Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, siégeant à la Cour de Cassation, 5 quai de l’Horloge, Paris 1er, composée de :
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée ;
Vu la dépêche de M. le garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, en date du 8 février 2011 et ses pièces annexées, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition ;
Vu l’ensemble des pièces produites et jointes au dossier au cours de la procédure et à l’audience.
L’affaire a été mise en délibéré au 8 décembre 2011 à l’issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 21 novembre 2011, au cours desquels M. X a comparu, assisté de Mme A, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats, et de M. B, magistrat.
A l’ouverture des débats, M. B a soutenu un moyen soulevé dans le mémoire déposé au cours de la procédure disciplinaire le 6 juin 2011. Après avoir entendu Mme Véronique MALBEC, directrice des services judiciaires, assistée de Mme Emmanuelle MASSON, magistrate à cette direction, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré.
A la reprise des débats, M. Christian RAYSSEGUIER, rapporteur, a procédé à la lecture de son rapport.
M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications.
Mme Véronique MALBEC a été entendue et a présenté ses demandes.
M. X, assisté de Mme A et de M. B, a été entendu en sa défense et a eu la parole en dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant été assurés.
- Sur la procédure
Vu la demande présentée au Conseil par M. B, exposée dans un mémoire du 6 juin 2011 versée à la procédure, tendant à ce qu’il soit dit que la procédure disciplinaire, en ne prévoyant pas la possibilité, pour M. X d’être assisté dès l’enquête administrative diligentée par l’inspection générale des services judiciaires, en amont de la saisine, par le Ministre, de la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature, alors qu’il en avait fait la demande, a méconnu le principe du respect des droits de la défense, rappelé notamment par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Le Conseil, après en avoir délibéré et joint la demande au fond, relève qu’il résulte des pièces versées à la procédure que préalablement à son audition, le 29 novembre 2010, par les services de l’inspection générale des services judiciaires du ministère de la Justice et des libertés, les pièces du dossier de l’enquête ont été tenues à la disposition de M. X le 26 novembre 2010, lequel a disposé d’un délai de quinze jours après son audition pour faire parvenir ses observations. Puis, dès la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, l’intégralité des pièces de la procédure ont été communiquées à l’intéressé qui a également pu, tant durant l’enquête diligentée par le rapporteur qu’à l’audience du Conseil, bénéficier d’une assistance et présenter toutes observations qu’il estimait utiles.
Indépendamment de la question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme à la cause, le Conseil considère, en tout état de cause, qu’il n’y a pas eu d’atteinte aux droits de la défense en raison des conditions de déroulement de l’enquête administrative de l’inspection générale des services judiciaires et rejette en conséquence la demande présente par M. B.
- Sur le fond
Aux termes de la saisine du garde des Sceaux du 8 février 2011, il est reproché à M X, d’avoir, le jeudi 4 novembre 2010, alors qu’il occupait le siège du ministère public à l’audience de la 16ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de ... au cours de laquelle était examinée une procédure mettant en cause sept fonctionnaires de police pour dénonciation calomnieuse, faux en écriture publique et violences volontaires, utilisé le terme « gestapo » dans ses réquisitions, en comparant, selon le garde des Sceaux, « le comportement des fonctionnaires de police poursuivis à celui de la gestapo, police politique du troisième Reich, synonyme de terreur et d’arbitraire, à l’origine de tortures et d’exactions qui lui étaient consubstantielles ».
Pour le garde des Sceaux, M. X a fait preuve d’un manque de discernement et de prudence caractérisé aux conséquences graves, en manquant à son devoir de réserve, à son devoir de délicatesse à l’égard des services de police dans leur ensemble, portant ainsi atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et jetant ce faisant le discrédit sur l’institution judiciaire.
En vertu des articles 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature et 33 du code de procédure pénale, la parole des magistrats du parquet est libre à l’audience, lesquels développent librement les observations orales qu’ils croient convenables au bien de la justice.
Ainsi que le Conseil l’a rappelé dans sa décision du 9 octobre 1987, ce principe, qui s’analyse comme une dérogation au principe de la subordination hiérarchique, a pour effet de soumettre la parole du magistrat aux commandements de sa seule conscience. Ce principe est l’expression de la garantie constitutionnelle des libertés individuelles que le magistrat du ministère public doit, en toute occasion, assurer.
