Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, contre M. X, juge au tribunal de grande instance de V, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;
Vu les articles 43 et suivants de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 9 novembre 2001 dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu la demande présentée, à l’ouverture des débats, par le magistrat déféré aux fins d’interdire l’accès de la salle d’audience au public ;
Vu l’article 57 de l’ordonnance précitée n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifié par l’article 19 de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;
Le Conseil, après en avoir immédiatement délibéré, ayant ordonné la publicité de l’audience ;
Après avoir décliné leur état civil, les témoins cités par M. X ont prêté serment et ont été entendus séparément dans l’ordre suivant :
- M. Y, vice-président au tribunal de grande instance de W, âgé de ... ans ;
- M. Z, pasteur de l’Église réformée de France, âgé de ... ans ;
- Me A, avocat au barreau de B, âgé de ... ans ;
Sur le rapport de M. Claude Contamine, désigné par ordonnance du 14 novembre 2001, dont M. X a reçu copie et de la lecture duquel le rapporteur a été dispensé ;
Après avoir entendu M. André Gariazzo, directeur des services judiciaires, demandant à l’encontre du magistrat en cause le prononcé d’une sanction de révocation ou de déplacement d’office, M. X, assisté de Me Florent Girault, avocat au barreau de Grenoble, en ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés, l’intéressé ayant eu la parole en dernier ;
Attendu que pour demander que la salle d’audience soit interdite au public pendant les débats, M. X expose que les faits concernent des mineures et qu’il entend s’exprimer librement pour faire la preuve de la campagne de désinformation dont il est l’objet ; que de tels motifs n’entrant pas dans les dérogations limitativement prévues par l’article 57, alinéa 1er, de l’ordonnance du 22 décembre 1955, modifiée par l’article 19 de la loi organique du 25 juin 2001, il n’y a pas lieu d’interdire au public l’accès de la salle ;
Attendu qu’à la suite d’une altercation ayant opposé le 13 octobre 2001, M. X à M. C qui lui reprochait d’avoir pris des photographies de sa fille, âgée de seize ans, a été ouverte une enquête qui a conduit à la découverte, chez le magistrat, d’un grand nombre de photographies de jeunes filles ou de jeunes femmes plus ou moins dévêtues, certains clichés ayant été pris dans la salle d’audience du tribunal de grande instance de V, d’autres représentant des élèves ou étudiantes accueillies en stage par l’intéressé audit tribunal ;
Attendu que pour ces faits une information judiciaire a été ouverte du chef de détournement de mineurs ;
Attendu que la garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé qu’indépendamment de l’évolution de la procédure pénale, il résultait de l’enquête des faits avérés et reconnus constitutifs de faute disciplinaire ; que l’acte de dénonciation au Conseil relève, en particulier, que, en usant de sa fonction de magistrat à des fins privées, soit pour contacter ses futurs modèles, soit pour utiliser la salle d’audience du tribunal dans un but autre que professionnel, M. X a manqué à ses devoirs de magistrat ;
Attendu que, contestant avoir usé de sa fonction de magistrat pour entrer en relation avec ses modèles, M. X soutient que seule l’information judiciaire pourra l’établir et demande, en conséquence, soit un sursis à statuer sur l’instance disciplinaire dans l’attente d’une décision définitive sur l’action pénale, soit de considérer que les faits servant de base aux poursuites disciplinaires ne sont pas avérés ;
Mais attendu que l’autonomie de l’instance disciplinaire conduit à ne pas subordonner son issue au résultat de la procédure pénale en cours ; qu’il n’y a donc pas lieu de surseoir à statuer ;
Attendu, en outre, que le moyen tiré d’une prétendue irrégularité de l’enquête pénale et de la saisie de documents est inopérant à l’encontre de la procédure disciplinaire suivie en l’espèce ;
Et attendu qu’en l’état des auditions des témoins cités à la demande de M. X devant le Conseil et des attestations régulièrement versées par M. X et contradictoirement débattues, il n’y a pas lieu de procéder à d’autres auditions ;
Attendu qu’il est établi que M. X a, de manière habituelle, les samedis et dimanches, réalisé des prises de vues photographiques de modèles, dont certains dévêtus, dans la salle d’audience du tribunal de grande instance de V ; que nonobstant ses explications sur le caractère artistique de ces clichés et sur la qualité esthétique, historique et généralement publique du lieu où ils ont été pris, un tel comportement caractérise un manquement aux devoirs de l’état de magistrat ;
Qu’il en est de même de celui consistant à réaliser, à son domicile, des portraits de jeunes filles, dont certaines, mineures, partiellement dévêtues, avaient été rencontrées à l’occasion de stages effectués au tribunal de grande instance de V ; qu’eu égard à sa qualité de magistrat, de tels faits, précisément exposés dans le procès-verbal d’audition de l’intéressé du 17 octobre 2001 et dont les termes ne sont pas déniés, ne peuvent être justifiés ni par le consentement des modèles ni par l’assentiment conscient ou non des parents des mineures concernées, ni, enfin, par le fait que l’intéressé n’aurait pas entendu user de ses fonctions pour approcher ou convaincre ses modèles ;
Et attendu que la publicité, principalement causée par la faute de M. X, a porté atteinte au crédit de l’institution judiciaire ;
Que les faits ainsi établis justifient le prononcé d’une sanction disciplinaire de déplacement d’office ;
Par ces motifs,
Statuant en audience publique le 14 février 2002, pour les débats et le 28 février 2002, date à laquelle la décision a été rendue ;
Prononce à l’encontre de M. X la sanction disciplinaire du déplacement d’office prévue par l’article 45, 2°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.