Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline des magistrats du siège |
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DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE
Dans la procédure mettant en cause :
M. X
Vice-président en charge des fonctions de juge des enfants au tribunal judiciaire d’xx
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Didier Guérin, président de chambre honoraire en activité à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,
En présence de :
Mme Sandrine Clavel
M. Yves Saint-Geours
Mme Hélène Pauliat
M. Georges Bergougnous
Mme Natalie Fricero
M. Frank Natali
M. Olivier Schrameck
M. Régis Vanhasbrouck
M. Benoit Giraud
Mme Virginie Duval
M. Benoist Hurel
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de Mme Lise Chipault, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice du 12 juillet 2021, reçu au Conseil le 13 juillet 2021, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;
Vu l’ordonnance du 23 juillet 2021 désignant M. Frank Natali en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A, avocate au barreau de xxxxx puis de Maître B, avocate au barreau de xxxx, successivement désignées par ce magistrat pour assurer sa défense ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation à l’audience du 23 juin 2022 adressée à M. X le 14 juin 2022, notifiée par la voie hiérarchique le 17 juin 2022 ;
Vu les conclusions déposées à l’audience par Maître B;
Après avoir entendu :
- les explications et moyens soulevés in limine litis par Maître B, représentant M. X, dans l’impossibilité de comparaître pour des raisons médicales dûment justifiées, conformément à l’article 54 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, qui a demandé au Conseil supérieur de la magistrature de constater la nullité de la présente procédure disciplinaire ;
- les observations de M. Paul Huber, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, représentant du garde des Sceaux, ministre de la justice, assisté par Mme Alexia Cussac, magistrate au bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, qui a sollicité le rejet des exceptions de nullité ;
- le rapport de M. Frank Natali;
- les observations au fond de M. Paul Huber, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, représentant du garde des Sceaux, ministre de la justice, assisté par Mme Alexia Cussac, magistrate au bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, qui a demandé le prononcé de la sanction de révocation prévue à l’article 45, 7° de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, à l’encontre de M. X ;
- les explications et moyens au fond de Maître B, représentant M. X, celle-ci ayant eu la parole en dernier ;
A rendu la présente
DÉCISION
Sur les notes en délibéré adressées les 24 et 27 juin 2022 par M. X au secrétariat général du Conseil
Par courriels en date des 24 et 27 juin 2022, M. X a adressé deux notes en délibéré au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature, en réponse à la demande de révocation formée à l’audience par le directeur des services judiciaires.
En l’espèce, à l’audience, le Conseil n’a pas autorisé la production de notes en délibéré, l’avocat de M. X ayant eu la parole en dernier et tout le loisir de développer ses moyens de défense.
En conséquence, les notes en délibéré adressées par M. X au secrétariat général du Conseil seront déclarées irrecevables.
Sur la procédure
M. X soulève, à titre liminaire, des exceptions de nullité dont l’examen a été joint au fond.
S’agissant de l’exception tirée de l’influence de la maladie de M. X sur la validité de la procédure disciplinaire
M. X expose que les faits qui lui sont reprochés ont été commis alors même qu’une décision des chefs de cour en date du 9 mai 2022 a reconnu comme imputable au service la maladie professionnelle qu’il a déclarée, et ce avec effet rétroactif à compter du 14 octobre 2019. Il souligne qu’il s’agit d’un burn out, déclenché sur fond de harcèlement professionnel, d’où la concomitance entre le premier rapport du président du tribunal d’xx, daté du 14 octobre 2019, et son placement en arrêt-maladie. Il retient que ce rapport initiant la phase pré-disciplinaire est uniquement motivé par le fait qu’il a dénoncé un certain nombre de problématiques d’organisation au sein du tribunal judiciaire d’xx, et ce dans un contexte de harcèlement à son encontre.
En l’espèce, il est constant que la décision précitée du 9 mai 2022 a placé l’intéressé en congé pour invalidité temporaire imputable au service du 1er juin 2021 au 31 juillet 2021 puis du 18 janvier 2022 au 8 avril 2022. Cette décision d’imputabilité au service vise l’article L.822-18 du code de la santé publique aux termes duquel « est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service ».
