P104 1/2024

P104 1/2024

Date
12/03/2024
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image de la justice, Manquement à l'honneur et la dignité, Manquement au devoir de loyauté et de délicatesse, Manquement aux devoirs de l'état de magistrat
Avis
Retrait des fonctions de procureur de la République assorti d’un déplacement d’office
Mots-clés
propos sexistes
misogynes
grossiers
à caractère sexuel
grivois
rappel des obligations déontologiques
assistante de justice
juriste assistante
auditrice
remarques dénigrantes
dévalorisantes
humour déplacé
comportement récurrent
Procédure pénale
avis hiérarchique
Fonction
Procureur de la République
Résumé
En imposant des comportements et des propos à connotation sexuelle outrageants ou dégradants à une juriste assistante, des assistantes de justice, auditrices du justice et magistrates placées sous son autorité ou à l’égard de collègues magistrates du siège, et en dévalorisant systématiquement le travail de certaines d’entre elles, le procureur de la République a manqué à ses devoirs de délicatesse, de dignité et à son état de chef de juridiction. Ces attitudes et propos ont démontré une incapacité à adopter les comportements et à respecter les limites qui s’imposent dans le cadre de relations professionnelles. Ils traduisent de graves manquements dans l’exercice des fonctions managériales, contredisant ainsi l’argument de l’usage d’un supposé humour pour fédérer le parquet mis en avant par le procureur de la République pour se justifier. En persistant dans ces comportements malgré un rappel déontologique, le procureur de la République a démontré une absence totale de remise en cause et une perte des repères déontologiques. En tenant de tels propos dégradants et vulgaires dans le cercle professionnel dans les locaux du tribunal en présence de magistrats, de personnels de greffe, de stagiaires, de contractuels, d’assistants de justice ou d’auditeurs de justice, le procureur de la République a manqué à ses devoirs de son état de chef de juridiction auquel incombe un devoir particulier d’exemplarité et a porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

 

 

Formation compétente à l’égard des magistrats du parquet

 

Avis du 12 mars 2024

N° de minute : 1/2024

 

 

AVIS MOTIVE

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X

procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet en matière disciplinaire,

 

Sous la présidence de M. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation

En présence de :

Monsieur Patrick Titiun,   

Madame Diane Roman                 

Monsieur Loïc Cadiet,

Monsieur Patrick Wachsmann,

Monsieur Jean-Luc Forget,

Monsieur Christian Vigouroux,

Madame Madeleine Mathieu,

Monsieur Pierre-Yves Couilleau

Monsieur Rémi Coutin,

Monsieur Laurent Fekkar,

Madame Véronique Basselin,

Madame Céline Parisot,

Monsieur Alexis Bouroz,  

 

Membres du Conseil,

 

Assistés de M. Xavier Serrier, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature, Mme Sarah Salimi, secrétaire générale adjointe et Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;

 

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;

 

Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994, modifiée, sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994, modifié, relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu la dépêche de M. Le garde des Sceaux, ministre de la Justice en date du 3 janvier 2023 reçue le 9 janvier 2023, et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature en sa formation disciplinaire compétente à l’égard des magistrats du parquet pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;

 

Vu la décision désignant Mme Céline Parisot, membre du Conseil, en qualité de rapporteure le 14 février 2023 ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de ses conseils ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, dont M.  X et son premier conseil ont reçu copie ;

 

Vu le rapport du 19 décembre 2023 déposé par Mme Céline Parisot, dont M.  X et son premier conseil ont reçu copie ce même jour ;

 

Vu la convocation adressée à M. X le 19 décembre 2023 et sa notification par la voie hiérarchique du 20 décembre 2023 ;

 

Vu les convocations adressées le 19 décembre 2023 par voie dématérialisée à Maître A et Maître B, avocats au barreau de XX ; 

 

Après avoir entendu, lors de l’audience publique du 6 février 2024 :

 

  • Mme Céline Parisot, en son rapport ;

 

  • L’audition de Mme C réalisée par la rapporteure le 2 juin 2023, lue à la demande du directeur des services judiciaires ;

