Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
19/12/2014
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Rétrogradation
Mots-clés
Délicatesse
Loyauté
Rétrogradation
Lanceur d'alerte
Immixtion dans une procédure
Fonction
Conseiller de cour d'appel
Résumé
Le Conseil rappelle que « les devoirs de l’état de magistrat ne comportent ni ne confèrent aucune compétence d’ordre général pour s’immiscer dans une procédure judiciaire dont il n’est pas saisi ; que le magistrat, en dehors de l’exercice de ses fonctions et des procédures dont il a la charge, doit respecter un devoir de prudence et s’abstenir de toute intervention dans une affaire dont il n’a pas personnellement la charge », et que « l’invocation, par un magistrat, de sa qualité professionnelle, en dehors même de l’exercice de ses fonctions, pour s’immiscer dans une procédure, n’est pas compatible avec les devoirs de son état ». Il ne résultait pas de la procédure que les faits nécessitaient « une intervention immédiate et urgente qui ne pouvait être différée (...), soit au titre de l’assistance à personne en danger, soit au titre des pouvoirs conférés par le code de procédure pénale pour dénoncer des faits à l’autorité judiciaire ou pour appréhender l’auteur d’un crime ou délit flagrant ». Le CSM juge enfin que « si le magistrat, comme tout citoyen, a le devoir d’alerter les autorités de toute situation en application de la loi qui imposerait de le faire, dans une telle hypothèse, il devrait s’exprimer avec la mesure, la prudence, la délicatesse et la réserve qu’impose l’exercice des fonctions de magistrat ».

CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline
des magistrats du siège

19 décembre 2014

M. X

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 27 novembre 2014 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux à l’encontre de M. X, conseiller à la cour d’appel de xxxxx, précédemment conseiller à la cour d’appel de xxxxx, sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation, en présence de :

Mme Rose-Marie Van Lerberghe,
M. Pierre Fauchon,
Mme Martine Lombard,
M. Frédéric Tiberghien,
M. Daniel Ludet,
M. Jean Trotel,
M. Loïc Chauty,
M. Laurent Bedouet,
Mme Emmanuelle Perreux,
Mme Catherine Vandier, présente aux débats, qui n’a pas participé au délibéré,
M. Luc Fontaine,

membres du Conseil,

assistés de M. Peimane Ghaleh-Marzban, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux en date du 24 juillet 2013 saisissant le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, de poursuites disciplinaires concernant M. X ;

Vu l’ordonnance du 4 septembre 2013 désignant Mme Catherine Vandier en qualité de rapporteur ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de ses conseils au cours de la procédure ;

Vu l’ensemble des pièces jointes au cours de la procédure ;

Vu le rapport déposé le 9 octobre 2014 par Mme Catherine Vandier, dont M. X a reçu copie ;

Vu la convocation adressée le 16 octobre 2014 à M. X et sa notification à l’intéressé le 18 octobre 2014 ;

Vu les convocations adressées le 16 octobre 2014 à M. A, vice-président au tribunal de grande instance d’ xxxxx, le 22 octobre 2014 à Mme B, vice-procureure près le tribunal de grande instance de xxxxx et à M. C, vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, le 5 novembre 2014 à Me D, reçues respectivement les 20 octobre 2014, 24 octobre 2014, 27 octobre 2014 et le 7 novembre 2014 ;

Vu la lettre de M. X en date du 24 novembre 2014 adressée à M. le Président de la formation, aux termes de laquelle : « Une demande de renvoi de l’affaire me concernant avait été présentée en mon nom. J’ai l’honneur de vous faire connaître que je ne sollicite plus ce renvoi. Par ailleurs, j’ai renoncé à la présence de tout défenseur à mes côtés au cours de l’audience » ;

Vu le rappel, par M. le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X conduisant à tenir l’audience publiquement ;

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Attendu qu’à l’ouverture de la séance, après audition de Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Malika Cottet, magistrate à cette direction, et lecture par Mme Catherine Vandier de son rapport préalablement communiqué aux parties, M. X a été entendu en ses explications et moyens de défense et a répondu aux questions posées ; qu’après avoir entendu M. Jean-François Beynel, Directeur des services judiciaires, assisté de Mme Delnaud et de Mme Cottet, en ses observations tendant au prononcé de la sanction de l’abaissement de deux échelons, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

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Attendu qu’il est reproché à M. X, aux termes de la saisine du garde des sceaux :

- D’avoir « utilis(é) sa qualité, dans une affaire privée, pour entrer en contact avec le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, obtenir d’être reçu avec la personne qu’il souhaitait accompagner à la gendarmerie et voir certaines vérifications effectuées dans un délai très bref que ne semblait pas nécessiter l’enquête, sur le ressort de la cour d’appel dans laquelle il exerçait ses fonctions de conseiller, président de cour d’assises » ;

- D’avoir « port(é) des appréciations sur le déroulement de l’enquête, en suggérant des orientations et en remettant en cause l’impartialité du procureur de la République de xxxxx dans de nombreux courriers à l’intéressé et à sa hiérarchie » ;

