P105 4/2024
FORMATION DE DISCIPLINE DES MAGISTRATS DU PARQUET |
Avis du 12 novembre 2024
N° de minute : 4/2024
AVIS
Dans la procédure mettant en cause :
M. X, procureur de la République adjoint près le tribunal judiciaire de XX,
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet statuant en matière disciplinaire,
Sous la présidence de M. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation de discipline du Conseil compétente à l’égard des magistrats du parquet,
En présence de
M. Patrick Titiun
M. Patrick Wachsmann
M. Jean-Luc Forget
M. Pierre-Yves Couilleau
M. Rémi Coutin
M. Laurent Fekkar
Mme Véronique Basselin
Mme Céline Parisot
M. Alexis Bouroz
Membres du Conseil,
Assistés de Mme Sarah Salimi, secrétaire générale adjointe au Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Aurélie Vaudry, cheffe du pôle discipline ;
En présence de Mme Sylvie Berbach, sous-directrice des ressources humaines des greffes de la direction des services judiciaires, représentant M. le Premier ministre, assistée de Mme Philippine Roux, magistrate au bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, et de Mme Sara Benzohra, magistrate au sein de ce même bureau ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;
Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994, modifiée, sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994, modifié, relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu la dépêche M. le Premier ministre en date du 19 février 2024 reçue le 27 février 2024, et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;
Vu la décision désignant Mme Véronique Basselin, membre du Conseil, en qualité de rapporteure ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de son conseil ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, dont M. X et son conseil ont reçu copie ;
Vu le rapport du 4 septembre 2024 déposé par Mme Véronique Basselin, dont M. X et son conseil ont reçu copie ;
Vu la convocation adressée à M. X le 5 septembre 2024 et sa notification par la voie hiérarchique le 12 septembre 2024 ;
Vu la convocation adressée à Maître A, avocat au barreau de XXXX, téléchargée le 5 septembre 2024 ;
Après avoir entendu dans la salle d’audience de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, lors de l’audience publique du 1er octobre 2024 :
- Mme Véronique Basselin, en son rapport ;
- Les explications et moyens de défense de M. X, après notification qui lui a été faite de son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions, de son conseil ;
- Les observations de Mme Sylvie Berbach, sous-directrice des ressources humaines des greffes de la direction des services judiciaires, représentant le Premier ministre, qui s’est prononcée en faveur de la sanction de la rétrogradation assortie d’un déplacement d’office, prévue par les articles 45 5°et 46 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
- M. X ayant eu la parole en dernier ;
A rendu le présent
AVIS
Sur la saisine du Conseil
Par dépêche du 19 février 2024, reçue le 27 février 2024, le Premier ministre a saisi la formation de discipline du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet en application de l’article 63 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature à l’égard de M. X, procureur de la République adjoint près le tribunal judiciaire de XX.
L’acte de saisine impute au magistrat les manquements suivants :
- En classant, le 13 septembre 2018, une procédure pénale mettant en cause une de ses connaissances (M. B), qui deviendra par la suite, un de ses amis proches, et ce alors qu'une décision de poursuites avait déjà été prise par un autre parquetier, M. X a manqué à ses devoirs d'impartialité et d'intégrité, et a abusé de ses fonctions de parquetier ;
- En modifiant la décision de poursuite prise par sa collègue responsable du traitement du contentieux routier, et en ne l'informant pas du classement qu'il a lui-même effectué, M. X a manqué à ses devoirs de délicatesse et de loyauté ;
- En n'informant pas sa hiérarchie du traitement de ce dossier comme il aurait dû le faire en raison de ses liens personnels avec l'auteur, M. X a manqué à son obligation de loyauté ;
- En usant, entre janvier et mars 2022, de sa fonction de parquetier dans le cadre d'une procédure le concernant personnellement, en intervenant tant auprès des services de police qu'auprès du parquet (prises de contact avec les officiers de police judiciaire en charge du dossier, indication concernant le parquetier auquel l’OPJ devait rendre compte, proposition d'orientation de la procédure) dans une procédure pénale le concernant directement en tant que plaignant, M. X a manqué à ses devoirs d'impartialité, de probité et d'intégrité et a abusé de ses fonctions de parquetier ;
- En agissant ainsi face à une justiciable, ainsi que des officiers de police judiciaire, M. X a également porté atteinte à l'image et au crédit de l'institution judiciaire ;
- En impliquant un substitut de son parquet, sur lequel il avait une autorité hiérarchique de fait, et en lui demandant de traiter une procédure le concernant directement, sans l'avertir de ce que le procureur de la République n'était pas au courant de l'existence de cette affaire, M. X a manqué à son devoir de délicatesse ;
- En n'informant pas son chef de parquet de l'existence d'une procédure pénale le concernant en tant que plaignant, et du traitement de cette dernière par le parquet de XX, M. X a manqué à son devoir de loyauté ;
- En faisant état de sa qualité de procureur adjoint courant 2019 pour répondre à des automobilistes en stationnement gênant auxquels il imputait un comportement outrageant à son égard, en transmettant par ailleurs en sa qualité de procureur adjoint un courrier à l'en-tête du parquet du tribunal de grande instance de XX et la mention de sa qualité versé dans la procédure d'enquête à laquelle il était partie (plaignant), M. X a manqué à ses devoirs de prudence, d'intégrité et a abusé de ses fonctions de parquetier ;
- En donnant à voir, à titre officiel, son intervention dans une procédure le concernant personnellement à plusieurs justiciables ainsi qu'à des officiers de police judiciaire, M. X a porté atteinte à l'image et au crédit de l'institution judiciaire.