 

  • Mme D, procureure générale près la cour d’appel de XX, témoin entendue à la demande de la direction des services judiciaires ;

 

  • Mme E, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles à la cour d’appel de XX, MM. F, président du tribunal judiciaire d’XXX et G, directeur de greffe du tribunal judiciaire de XX, témoins entendus à la demande de M. X ;

 

  • M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, représentant M. Le garde des Sceaux, ministre de la Justice, assisté de Mme Emilie Zuber et de Mme Anaëlle Louat, adjointes à la cheffe du bureau du statut et de la déontologie de cette direction ;

 

  • X, après que le droit de garder le silence lui a été notifié, Maître A, et Maître B, M. X ayant eu la parole en dernier ;

 

A rendu le présent

AVIS

 

                                                                                           

L’acte de saisine de M. Le garde des Sceaux, ministre de la Justice relève à l’encontre de M. X les manquements suivants :

 

  • En tenant de manière régulière des propos à caractère sexiste et misogyne, en présence de ses collaborateurs du parquet, et en faisant des remarques indélicates et blessantes sur le physique d’une assistante de justice, alors qu’il occupait les fonctions de procureur de la République près le tribunal judiciaire de XXXX, M. X a manqué à ses devoirs de délicatesse et de dignité ;

 

  • En tenant de manière régulière des propos à caractère sexiste et misogyne, en présence de ses collaborateurs du parquet, en adressant à H, vice-présidente chargée des fonctions de juge des libertés et de la détention, une allusion grivoise, en faisant à I, juriste assistante, des réflexions dévalorisantes, en formulant à l’encontre d’J, assistante de justice, de manière réitérée des propos dévalorisants, en ayant des regards ou remarques inappropriés envers Mmes J et I, en qualité de procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX, M. X a manqué à ses devoirs de délicatesse et de dignité ;

 

  • En adressant régulièrement à C, substitute, des remarques sur ses tenues vestimentaires en référence directe à ses attributs féminins ainsi que des commentaires désobligeants relatifs à son physique, en formulant une observation sexiste en sa présence et celle de son conjoint et des remarques répétées à connotation sexuelle dont certaines sont allées jusqu’à faire allusion à une relation intime avec sa subordonnée, M. X a manqué à ses devoirs de délicatesse et de dignité ;

 

  • En persistant, malgré le rappel à ses obligations déontologiques, notamment à celles liées aux devoirs de délicatesse et de dignité, à adopter des attitudes perçues comme déplacées envers des subordonnées et collègues et à tenir des propos dénigrants à l’égard de membres du parquet, M. X a manqué à ses devoirs de délicatesse et de dignité ;

 

  • En adoptant de tels comportements de manière régulière et publique, M. X a manqué aux devoirs de son état de chef de juridiction ;

 

  • Dès lors que ces comportements ont été adoptés pour partie en présence de stagiaires et de personnels contractuels du ministère de la Justice qui ont exprimé clairement la vision dégradée qu’ils avaient désormais de l’institution judiciaire, M. X a par ses agissements porté atteinte à l’image de la justice ;

 

  • En n’informant pas, sans délai, sa hiérarchie qu’une affaire mettant en cause ses proches faisait l’objet d’une enquête auprès des services de police de XX, M. X a manqué à son devoir de loyauté.

 

Sur le fond

Aux termes de l’article 43 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. »

 

Sur l’origine des poursuites disciplinaires

 

Les faits en cause ont eu lieu alors que M. X exerçait les fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de XXXX et de procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX.

 

Par lettre de mission en date du 4 juin 2021, l’Inspection générale de la justice a été saisie aux fins d’examen de la situation au sein du parquet du tribunal judiciaire de XX en raison de tensions entre magistrats et de la tentative de suicide d’une substitute qui avait fait l’objet d’un avertissement pour divers manquements déontologiques. A l’occasion des auditions réalisées pendant cette mission, plusieurs personnes ont dénoncé des propos grossiers à connotation sexuelle récurrents et tenus publiquement de la part de M. X et son comportement inadapté à l’égard de Mme C, substitute, qui ont justifié qu’un rappel à ses obligations déontologiques soit effectué par la procureure générale près la cour d’appel de XX le 28 juin 2021. 