- De s’être « inscri(t) dans une démarche polémique, dans laquelle il s(‘est) pos(é) en victime et (d’avoir) donn(é) aux incidents dénoncés une importance disproportionnée qui s’est notamment manifestée par l’envoi de nombreux courriers dans lesquels il (a) rem(is) en cause de façon injustifiée le comportement professionnel mais surtout la probité du procureur de la République de xxxxx, des deux procureurs généraux qui se sont succédés à la cour d’appel d’ xxxxx depuis le début de cette affaire et de la première présidente de ladite cour, qu’il (a) accus(é) d’être auteurs d’infractions pénales » ;

- D’avoir « médiatis(é) le litige qui l’opposait aux gendarmes de la brigade de xxxxx », d’avoir « rem(is) en cause la qualité de l’enquête diligentée par le parquet de xxxxx ainsi que les décisions du parquet général d’ xxxxx » et de s’être « exprimé comme président de la cour d’assises du xxxxx et donc magistrat particulièrement exposé dont les propos ont une force toute particulière » ;

- D’avoir « distribu(é) à l’ensemble des magistrats de la cour d’appel, dans leurs cases professionnelles, un document portant de graves accusations

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Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que dans la nuit du 1er au 2 décembre 2011, M. E, artisan plombier, était victime d’un vol de matériel dans sa camionnette laissée accidentée au bord de la route ; que le 2 décembre 2011, M. E déposait plainte auprès de la brigade territoriale de xxxxx ;

Attendu que le 9 décembre suivant, M. E se rendait au domicile de M. X, chez qui il avait effectué des travaux, pour lui faire part de ses soupçons quant à l’identité de l’auteur du vol ;

Attendu que M. X prenait contact avec le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx pour l’informer de la situation et lui annonçait son intention de se rendre à la gendarmerie le soir-même ; que M. X se présentait à la gendarmerie vers 18 heures 30 avec M. E et la compagne de ce dernier au moment des faits, Mme F ; que lors de cette visite, la gendarmerie a procédé immédiatement à l’une des vérifications demandées par M. X mais remis au lendemain l’audition de M. E ;

Attendu qu’à la suite de cette visite et d’un incident qui s’en suivait, M. X portait plainte, le 7 janvier 2012 contre X auprès du procureur de la République de xxxxx des chefs d’outrage à magistrat, dénonciation calomnieuse et subornation de témoins et que les gendarmes déposaient plainte contre M. X pour abus d’autorité et dénonciation calomnieuse ; que le 18 avril suivant, M. X sollicitait le dépaysement de l’enquête sur le fondement de l’article 43 du code de procédure pénale, demande à laquelle la procureure générale près la cour d’appel d’ xxxxx s’opposait le 7 mai 2012 ;

Attendu qu’à la suite du classement sans suite des plaintes des gendarmes et de M. X, ce dernier déposait, le 15 janvier 2013, une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction de xxxxx, à l’encontre de trois gendarmes de la brigade de xxxxx des chefs d’outrage à magistrat et dénonciation calomnieuse ;

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1.- Sur le premier grief d’avoir « utilis(é) sa qualité, dans une affaire privée, pour entrer en contact avec le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, obtenir d’être reçu avec la personne qu’il souhaitait accompagner à la gendarmerie et voir certaines vérifications effectuées dans un délai très bref que ne semblait pas nécessiter l’enquête, dans le ressort de la cour d’appel dans laquelle il exerçait ses fonctions de conseiller, président de cour d’assises »

Attendu, selon M. X, ainsi qu’il résulte d’un rapport du 30 janvier 2012 qu’il a adressé à Mme la Première présidente de la cour d’appel d’ xxxxx et dont les termes ont été confirmés par lui devant le rapporteur le 2 avril 2014, que le 9 décembre 2011, M. E est venu le rencontrer pour lui faire part des soupçons qu’il nourrissait contre une personne à la suite du vol dont il avait été la victime, ne sachant « pas comment procéder pour communiquer ces informations », craignant, « que la mise en cause de quelqu’un sans preuves matérielles ne se retourne contre lui » ;

Attendu que M. X a expliqué avoir voulu entrer en contact avec le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx ; qu’il prenait attache à cet effet avec le secrétaire général de la première présidence de la cour d’appel d’ xxxxx ; que, selon M. G, conseiller à la cour d’appel d’ xxxxx, précédemment chargé du secrétariat général de la première présidence de ladite Cour, son intervention, à l’égard de M. X, « avait dû se limiter à le réorienter vers M. H qui était (s)on homologue au parquet général » ; que selon M. H, « M. X (l)’a contacté un soir pour (lui) demander les coordonnées du procureur de xxxxx » ; qu’il ajoutait que « s’agissant d’un collègue de la Cour qui plus est président de cour d’assises, (il) n’(a) vu là aucune malice et (il) lui (a) donc spontanément communiqué les numéros de téléphone de M. I » ; qu’il précisait ne pas se souvenir «qu’il (lui) ait précisé la raison de son souhait de contacter ce procureur » ;

Attendu que M. I, procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx au moment des faits, a indiqué avoir « été contacté aux alentours de 18 heures, sur (son) téléphone portable personnel, par quelqu’un qu’(il) ne connaissai(t) pas et qui s’est présenté comme étant M. X, conseiller à la cour d’appel » ; que M. X lui précisait avoir « obtenu (s)es coordonnées par M. H, secrétaire général du parquet général de la cour d’appel d’ xxxxx ; qu’il était habitant de xxxxx, qu’il connaissait un certain monsieur E qui avait effectué des travaux de plomberie, chez lui » ;