Certains faits et dates doivent être à ce stade rappelés :
- Le 18 octobre 2019, M. C,président du tribunal judiciaire d’xx, a adressé à Mme la première présidente de la cour d’appel de xxx un rapport faisant état de dysfonctionnements significatifs dans la manière de servir de M. X, tant s’agissant de la gestion de son cabinet de juge des enfants et de son activité de coordonnateur de service que s’agissant de son comportement à l’égard d’agents administratifs, fonctionnaires de greffe et d’autres magistrats de la juridiction, du siège comme du parquet. Ce rapport vise des faits commis avant le 14 octobre 2019.
- Antérieurement à l’établissement de ce premier rapport de situation, soit le 11 octobre 2019, M. le président du tribunal judiciaire d’xx a contacté l’intéressé pour organiser une réunion le lendemain. Celui-ci a demandé le report de la réunion pour pouvoir s’y préparer.
- Le 15 octobre 2019, la sœur de M. X a informé le secrétariat de la présidence du tribunal que celui-ci avait été placé en situation d’arrêt-maladie, sans autre précision. Le certificat d’arrêt-maladie adressé à la juridiction le lendemain couvrait la période du 15 au 25 octobre 2019. Il a ensuite été prolongé jusqu’au 15 janvier 2020.
- Les 11 février 2020 et 14 avril 2020, à la suite de nouveaux incidents avec les fonctionnaires du greffe, M. le président du tribunal judiciaire d’xx a fait parvenir deux autres rapports à Mme la première présidente de la cour d’appel de xxx.
- Après avoir reçu M.X le 12 mai 2020, Mme la première présidente de la cour d’appel de xxx a porté la situation à la connaissance de Mme la garde des Sceaux, laquelle a saisi l’inspection générale de la justice aux fins d’enquête administrative le 3 juillet 2020.
Aussi, certains des faits visés par la procédure sont antérieurs au 14 octobre 2019, date à laquelle la décision d’imputabilité prend effet de manière rétroactive.
S’agissant des faits reprochés à l’intéressé pour la période postérieure au 14 octobre 2019, il y a lieu de relever qu’aucune disposition du code de la fonction publique n’interdit qu’une action disciplinaire soit engagée à l’encontre d’une personne alors même qu’elle souffre d’une maladie reconnue imputable au service.
Enfin, si la décision d’imputabilité établit un lien entre une maladie professionnelle et le service, elle n’établit en aucun cas que M. X aurait été, comme il le prétend, victime de harcèlement dans le cadre de ses fonctions.
Partant, l’exception soulevée par M. X sera rejetée.
S’agissant de l’exception tirée de la violation du principe du contradictoire par le rapporteur
M. X fait valoir que le rapporteur, en s’abstenant de prendre position quant aux conséquences de la décision d’imputabilité au service sur la procédure disciplinaire, ne l’a pas mis en mesure de préparer utilement sa défense en vue de l’audience devant le Conseil du 23 juin 2022 et a, de ce fait, violé le principe du contradictoire.
Aux termes de l’article 52 de l’ordonnance de l’ordonnance du 22 décembre 1958, « au cours de l'enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause par un magistrat d'un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s'il y a lieu, le justiciable et les témoins. Il accomplit tous actes d'investigation utiles et peut procéder à la désignation d'un expert.
Le magistrat incriminé peut se faire assister par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau.
La procédure doit être mise à la disposition de l'intéressé ou de son conseil quarante-huit heures au moins avant chaque audition ».
Aux termes de l’article 55 de la même ordonnance, « le magistrat a droit à la communication de son dossier, de toutes les pièces de l'enquête et du rapport établi par le rapporteur. Son conseil a droit à la communication des mêmes documents ».
Selon l’article 56 de la même ordonnance, « au jour fixé par la citation, après audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés ».
Il n’est donc pas prévu que le rapporteur prenne position, dans son rapport, sur la pertinence des manquements imputés à l’intéressé, de sorte qu’il n’était pas, en l’espèce, tenu de donner un avis quant à l’influence de la décision d’imputabilité sur la validité de la procédure disciplinaire.
En outre, il convient de relever que le rapporteur a procédé à de nombreuses auditions et a convoqué M. X pour qu’il s’explique sur les faits qui lui sont reprochés. Celui-ci a choisi d’exercer son droit au silence.
En tout état de cause, la procédure a toujours été mise à disposition de l’intéressé et de son conseil quarante-huit heures au moins avant chaque audition. M. X, comme son conseil, ont été rendus destinataires d’une copie du dossier, de toutes les pièces de l’enquête et du rapport établi par le rapporteur et l’avocat représentant l’intéressé a été mis en mesure de faire valoir ses explications et moyens de défense sur les faits reprochés après lecture du rapport à l’audience.
