requis un non-lieu partiel ;

Considérant, d’autre part, que M. X est intervenu, à diverses reprises, en faveur d’un repris de justice ami de A, afin d’obtenir, par une requête qu’il a lui-même rédigée, une dispense d’inscription de condamnations au B2 ; qu’il a reconnu avoir rencontré cette personne à l’occasion de repas offerts par A ; que ces circonstances ne l’ont pas empêché de tenir le siège du ministère public le 27 février 2001, lors du jugement d’une affaire correctionnelle concernant cet individu dont il a classé, plusieurs fois, des contraventions commises par les chauffeurs des sociétés qu’il dirigeait ;

Considérant que l’ensemble des faits inclus dans l’acte de saisine du Conseil supérieur de la magistrature et reconnus par l’intéressé traduit chez M. X une perte complète des repères déontologiques fondamentaux de sa profession ; que ces faits constituent des manquements graves et renouvelés aux exigences d’intégrité, de dignité et de loyauté qui s’imposent à tout magistrat, notamment à ceux qui, par leur âge et leur expérience, se doivent d’être des références tant pour leurs collègues plus jeunes que pour l’opinion publique qui n’a pu qu’être profondément troublée par la révélation des agissements de M. X ;

Considérant qu’en définitive, il y a lieu de retenir que M. X a forfait à l’honneur et à la probité dans des conditions appelant une sanction disciplinaire exemplaire ; que si l’on doit constater que son dossier administratif ne comporte pas de réserves, il convient néanmoins de relever que l’un de ses chefs directs lui avait fait, dès 1993, des observations sur les relations qu’il entretenait avec des individus inquiétés par la justice et qu’il n’en a pas tenu compte ; qu’il y a donc lieu d’écarter définitivement M. X de l’exercice de toute fonction judiciaire par la sanction la plus lourde prévue par le statut de la magistrature, étant toutefois maintenu son droit à pension, compte tenu de ses charges familiales ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction prévue à l’article 45, 7°, du statut de la magistrature, de révocation sans suspension de ses droits à pension ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X, par les soins du secrétaire soussigné.