Attendu que M. X lui demandait « l’autorisation d’accompagner M. E » à la gendarmerie ce que M. I acceptait ; que toutefois, le procureur lui proposait « de se rendre le lendemain à la brigade » mais que M. X avait « insisté sur l’urgence qu’il y avait à effectuer certaines investigations dont il (lui) a donné la teneur » ; que M. I lui indiquait qu’il allait prévenir la brigade de xxxxx de son arrivée imminente dans leurs locaux ; qu’il contactait ainsi les services de la gendarmerie « pour les informer de l’arrivée de M. E accompagné de M. X », leur demandant « de procéder à l’audition complémentaire de M. E et de procéder en urgence aux vérifications téléphoniques sollicitées » ;

Attendu que pour justifier de son attitude, M. X a indiqué dans le rapport précité du 30 janvier 2012 à l’attention de Mme J que « cette démarche, pour moi en relation très nette avec mon devoir de magistrat, n’était nullement incompatible avec la volonté d’apporter mon soutien à une victime particulièrement choquée par la situation » ; que pour M. X, « en présence d’une victime en difficulté pour communiquer ces renseignements, (s)on devoir était de prendre contact avec le procureur de la République et, avec l’accord de ce magistrat, de conduire la victime jusqu’au service enquêteur afin que sa déposition soit recueillie » ;

Attendu que, devant le Conseil, M. X a de nouveau justifié son intervention en précisant que lorsque M. E était venu le rencontrer, il travaillait à son domicile et qu’il était en conséquence de son « devoir de magistrat » d’intervenir au regard de la situation de victime dans laquelle se trouvait M. E ;

Attendu toutefois que M. X, qui n’était pas en charge de la procédure de vol concernant M. E, ne disposait d’aucune prérogative au titre de ses fonctions de magistrat pour, finalement et sans aucune mesure, comme il sera indiqué ci-dessous, s’immiscer dans cette procédure auprès d’une autorité judiciaire ;

Attendu que c’est par une mauvaise appréciation de ses devoirs que M. X a estimé devoir intervenir dans une telle hypothèse ;

Attendu en effet que les devoirs de l’état de magistrat ne comportent ni ne confèrent aucune compétence d’ordre général pour s’immiscer dans une procédure judiciaire dont il n’est pas saisi ; que le magistrat, en dehors de l’exercice de ses fonctions et des procédures dont il a la charge, doit respecter un devoir de prudence et s’abstenir de toute intervention dans une affaire dont il n’a pas personnellement la charge ;

Attendu de surcroît qu’il ne résulte pas de la procédure soumise à l’examen du Conseil que les faits dont a été victime M. E, dans la nuit du 1er au 2 décembre 2011, nécessitaient, le 9 décembre 2011, une intervention immédiate et urgente qui ne pouvait être différée et qui aurait justifié que M. X intervienne, soit au titre de l’assistance à personne en danger, soit au titre des pouvoirs conférés par le code de procédure pénale pour dénoncer des faits à l’autorité judiciaire ou pour appréhender l’auteur d’un crime ou délit flagrant ;

Attendu, en cet état, qu’il est établi que M. X a, en dehors de ses fonctions de magistrat, alors qu’il n’était pas en charge de la procédure de vol concernant M. E, pris l’initiative de contacter le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, obtenant du secrétaire général du parquet général de la cour d’appel d’ xxxxx, du fait même de sa qualité de conseiller à la cour d’appel et, de fait, de président de la cour d’assises du xxxxx, le numéro de portable téléphonique du procureur ;

Attendu que si M. X a indiqué à l’audience ne pas avoir spécialement demandé le numéro de portable personnel de M. I, il apparaît, des déclarations précitées de M. H, que ce numéro n’aurait pas été communiqué si M. X n’avait pas exercé les fonctions de magistrat à la cour d’appel d’ xxxxx ;

Attendu qu’en prenant l’attache de M. I et en évoquant sa qualité de conseiller de cour d’appel, il a obtenu du procureur de la République, d’être reçu avec M. E le jour même, par la gendarmerie de xxxxx et de voir des vérifications effectuées dans un délai très bref ;

Attendu en dernier lieu que l’invocation, par un magistrat, de sa qualité professionnelle, en dehors même de l’exercice de ses fonctions, pour s’immiscer dans une procédure, n’est pas compatible avec les devoirs de son état ; qu’ainsi, M. X, dans une lettre en date du 15 décembre 2011, adressée au lieutenant-colonel K, commandant le groupement de gendarmerie du xxxxx, faisait état de la qualité suivante :« magistrat, ancien directeur de cabinet de la secrétaire d’Etat aux droits des victimes » et écrivait : «Il est également inacceptable que ce magistrat – qui plus est, président d’une cour d’assises, en situation d’entendre à longueur d’année des enquêteurs et parfois de leur délivrer des commissions rogatoires – ne soit pas accueilli par le commandant de l’unité dans laquelle il se rend alors même que sa venue vient d’être annoncée par le procureur de la République » ;

Attendu que les termes employés, au demeurant emprunts d’une singulière suffisance, constituent un manquement à la délicatesse et ont porté atteinte à l’image de la Justice et à son crédit ;