Il s’ensuit que l’exception soulevée par M. X n’est pas fondée.
Partant, elle sera rejetée.
S’agissant de l’exception tirée de la nullité de l’enquête administrative
M. X expose que l’enquête administrative, exclusivement à charge, a duré de nombreux mois et a fait fi de ses arrêts-maladie successifs.
Toutefois, force est de constater qu’aucun élément du dossier ne vient démontrer une quelconque partialité de la part des inspecteurs qui, ayant conduit l’enquête administrative dans les conditions fixées par le décret n° 2016-1675 du 5 décembre 2016 portant création de l’Inspection générale de la justice, et rappelé le cadre de leur saisine ainsi que la méthodologie suivie, ont fourni leurs constats et leurs analyses sur chacun des manquements pouvant être retenus, conformément à la mission qui leur avait été confiée. En outre, l’enquête s’est déroulée en s’adaptant à la disponibilité de l’intéressé.
Il s’ensuit que l’exception soulevée par M. X n’est pas fondée.
Partant, elle sera rejetée.
Sur le fond
Par l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, il est reproché à M. X, vice-président en charge des fonctions de juge des enfants au tribunal judiciaire d’xx depuis le 1er septembre 2014 :
- d’avoir manqué à son devoir de diligence et de rigueur, et par là même aux devoirs de son état, en n’assurant pas le suivi des dossiers d’assistance éducative qui lui étaient confiés, en ayant recours à des prorogations sans audience comme mode régulier et quasi systématique de fonctionnement dans ses dossiers, en accusant des retards importants dans le traitement des dossiers en matière pénale et en rédigeant des décisions incomplètes adressées au greffe pour leur finalisation ;
- d’avoir manqué à son devoir de délicatesse et d’attention portée à autrui, en tenant des propos vexatoires, voire menaçants, à l’encontre des greffiers et des fonctionnaires de son service, en critiquant de façon inappropriée leur travail et leur compétence, en s’emportant avec violence, en s’adressant à eux avec insistance, de façon intimidante, humiliante ou irrespectueuse, en ne prenant pas en compte les contraintes du greffe dans la gestion des dossiers dont il avait la charge et en leur demandant de lui fournir des renseignements sur le fonctionnement du cabinet de sa collègue ou d’inscrire sur un procès-verbal d’audition des propos mettant en cause l’exercice de leurs fonctions par d’autres agents du greffe ou encore en sollicitant la délivrance de diverses attestations qu’il avait lui-même pré-rédigées contenant des informations inexactes en défaveur d’une greffière avec laquelle il était par ailleurs en conflit, et ce au mépris de la vie privée de celle-ci ;
- d’avoir manqué à son devoir de diligence, de loyauté, de délicatesse et d’attention portée à autrui à l’égard de ses collègues, en se déchargeant sur ces derniers d’une partie de son activité, tant dans le cadre du service général de la juridiction qu’au sein même du service des mineurs, en adoptant une attitude et des propos menaçants à l’égard de ses collègues et en sollicitant de leur part des attestations qu’il avait lui-même pré-rédigées contenant des informations inexactes en lien avec les difficultés qu’il rencontrait avec une fonctionnaire du greffe, Mme J ;
- d’avoir manqué à son devoir de loyauté, en adressant directement des courriers à la première présidence pour rendre compte des difficultés rencontrées au sein du tribunal pour enfants ou au président de la chambre des mineurs pour demander un soutien s’agissant d’une demande d’effectifs, sans en faire part en amont à son président, et en tenant des propos peu respectueux de sa fonction et menaçants à l’encontre de ce dernier.
Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
S’agissant du manquement aux devoirs de diligence et de rigueur
En l’espèce, la mission d’inspection met en évidence de nombreuses insuffisances professionnelles dans la pratique de juge des enfants de M. X.
En premier lieu, en matière d’assistance éducative, elle identifie une pratique ancienne de prise de décisions ou de renouvellement de mesures sans audience et donc sans audition préalable des familles.
Si, lors de l’audience devant le Conseil, l’avocat de M. X argue du fait qu’aucun justiciable ne s’est jamais plaint d’une telle pratique et que ses décisions n’étaient que très rarement frappées d’appel, il convient de relever que les représentants de certains services éducatifs, entendus par la mission d’inspection, déplorent les conséquences d’une telle pratique sur les mineurs et les familles, très perturbés par le fait que des décisions de placement, souvent traumatisantes, aient été prises sans audience préalable. Ils soulignent que de telles pratiques ne permettent pas de mettre en œuvre un suivi de qualité auprès des familles et obèrent considérablement les chances de réussite des mesures, souvent mal comprises.