Toutefois, ce principe ne saurait constituer une immunité au profit du magistrat du parquet lequel, lorsqu’il prend la parole à l’audience, est tenu au respect des devoirs de son état. En particulier, il doit respecter le devoir de réserve, la dignité des justiciables, et ce faisant, celle de sa charge et de l’institution judiciaire.
Sur la saisine, le Conseil relève en premier lieu que le contenu précis des propos tenus par M. X à l’occasion de ses réquisitions n’est établi ni par les notes d’audience, ni par les déclarations des personnes entendues à l’occasion de l’enquête.
Toutefois, M. X a indiqué de manière constante, tant devant le rapporteur qu’à l’audience du Conseil, que s’il ne se rappelait pas avec précision des propos qu’il avait tenus dans l’improvisation de ses réquisitions qui ne résultaient pas d’un écrit préalablement élaboré, il considérait que les propos rapportés par la presse : « La police française, ça ressemble un peu à la gestapo dans ce dossier », devaient correspondre à ceux qu’il avait pu tenir.
Le Conseil estime en second lieu que les propos que M. X reconnaît avoir tenus, doivent s’analyser au regard de la gravité des faits jugés lors de l’audience du 4 novembre 2010 et des manquements que le ministère public a entendu stigmatiser dans ses réquisitions.
M. X a expliqué devant le rapporteur et à l’audience avoir voulu « secouer » psychologiquement les policiers poursuivis qui persistaient dans une attitude de dénégation, malgré des faits de violences illégitimes lors de l’interpellation du conducteur du véhicule et de fabrication de toute pièce d’une procédure tendant à travestir la réalité des faits et de nature à convaincre faussement la personne interpellée d’une tentative d’homicide sur un fonctionnaire de police.
Tout en reconnaissant un excès de zèle, il a, en outre, expliqué avoir voulu compenser une certaine mansuétude dans la nature et le quantum de ses réquisitions, lesquelles, selon lui, ont été conformes à ce que sa hiérarchie lui avait demandé.
Le Conseil relève à cet égard que l’importance de la procédure aurait pu justifier que le siège du ministère public soit occupé par le procureur de la République ou le procureur de la République adjoint exerçant le suivi des officiers de police judiciaire, alors même que le quantum et la nature des peines avaient été, préalablement à l’audience, indiqué à M. X, lequel, eu égard à ses charges hebdomadaires d’audience, avait bénéficié d’un temps de préparation réduit.
Le Conseil estime que ces propos, qui visaient à stigmatiser des comportements individuels, et non directement des personnes à raison de leur fonction, ou de leur appartenance à un groupe professionnel ou humain, ne constituent pas un manquement au respect de la dignité des policiers poursuivis.
Enfin, il n’apparaît pas non plus au Conseil que les propos tenus ont constitué, dans les circonstances où ils ont été prononcés, un manquement au devoir de délicatesse à l’égard des services de police. En effet, tant la teneur des propos reconnus que les déclarations de M. X par lesquelles il aurait précisé à l’audience, à la suite de la réaction de la Présidente, qu’il n’assimilait pas la police française à la gestapo mais que les termes employés concernaient les seuls policiers poursuivis, tendent à établir, à l’évidence, que l’ensemble de la police nationale n’était pas visé dans ces propos. Pour les mêmes raisons, ils ne sauraient constituer un manquement au devoir de réserve à l’égard des autorités publiques.
Le Conseil considère en conséquence que pour maladroits et inappropriés qu’ont été les propos reconnus par M. X, ils ne constituent pas, en raison des circonstances dans lesquelles ils ont été tenus, de la nature et la gravité des faits, une atteinte à la dignité des policiers poursuivis, à la délicatesse et à la dignité dues aux services de police dans leur ensemble, et partant, un manquement au devoir de réserve et au devoir de dignité du magistrat à l’audience.
En conséquence, le Conseil est d’avis qu’il n’y a pas lieu de prononcer de sanction à l’encontre de M. X.
PAR CES MOTIFS,
Rejette la demande tendant à que soit constatée la méconnaissance du principe du respect des droits de la défense, en raison des conditions de déroulement de l’enquête de l’inspection générale des services judiciaires.
EMET L’AVIS qu’il n’y a pas lieu à sanction disciplinaire ;
Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des Sceaux et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.