Par dépêche du 23 septembre 2024, la direction des services judiciaires a saisi le Conseil de nouveaux faits susceptibles de caractériser à l’égard de M. X un manquement aux devoirs d’impartialité, d’intégrité et de constituer un abus de fonction.
A l’audience, la direction des services judiciaires a imputé au magistrat les manquements suivants :
- En saisissant le commissariat de police de XX le 11 octobre 2021 aux fins de réalisation des actes dans une procédure pénale mettant en cause M. B, son ami, et en classant cette procédure le 7 mars 2024, M. X a manqué à son devoir d’impartialité.
Sur les faits à l’origine des poursuites disciplinaires
Le 14 avril 2022, la procureure générale près la cour d'appel d’XXX a signalé à la direction des services judiciaires une procédure pénale numéro Z traitée par le parquet du tribunal judiciaire de XX concernant, en qualité de plaignant, M. X, procureur de la République adjoint près ladite juridiction. Cette enquête avait donné lieu à une alternative aux poursuites ordonnée par M. C, substitut du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX. La procureure générale a conclu à la nécessité d’auditionner les deux magistrats ainsi que l’officier de police judiciaire ayant traité l’enquête au regard des divergences relevées entre les explications écrites données à leur procureur par MM. C et X en ce qui concerne l’intervention de ce dernier dans le traitement de la procédure.
De l’enquête diligentée par les services de police du commissariat de XX, il ressort qu’à la suite d’une altercation verbale ayant eu lieu sur la voie publique le 14 janvier 2022 avec la conductrice d’un véhicule à propos d’une place de stationnement, M. X a déposé plainte le 1er mars 2022 pour des faits de dégradation volontaire de la portière de son véhicule et de violences volontaires n’ayant entraîné aucune incapacité de travail, à savoir deux gifles. La conductrice, identifiée comme étant Mme D, a contesté le caractère volontaire des dégradations et nié toute violence, déposant plainte pour diffamation à ce titre. Instruction a été donnée à l’enquêteur à l’issue de son compte rendu téléphonique du 14 mars 2022 de convoquer la mise en cause devant le délégué du procureur en vue d’un classement sous condition d’indemnisation des dégradations dénoncées par M. X et évaluées suivant un devis de réparation à un montant de 300 euros.
Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX, incidemment informé de la procédure, a décidé d’un classement sans suite le 8 avril 2022 au motif d’une infraction insuffisamment caractérisée. Dans son rapport adressé à la procureure générale le 8 avril 2022, il a précisé que la réponse pénale initiale apparaissait inadaptée dès lors que le caractère volontaire des dégradations était contesté.
Auditionné le 9 mai 2022 par la procureure générale près la cour d'appel d’XXX, M. C a indiqué avoir été informé dans un premier temps de manière informelle par M. X de sa plainte. Ce dernier lui avait demandé plus tard en présence de l’enquêteur saisi des investigations s’il pouvait se charger de la réponse pénale, tout en lui précisant qu’il souhaitait être indemnisé du préjudice matériel. C’est ainsi que l’enquêteur M. E avait pris son attache pour la suite à donner à la procédure. Selon M. C, l’orientation pénale avait été évoquée avec M. X, lequel y avait acquiescé devant l’enquêteur. M. C a précisé qu’il n’avait à aucun moment envisagé que le procureur puisse ne pas être informé des faits.