Un courrier de l’association R au président de la juridiction en date du 4 août 2020 fait état de ce qu’au 1er août 2020, 38 mesures sont « tombées », faute d’audience et de décisions prises.
Mme D explique même à cet égard que M. X est venu la voir le jour de sa prise de fonctions de procureure de la République par intérim et l’a informée de l’existence de mesures en souffrance tout en insistant pour que le parquet, afin de pallier cette carence, prenne des ordonnances de placement provisoire dans tous les dossiers, ce qu’elle a refusé de faire.
M. X fait valoir que cette pratique est liée à la crise sanitaire d’une part et à ses arrêts-maladie successifs en 2019 et 2020 d’autre part. Il insiste sur le fait qu’il a assaini son cabinet en rendant 98 décisions pour le seul mois d’août 2020. Toutefois, des courriels échangés entre le magistrat et les services éducatifs révèlent que cette pratique avait déjà cours au mois de juin 2018, soit bien antérieurement à son premier arrêt-maladie du mois d’octobre 2019 et à la crise sanitaire de 2020. De surcroît, sur les 98 dossiers ayant donné lieu à une décision au mois d’août 2020, M. X n’a jamais tenu aucune audience.
En deuxième lieu, ainsi qu’il est relevé par la mission d’inspection, cette gestion erratique et ce défaut d’investissement ne se limitent pas à l’activité civile mais touchent également à l’activité pénale. De plus, les délais de convocation sont anormalement longs, parfois de plusieurs années, et aucun mineur n’a été jugé par le tribunal pour enfants en 2018 et 2019. Le rapport d’inspection souligne également un défaut d’anticipation et une méconnaissance profonde des dossiers de son cabinet par le magistrat.
En troisième lieu, selon plusieurs fonctionnaires du greffe du tribunal pour enfants et du greffe civil entendus par la mission d’inspection de manière concordante, M. X avait pour habitude de transmettre au greffe des « jugements-puzzles » et de leur enjoindre de réaliser des copier-coller des conclusions d’avocats, allant ainsi au-delà des tâches de dactylographie et de mise en forme incombant au greffe, la rédaction de la motivation des décisions relevant exclusivement de l’office du juge.
En quatrième lieu, il résulte du rapport de l’inspection la faiblesse d’investissement de M. X dans son rôle de coordinateur de service. En témoignent notamment l’absence de visites des établissements éducatifs du ressort, le très faible nombre d’actions en lien avec les services éducatifs et, jusqu’en 2020, une absence systématique aux réunions de service organisées par la cour d’appel.
Les pratiques et le faible investissement précédemment décrits ne sauraient s’expliquer par une charge anormale de son cabinet. En effet, même si M. X conteste les différents comptages réalisés tant par ses collègues que par la mission d’inspection, aucun élément du dossier ne permet d’objectiver une quelconque surcharge. En réalité, outre les données chiffrées, il résulte du dossier que les cabinets des juges des enfants du tribunal d’xx sont bien dimensionnés et que la charge de travail est acceptable, de sorte qu’il est parfaitement possible de rendre une justice de qualité en s’investissant dans son activité professionnelle de manière raisonnable.
De même, si l’intéressé a effectué deux présidences par intérim du tribunal d’xx, la première de septembre 2015 à janvier 2016 , la seconde du 31 décembre 2018 au 13 mai 2019, et a eu à pallier la vacance du second cabinet de juge des enfants à la fin de l’année 2018 et au début de l’année 2019, la mission d’inspection note que l’ampleur du surcroît d’activité engendré par ces intérims successifs est à relativiser, la charge résultant de la participation de M. X au service général ayant été adaptée en conséquence.
Il s’ensuit qu’en n’assurant pas le suivi des dossiers d’assistance éducative qui lui étaient confiés, en ayant recours à des prorogations sans audience comme mode régulier et quasi systématique de fonctionnement dans ses dossiers, en accusant des retards importants dans le traitement des dossiers en matière pénale et en rédigeant des décisions incomplètes adressées au greffe pour leur finalisation, M. X a manqué à ses devoirs de diligence et de rigueur.
