Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation ;
En audience publique, conformément aux dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention européenne du 4 novembre 1950, de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les dépêches de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, des 5 novembre 1997 et 4 février 1998, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de Mme X, juge au tribunal de grande instance de V, ainsi que les pièces jointes à ces dépêches ;
Sur le rapport de M. Jacques Montouchet, désigné par ordonnance du 19 novembre 1997, dont Mme X a reçu copie, et de la lecture duquel elle a dispensé le rapporteur ;
Après avoir entendu M. Philippe Ingall-Montagnier, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Isabelle Douillet, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;
Après avoir entendu Mme X en ses explications et moyens de défense, laquelle a eu la parole en dernier ;
Attendu que manque aux devoirs de son état le juge qui, saisi de procédures qu’il pouvait et devait juger dans un délai raisonnable, s’abstient pendant des mois voire des années de les fixer à une audience, ou prolonge indûment des délibérés, ou néglige de rédiger les décisions rendues oralement ; qu’il manque encore à ses devoirs et à la loyauté en tentant de masquer aux chefs de juridiction partie de sa carence en présentant des statistiques erronées ;
Attendu que de juin 1984 à janvier 1996, Mme X exerçait les fonctions de juge d’instance dans une juridiction dont le niveau d’activité permet normalement de statuer dans un délai raisonnable ; qu’à partir de la reprise de son activité en mai 1990 à l’issue d’un congé de maternité consécutif à la naissance de son troisième enfant, ce magistrat accumulait des retards importants en nombre et en durée ; que, mise en garde le 1er mars 1995 par le premier président de la cour d’appel de W, elle ne régularisait pas la situation avant d’être affectée sur sa demande à mi-temps au tribunal de grande instance de V ; qu’ainsi, selon un état en date du 29 février 1996 mais minoré à sa demande par le greffier, deux cent quinze jugements civils étaient en attente de rédaction ; qu’en réalité, elle conservait encore à son domicile soixante-huit autres dossiers révélés par un état de juin 1996 et neuf dossiers de surendettement qu’elle déposait ultérieurement dans un placard du greffe dont elle avait conservé la clef ;
Attendu que les retards non encore résorbés en 1997 remontaient parfois à des périodes très anciennes (1990 pour deux jugements rendus mais non rédigés, 1992 pour deux jugements en délibéré, 1993 pour quatre ordonnances de référé, entre autres) ; que Mme X a désintéressé personnellement deux parties des intérêts dus en raison de sa carence ; qu’un jugement rédigé n’était pas conforme à la décision prononcée ; que les décisions par défaut ou réputées contradictoires se sont trouvées non avenues ; que la responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée ;
Attendu que Mme X connaissait l’inexactitude de l’état des dossiers adressé le 29 février 1996 au premier président de la cour d’appel puisqu’elle avait elle-même indiqué au greffier qu’étant sur le point de terminer la rédaction d’un certain nombre de décisions, il était inutile de les mentionner ; qu’ainsi elle manquait à la loyauté envers un chef de cour et risquait de mettre un fonctionnaire en position délicate ;
Attendu que juge au tribunal de grande instance de V et quoique bénéficiant d’un service allégé, Mme X, sollicitée exceptionnellement pour tenir une audience d’affaires familiales à juge unique le 13 octobre 1997, rendait à nouveau avec retard douze décisions mises ce jour-là en délibéré ;
Attendu que Mme X explique sa carence par des problèmes familiaux et son obsession de la perfection qui la conduit à ne pas rendre une décision dont elle n’est pas pleinement satisfaite ;
Attendu que ces explications partiellement fondées au vu des difficultés, notamment d’ordre familial, rencontrées par Mme X ne sauraient justifier les retards accumulés dans le traitement des affaires qui lui étaient confiées ni sa déloyauté à l’égard de ses supérieurs ;
Attendu que les mises en garde de sa hiérarchie, les allègements de service qui lui étaient accordés, l’aide apportée par ses collègues auraient dû lui permettre de retrouver rapidement un rythme de travail normal ;
Attendu que les manquements constants et reconnus reprochés à Mme X ayant porté préjudice aux justiciables et donné de la justice une image dégradée doivent être sanctionnés ;
Par ces motifs,
Vu les articles 43, 45, 2°, 45, 4°, et 46 de l’ordonnance du 22 décembre 1958,
Prononce la sanction d’abaissement d’un échelon assortie du déplacement d’office de Mme X.