Au cours de son audition par la procureure générale le 26 avril 2022, M. E a expliqué avoir effectué le compte rendu de l’enquête à M. C, qui n’était pas le magistrat de permanence, à la demande de M. X qui l’avait invité à agir en ce sens à l’occasion d’une rencontre fortuite au tribunal. Il ne se souvenait pas avoir assisté à un échange entre les deux magistrats concernant la réponse pénale à apporter à l’affaire. Selon lui, M. C avait décidé du classement sous condition à l’issue de leur contact téléphonique le 14 mars 2022.
Entendu par la procureure générale le 25 mai 2022, M. X a confirmé avoir été interrogé par l’enquêteur concernant le magistrat auprès duquel il devait rendre compte de l’enquête en présence de M. C. Il avait effectivement demandé à son collègue s’il acceptait de s’en charger, par souci de simplicité. Cependant, la discussion concernant la réponse pénale à apporter à la procédure n’avait pas eu lieu devant M. E. Il reconnaissait avoir suggéré une orientation pénale à M. C et n’avait pas envisagé un dépaysement de l’affaire au regard de son caractère « bénin ». Il reconnaissait ne pas avoir avisé son procureur de l’affaire.
Le 29 juin 2022, la procureure générale près la cour d'appel d’XXX a informé la direction des services judiciaires de son intention de délivrer à M. X un avertissement, estimant que ce dernier avait manqué à son devoir d’impartialité, ainsi qu’à son devoir de délicatesse à l’égard du substitut auquel il avait confié le traitement de la procédure. La cheffe de cour a également relevé un manquement au devoir de loyauté à l’égard de son procureur.
Le 16 septembre 2022, un avertissement a été prononcé par la procureure générale à l’encontre de M. X.
Dans les pièces jointes à l’avertissement figurait une procédure pénale V du commissariat de police de XX relative à des faits d’outrage et de violences commis sur la voie publique ayant pour victime M. X. Une décision de classement sans suite de la procureure de la République était intervenue le 31 décembre 2020.
Le 28 novembre 2022, la procureure générale près la cour d'appel d’XXX a saisi la direction des services judiciaires de nouveaux faits concernant le comportement de M. X révélés suite à un accident mortel de la circulation du 7 novembre 2022 mettant en cause M. B, mis en examen et détenu provisoirement du chef d’homicide involontaire commis avec deux circonstances aggravantes.
Toujours suivant la dépêche précitée, M. X a informé son procureur le lendemain de l’accident mortel, de son déplacement sur le lieu des faits à la demande du mis en cause qu’il présentait comme un ami. Les investigations concernant les antécédents judiciaires de M. B révélaient qu’outre une condamnation du 6 février 2007 pour des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, il avait fait l’objet le 13 septembre 2018 d’une décision de classement sans suite prise par M. X pour des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique commis le 27 janvier 2018 malgré l’échec de la composition pénale ordonnée.
Au regard de la découverte fortuite de cette seconde intervention dans une affaire pouvant caractériser un manquement aux devoirs d’impartialité et de loyauté, la procureure générale a conclu à la nécessité de saisir l’inspection afin de mener des investigations approfondies sur le comportement de M. X.
Le rapport d’information du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX en date du 23 novembre 2022, annexé à la dépêche, a relevé que lors de l’enregistrement de la procédure pénale concernant M. B, une alerte a été mentionnée par le bureau d’ordre afin que le dossier soit transmis à M. X alors que la magistrate en charge du contentieux de la circulation routière avait déjà décidé de faire notifier une ordonnance pénale au mis en cause compte tenu de la non-exécution de la composition pénale initialement ordonnée. M. X a classé la procédure au motif que la composition pénale était réussie (motif 58).
Par lettre de mission en date du 9 mai 2023, l’inspection générale de la justice a été saisie par la Première ministre aux fins d’enquête administrative sur le comportement de M. X s’agissant notamment du traitement de procédures pouvant le mettre en cause lui ou ses proches.
La mission a conclu dans son rapport qu’entre 2018 et 2022, M. X a commis de manière répétée, tant dans la sphère professionnelle que privée plusieurs manquements déontologiques susceptibles de constituer des fautes disciplinaires.