Attendu que la matérialité du grief est établie, ces faits caractérisant de la part de M. X, qui exerçait les fonctions de conseiller, président de cour d’assises, un manquement au devoir de prudence, un manquement au devoir de délicatesse à l’endroit du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx et des gendarmes de la brigade de xxxxx et un manquement aux devoirs de l’état de magistrat ;

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2.-Sur les Griefs 2 à 5

*Sur le statut invoqué par M. X de « lanceurs d’alerte »

Attendu qu’il y a lieu pour le Conseil, avant d’examiner les griefs 2 à 5, de statuer sur le moyen de défense invoqué par M. X au cours de la procédure et à l’audience, justifiant à son sens sa réaction suite à la visite effectuée avec M. E, le 9 décembre 2011, à la brigade de gendarmerie de xxxxx ;

Attendu que dans une lettre du 7 octobre 2014, adressée au rapporteur, M. X fait valoir « l’intérêt public qui s’attache à certaines dénonciations, y compris à travers les médias », s’agissant de la « question des donneurs ou lanceurs d’alerte » ; qu’il invoque à cet égard les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme Heinisch c/ Allemagne du 21 juillet 2011 et Guja c/ Moldavie du 12 février 2008, précisant à son sens « les conditions d’application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression dans le domaine de la protection des donneurs d’alerte » ; qu’il précise que « la France a traduit la recommandation du Conseil de l’Europe dans la loi n°2012-954 du 6 août 2012 et dans la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, portée au Parlement par Mme TAUBIRA » ; que « la loi de 2012 a modifié tant le code du travail que la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires afin d’interdire toute sanction disciplinaire à l’encontre d’un salarié ou d’un fonctionnaire ayant dénoncé une violation du principe de non discrimination » ; que « l’article 6 de la loi de 1983 prévoit ainsi « qu’aucune mesure concernant notamment (…) la discipline ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération (…) le fait qu’il a témoigné d’agissements contraires à ces principes ou qu’il les a relatés » ;

Attendu que M. X, a, dans une lettre adressée le 20 avril 2013 au garde des sceaux, indiqué que « le point de départ de cet incident est un acte de discrimination raciale ou sociale commis au préjudice de la victime d’un vol important, discrimination dont (il a) été le témoin direct » ; que dans la lettre précitée du 7 octobre 2014, il indique de nouveau qu’il aurait été témoin d’un acte de discrimination commis par des officiers de police judiciaire à l’encontre de la victime, M. E, Français d’origine béninoise ; qu’à l’audience, il a indiqué une nouvelle fois qu’il s’agissait « d’une affaire de discrimination », justifiant ainsi sa réaction et les différentes dénonciations qui lui sont reprochés;

Attendu que les faits invoqués par M. X se sont produits le 9 décembre 2011 et que les alertes lancées dans la presse par M. X datent du mois de novembre 2012 ; que M. X, qui est magistrat régi par un statut de droit public, ne saurait utilement se prévaloir de la loi du 6 août 2012, ni de celle du 6 décembre 2013, postérieure aux faits invoqués ; qu’en conséquence, c’est au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative aux lanceurs d’alerte, qu’il y a lieu pour le Conseil d’examiner si M. X, qui soutient être intervenu dans la procédure initiée par M. E uniquement pour dénoncer une attitude de discrimination, est fondé à se prévaloir du statut du lanceurs d’alerte ;

Attendu, s’agissant du déroulement de la visite à la brigade de xxxxx le 9 décembre 2011, que M. X et M. E ont indiqué avoir été très mal reçus par les gendarmes et plus particulièrement par l’un d’eux qui aurait refusé de procéder aux deux vérifications demandées le soir même et aurait menacé M. E de lui retirer son permis de conduire au vu de ses antécédents ; que M. X a, sur le comportement des militaires de la brigade de gendarmerie de xxxxx, versé à la procédure une lettre du 25 mars 2013 du colonel K, commandant de groupement de gendarmerie départementale du xxxxx, qui dans une autre procédure, a indiqué à un justiciable que l’accueil qui avait été réservé à la brigade de gendarmerie de xxxxx n’avait pas été satisfaisant ; que, de leur côté, les gendarmes se sont plaints d’une attitude hautaine et méprisante de M X, qui aurait fait état de sa qualité de magistrat, sollicité la réalisation d’investigations, et traité les gendarmes de « bons à rien » ;

Attendu que si le magistrat, comme tout citoyen, a le devoir d’alerter les autorités de toute situation en application d’une loi qui imposerait de le faire, dans une telle hypothèse, il devrait s’exprimer avec la mesure, la prudence, la délicatesse et la réserve qu’impose l’exercice des fonctions de magistrat ;

Attendu en premier lieu que les vérifications téléphoniques souhaitées par M. E ont été accomplies par les gendarmes le soir même et ont contredit les déclarations de l’intéressé ;

Attendu en effet que M. E soupçonnait que l’auteur du vol de son matériel professionnel avait appelé, dans la nuit du 1er au 2 décembre 2011, en son nom, le Centre opérationnel de la gendarmerie pour que les gendarmes ne viennent pas troubler la commission du délit ;

