Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline
des magistrats du siège
4 décembre 2014
M. X
DÉCISION
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 13 novembre 2014 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de xxxxx, sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche du garde des sceaux en date du 9 septembre 2013 saisissant le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, de poursuites disciplinaires concernant M. X ;
Vu l’ordonnance du 19 septembre 2013 désignant Mme Emmanuelle Perreux en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de son conseil ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au cours de la procédure ;
Vu le rapport déposé le 2 octobre 2014 par Mme Emmanuelle Perreux, dont M. X a reçu copie ;
Vu la convocation adressée le 13 octobre 2014 à M. X et sa notification à l’intéressé le 16 octobre 2014 ;
Vu la convocation adressée le 13 octobre 2014 à Mme A, présidente de chambre à la cour d’appel de xxxxx, reçue le 16 octobre 2014 ;
Vu le rappel, par M. le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X et son conseil, conduisant à tenir l’audience publiquement ;
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Attendu qu’à l’ouverture de la séance, après audition de Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction et présentation par Mme Perreux de son rapport préalablement communiqué aux parties qui ont acquiescé à ce qu’il ne soit pas lu intégralement, M. X, assisté de Mme A, a été entendu en ses explications et moyens de défense et a répondu aux questions posées ; qu’après avoir entendu Mme Delnaud en ses observations tendant au prononcé de la sanction de blâme avec inscription au dossier, Mme A en ses observations, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;
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-Sur le fond
Attendu que selon les termes de la saisine du garde des sceaux en date du 9 septembre 2013, il est reproché à M. X des carences graves et prolongées dans la gestion de son cabinet d’instruction, un incident lors d’une permanence instruction de fin de semaine et des retards dans le rendu des décisions au titre de son activité annexe de juge aux affaires familiales ;
1. Sur le grief portant sur la gestion du cabinet d’instruction
Attendu qu’il est fait grief à M. X, d’avoir « accumul(é) un retard croissant dans le traitement des procédures d’information dont il avait la charge en qualité de juge d’instruction, en laissant s’écouler un délai excessif entre sa saisine et sa première intervention ou entre deux actes accomplis au cours de la procédure d’information, y compris dans les dossiers impliquant des personnes placées en détention provisoire » et de ne pas avoir « établi (…) les notices semestrielles prévues par l’article 221 du code de procédure pénale et les ordonnances de l’article 175-2 du code de procédure pénale destinées au président de la chambre de l’instruction »
Attendu qu’il résulte des constatations des services de l’Inspection générale des services judiciaires que, M. X a été en charge, au moment de son installation en qualité de juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx, le 1er septembre 2009, de 56 dossiers, alors que la moyenne du stock des autres cabinets étaient de 89 dossiers ; qu’au cours de l’année 2010, M. X, qui a été saisi de 35 procédures nouvelles, n’a clôturé que 4 dossiers, conduisant à un encours à la fin de l’année de 89 dossiers, pour atteindre 109 en 2011, avec 26 procédures nouvelles et 6 dossiers terminés ;
Attendu qu’il résulte des mêmes constatations que le cabinet de M. X bénéficiait d’une situation plus favorable que les autres cabinets d’instruction, le nombre de saisines étant de 45, 85 dossiers nouveaux en moyenne en 2010 contre 35 pour M. X, et, en 2011, de 38, 83 dossiers contre 26 pour M. X ; qu’en outre, le nombre de dossiers clôturés étaient, en 2010, de 41, 57 dossiers en moyenne contre 4 pour M. X, et, en 2011, de 39, 5 dossiers en moyenne contre 7 pour M. X ;
Attendu en outre qu’il apparaît qu’en 2011, 82 dossiers étaient demeurés sans acte depuis 6 mois ou plus, soit 59 %, 48 étant restés sans acte durant plus d’un an soit 34, 7 % ; que, s’agissant des dossiers dont M. X a eu à connaître seul, sans qu’ils ne proviennent d’un dessaisissement d’un autre cabinet d’instruction, 58,82 % des dossiers étaient restés sans acte pendant plus de 6 mois ;
Attendu que malgré les efforts déployés en 2012 puis en 2013, le cabinet de M. X comportait 170 dossiers au 31 décembre 2013 ;
