Conseil d’État, section du contentieux, requête n° 278224
Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 3 mars 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour M. X, demeurant … ; M. X demande au Conseil d’État :
1 - d’enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de produire l’intégralité de la double procédure suivie devant le Conseil supérieur de la magistrature ;
2 - d’annuler, d’une part, la décision du 7 décembre 2004 du garde de sceaux, ministre de la justice, ayant prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d’office et lui ayant refusé l’honorariat de ses fonctions de substitut du procureur général près la cour d’appel de ... et, d’autre part, le décret du 23 février 2005 du Président de la République le radiant des cadres de la magistrature à compter du 3 janvier 2005 ;
3 - de mettre à la charge de l’État le versement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bertrand Dacosta, maître des requêtes,
- les observations de la SCP …, avocat de M. X ;
- les conclusions de M. Yann Aguila, commissaire du gouvernement ;
- Sur les conclusions dirigées contre la décision du garde des sceaux, ministre de la justice
- En ce qui concerne les moyens de légalité externe
- Quant aux moyens relatifs à l’avis rendu le 11 juin 2004 par le Conseil supérieur de la magistrature :
Considérant, en premier lieu, que le Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, peut légalement, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance ; que, par suite, contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance que le Conseil supérieur de la magistrature ait pris en compte des faits révélés postérieurement à sa saisine, le 31 juillet 2003, par le garde des sceaux, ministre de la justice, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure suivie, dès lors que M. X a été mis à même de les discuter avant que l’avis ne soit rendu ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du premier alinéa de l’article 65 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction issue de la loi organique du 25 juin 2001 : « Si le magistrat cité, hors le cas de force majeure, ne comparaît pas, il peut être passé outre. L’audience de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature » ;
Considérant qu’il appartient au Conseil supérieur de la magistrature d’apprécier si le droit à la protection de la vie privée de la personne poursuivie, de ses proches ou de tiers exige que l’accès à la salle d’audience soit interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience ; que, dans les circonstances de l’espèce, en décidant de limiter le huis clos à l’audition de l’intéressé et en refusant, malgré la demande de ce dernier, de l’étendre à la lecture du rapport, au prononcé des réquisitions du directeur des services judiciaires et aux plaidoiries de ses défenseurs, le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas fait une inexacte application de ces principes et, dès lors, n’a pas entaché son avis d’irrégularité ;
Considérant, en troisième lieu, que, la circonstance que soient évoqués, lors de la procédure disciplinaire, des faits qui, par ailleurs, font l’objet d’une instruction pénale, est sans incidence sur la régularité de cette procédure ;
- Quant aux moyens relatifs à l’avis rendu le 13 octobre 2004 par le Conseil supérieur de la magistrature :
Considérant que le Conseil supérieur de la magistrature, saisi à cette fin par le garde des sceaux, ministre de la justice, a émis, le 13 octobre 2004, en application de l’article 77 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, l’avis qu’il n’y avait pas lieu de conférer l’honorariat de ses fonctions à M. X ;
Considérant, en premier lieu, que, lors de sa séance du 13 octobre 2004, le Conseil supérieur de la magistrature a expressément retiré un précédent avis rendu le 17 septembre, en prenant acte du fait que M. X n’avait été avisé que le 16 septembre de la mesure envisagée et n’avait pas disposé d’un délai suffisant pour prendre connaissance de son dossier et faire connaître ses observations ; que, par suite, les irrégularités qui auraient affecté l’avis du 17 septembre 2004 sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;