 

Dans un rapport du 5 novembre 2021, adressé au premier président de la cour d’appel de XX, le président du tribunal judiciaire de XX a transmis une note établie par Mme K, vice-présidente, laquelle faisait état de nouveaux propos ou comportements inadaptés de la part de M. X à l’égard de Mme N, substitute, Mme L, juge des enfants, Mme H, vice-présidente chargée des fonctions de juge des libertés et de la détention, Mme M, auditrice de justice, et Mme J, assistante de justice.

 

Le 9 décembre 2021, le garde des Sceaux a saisi l’Inspection générale de la Justice aux fins d’enquête administrative sur le comportement de M. X. La mission a conclu à la caractérisation de plusieurs manquements déontologiques. Outre les faits déjà mentionnés, elle a également relevé des agissements similaires à l’encontre de Mme I, juriste assistante, et Mme O, assistante de justice. Elle a ajouté que M. X s’était déjà signalé par des propos sexistes et misogynes au parquet de XXXX, en particulier à l’égard de Mme P, assistante de justice. Enfin, le 28 novembre 2022, la procureure générale près la cour d’appel de XX a signalé à la direction des services judiciaires que M. X avait omis de l’informer d’une procédure pénale suivie des chefs de vol et susceptible de mettre en cause ses enfants.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme P, assistante de justice au tribunal de grande instance de XXXX, et des magistrats du parquet de XXXX 

 

Aux termes des éléments du dossier, et notamment du rapport d’enquête administrative, deux substitutes du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XXXX exposaient que M. X avait fait allusion à la maigreur de Mme P. Celle-ci estimait ne pas avoir fait l’objet de remarques dénigrantes de la part de M. X. Par ailleurs, plusieurs magistrats du parquet de XXXX sous l’autorité de M. X ont souligné la récurrence de propos inadaptés, provoquant des réactions gênées.

 

M. X a confirmé avoir fait des observations sur le physique de Mme P mais soutient qu’elles relevaient de l’ironie. Il a admis avoir usé d’un humour déplacé tout en en minimisant la portée.

 

A l’audience, M. X a précisé que le recours à « un humour grivois » avait pour objectif de fédérer les magistrats du parquet mais sans intention sexiste.

 

Si les propos tenus ont eu un retentissement certain au sein du parquet du tribunal de grande instance de XXXX, ont été perçus négativement par leurs destinataires et s’ils témoignent d’un comportement inadapté qui s’aggravera ultérieurement lorsque M. X exercera au sein du tribunal judiciaire de XX, le Conseil relève que les témoignages recueillis manquent toutefois de précision pour en apprécier l’exacte portée. Les éléments mis en évidence n’apparaissent ainsi pas suffisants pour établir la matérialité d’un manquement disciplinaire.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme H, vice-présidente au tribunal judiciaire de XX

 

Selon les éléments du dossier, et en particulier le rapport d’enquête administrative et l’audition de M. X par la rapporteure, au cours de l’hiver 2020-2021, M. X regardant les jambes de Mme H et constatant que son collant était filé, lui a dit : « alors toi, tu reviens du bureau du président. »

 

M. X n’a pas contesté avoir tenu ces propos et a souligné la liberté de parole caractérisant ses relations avec Mme H qu’il connaît depuis 2004, position qu’il a maintenue à l’audience.

 

L’allusion grivoise est intrinsèquement humiliante et dégradante nonobstant la relation de proximité invoquée avec Mme H. Le Conseil relève que si cette réflexion n’a alors suscité chez elle ni gêne ni embarras, elle en a cependant fait part à d’autres collègues lors d’un échange concernant le comportement de M. X en octobre 2021. Elle est également inadmissible à l’égard du président du tribunal judiciaire.

 

Par ce comportement, M. X a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme N, substitute du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX

 

Il ressort des éléments du dossier que M. X a tenu à de nombreuses reprises des propos ironiques relativement à la jeunesse et l’inexpérience de Mme N, et qu’il a pu formuler des remarques blessantes ou dévalorisantes non seulement sur ses tenues mais également sur son travail. Plusieurs témoins ont attesté la souffrance de Mme N, vue en train de pleurer à plusieurs reprises, et indiqué que ses décisions pouvaient être remises en cause publiquement par le procureur de la République.

 

M. X a reconnu la charge de travail importante de Mme N et expliqué avoir procédé à des rééquilibrages au sein du parquet, sans toutefois reconnaître le caractère humiliant de certains de ses propos.

 

La récurrence de propos blessants, la dévalorisation systématique du travail d’une de ses substitutes qui ont entraîné une dégradation des conditions de travail de Mme N, caractérisent un manquement de M. X à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme C, substitute du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX

 

Il ressort des éléments du dossier que Mme C a subi des remarques à caractère sexuel et sexiste, des observations sur sa tenue, son apparence ou son comportement de manière quotidienne et publique. Les témoignages recueillis mentionnent des « calembours » à caractère sexuel avec le nom d’une personne gardée à vue, des remarques sur le partage des tâches ménagères qui devaient, selon le procureur de la République, être de la responsabilité exclusive des femmes et des propos grivois lors d’une séance de tir organisée par le groupement de gendarmerie. Mme C s’est également plainte de la répartition inégale de la charge de travail la conduisant à assumer de nombreuses tâches supplémentaires au risque de l’épuisement ainsi que de remarques dévalorisantes sur son travail. Plusieurs témoins ont confirmé les propos de Mme C, certains ayant qualifié cette situation de harcèlement.

 

M. X a reconnu avoir pu faire des jeux de mots ou exprimer des réflexions, sans toutefois les personnaliser, prétendant qu’il s’agissait de second degré. Il a en revanche contesté toute surcharge de travail imposée à Mme C.

 

A l’audience, M. X a reconnu la matérialité des griefs mais a soutenu n’avoir pas eu conscience de l’impact de ses propos sur Mme C. Selon lui, il s’agissait de créer une ambiance de travail conviviale, par l’usage d’un registre humoristique.

 

Toutefois, les éléments du dossier permettent de constater que l’attitude de M. X, son usage systématique d’un registre grivois, ses propos sexistes et remarques dévalorisantes ou outrageantes ont conduit à une dégradation des conditions de travail de Mme C. Celle-ci, qui exerçait ses premières fonctions de magistrat, a subi de graves répercussions sur sa personne.

 

Par ce comportement, M. X a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme I, juriste assistante au tribunal judiciaire de XX

 

Il ressort des éléments du dossier que Mme I a relaté d’une part avoir subi de nombreuses réflexions dévalorisantes sur son travail de la part de M. X qui lui a dit qu’elle n’avait pas été recrutée pour ses compétences en droit pénal, d’autre part qu’en janvier 2021 M. X avait regardé son décolleté avec insistance.

 

M. X a contesté tout regard insistant, évoquant une mauvaise interprétation de regards anodins. Il a revendiqué le caractère ironique de ses propos quant aux compétences professionnelles de Mme I.

 

En dépit des dénégations de M. X, son comportement inapproprié à l’égard de Mme I est établi par les déclarations précises et circonstanciées de cette dernière, la gêne qu’elle explique avoir ressentie au moment des faits, au point d’aller vérifier sa tenue, et les déclarations concordantes de témoins.

 

Par ce comportement et ses propos, M. X a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs aux propos de M. X sur Mme O, assistante de justice au tribunal judiciaire de XX

 

Selon les éléments du dossier, notamment le rapport d’enquête administrative, Mme I et un autre assistant de justice au tribunal judiciaire de XX ont témoigné de ce que M. X a, en leur présence, fait une réflexion obscène suggérant que Mme O était prête à des relations sexuelles pour obtenir un stage ou un emploi. 