Attendu enfin que selon les constatations des services de l’Inspection générale des services judiciaires, M. X n’a pas transmis régulièrement les notices semestrielles ; que pour 2010, seules les notices de décembre avaient été transmises au président de la chambre de l’instruction et aucune en 2011 ;
Attendu que M. X a reconnu devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires et devant le rapporteur la matérialité de ces griefs ; qu’il les a expliqués par une insuffisance de moyens de greffe, une difficulté à appréhender ses fonctions nouvelles de l’instruction en l’absence de formation à l’Ecole nationale de la magistrature au titre de la reconversion et, enfin, de graves difficultés personnelles rencontrées pendant la période ;
Attendu, s’agissant des moyens de greffe, qu’il ressort des éléments recueillis par les services de l’Inspection générale des services judiciaires que M. X ne disposait pas à son arrivée d’un greffier attitré mais a bénéficié d’une greffière placée à mi-temps laquelle a en outre bénéficié de 15 jours de congés entre octobre et décembre 2009 ; que toutefois, M. X s’est vu affecté une greffière à temps plein à compter de 2010, laquelle a été placée en arrêt de travail à l’été 2011 ; que durant cette période et jusqu’au remplacement de cette greffière en septembre 2012, M. X a bénéficié de l’aide ponctuelle des greffiers des autres cabinets, puis d’une greffière d’un autre cabinet devenu vacant et enfin de greffiers en pré-affectation et d’une greffière placée à compter d’avril 2012 ;
Attendu que M. X évoque au surplus le choix opéré avec sa greffière d’utiliser le logiciel Cassiopée qui aurait contribué à ces retards.
Attendu en outre que M. X justifie de la situation dans laquelle il s’est trouvé par la difficulté à prendre en main son nouveau cabinet constitué de dossiers déjà ouverts chez ses collègues, alors qu’il n’avait jamais exercé de telles fonctions et le fait qu’il n’avait bénéficié que de quinze jours de reconversion ;
Attendu enfin que M. X fait état de graves difficultés personnelles ; que d’une part, il a été victime d’une agression en septembre 2009 à son domicile avec sa compagne, de la part du père des enfants de cette dernière ; que, d’autre part, le 20 décembre 2010, la mère de M. X était assassinée à xxxxx, lui imposant de se rendre en urgence à xxxxx et d’assumer les suites de ce drame ; que M. X indiquait au rapporteur avoir « dû faire face à une dépression » ;
Attendu qu’un magistrat instructeur doit, dans la mesure de sa charge de travail résultant notamment du nombre et de la difficulté des procédures dont il est saisi ainsi que d’autres attributions qui lui sont confiées au titre de ses fonctions, veiller à traiter les dossiers d’information avec une diligence exclusive de retards injustifiés ;
Attendu que si les circonstances invoquées par M. X ont pu expliquer en partie les retards dans la gestion de son cabinet, elles ne sauraient être suffisantes pour l’exonérer totalement de sa responsabilité, cette situation de retard chronique s’étant installée dès l’arrivée de M. X en septembre 2009 et alors que son cabinet était dans une situation favorable au regard du nombre de dossiers en cours ;
Attendu que la réalité du grief est établie ; qu’il caractérise un manquement au devoir de rigueur, au devoir de délicatesse incombant à tout magistrat à l’égard des justiciables, de même qu’au devoir d’accomplir sa mission avec diligence ;
2. Sur le grief portant sur l’incident lors d’une permanence instruction
Attendu qu’il est fait grief à M. X de s’être « absent(é) du ressort alors qu’il était de permanence, contraignant le magistrat du parquet à prolonger des gardes à vue en dehors des nécessités de l’enquête » ;
Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure et bien qu’aucune date n’ait pu être fixée précisément, que M. X s’est rendu à xxxxx pour des raisons personnelles alors qu’il était de permanence et ce, sans avoir informé le magistrat du parquet de permanence ; que le magistrat du parquet, prenant attache avec M. X le dimanche, le développement d’une procédure rendant nécessaire l’ouverture d’une information judiciaire, apprenait par M. X qu’il ne pouvait pas se rendre au tribunal en raison d’une grève des transports ; que le magistrat du parquet était contraint de prolonger une garde à vue en cours pour retarder l’ouverture de l’information au lundi matin ;