Le 12 septembre 2024, le procureur général près la cour d'appel d’XXX a de nouveau saisi la direction des services judiciaires de la situation de M. X. La dépêche a fait état de l’absence de déport du magistrat dans le traitement d’une enquête pénale ouverte en 2021 visant M. B et classée le 7 mars 2024.
Entendu par son chef de cour le 23 septembre 2024, M. X a soutenu qu’il avait classé l’affaire après une lecture sommaire de la procédure en ignorant qu’elle concernait M. B, invoquant un défaut de vigilance. Concernant le départ en enquête, M. X a reconnu qu’il aurait dû s’en dessaisir, précisant néanmoins qu’il n’avait fait bénéficier M. B d’aucune mesure de faveur.
A l’audience, M. X a maintenu ses déclarations concernant M. B, soutenant qu’il ne le connaissait pas lors de la décision de classement du 13 septembre 2018. Interrogé au regard des nouveaux griefs invoqués à son encontre, il a réitéré les déclarations faites devant son chef de cour. Enfin, concernant les autres griefs retenus dans les affaires concernant Mme D et M. F, M. X a reconnu une perte de repères déontologiques.
Sur le fond
Aux termes de l’article 43 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature dans sa rédaction en vigueur depuis le 22 novembre 2023, tout manquement par un magistrat à l'indépendance, à l'impartialité, à l'intégrité, à la probité, à la loyauté, à la conscience professionnelle, à l'honneur, à la dignité, à la délicatesse, à la réserve et à la discrétion ou aux devoirs de son état constitue une faute disciplinaire.
Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive.
Pour apprécier l’existence d’une faute disciplinaire, il appartient au Conseil de déterminer l’existence d’un grief et de le qualifier.
Sur le grief tiré du comportement du magistrat dans le traitement de la procédure U concernant un proche supposé
Sur la prescription des faits
Aux termes de l’article 47 de l’ordonnance précitée, le garde des Sceaux, ministre de la justice, dans les cas mentionnés à l'article 50-1 ou au premier alinéa de l'article 63, et les chefs de cour, dans les cas mentionnés à l'article 50-2 ou au deuxième alinéa de l'article 63, ne peuvent saisir le Conseil supérieur de la magistrature de faits motivant des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où ils ont eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur de ces faits […]. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre du magistrat avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire.
Il résulte de ce texte que le délai de trois ans a pour point de départ, non la commission des faits regardés comme constitutifs de manquement, mais le jour de leur connaissance effective par l’autorité de poursuite.
M. X invoque la prescription des manquements retenus à l’occasion du traitement de la procédure relative à M. B. Il soutient que la procédure a été enregistrée au bureau d‘ordre en mars 2018 puis classée en septembre 2018. En conséquence, selon lui, elle a nécessairement été portée à la connaissance du procureur de la République et la prescription était acquise en mars 2021.
Or, la décision de classement sans suite de la procédure à l’égard de M. B n’a été portée à la connaissance de la hiérarchie de M. X qu’à la suite de la procédure pour homicide involontaire en novembre 2022.
Le moyen tiré de la prescription sera en conséquence rejeté.
Sur le fond
En l’espèce, M. X a été à l’origine de la décision pénale initiale, conforme aux directives d’orientations procédurales du parquet, ordonnant une mesure de composition pénale à l’encontre de M. B pour des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique du 27 janvier 2018.
Il a, par la suite, lui-même procédé au classement sans suite de la procédure au motif de la réussite de la composition pénale alors que le rapport du délégué du procureur de la République faisait état du non-recouvrement de l’amende.
La mention manuscrite apposée par M. X sur l’avis de classement du 13 septembre 2018 confirme que la mesure de suspension du permis de conduire a été exécutée, précisant que celle-ci a duré plus de trois mois.
Il est important de relever que M. G, délégué du procureur de la République, a précisé que M. X a demandé la restitution de la procédure de composition pénale en l’état alors qu’il n’avait pas encore pu faire exécuter la mesure auprès de M. B. Il ne s’agit donc pas d’un échec partiel de la mesure, mais d’une décision de M. X de mettre fin prématurément à son exécution.
