Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente pour la discipline
des magistrats du parquet
Avis motivé
de la formation du Conseil supérieur de la magistrature
compétente pour la discipline des magistrats du parquet
sur les poursuites engagées contre Monsieur X,
précédemment
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, réunie le 9 septembre 2014, à la Cour de cassation, 5 quai de l'Horloge, Paris 1er
La direction des services judiciaires étant représentée par Madame Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Madame Hélène Volant, magistrate à cette direction ;
Monsieur X, précédemment vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, étant assisté de Maître A, avocat au barreau de xxxxx ;
Vu l'article 65 de la Constitution ;
Vu les articles 43 à 66 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu l’article 19 de la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n°94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la saisine du garde des sceaux en date du 6 juin 2012 et les pièces annexées, saisissant pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l'encontre de Monsieur X, vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Vu la désignation, en qualité de rapporteur, de Madame Chantal Kerbec, membre du Conseil, par décision du Président de la formation, en date du 19 juin 2012 ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Monsieur X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de son conseil ;
Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu le rapport du 16 avril 2014 déposé par Madame Kerbec, dont Monsieur X et son conseil ont reçu copie ;
Vu la convocation adressée le 17 juin 2014 à Monsieur X et sa notification à l'intéressé le 18 juin 2014 ;
Vu la convocation adressée le 17 juin 2014 à Maître A ;
Vu le rappel, par Monsieur le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par Monsieur X et son conseil, conduisant à tenir l’audience publiquement.
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L'affaire a été mise en délibéré au 30 septembre 2014 à l'issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 9 septembre 2014, au cours desquels Monsieur X a comparu assisté de son conseil.
A l’ouverture des débats, Madame Delnaud et Monsieur X, assisté de son conseil, ont indiqué ne pas avoir d’observations à formuler à ce stade de l’audience quant à la saisine du Conseil.
Madame Kerbec a ensuite présenté son rapport préalablement communiqué aux parties, qui ont acquiescé à ce qu’il ne soit pas intégralement lu à l’audience. Monsieur X, assisté de son conseil, a été interrogé sur les faits dont le Conseil est saisi et a fourni ses explications. Madame Delnaud a présenté ses observations tendant à ce que l’honorariat soit refusé à Monsieur X. Après avoir entendu Maître A en sa plaidoirie, Monsieur X a eu la parole en dernier.
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Aux termes de la saisine du garde des sceaux du 6 juin 2012, il est reproché à Monsieur X :
- Des interventions inappropriées, es-qualité de vice-procureur de la République, dans une procédure administrative et auprès d’une personne détenue,
- Des agissements relatifs à l’appropriation frauduleuse, dans un casino, d’un ticket représentant une valeur marchande et donnant accès à l’usage d’une machine à sous ainsi que le défaut d’information de sa hiérarchie suite à cet événement,
- Les comportements adoptés à l’égard des époux B.
1.- Sur les interventions inappropriées, es-qualité de vice-procureur de la République, dans une procédure administrative et auprès d’une personne détenue
Il résulte en premier lieu des pièces de la procédure et des débats que Monsieur X, alors en poste au parquet de xxxxx (xxxxx), est intervenu en 2006 et 2007 auprès de la préfecture de l’xxxxx afin de soutenir la demande de régularisation de Monsieur C, en situation de séjour irrégulier depuis 2005.
Ces interventions en faveur de Monsieur C sont établies par un courrier du 29 septembre 2006 adressé par Monsieur X au directeur des libertés publiques de la préfecture de l’xxxxx, de même que par les déclarations de Madame D, agent à la préfecture du xxxxx, relatant avoir reçu, en septembre 2006 puis en juillet 2007, des appels téléphoniques de Monsieur X, qui s’était présenté comme étant vice-procureur au parquet de xxxxx. Il avait ensuite rappelé le 18 septembre 2007 pour indiquer, à l’inverse de ses précédentes interventions, que Monsieur C n’était pas « une personne recommandable ».