 

M. X a reconnu avoir tenu ces propos tout en les minimisant.

 

L’allusion outrageante et dégradante caractérise de la part de M. X un manquement à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme J, assistante de justice au tribunal judiciaire de XX

 

Aux termes des éléments du dossier, et notamment du rapport d’enquête administrative, Mme J a expliqué avoir subi de nombreuses réflexions blessantes sur la qualité de son travail, et ce devant des tiers, de la part de M. X. Elle a ajouté que celui-ci lui avait fait à plusieurs reprises des remarques sur ses tenues vestimentaires, disant préférer celles « plus près du corps ». Elle a mentionné de fréquents regards de M. X sur sa poitrine.

 

M. X a contesté ce dernier fait. S’il admet avoir tenu des propos sur ses tenues vestimentaires, il les qualifie de banals. S’agissant des réflexions sur le travail de Mme J, il soutient qu’elles étaient ironiques.

 

Le comportement inapproprié de M. X à l’égard de Mme J est cependant établi par les déclarations précises et circonstanciées de cette dernière, l’embarras qu’elle indique avoir ressenti à la suite de ces faits et les déclarations concordantes de témoins.

 

Par ce comportement, M. X, qui était le supérieur hiérarchique direct de Mme J, a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat. Le Conseil relève que ces faits sont postérieurs au rappel de M. X à ses obligations déontologiques par la procureure générale près la cour d’appel de XX et attestent ainsi l’absence totale de remise en cause de ce dernier.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme L, juge des enfants au tribunal judiciaire de XX

 

Il ressort des éléments du dossier et notamment du rapport d’enquête administrative que, au mois de juillet 2021, M. X avait fixé la poitrine de Mme L de manière insistante et avait fait une plaisanterie sur l’illustration figurant sur son T-shirt.

 

A l’audience, M. X a reconnu une remarque sur le vêtement de Mme L, mais l’a qualifiée d’anodine indiquant que ses propos et son regard ont été mal interprétés. Il soutient que le rappel aux obligations déontologiques qui lui avait été adressé le 28 juin 2021, était connu de la juridiction et avait pu conduire, selon lui, à des biais de perception chez ses interlocuteurs.

 

Le Conseil relève la concordance des témoignages relativement à cet épisode, permettant d’exclure toute interprétation erronée. Le fait pour M. X de faire des remarques sur la tenue vestimentaire d’une magistrate après avoir regardé de manière insistante sa poitrine, et ce alors même qu’il venait d’être rappelé à ses obligations déontologiques par la procureure générale relativement aux nécessaires réserve, discrétion, et comportement respectueux de la dignité des personnes et à l’interdiction de tout propos déplacé, démontre que celui-ci n’avait pas pris conscience de ses errements et révèle une perte des repères déontologiques.

 

Par ce comportement, M. X a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme M auditrice de justice, en stage au tribunal judiciaire de XX

 

Aux termes des éléments du dossier, Mme M a expliqué que M. X avait porté des regards insistants sur sa poitrine à de nombreuses reprises, faisant allusion à des taches sur ses vêtements, pourtant inexistantes. Elle a également évoqué des remarques dévalorisantes sur son travail.

 

M. X a contesté ces déclarations et a soutenu qu’il s’agissait de surinterprétation, le rappel des obligations déontologiques dont il avait fait l’objet ayant pu engendrer des biais de perception chez ses interlocuteurs, position qu’il a maintenue à l’audience.

 

Les nombreuses déclarations concordantes établissent toutefois la réalité des faits reprochés à M. X.

 

La persistance de comportements déplacés, malgré un rappel à ses obligations déontologiques, caractérise de la part de M. X un manquement à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs à l’atteinte à l’image de la justice et aux manquements aux devoirs de son état de chef de juridiction

 

Les propos sexistes, misogynes ou blessants de M. X ont été tenus dans les locaux du tribunal judiciaire de XX en présence de magistrats, membres du personnel de greffe, contractuels, stagiaires, assistants de justice ou auditeurs de justice. Ce comportement inapproprié du procureur de la République est par ailleurs venu à la connaissance des services enquêteurs avec lesquels M. X travaillait.