Les explications données par M. X à cette demande de transmission anticipée de la procédure, à savoir la réception d’un courrier de réclamation en sa qualité de référent des alternatives aux poursuites et de chef de la division chargée des réclamations, ne peuvent être retenues par le Conseil, dès lors qu’aucun courrier n’est annexé à l’avis de classement ni visé sur le logiciel Cassiopée, cette absence de mention permettant d’écarter l’hypothèse de la réception d’un courrier égaré par la suite.
Il ressort également de l’enquête administrative et du rapport du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX du 23 novembre 2022 que la décision de classement prise par M. X le 13 septembre 2018 est intervenue à l’insu de Mme H, magistrate en charge du contentieux routier à laquelle la procédure avait été transmise par le bureau d’ordre et qui avait décidé d’une orientation en ordonnance pénale à l’encontre de M. B au regard du non-paiement de l’amende de composition.
M. X a expliqué que sa décision de réorientation était fondée d’une part, sur la réclamation qui lui avait été transmise en sa qualité de référent et d’autre part, sur la non-conformité de la décision de poursuites prise par Mme H à la politique pénale du parquet de XX.
Cependant, outre l’absence déjà relevée de ce courrier, la conformité de la décision de classement à la politique pénale du parquet apparaît infirmée par le compte rendu de la réunion parquet du 31 mars 2017 remis à la mission par M. I, procureur de la République adjoint au parquet de XX. En effet, s’il ressort de ce document qu’en cas de composition pénale partiellement exécutée, il est possible au magistrat soit de poursuivre soit de classer la procédure, M. I a précisé qu’il s’agissait de l’hypothèse d’un paiement partiel de l’amende dans une proportion raisonnable et du respect de la suspension du permis de conduire. Tel n’était pas le cas dans la procédure litigieuse.
L’intervention de M. X dans la procédure concernant M. B ne s’explique en conséquence par aucun élément objectif de la procédure.
A l’inverse, il ressort de l’enquête administrative une relation amicale non contestée entre M. X et M. B depuis l’année 2019, sans toutefois que les protagonistes admettent qu’ils se connaissaient déjà au moment des décisions litigieuses, une telle proximité étant de nature à expliquer la décision de classement prise par M. X.
A cet égard, il sera rappelé les déclarations faites par Mme H devant la mission selon lesquelles M. X, qui avait un réseau relationnel très étendu, l’avait déjà interrogée sur le sens des procédures qu’elle avait traitées concernant des personnes qu’il connaissait. Il lui aurait même suggéré un jour une mesure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour « un copain d’un copain » se trouvant en garde à vue, sans toutefois lui adresser des instructions pour l’amener à changer sa décision.
Or, M. B travaillait depuis 2017 pour le compte de M. J, garagiste, chez lequel M. X se rendait régulièrement. De plus, M. B s’était prévalu devant les services de police, lors de son interpellation, de « connaître le procureur de la République » (procès-verbal 2018/452/3).
Ainsi, il apparaît clairement que M. X a délibérément procédé au classement d’une procédure pénale au profit d’une de ses relations personnelles alors qu’il lui appartenait de se dessaisir du traitement de cette procédure.
Par son immixtion dans la procédure concernant M. B, M. X a manqué à ses devoirs d’impartialité et d’intégrité, ce qui constitue un manquement disciplinaire.
En agissant ainsi, sans aviser ni la procureure de la République ni sa collègue Mme H, M. X a également manqué à son devoir de loyauté et de délicatesse, ce qui caractérise également une faute disciplinaire.
Sur les griefs tirés du comportement du magistrat à l’occasion du traitement des procédures pénales n°Z et n°Y le concernant personnellement
En ce qui concerne les faits du 14 janvier 2022 (Affaire D n°Z)
En l’espèce, il est établi que M. X a déposé une plainte au commissariat de police de XX le 1er mars 2022 sans en informer sa hiérarchie. Sa déclaration a été reçue par M. E, officier de police judiciaire avec lequel il entretenait une relation de proximité au point de le tutoyer. Cet enquêteur a mené les investigations et s’est entretenu des suites à donner à l’enquête avec M. X, lequel l’a orienté vers son collègue M. C, bien que celui-ci ne soit pas en charge de ce contentieux et alors qu’il avait eu connaissance des faits de manière informelle par M. X. En outre, il est démontré par l’enquête administrative que l’orientation pénale décidée par M. C a été suggérée puis validée par M. X, sur la base d’une procédure incomplète au regard des pièces manquantes et notamment le rapport des faits qu’il déclarait avoir transmis au commissariat le 14 janvier 2022.