Monsieur X a reconnu, devant le rapporteur puis à l’audience, ces différentes interventions. Il a indiqué qu’elles n’étaient qu’exceptionnelles, contestant avoir adopté un tel comportement à l’endroit d’autres personnes.
Il a précisé toutefois ne plus se souvenir avoir été convoqué le 21 novembre 2007 par le procureur général près la cour d’appel de xxxxx, pour le mettre en garde contre de telles interventions.
Il résulte de ce qui précède que la matérialité de ce premier grief est établie.
Il est reproché, en second lieu, à Monsieur X, alors qu’il était en charge de l’exécution des peines au parquet de xxxxx, de s’être rendu, le 17 juillet 2007, à la maison d’arrêt de xxxxx et d’y avoir rencontré, à son initiative, au parloir réservé aux avocats et en présence d’un surveillant pénitentiaire, Monsieur E, condamné pour des faits de harcèlement, violences et menaces de mort à l’encontre de son ex-compagne. Monsieur X aurait alors demandé à Monsieur E de s’abstenir de menacer la victime, lui signifiant qu’il ferait en sorte qu’il reste en prison, en mettant immédiatement à exécution une peine d’emprisonnement avec sursis à laquelle il avait été condamné, sursis qui avait été révoqué par le prononcé d’une nouvelle peine d’emprisonnement.
Monsieur X a expliqué avoir été sollicité par une avocate qu’il connaissait, qui l’avait alerté, « en pleurs », des menaces de mort visant sa cliente, menaces qu’elle avait affirmé émaner directement ou indirectement de Monsieur E. Il a précisé à l’audience que profitant d’un déplacement à la maison d’arrêt de xxxxx afin de participer à une commission d’application des peines, il avait demandé à la directrice de la maison d’arrêt de rencontrer Monsieur E en présence d’un témoin et avoir attiré son attention sur les soupçons qui ne manqueraient pas de peser sur lui dans l’hypothèse où son ex-compagne serait à nouveau victime de violences. Il indiquait qu’après avoir examiné la situation pénale du condamné, il avait mis à exécution une révocation de droit d’une peine d’emprisonnement avec sursis, en application de l’article 132-36 du code pénal, avec l’accord du procureur de la République de xxxxx.
Il résulte de l’enquête diligentée par les services de l’Inspection générale des services judiciaires que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx avait invité Monsieur X, à l’occasion de ces faits, « à veiller à bien séparer sa vie privée de sa vie professionnelle ». Le 7 février 2008, Monsieur X avait été convoqué par le procureur général qui l’invitait à la prudence.
En cet état, l’intervention, en maison d’arrêt, de Monsieur X et la mise à exécution avec l’accord de sa hiérarchie d’une peine révoquée de droit ne caractérise pas, pour le Conseil, un manquement disciplinaire, dès lors que Monsieur X est intervenu dans le cadre de ses fonctions et à des fins qui n’étaient pas étrangères à celles-ci.
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En revanche, en faisant état de sa qualité de magistrat pour intervenir dans une procédure administrative relative à une demande de régularisation d’une personne en situation irrégulière, en dehors et à des fins étrangères à l’exercice de ses fonctions, Monsieur X a manqué au devoir de loyauté et de délicatesse à l’endroit des agents de la préfecture de l’xxxxx et au devoir de loyauté à l’égard de sa hiérarchie. Les agissements de Monsieur X caractérisent un abus de fonction et constituent un manquement aux devoirs de l’état de magistrat.
2.- Sur les agissements relatifs à l’appropriation frauduleuse, dans un casino, d’un ticket représentant une valeur marchande et donnant accès à l’usage d’une machine à sous ainsi que le défaut d’information de sa hiérarchie suite à cet événement
Il est reproché à Monsieur X, le 4 août 2011, dans un casino à xxxxx dont il était le client régulier, de s’être approprié un ticket de jeu d’un montant de 202, 53 euros qui ne lui appartenait pas et de l’avoir utilisé dans une machine à sous.