S’agissant des manquements à l’égard des fonctionnaires de greffe et de ses collègues magistrats
S’agissant du manquement au devoir de délicatesse et d’attention portée à autrui à l’égard des fonctionnaires de greffe
Courant septembre 2019, plusieurs fonctionnaires de greffe, notamment Mmes E, F, G, H, I et J, entendues à leur demande par le président de la juridiction, ont fait état d’altercations répétées qu’elles ont qualifiées de violentes, de propos et de comportements humiliants et vexatoires de la part de M. X, très souvent publiquement, en présence des avocats, des services éducatifs et des justiciables. Chaque incident a donné lieu à un rapport circonstancié et à des témoignages concordants quant à son déroulement.
Mme J, fonctionnaire affectée au cabinet de M. X en assistance éducative au mois de mars 2019, très éprouvée par le comportement du magistrat, a déposé plainte le 20 mai 2020 pour des faits de harcèlement moral. Cette plainte a été dépaysée par la procureure générale près la cour d’appel de xxx et l’enquête confiée au procureur de la République de xxxx le 25 août 2020. M. X a été entendu sous le régime de la garde à vue. Selon la dépêche de la procureure générale près la cour d’appel de Xxx au directeur des services judiciaires en date du 17 juin 2022, l’enquête, qui porte également sur des faits de même nature commis au préjudice d’une autre fonctionnaire de greffe, Mme F, est achevée, la procureure générale estimant que les faits de harcèlement moral commis au préjudice des deux fonctionnaires sont caractérisés et justifient des poursuites « à bref délai ».
Par ailleurs, comme évoqué ci-dessus, selon plusieurs fonctionnaires du greffe du tribunal pour enfants et du greffe civil entendus par la mission d’inspection, M. X avait pour habitude de leur transmettre des « jugements-puzzles », en exigeant d’elles la réalisation d’un travail relevant pourtant exclusivement de l’office du juge et les plaçant ainsi dans une situation très inconfortable.
Enfin, les pièces du dossier démontrent, de manière étayée, que M. X a entrepris de rechercher des témoignages contre Mme J auprès de ses collègues, Mmes K et L, et leur a adressé pour ce faire des attestations pré-rédigées contenant des informations relevant de la vie privée de la fonctionnaire de greffe concernée, et ce dans le but de la discréditer.
En tout état de cause, les manquements imputables à M. X ont constitué un facteur de désorganisation des services du greffe, de nombreux fonctionnaires de greffe ayant sollicité un changement de service pour ne plus avoir à travailler avec ce magistrat.
Il s’ensuit qu’en tenant des propos vexatoires, voire menaçants, à l’encontre des greffiers et des fonctionnaires de son service, en critiquant de façon inappropriée leur travail et leur compétence, en s’emportant avec violence, en s’adressant à eux avec insistance, de façon intimidante, humiliante ou irrespectueuse, en ne prenant pas en compte les contraintes du greffe dans la gestion des dossiers dont il avait la charge ou encore en sollicitant diverses attestations qu’il avait lui-même pré-rédigées contenant des informations inexactes en défaveur d’une greffière avec laquelle il était par ailleurs en conflit, et ce au mépris de la vie privée de celle-ci, M. X a manqué au devoir de délicatesse et d’attention portée à autrui à l’égard des fonctionnaires de greffe.
S’agissant du manquement au devoir de diligence, de loyauté, de délicatesse et d’attention portée à autrui à l’égard de ses collègues
Les juges des enfants ayant successivement travaillé avec M. X, à savoir Mme M (du mois de septembre 2014 à fin août 2017), Mme N (du mois de septembre 2017 à fin 2019) et Mme O (depuis le mois de septembre 2019), font toutes état d’une propension marquée de l’intéressé à se décharger de son activité sur elles. Elles décrivent également une communication difficile avec celui-ci, même devenue, selon Mme O, inexistante au fil du temps, rendant impossible toute dynamique de service.
Mme O évoque, devant la mission d’inspection et le rapporteur, la souffrance qu’elle a éprouvée dans ses relations de travail avec M. X, souffrance d’ailleurs constatée par plusieurs de ses collègues et par sa cheffe de cour.
Les magistrats qui ont côtoyé M. X dans le cadre de sa participation au service général du tribunal judiciaire d’xx dressent eux aussi unanimement le portrait d’un collègue peu investi, très enclin à se faire remplacer mais beaucoup moins à remplacer les autres en cas de besoin. Mmes P et Q décrivent chacune des altercations au cours desquelles M. X avait tenu des propos vexants et humiliants.