Concernant précisément ce rapport, il s’agit en réalité d’une description des faits effectuée par M. X sur un soit-transmis à l’en-tête du parquet, signé en sa qualité de procureur de la République adjoint et transmis pour enquête aux services de police.
Ainsi, dans le cadre d’une affaire le concernant personnellement en qualité de victime, M. X a désigné le service enquêteur, donné instruction à l’enquêteur qu’il connaissait à titre personnel d’en rendre compte à un magistrat ne faisant pas partie de la cellule de permanence et orienté la réponse pénale à apporter à la procédure.
Par ses interventions à des fins personnelles à tous les stades de la procédure, M. X a manqué à son devoir d’impartialité, d’intégrité et de probité, en abusant de ses fonctions de magistrat du parquet pour obtenir un avantage pour lui-même.
Ces agissements qui ont de surcroît été connus des services de police et d’une justiciable, par ailleurs agente de l’administration pénitentiaire, ont nécessairement porté atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire.
En outre, en désignant lui-même pour traiter cette procédure M. C, à l’égard duquel il se trouvait en position d’autorité hiérarchique, M. X a manqué à son devoir de délicatesse et de loyauté envers lui.
Ces agissements ont eu des conséquences professionnelles dommageables pour M. C, lequel a fait l’objet d’un rappel à ses obligations déontologiques.
Enfin, il est constant que le procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX n’a eu connaissance de la procédure et de ses suites qu’en raison d’une alerte du bureau d’ordre, M. X s’étant volontairement abstenu de l’en aviser.
En n’avisant pas sa hiérarchie et en ne la mettant pas en mesure d’exercer sa compétence concernant l’orientation de la procédure, M. X a manqué à son devoir de loyauté.
Ces multiples manquements relevés peuvent être rapprochés de l’implication de M. X dans la procédure pénale n°Y examinée ci-dessous.
En ce qui concerne les faits du 26 mai 2019 (Affaire F n°Y)
Sur la prescription des faits
M. X invoque la prescription des faits visés par la saisine sur le fondement de l’article 47 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature. Selon lui, dans la mesure où sa hiérarchie était parfaitement informée de la procédure pénale litigieuse, classée sans suite par sa procureure de la République le 31 décembre 2020, les poursuites disciplinaires fondées sur ces faits sont irrecevables au regard de la date de la saisine.
En l’espèce, la procureure de la République près le tribunal judiciaire de XX a effectivement eu connaissance de la procédure qu’elle a classée le 31 décembre 2020, sans toutefois que la procureure générale près la cour d'appel d’XXX ou que le garde des Sceaux en aient été avisés.
Il s’ensuit que l’autorité de poursuite disciplinaire n’en a eu connaissance qu’en 2022, dans le cadre de la procédure donnant lieu à l’avertissement.
Le moyen tiré de la prescription sera en conséquence rejeté.
Sur le fond
Concernant les faits du 26 mai 2019 visés dans la saisine, il ressort des procès-verbaux d’auditions dressés par les enquêteurs qu’à la suite d’une altercation avec un automobiliste et son passager le 26 mai 2019, M. X a déposé plainte pour des faits d’outrages et de violences. Il résulte de l’enquête pénale que M. X a fait usage de sa qualité de magistrat sur la voie publique en réponse à des comportements de conducteurs automobiles qu’il jugeait répréhensibles.
M. X a, tout comme il le fera ensuite en 2022, saisi les services de police de XX par un soit-transmis à l’en-tête du parquet du procureur de la République dans lequel il a relaté lui-même sa version des faits et qu’il a signé en sa qualité de procureur de la République adjoint.
Par ses interventions à des fins personnelles à tous les stades de la procédure, M. X a manqué à son devoir d’impartialité, d’intégrité et de probité.
L’usage de sa qualité de magistrat tant auprès des justiciables que lors de la saisine du service enquêteur caractérise également un abus de sa fonction par M. X.
Son attitude devant les justiciables et les services de police ont porté atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire.
Ainsi, s’agissant des griefs fondés sur les faits du 26 mai 2019 et du 14 janvier 2022, les interventions de M. X à l’égard d’automobilistes ont donné à chaque fois lieu à des réactions inadaptées, entraînant des altercations virulentes avec les personnes prises à partie et photographiées par ailleurs sans leur autorisation.