 

Le fait pour un procureur de la République, chef de juridiction auquel incombe un devoir particulier d’exemplarité, de tenir ainsi régulièrement des propos dégradants et vulgaires dans le cercle professionnel caractérise un manquement aux devoirs de son état. Ce comportement porte également atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

 

Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X concernant la procédure pénale mettant en cause ses proches

 

Il ressort des éléments du dossier que M. X n’a pas informé la procureure générale près la cour d’appel de XX du dépôt d’une plainte susceptible de mettre en cause ses enfants.

 

M. X a reconnu qu’il aurait dû aviser la procureure générale mais estimait qu’il n’avait commis aucune faute, la plainte étant dirigée contre X et non contre un membre de sa famille et ne justifiant même pas, selon lui, un déport, qu’il avait pour autant immédiatement réalisé.

 

A l’audience, il a maintenu ses déclarations, rappelant que ses enfants étaient de très jeunes mineurs, qu’il n’avait pas eu connaissance de la mise en œuvre d’une enquête pénale les concernant jusqu’à ce que le dossier de l’enquête lui soit remis en main propre par un enquêteur à la seule initiative de celui-ci et qu’il avait dès lors immédiatement remis le dossier à son vice-procureur, lequel avait procédé à l’information légitime et nécessaire de la procureure générale.

 

Le fait pour un procureur de la République d’omettre d’informer sans délai sa supérieure hiérarchique d’une procédure pénale susceptible de mettre en cause un de ses proches caractérise un manquement de M. X à son devoir de loyauté.

 

Sur ce,

 

Le Conseil relève, d’abord, que si l’intéressé réfute toute intention malveillante, il a, dans l’exercice de ses fonctions de magistrat, imposé des comportements et des propos à connotation sexuelle outrageants, dévalorisants ou dégradants à l’égard des personnes concernées, qui sont intolérables par leur nature, leur impact et leur répétition. Ce comportement et ces propos répétés parfois associés à des remarques sur la qualité du travail ont été la cause de gêne, de malaise et de souffrance au sein de la communauté judiciaire du tribunal de XX.

 

Le Conseil souligne, ensuite, que cette attitude a été exclusivement destinée à des magistrates, auditrices de justice ou assistantes de justice placées sous son autorité ou à des collègues magistrates du siège du tribunal judiciaire de XX, à l’inverse du comportement adopté par M. X en présence de sa hiérarchie ou de ses collègues masculins. Ces propos et comportements sexistes sont de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine et à l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

Le Conseil constate, enfin, que ces attitudes et propos démontrent une incapacité à adopter les comportements et à respecter les limites qui s’imposent dans les relations professionnelles avec ses collègues, ses subordonnés ou les personnels de greffe. Ils traduisent de graves manquements dans l’exercice des fonctions managériales, contredisant ainsi directement l’argument d’efficacité mis en avant par M. X pour se justifier.

 

La persistance de ces comportements malgré un rappel à ses obligations démontre l’absence totale de remise en cause et une perte des repères déontologiques.

 

Sur la sanction

 

L’ampleur, la récurrence et le caractère durable des manquements constatés rendent impossibles la poursuite de l’activité de procureur de la République ainsi que toute activité sur le ressort du tribunal judiciaire de XX.

 

En conséquence, nonobstant des compétences techniques par ailleurs démontrées, le Conseil estime qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. X la sanction de retrait des fonctions de procureur de la République, assortie d’un déplacement d’office, en application des 2° et 3° de l’article 45 et de l’article 46 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire,

 

Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Mme Céline Parisot, rapporteure,

 

EMET L’AVIS de prononcer à l’encontre de M. X la sanction de retrait des fonctions de procureur de la République, assortie d’un déplacement d’office.

 

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice, à M. X et à ses conseils.

 

Dit que le présent avis n’est susceptible d’aucun recours.

 

 

Fait à Paris, le 12 mars 2024

 

 

            Le secrétaire général                                                          Le Président

 

 

 

            M. Xavier Serrier                                                                 M. Rémy Heitz