Attendu que M. X a expliqué devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires qu’il avait dû se rendre en urgence à xxxxx, en raison de la situation de son fils malade confié aux soins de sa grand-mère ;
Attendu que M. X a manqué à la rigueur professionnelle, au sens des responsabilités et à la loyauté en n’informant pas le Président de la juridiction de la situation de force majeure à laquelle il était confronté, alors qu’il était de permanence ; que l’information du Président de la juridiction aurait été de nature à pallier l’absence de M. X ;
3. Sur le grief portant sur l’activité annexe de juge aux affaires familiales
Attendu qu’il est fait grief à M. X d’avoir « accumul(é) des retards dans la rédaction des décisions relevant de son activité annexe de juge aux affaires familiales » et de pas avoir « avis(é) les parties des dates de report de délibéré, ni des motifs de report » ;
Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure qu’au titre de son activité annexe de juge aux affaires familiales, M. X a été amené à tenir 6 audiences entre octobre 2009 et juin 2010 et à rendre 54 décisions ; qu’il apparaît que si les décisions mises en délibéré lors de la première audience de contentieux familial tenue par M. X, le 12 octobre 2009, ont bien été rendues à la date annoncée, à savoir le 16 novembre 2009, tel n’a pas été le cas pour les autres décisions qui ont été rendues au terme d’un délibéré prorogé ;
Attendu que 45 décisions sur 54 n’ont pas respecté la date de délibéré fixée ; que pour les délibérés fixés entre un minimum de 24 jours et un maximum de 49 jours pour les cinq audiences affectées par les retards, M. X a rendu ses décisions dans des délais allant de 81 jours minimum à 245 jours maximum ;
Attendu que M. X a reconnu ces retards et a indiqué au rapporteur que les retards des délibérés s’inscrivent dans le double apprentissage des fonctions de l’instruction et la découverte du contentieux familial ;
Attendu, s’agissant des reports de délibéré, que M. X a indiqué au rapporteur que « les dates de prorogation ont été indiquées à la greffière » et qu’ « il était donc possible d’en donner connaissance aux parties » ; qu’il a admis ne pas avoir motivé spécifiquement ces prorogations ; qu’entendue, Mme B, greffière au tribunal de grande instance de xxxxx, a indiqué aux services de l’Inspection générale des services judiciaires qu’elle a « profité une fois d’une audience pour demander (à M. X) si ses délibérés étaient prorogés, car dans le système informatique selon notre pratique, pour prolonger un délibéré, il faut indiquer une nouvelle date » et qu’elle n’avait « pas le souvenir qu(e M. X) ait donné de dates, quoique (s)on souvenir ne soit pas précis ».
Attendu que M. X, qui a reconnu les retards de délibéré, a présenté des carences persistantes dans l’accomplissement de son service, découlant d’un défaut de rigueur dans l’organisation de travail ;
Attendu qu’il n’est pas établi, au regard des déclarations de Mme B, que M. X n’a pas donné d’indication sur les dates de renvoi ; qu’il lui appartenait toutefois de s’assurer que les indications qu’il avait données avaient été effectivement mises en œuvre ;
Attendu au surplus qu’aucun élément du dossier n’établit que M. X aurait supporté une charge de travail anormale ;
Attendu que le grief, ainsi établi, caractérise un manquement au devoir de délicatesse incombant à tout magistrat à l’égard des justiciables, de même qu’au devoir de dire le droit avec diligence ;
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Attendu que pour apprécier la sanction à prononcer à l’encontre de M. X, il y a lieu de tenir compte de la situation spécifique dans laquelle il s’est trouvé tenant à l’insuffisance des moyens de greffe à l’instruction, la difficulté qu’il a eu à appréhender ses fonctions nouvelles de l’instruction en l’absence de stage de reconversion, de l’insuffisante prise en considération par la hiérarchie de cette situation et, enfin, de graves difficultés personnelles rencontrées pendant la période ;
Attendu en conséquence qu’il a lieu de prononcer à l’encontre de M. X la sanction de blâme avec inscription au dossier ;
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PAR CES MOTIFS,
Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Mme Perreux, rapporteur ;
Statuant en audience publique le 13 novembre 2014 pour les débats et le 4 décembre 2014 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Prononce à l’encontre de M. X la sanction de blâme avec inscription au dossier, prévue à l’article 45 1° de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx.