Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
23/12/2009
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de légalité (obligation de rédaction des décisions), Manquement au devoir de probité (devoir de réserve)
Décision
Déplacement d'office
Interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pendant cinq ans
Mots-clés
Organisation du service
Retard
Délibéré
Délai raisonnable
Image de la justice
Délicatesse
Justiciable
Légalité
Rédaction des décisions
Probité
Réserve
Institution judiciaire (confiance)
Déplacement d'office
Interdiction d'exercer des fonctions à juge unique
Juge
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Retards importants dans la rédaction des décisions dus à un défaut d’organisation professionnelle du magistrat. Comportement dénotant un manque de distance et de réserve à l’égard d’un justiciable
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le premier président de la cour d’appel de … contre M. X, juge au tribunal de grande instance de …, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation […] ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du premier président de la cour d’appel de …, en date du 30 octobre 2008, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de … ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 17 novembre 2008, désignant M. Francis Brun-Buisson en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport de M. Francis Brun-Buisson du 8 octobre 2009, dont M. X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels « l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline », et l’absence de demande formée en ce sens par M. X conduisant à la tenue de l’audience publiquement ;

Vu la lecture du rapport faite par M. Francis Brun-Buisson, les observations de Mme Dominique Lottin, directrice des services judiciaires, assistée de Mme Béatrice Vautherin, magistrate à l’administration centrale qui a demandé, à l’encontre de l’intéressé, la sanction du déplacement d’office, les explications et moyens de défense de M. X, les plaidoiries de Maître …, avocat au barreau de …, et de M. …, secrétaire général du syndicat …, M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu qu’il est reproché à M. X juge au tribunal de grande instance de … :
- des retards récurrents dans les délibérés ;
- un comportement contestable à l’égard des justiciables ;
- un comportement contestable à l’égard de fonctionnaires de police ;

Attendu que, nommé juge au tribunal de grande instance de … le 3 mars 2004 et chargé d’un service essentiellement civil, M. X a fait l’objet, dès 2005, pour ses retards dans les délibérés, d’observations orales et écrites du président de la juridiction ; que le premier président lui a enjoint, le 31 mai 2007, d’avoir à rédiger les décisions dans quatre affaires pénales graves, jugées en avril 2006, puis, le 13 juillet 2007, d’avoir à rédiger ses jugements dans vingt-huit affaires de divorce, plaidées entre juin 2006 et mars 2007 ; que le magistrat ne parvenant pas à résorber son retard, le président de la juridiction l’a déchargé du service correctionnel au second semestre 2008 ; qu’à la suite de plusieurs mises au point, son président notait, le 3 octobre 2008, qu’entre mai et octobre 2008, les engagements pris par le magistrat pour les procédures collectives dont il était chargé avaient été respectés, mais qu’en matière de juge aux affaires familiales, trente-huit délibérés étaient en retard, pour des audiences tenues entre février et septembre 2008, alors que le magistrat s’était engagé à les rendre le 26 septembre 2008 ; que, lors de l’entretien d’évaluation du 24 novembre 2009, le président du tribunal a constaté que le nombre de dossiers de juge aux affaires familiales prorogés était de onze, dont les plus anciens dataient de l’audience du 22 juillet 2009 et, qu’en outre, quatorze dossiers de l’audience du 18 septembre 2009 n’étaient pas encore rendus ;

Attendu que M. X qui reconnaît ces retards, les impute, notamment, à une charge trop importante de travail, à son inexpérience, à ses difficultés d’adaptation, ainsi qu’à un souci de perfectionnisme qui le conduit à laisser les justiciables s’exprimer longuement, puis à expliciter, en fin d’audience, les raisons de la décision qu’il met en délibéré ; que cette même considération expliquerait le retard de délibéré de plus d’un an dans un dossier pour lequel il a lui-même effectué une expertise comptable, dans une affaire pour laquelle l’expert commis ne disposait pas du temps nécessaire pour y procéder ;

Mais attendu que l’inspection des services judiciaires a constaté que les retards accumulés par M. X ne pouvaient s’expliquer par une charge trop importante de travail par rapport à celle de ses collègues de … ou de juridictions de taille équivalente ; que l’attitude de M. X dans le traitement de ses dossiers dénote une absence totale d’organisation dans son travail et une inaptitude à établir des priorités dans les taches qui lui incombent, afin de les mener toutes à bien ; qu’elle a eu des conséquences d’autant plus importantes que M. X exerce son activité dans une juridiction de taille modeste ; qu’elles lui sont imputables personnellement et ne peuvent s’expliquer par le seul fait que la juridiction n’était pas organisée, alors, d’une manière totalement satisfaisante ; que, malgré les nombreuses mises en garde et l’allégement de son service pour lui permettre de rétablir la situation, M. X a persisté dans cette inorganisation de son activité professionnelle, engendrant de nombreux retards dans les délibérés, ce qui constitue une insuffisance professionnelle caractérisée, de nature à perturber le fonctionnement de la juridiction et à altérer l’image de la justice ; que ces difficultés se sont poursuivies postérieurement au 5 mars 2007 ;

Attendu qu’à cette carence, s’ajoute un manque de distance et de réserve par rapport à son environnement professionnel, caractérisé par son comportement à l’égard de Mme …, justiciable dans une procédure dont il avait à connaître ; que les autres griefs ne sont pas suffisamment établis ;

Attendu que les manquements retenus sont constitutifs de fautes disciplinaires justifiant le prononcé d’une sanction ;

Par ces motifs,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant, en audience publique, le 2 décembre 2009 pour les débats et le 23 décembre suivant, date à laquelle la décision a été rendue,

Prononce, à l’encontre de M. X, la sanction du déplacement d’office, prévue par l’article 45-2° de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958, assorti de l’interdiction d’être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée de 5 ans, prévue par l’article 45-3° bis de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958.