L’exploitation de la vidéosurveillance du casino permettait d’établir que Mme F, âgée de 76 ans, avait posé son ticket de jeu, correspondant à une somme de 202, 53 euros, sur le rebord d’un distributeur afin d’avoir la libre disposition de ses mains dans l’utilisation d’un second distributeur. Monsieur X, arrivant alors au niveau de ce distributeur, se saisissait de ce ticket et le plaçait dans la poche intérieure gauche de sa veste.
Après avoir déclaré au personnel du casino que le ticket avait été découvert au sol, Monsieur X relatait, le 19 août 2011, aux fonctionnaires du service de police judiciaire de xxxxx, avoir trouvé le ticket dans une poubelle et avoir cru, en l’absence de ses lunettes, qu’il était d’un montant de 20, 72 euros et être de surcroît périmé. Toutefois, confronté à l’enregistrement de la vidéo du casino par les services de police judiciaire, il devait reconnaître avoir récupéré le ticket sur le rebord d’un distributeur.
En tout état de cause, le Conseil constate que Monsieur X, après s’être emparé du ticket posé sur le rebord d’un distributeur, l’a utilisé immédiatement et que, bien que s’apercevant que le ticket était valide et créditeur, a néanmoins poursuivi le jeu.
Il a ainsi reconnu devant les services de police avoir joué « durant quelques minutes », même s’il concédait s’être « trouvé très mal à l’aise, pratiquement le souffle coupé ». Il reconnaissait avoir « quand même joué sur la machine ». A l’audience, Monsieur X a expliqué que cette action était « une stupidité », mais non « une malhonnêteté ».
En cet état, le Conseil estime que le comportement de Monsieur X, qui a pris un ticket se trouvant sur un distributeur, l’a utilisé dans le même trait de temps et a continué à en bénéficier après avoir constaté que le ticket était créditeur pour un montant important, caractérise suffisamment la volonté d’appropriation de ce ticket par Monsieur X.
En outre, s’il résulte des pièces de la procédure que Monsieur X ne s’est pas prévalu de sa qualité de magistrat, il n’en demeure pas moins que celle-ci était connue des employés du casino, ce que Monsieur X n’a pas contesté, expliquant à l’audience qu’une de ses connaissances en avait fait état.
Le comportement de Monsieur X caractérise un manquement à la probité et à la dignité, de même qu’un manquement aux devoirs de l’état de magistrat.
Le Conseil relève en outre que Monsieur X fréquentait très régulièrement un casino se trouvant sur le ressort du tribunal dans lequel il exerçait ses fonctions, ce qui constituait pour lui, selon ses déclarations à l’audience, une sorte de « thérapie ». Cette fréquentation très régulière, si elle ne constitue pas, en soi, un manquement de nature disciplinaire, apparaît pour le Conseil, dans les circonstances de l’espèce, inappropriée.
Enfin, le Conseil n’estime pas que Monsieur X a manqué à son devoir de loyauté à l’endroit du procureur de la République, en expliquant à l’audience que ces faits s’étant déroulés un jeudi soir, il l’avait informé dès le lundi matin suivant la commission de ces faits.
3.- Sur les comportements adoptés à l’égard des époux B.
Il est encore reproché à Monsieur X des comportements qu’il aurait adoptés à l’endroit des époux B.
Monsieur X était ainsi visé par une plainte des époux B, déposée en janvier et en mars 2011, auprès du parquet de xxxxx, l’accusant d’avoir commis à leur encontre des appels malveillants et des menaces, en vue d’obtenir le remboursement d’une somme de 40000 euros dont Monsieur X aurait été créancier.
Il résulte d’un constat d’huissier que Monsieur X a, le 20 octobre 2010, à 17H40, laissé un message sur le téléphone portable de Madame B, en indiquant vouloir « savoir si (elle a) décidé d’ignorer complètement (s)es réclamations (…) avant qu(‘il ne) déclenche les hostilités juridiques ». Un second message avait été déposé le 22 octobre 2010 à 18H01. Plusieurs appels en absence apparaissaient en outre avoir été passés le 20 octobre 2010.