Attendu sur ce point qu’il résulte du rapport de M. Didier Guérin, conseiller à la chambre criminelle de la Cour de cassation, agissant sur délégation de Mme Vandier, en date du 7 juillet 2014, que « la vérification essentielle qui a été faite, à ce stade, est celle effectuée auprès du Centre opérationnel de la gendarmerie » ; que M. L, major à la brigade de gendarmerie de xxxxx, entendu par M. Guérin, expliquait avoir demandé cette investigation à l’adjudant M ; que Mme N, chef de la brigade, déclarait avoir décidé de sa propre initiative d’aller, en compagnie de l’adjudant M, effectuer la vérification, ce que confirmait l’adjudant M ; que selon l’adjudant O, c’est à la suite de la demande de M. X que l’adjudant M était allé faire immédiatement la vérification auprès du COG ; que selon M. E, c’est M. O qui avait fait la vérification ;

Attendu que cette vérification a établi que c’était en réalité depuis la ligne personnelle de M. E que le COG avait été appelé à plusieurs reprises dans la nuit du 1er au 2 décembre 2011 ;

Attendu, selon M. E, que M. O est revenu en lui donnant le résultat, en lui disant d’un ton colérique : « M. E, vous êtes qui pour déranger deux magistrats le soir ? » ; que M. O précisait avoir « indiqu(é) que c’est bien lui qui a effectué les appels » ;

Attendu qu’à supposer que M. O ait exactement tenu les propos qui lui sont attribués, ceux-ci ne révèleraient aucune discrimination mais exprimeraient simplement aux yeux d’un enquêteur la faible crédibilité des soupçons portés par M. E à l’issue de la première des deux vérifications souhaitées par M. E et M. X ;

Attendu en deuxième lieu que, selon M. E, M. O lui aurait déclaré : « M. E, vous allez arrêter la bibine, sinon on va vous avoir » ; que selon M. X, cette attitude révélerait également la discrimination dont aurait été victime M. E ;

Attendu qu’il résulte des investigations effectuées par M. Guérin que « les auditions (effectuées) ont fourni un éclairage sur la réputation de (M. E) chez les gendarmes de xxxxx » ; que le major L a en effet affirmé avoir des informations sur une certaine intempérance de M. E ; que Mme N a dit l’avoir rencontré lors de l’inauguration d’un magasin et qu’il lui avait semblé, à cette occasion, qu’il avait bu, M. E ayant renversé une table chargée de bouteilles et de verres ; que l’adjudant-chef U, commandant de la brigade de xxxxx, présent à la brigade de xxxxx le 9 décembre 2011, a déclaré être intervenu chez lui à l’occasion d’une altercation avec sa compagne, à un moment où il était visiblement alcoolisé ; qu’enfin, une certaine intempérance de M. E était confirmée par Mme F, son ancienne compagne ;

Attendu que les propos prêtés par M. E à M. O étant contestés par l’intéressé, M. O, entendu par M. Guérin, a précisé « ne lui (avoir) fait aucune injonction particulière à propos d’un problème d’alcool, » ; qu’il pensait « avoir simplement dit en aparté dans le bureau de l’adjoint M qu’il faudrait, un jour, effectuer un contrôle d’alcoolémie sur lui, ce qui n’a pas été suivi d’effet » ; que selon, M. O, « peut-être que lui ou M. X ont entendu ce propos mais qui n’était destiné qu’à mes collègues » ;

Attendu qu’à les supposer établis, ces propos ne s’expliqueraient pas par une attitude marquée d’une quelconque discrimination raciale ou sociale, mais par la connaissance que les gendarmes de la brigade de xxxxx avaient d’une certaine intempérance de M. E, susceptible d’éclairer aux yeux d’un enquêteur la contradiction flagrante entre les affirmations de M. E quant à l’identité de l’auteur présumé de l’appel téléphonique reçu par le COG et donc du vol et le résultat de la première des deux vérifications urgentes souhaitées par M. E ;

Attendu, en troisième lieu, que Mme F a indiqué à M. Guérin, le 11 avril 2014, ne pas se souvenir que l’accueil qui avait été fait à la gendarmerie de xxxxx « aurait été désagréable » et ne pas se souvenir que « des mots injurieux auraient été, à un stade quelconque de cette visite, prononcés par quiconque, que ce soient MM. E, X et les gendarmes » ; que selon elle « M. E a été, selon moi, reçu de la même manière que toute autre personne l’aurait été » ;

Attendu, en quatrième lieu, que si M. E a pu légitimement regretter que l’une des deux diligences concernant les faits dont il avait été victime n’a pas été accomplie le soir même par les gendarmes de la brigade de xxxxx, ces derniers lui ont demandé de revenir le lendemain pour recueillir sa déposition ; que si M. E, entendu au cours de la procédure, a également indiqué au sujet de l’accueil qui lui a été réservé « être reparti plein d’amertume comme une personne ayant commis une faute », il ne ressort pas des pièces du dossier que les gendarmes aient refusé de recevoir la déposition de M. E pour un motif en rapport avec une discrimination raciale ou sociale ;