Considérant, en deuxième lieu, que si M. X n’a été informé que le 12 octobre 2004 du fait que, pour faire droit à la demande que ses conseils avaient formulée le 8 octobre, il serait entendu par le Conseil supérieur de la magistrature lors de sa séance du 13 octobre, il avait été avisé, ainsi qu’il a été dit, dès le 16 septembre de la possibilité dont il disposait de consulter son dossier et de faire valoir ses observations ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’il n’aurait pas bénéficié d’un délai suffisant ne peut qu’être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, que le refus de l’honorariat, quand bien même est-il pris en considération de la personne, ne constitue pas une sanction disciplinaire ; qu’il suit de là que M. X n’est pas fondé à soutenir que le Conseil supérieur de la magistrature aurait dû se réunir dans sa formation compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Considérant, en quatrième lieu, que M. X soutient que l’avis rendu par le Conseil supérieur de la magistrature a été vicié au motif qu’a siégé lors de la séance du 13 octobre 2004 un membre du Conseil supérieur nommé un mois plus tôt, et qui exerçait auparavant les fonctions de directeur adjoint du cabinet du garde des sceaux, ministre de la justice, et de directeur du cabinet du secrétaire d’État aux droits des victimes ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que la personne en cause s’est retirée avant que le Conseil supérieur de la magistrature ne délibère ; qu’il n’est pas établi, ni même allégué, qu’elle aurait pris part aux débats préalables concernant M. X ; qu’ainsi le moyen doit, en tout état de cause, être écarté ; que, par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature, qui, lorsqu’il rend un avis sur un refus d’honorariat, n’a pas le caractère d’une juridiction, n’était pas tenu de se prononcer explicitement sur la demande de récusation d’un de ces membres que lui avait adressée M. X ;
Considérant, en dernier lieu, que, le refus de l’honorariat ne constituant pas une sanction disciplinaire, le moyen tiré de ce que le garde des sceaux, ministre de la justice, en assortissant la sanction de la mise à la retraite d’office du refus de conférer à l’intéressé l’honorariat, aurait prononcé une sanction plus grave que celle proposée par le Conseil supérieur de la magistrature, sans le consulter à nouveau, en méconnaissance de l’article 66 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, ne peut qu’être écarté ;
- En ce qui concerne les moyens de légalité interne
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ; qu’à ce titre un magistrat se doit de respecter ses obligations professionnelles, mais aussi de s’abstenir de comportements qui, incompatibles avec l’exercice de ses fonctions, peuvent jeter sur elles le discrédit ; qu’il en va ainsi des faits reprochés à M. X ; que, par suite, alors même qu’ils ont été commis en dehors du service et sans utiliser les moyens fournis par celui-ci, le garde des sceaux, ministre de la justice, a pu, à bon droit, estimer qu’ils justifiaient une sanction disciplinaire ;
Considérant, en deuxième lieu ; que, la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale ; que, par suite, y compris dans l’hypothèse où c’est à raison des mêmes faits que sont engagées parallèlement les deux procédures, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d’innocence en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué ;
Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que mentionne la décision attaquée, si M. X a admis avoir reçu, conservé et parfois envoyé des photographies à caractère pornographique représentant des mineurs, obtenues par la voie de messages électroniques ou de forums, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ait admis avoir procédé à un classement de ces photographies ; que, cependant, il résulte de l’instruction que le garde des sceaux, ministre de la justice, aurait pris la même décision s’il ne s’était fondé que sur les autres faits reprochés à l’intéressé, lesquels ne sont pas entachés d’inexactitude ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’eu égard à la gravité des faits reprochés à M. X, le garde des sceaux, ministre de la justice, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en lui infligeant la sanction de la mise à la retraite d’office ; que l’intéressé ne peut utilement faire valoir que cette sanction le place dans une situation financière difficile ;
Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. X. n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ;
- Sur les conclusions dirigées contre le décret du Président de la République
Considérant que M. X. se borne à soutenir que le décret du Président de la République le radiant des cadres doit être annulé par voie de conséquence de l’annulation de la décision du garde de sceaux, ministre de la justice, prononçant à son encontre la sanction de la mise à la retraite d’office ; que ces conclusions ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ;
- Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’État, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que réclame M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : La requête de M. X. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X. et au garde des sceaux, ministre de la justice.