Entendu par les services de police judiciaire de xxxxx, Monsieur X reconnaissait avoir laissé deux messages sur le téléphone portable de Mme B et lui avoir adressé cinq SMS, le 23 février 2011, le 7 mars 2011, le 17 mars 2011 (2 SMS), et le 18 mars 2011, dans lesquels il réclamait les sommes qu’il estimait dues et informait Mme B de l’imminence d’une action en justice.
En cet état, le Conseil n’estime pas que les appels téléphoniques et les SMS que Monsieur X a reconnu avoir effectués ou rédigés, constituent un manquement disciplinaire, au regard du nombre réduit de ces contacts, de leur espacement dans le temps, de l’absence de toute menace autre que celle du recours aux voies de droit et de l’absence de toute référence à la qualité de magistrat de l’intéressé.
Le fait, enfin, d’avoir, le 1er décembre 2010, adressé un courrier à Mme B, en mentionnant de manière manuscrite l’adresse du tribunal, sans référence à ses fonctions, ne caractérise pas suffisamment, pour inappropriée qu’ait pu être cette démarche, un manquement disciplinaire.
Le fait d’avoir offert aux époux B, de manière régulière et dans des quantités importantes, des produits alimentaires, et notamment de la viande, ainsi que des objets de luxe et, d’avoir effectué des invitations au restaurant, ne paraissent pas pour le Conseil, en dehors d’autre élément et par eux-mêmes, caractériser un manquement disciplinaire. Ces faits ne permettent pas d’établir que Monsieur X aurait laissé accréditer l’idée qu’il bénéficiait ou avait pu bénéficier de privilèges indus.
Enfin, il est reproché à Monsieur X, d’avoir manqué au devoir de délicatesse, en fréquentant de manière notoire Maître G, notaire exerçant en xxxxx, d’une part condamné à la peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis le 2 juin 2000 et d’autre part interdit d’exercice, de juillet 1999 à juillet 2004. En l’absence d’autre élément, et pour imprudente qu’ait été cette relation, le Conseil n’estime pas, en cet état, que les preuves soumises à son appréciation, caractérisent suffisamment un manquement disciplinaire.
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En application du second alinéa de l’article 77 de l’ordonnance précitée du 22 décembre 1958, « si, lors de son départ à la retraite, le magistrat fait l’objet d’une procédure disciplinaire, il ne peut se prévaloir de l’honorariat avant le terme de la procédure disciplinaire et l’honorariat peut lui être refusé, (par une décision motivée de l’autorité qui prononce la mise à la retraite, après avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard du magistrat selon que celui-ci exerce les fonctions du siège ou du parquet), au plus tard deux mois après la fin de cette procédure. »
Il ressort des pièces de la procédure que, par arrêté du 16 avril 2012, Monsieur X, vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, a été admis, par la limite d’âge, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 6 mai 2012, et, maintenu en fonction jusqu’au 30 juin 2012, par application de l’article 76-1 de l’ordonnance précitée du 22 décembre 1958.
Contrairement à ce qui a été soutenu par Monsieur X, son départ à la retraite, au sens de l’article 77 de l’ordonnance précitée, a eu lieu, non le 6 mai 2012, mais le 1er juillet 2012, soit postérieurement à la saisine du garde des sceaux du 6 juin 2012.
Les griefs caractérisés à l’encontre de Monsieur X permettent d’établir à son encontre des manquements à la probité, à la dignité, à la loyauté et à la délicatesse. Il a, ce faisant, manqué aux devoirs de l’état de magistrat.
Le Conseil estime, dans ces conditions, qu’il y a lieu de refuser l’honorariat à Monsieur X.
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PAR CES MOTIFS,
Après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de Madame Chantal Kerbec, rapporteur désigné ;
Emet l’avis que l’honorariat doit être refusé à Monsieur X ;
Dit que le présent avis sera transmis au garde des sceaux et notifié à Monsieur X par les soins du secrétaire soussigné.
Fait et délibéré à Paris, le 30 septembre 2014