Attendu de même que si M. X a pu, de bonne foi, être désappointé par l’accueil qui lui a été réservé, ce que confirme le courrier du 4 janvier 2012 du colonel K à ce dernier dans lequel il indique « admet(tre) (son) désappointement quant au manque d’empressement témoigné à (son) arrivée dans cette unité, alors que (sa) démarche avait été annoncée par monsieur le procureur de la République près le TGI de xxxxx », en l’état de l’instruction, aucun élément recueilli ne permet d’établir que M. E ait été victime le 9 décembre 2011 d’une quelconque discrimination de la part des gendarmes de xxxxx en considération de son origine béninoise ou de son origine sociale, susceptible de justifier l’attitude et le comportement ultérieur de M. X comme lanceurs d’alerte ;

Attendu en conséquence que le statut de « lanceurs d’alerte » invoqué par M. X comme fait justificatif à son comportement ne saurait être invoqué en l’espèce au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ;

- Sur le deuxième grief d’avoir « port(é) des appréciations sur le déroulement de l’enquête, en suggérant des orientations et en remettant en cause l’impartialité du procureur de la République de xxxxx dans de nombreux courriers à l’intéressé et à sa hiérarchie »

Attendu que, dans un courrier du 15 décembre 2011, M. X écrit au procureur de la République de xxxxx qu’il « ne peu(t) qu’être étonné de n’avoir eu de (sa) part (…) aucune information sur les mesures décidées par (lui) tant à l’égard des militaires en cause qu’en ce qui concerne les suites de l’enquête », qu’il « (lui) avai(t) signalé combien il (lui) semblait opportun, dans un contexte si particulier, que l’enquête soit confiée à une unité de police judiciaire » ; que, dans un courrier du 7 janvier 2012, M. X suggère diverses orientations d’enquête ; que, s’agissant du traitement de la plainte déposée par lui pour outrage à magistrat, il écrit le 18 avril 2012 au procureur de la République que le « mode opératoire qui revient à placer chronologiquement les mis en cause à la place de la victime et la victime à la place des mis en cause ne peut qu’étonner » et que « le fait qu(‘il soit) intervenu avant, pendant et après l’incident à l’origine de cette procédure ne (lui) permet pas, à (s)on sens, de disposer de la distance suffisante pour (se) prononcer, dans un sens ou dans un autre, sur l’action publique » ;

Attendu que, dans une lettre du 19 décembre 2011, adressée au procureur général près la cour d’appel d’ xxxxx, M. X indique qu’il a « signalé à M. I que sa décision de laisser l’enquête sous la responsabilité de la COB de xxxxx (lui) paraissait préjudiciable tant à la victime qu’à la réussite des investigations » ;

Attendu que M. X, entendu par le rapporteur, a indiqué ne pas avoir employé de termes discourtois dans les différents courriers visés ;

Attendu que les appréciations portées sur le déroulement de l’enquête, de même que la remise en cause réitérée de l’impartialité du procureur de la République dans ces différents courriers à l’attention du procureur et du procureur général près la cour d’appel d’ xxxxx, caractérisent de graves manquements à la délicatesse, alors même qu’aucun fait ou comportement ne justifiait de telles dénonciations ;

- Sur le troisième grief de s’être « inscri(t) dans une démarche polémique, dans laquelle il s (‘est) pos(é) en victime et (d’avoir) donn(é) aux incidents dénoncés une importance disproportionnée qui s’est notamment manifestée par l’envoi de nombreux courriers dans lesquels il (a) rem(is) en cause de façon injustifiée le comportement professionnel mais surtout la probité du procureur de la République de xxxxx, des deux procureurs généraux qui se sont succédés à la cour d’appel d’ xxxxx depuis le début de cette affaire et de la première présidente de ladite cour, qu’il (a) accus(é) d’être auteurs d’infractions pénales »

Attendu, s’agissant du procureur de la République de xxxxx, que M. X a adressé le 30 janvier 2012 une lettre à l’attention de Mme J, première présidente de la cour d’appel d’ xxxxx dans laquelle il écrit que « le procureur de la République de xxxxx, dont le rôle a été essentiel, avant, pendant et après l’incident devrait être entendu en qualité de témoin » et que « se posera la question de l’impartialité de ce magistrat, ceci d’autant plus qu’il s’est jusqu’à présent abstenu de répondre à la question que je lui ai posée sur le point de savoir si les accusations calomnieuses ont été portées contre moi dès le compte rendu téléphonique qui lui a été fait pendant l’incident, ce qui caractériserait un autre délit » ; que le 2 octobre 2012, M. X a écrit au procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx que « comme vous le voyez, la gestion de cette procédure pose des questions déontologiques importantes » et « c’est pourquoi, en même temps que je vous saisis d’une nouvelle demande de dessaisissement sur le fondement de l’article 32 alinéa 2 du Code de procédure pénale, j’estime nécessaire d’en informer le Conseil supérieur de la magistrature et Mme la Garde des Sceaux » ; qu’enfin, M. X a indiqué au rapporteur et au cours de l’audience qu’il y avait de « fortes présomptions de faux en écritures » qui pesaient sur le procureur de la République, s’agissant de la date du classement sans suite de sa plainte contre les gendarmes qui aurait été probablement antidatée ;