Le Conseil relève que ces faits sont intervenus alors même qu’une précédente mise en garde lui avait déjà été adressée pour des faits similaires survenus le 4 février 2008, son procureur de la République lui ayant expressément demandé de s’abstenir de procéder à l’avenir lui-même au contrôle d’un contrevenant sur la voie publique.
Ces comportements inadaptés sont contraires aux devoirs de son état et particulièrement aux devoirs d’intégrité et de probité.
En conséquence, le Conseil considère que les manquements multiples et réitérés imputables au titre des faits de 2019 et 2022 à M. X, qui a reconnu une perte de ses repères déontologiques, caractérisent une faute disciplinaire.
Sur le nouveau grief tiré du comportement du magistrat dans le traitement de la procédure W concernant un proche
Suivant soit-transmis du 11 octobre 2021 comportant la signature de M. X, le commissariat de XX a été saisi d’une plainte déposée le 28 septembre 2021 auprès du procureur de la République par Mme K à l’encontre notamment de M. B pour des faits d’escroquerie.
En exécution des instructions reçues, l’audition de M. B a été réalisée le 22 novembre 2021 avant transmission de la procédure pour poursuite des investigations à la gendarmerie de XX puis de XXXXX, laquelle a procédé à la clôture de l’enquête avec transmission au parquet le 2 février 2024 sur instruction de M. X avisé de la carence de la plaignante. M. X a classé l’affaire le 7 mars 2024 au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée.
L’ancienneté de la date de départ en enquête comme l’absence d’identification du mis en cause sur la fiche de transmission et le procès-verbal d’avis à parquet sont de nature à accréditer les déclarations de M. X, qui a toujours affirmé ne pas avoir eu conscience de classer une procédure concernant M. B. L’absence de déport pourrait s’apparenter ainsi à un manque de vigilance et à une légèreté manifeste dans le traitement de l’affaire par ce magistrat, de sorte qu’il est difficile de retenir à son encontre un manquement au devoir d’impartialité.
En revanche, il est manifeste que M. X ne pouvait ignorer, lors de la saisine du commissariat de XX par soit-transmis du 11 octobre 2021, que M. B était mis en cause par la plainte. Il a signé ce soit-transmis sur lequel apparaissait de façon manuscrite le nom de M. B, alors qu’il aurait dû se dessaisir de la procédure.
Par son intervention dans une affaire mettant en cause une personne avec laquelle il présentait un lien avéré de proximité, M. X a encore manqué à son devoir d’impartialité et commis une faute disciplinaire.
Sur la sanction
La gravité des manquements disciplinaires relevés à l’égard de M. X doit être appréciée tant au regard de leur caractère réitéré qu’à la lumière de sa manière de servir tout au long de sa carrière.
Le parcours professionnel de M. X s’est inscrit dans une constante progression de carrière au parquet jusqu’à l’avertissement dont il a fait l’objet en septembre 2022.
En revanche, aux termes de l’enquête administrative, son attitude a été controversée dans ses dernières fonctions en raison, notamment, d’un comportement jugé parfois impulsif y compris dans ses relations avec les autres magistrats du parquet et d’une proximité inadaptée dans ses rapports avec les services enquêteurs relevée par nombre de collègues. En l’espèce, la durée d’exercice des fonctions de M. X dans le même ressort, voire dans le même département, a participé à la perte de ses repères déontologiques, fragilisant son autorité et la confiance de son entourage professionnel.
Au regard des évaluations figurant au dossier de M. X, la rétrogradation requise par la direction des services judiciaires paraît cependant disproportionnée.
Le Conseil est d’avis que la sanction disciplinaire du déplacement d’office est adaptée pour sanctionner les manquements relevés.
PAR CES MOTIFS
La formation de discipline du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet,
Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Mme Véronique Basselin, rapporteure désignée le 5 mars 2024,
Siégeant en audience publique le 1er octobre 2024 pour les débats et statuant le 12 novembre 2024 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Emet l’avis de prononcer à l’encontre de M. X la sanction du déplacement d’office ;
Dit que le présent avis sera adressé, pour son information, à M. X par la voie hiérarchique, à son conseil et qu’il sera transmis à M. le Premier ministre ;
La secrétaire générale adjointe
Sarah Salimi |
Le Président
Rémy Heitz |
Dit que le présent avis n’est susceptible d’aucun recours.