En outre, comme développé ci-dessus, il ressort tant du rapport d’inspection que des auditions réalisées par le rapporteur que M. X a entrepris de rechercher des témoignages contre Mme J auprès de ses collègues, Mmes K et L, au mépris de la vie privée de celle-ci.
Il s’ensuit qu’en se déchargeant sur ses collègues d’une partie de son activité, tant dans le cadre du service général de la juridiction qu’au sein même du service des mineurs, en adoptant une attitude et des propos vexants et humiliants à l’égard de ceux-ci et en sollicitant de leur part des attestations qu’il avait lui-même pré-rédigées contenant des informations inexactes en lien avec les difficultés qu’il rencontrait avec Mme J, M. X a manqué à son devoir de diligence, de loyauté, de délicatesse et d’attention portée à autrui à l’égard de ses collègues.
S’agissant du manquement au devoir de loyauté à l’égard de son chef de juridiction
Les pièces du dossier mettent en évidence une propension de M. X à s’adresser directement à la première présidente de la cour d’appel de xxx et au président de la chambre des mineurs de la même cour en les saisissant de questions relatives à l’organisation interne du service du tribunal pour enfants et de la juridiction d’xx, et ce sans passer par le président de la juridiction.
En principe, les rapports entre un magistrat et les chefs de cour doivent suivre la voie hiérarchique. Toutefois, lorsque des circonstances particulières l’exigent, il peut être admis qu’un magistrat s’adresse directement à son chef de cour pour lui faire part des difficultés qu’il rencontre.
En l’espèce, M. X s’est adressé à Mme la première présidente de la cour d’appel de xxx et au président de la chambre des mineurs de cette même cour d’appel, en ne mettant pas son président en copie des échanges, dans un contexte où la communication était rompue avec ce dernier.
De surcroît, si le ton employé par M. X est incontestablement rugueux et parfois comminatoire lorsqu’il s’adresse par courriel au président de la juridiction, il ne ressort d’aucun des échanges produits au dossier que celui-ci aurait tenu des propos irrespectueux voire menaçants.
Il s’ensuit que le grief tiré du manquement au devoir de loyauté est insuffisamment caractérisé.
Partant, il sera écarté.
Sur la sanction
Contrairement à ce que soutient M. X en se fondant sur l’avis du 1er juillet 2020 de la commission d’avancement qui, saisie de la contestation de son évaluation pour les années 2018-2019, a considéré que les griefs tenant à son insuffisance professionnelle et à son comportement étaient insuffisamment étayés, il convient de constater que les éléments établis par l’enquête de l’Inspection générale de la justice et par les diligences du rapporteur ont mis en évidence les graves insuffisances de l’intéressé dans la conduite de ses missions juridictionnelles, tant en ce qui concerne le rythme de son activité que certaines méthodes employées nuisant gravement aux intérêts des mineurs concernés et de leurs familles, sa défaillance dans la conduite de sa mission de coordination ainsi que l’entretien par lui au sein de la juridiction de relations humaines néfastes pour la bonne marche de celle-ci.
Ses manquements graves à ses devoirs de magistrat sont totalement niés par l’intéressé qui ne met en cause à aucun moment sa pratique professionnelle et son attitude vis-à-vis d’autrui, et ne s’interroge pas plus sur la perception de son comportement par les autres professionnels du tribunal.
Ainsi, la gravité des manquements relevés qui ne peuvent aucunement être justifiés par son état de santé, leur multiplicité, le fait qu’ils concernent dans tous ses aspects l’activité professionnelle de M. X ainsi que son absence totale de remise en cause montrent son inadaptation aux règles s’imposant à tout magistrat et rendent nécessaire que soit prise une mesure empêchant la perpétuation d’un comportement gravement préjudiciable à la bonne marche de la justice et contraire aux intérêts des justiciables.
En conséquence, il convient de prononcer à son encontre la sanction disciplinaire d’admission à cesser ses fonctions, prévue par l’article 45,6° de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Frank Natali, rapporteur ;
Statuant en audience publique, le 23 juin 2022 pour les débats et le 7 juillet 2022, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
PRONONCE à l’encontre de M. X la sanction disciplinaire d’admission à cesser ses fonctions, prévue à l’article 45, 6° de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
La présente décision sera notifiée à M. X et à son conseil.
Une copie sera adressée à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice.
La secrétaire générale adjointe
Lise Chipault |
Le président suppléant
Didier Guérin |