Attendu, s’agissant de M. P, précédemment procureur général près la cour d’appel d’ xxxxx, que le 21 janvier 2013, M. X a adressé au garde des sceaux une lettre dans laquelle il « estime de (s)on devoir de porter à (sa) connaissance les éléments qui (le) conduiront à faire citer très prochainement, devant le tribunal correctionnel de xxxxx, M. P, inspecteur général des services judiciaires, du chef de dénonciation calomnieuse » en raison de ce que M. P aurait « estimé devoir (…) saisir la première présidente de la cour d’appel d’ xxxxx d’une dénonciation (…), aux fins d’éventuelles poursuites disciplinaires à (s)on encontre » ;

Attendu, s’agissant de Mme J, précédemment première présidente de la cour d’appel d’ xxxxx, que, dans une lettre du 4 mars 2013 transmise au garde des sceaux, M. X a entendu dénoncer « les manquements à la probité et à la loyauté qu’ (il) impute à Mme J », concluant qu’il « ne peu(t) imaginer un seul instant que la qualité de chef de cour de Mme J puisse lui permettre d’échapper aux conséquences disciplinaires de ses actes » ; que, dans une lettre adressée le 20 avril 2013 au garde des Sceaux, M. X rappelait que par courrier du 4 mars 2013, il « portai(t) à (son) attention « les manquements imputables à Mme J, première présidente de la cour d’appel d’ xxxxx, dans sa gestion des suites de l’incident survenu le 9 décembre 2011 à la gendarmerie de xxxxx », ajoutant qu’ « à l’heure où la moralisation de la vie publique est un thème majeur de l’action gouvernementale, il me paraît utile de vous adresser quelques pièces complémentaires vous permettant d’apprécier la valeur morale de l’action de certains responsables de l’institution judiciaire (…)» ;

Attendu, s’agissant de Mme Q, procureur général près la cour d’appel d’ xxxxx, qu’il jugeait sa décision ne pas dépayser la procédure diligentée sur sa plainte contre les gendarmes de xxxxx d’« objectivement incompréhensible » ;

Attendu que la mise en cause injustifiée et sans discernement de la probité et de la déontologie du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, de la première présidente de la cour d’appel d’ xxxxx et des deux procureurs généraux près ladite Cour, constituent des manquements, à la réserve, à la délicatesse, à la prudence et aux devoirs de l’état de magistrat ;

- Sur le quatrième grief d’avoir « médiatis(é) le litige qui l’opposait aux gendarmes de la brigade de xxxxx », d’avoir « rem(is) en cause la qualité de l’enquête diligentée par le parquet de xxxxx ainsi que les décisions du parquet général d’ xxxxx » et de s’être « exprimé comme président de la cour d’assises du xxxxx et donc magistrat particulièrement exposé dont les propos ont une force toute particulière »

Attendu qu’il est reproché à M. X d’avoir médiatisé le litige qui l’opposait aux gendarmes de la brigade de xxxxx et d’avoir remis en cause la qualité de l’enquête diligentée par le parquet de xxxxx ainsi que les décisions du parquet général d’ xxxxx et de s’être exprimé comme président de la cour d’assises du xxxxx ;

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que plusieurs articles relatant la visite du 9 septembre 2011 à la brigade de xxxxx sont parus dans la presse ; qu’un article paru le 6 novembre 2012 dans « V », sous le titre « un classement sans suite fermement contesté », relate que « si X concentre une partie de ses attaques contre les gendarmes, il est également très remonté contre les instances judiciaires. A commencer par le procureur de xxxxx, I, qui vient de classer sans suite la procédure instruite sur l’incident du 9 décembre » ; que, dans un article paru le 6 novembre 2012 dans « Z », titré « le magistrat porte plainte contre l’Etat », sont reproduits les propos de M. X selon lesquels : « je n’ai jamais vu cela dans une brigade, c’est trop grave et c’est mon devoir, c’est le sens que je me fais de mes fonctions de magistrat qui me conduisent à témoigner » ou « ce que j’ai vu est une insulte à l’uniforme des gendarmes : c’est un racisme social » ; que le même jour, dans un article paru dans « V » dont le titre est « il en appelle au garde des Sceaux », il est rapporté les propos de M. X : « j’en appelle à la ministre de la justice, Christiane Taubira, et au ministre de l’intérieur, Manuel Valls, pour qu’une enquête sérieuse soit menée, tant sur le comportement des gendarmes que sur les conditions dans lesquelles cette affaire a été traitée par le parquet de xxxxx et le parquet général d’ xxxxx » ; qu’un autre article du 15 décembre 2012, paru dans « Z », titré « il ne présidera plus la cour d’assises », évoque l’avis favorable de l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel d’ xxxxx à ce que M. X ne préside plus la cour d’assises du xxxxx ;

Attendu que M. X a reconnu avoir répercuté dans la presse l’ensemble de ces faits, justifiant, une fois encore, son comportement par la gravité des faits de discrimination qu’il entendait dénoncer ; qu’il a indiqué au rapporteur qu’il « se trouvait dans un contexte où tout un système institutionnel protégeait les auteurs d’actes insupportables » et « qu’il n’y avait d’autre solution pour faire éclater le scandale dans ce dossier que de (s)’adresser aux ministres concernés » ; qu’il a toutefois expliqué à l’audience ne pas être à l’origine des titres des journaux ;

Attendu que cette médiatisation délibérée constitue, dans les circonstances où elle est intervenue, un manquement au devoir de réserve et de discrétion et a porté une atteinte grave à l’image de la justice et au crédit de l’institution judiciaire, de nature à altérer la confiance des justiciables dans l’institution, d’autant que M. X s’est exprimé en sa qualité de conseiller à la cour d’appel, président de la cour d’assises du xxxxx ;

- Sur le cinquième grief d’avoir « distribu(é) à l’ensemble des magistrats de la cour d’appel, dans leur cases professionnelles, un document portant de graves accusations

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure, sans que ce point ne soit contesté par M. X, que ce dernier a remis un tract de quatre pages intitulé « l’affaire de la gendarmerie et son traitement institutionnel », dans les cases des magistrats de la cour d’appel, ainsi qu’il résulte des témoignages de Mme R, M. S, M. T, présidents de chambre ; qu’il l’a adressé le 20 avril 2013 au garde des Sceaux ;

Attendu que Mme R, présidente de chambre, ayant eu à connaître de la procédure ayant pour origine la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. X, a écrit à la première présidente de la cour d’appel ne pas « souhaite(r) (…) que (s)on casier professionnel qui n’a pas vocation à accueillir un tel tract, soit une nouvelle fois instrumentalisé de la sorte à (s)on insu » ;

Attendu qu’indépendamment de la circonstance que ce document a été remis dans les cases professionnelles des magistrats, ce qui ne constitue pas en soi un fait de nature disciplinaire, le fait qu’un document portant de graves accusations à l’encontre des chefs de cour et de plusieurs autres magistrats ait été ainsi porté à la connaissance de l’ensemble des magistrats de la Cour et du garde des sceaux constitue un manquement à la délicatesse et à la loyauté à l’endroit des chefs de cour et, partant, un manquement aux devoirs de l’état de magistrat ;

***

*Sur le courriel adressé par M. X à Mme N le 31 mai 2013

Attendu que, lors de son audition le 10 avril 2014, par M. Guérin, Mme N, adjudant-chef de gendarmerie, commandant la brigade territoriale de xxxxx, indiquait que M. X avait souhaité la rencontrer, en avril 2013, ce qu’elle avait accepté, après hésitations, après en avoir référé à sa hiérarchie et au procureur de la République de xxxxx ; que lors de cette rencontre, courant mai 2013, M. X lui proposait un arrangement par lequel elle lui indiquerait « qu’il ne nous avait pas traités de « fainéants » ou de « bons à rien » et que « cet arrangement le condui(rait) à retirer la plainte qu’il avait déposée à (s)on encontre à xxxxx, celle-ci étant, en revanche, maintenue à l’encontre de (s)es collègues » ; qu’elle indiquait avoir « répondu qu’(elle) ne pouvai(t) pas accepter de dire cela puisqu(‘elle) l’avai(t) entendu proférer ces propos » ;

Attendu que le 31 mai 2013 à 11 heures 18, Mme N recevait un courriel de la part de M. X dont les deux derniers paragraphes étaient rédigés de la manière suivante :

« Je souhaite, comme vous sans doute, que cette affaire trouve son terme dans les meilleurs délais. C’est pourquoi, je tente de vous convaincre de parler maintenant. Je serai prêt, à cette seule condition, à mettre un terme à toute action contre vous, éventuellement dans le cadre d’un acte juridique écrit dont la rédaction sera supervisée par nos avocats respectifs. Je crois sincèrement que vous avez tout à intérêt à choisir votre avenir plutôt qu’une solidarité aveugle avec vos deux collègues que j’estime, pour ma part, les principaux responsables de cette affaire. Etes-vous certaine que ces collègues vous soutiendraient comme vous le faites aujourd’hui s’ils se trouvaient dans votre position ?

S’il n’y avait qu’1 chance sur 10 pour que cette affaire se termine par votre condamnation par le tribunal correctionnel de xxxxx à une peine d’emprisonnement ferme, serait-il raisonnable de prendre un tel risque de déshonneur, pour vous, pour votre famille et vos proches et de ne pas saisir la chance que je vous offre aujourd’hui ? »

Attendu que ce courriel s’achève par ces mots : « A vous de choisir » ;

Attendu que lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, le Conseil supérieur de la magistrature peut légalement, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance ;

Attendu que M. X a pu s’expliquer à l’audience sur la portée de ces termes contestant qu’ils puissent être considérés comme un acte d’intimidation ;

Attendu cependant que les termes employés dans ce message sont emprunts d’intimidation et d’insinuation et ne pouvaient être ressentis que comme une pression ;

Attendu qu’un tel comportement est indigne de la part d’un magistrat ; que ces faits constituent un manquement non seulement à la dignité, mais également à la délicatesse et à l’honneur ; qu’ils sont contraires à l’état de magistrat ;

***

*Sur l’appréciation de la sanction par le Conseil

Attendu que l’ensemble des agissements retenus par le Conseil témoignent, de la part de M. X, de la perte de ses repères déontologiques, et manifeste une absence préoccupante de pondération, de mesure et de capacité de distanciation ;

Attendu qu’aucun élément ne permettait de justifier un tel comportement de la part de M. X ;

Attendu que M. X s’est placé, sans discernement, dans la posture d’un redresseur de torts ; qu’il a persisté dans ces agissements, malgré l’avertissement délivré par la première présidente de la cour d’appel d’ xxxxx le 14 mai 2013 ;

Attendu que la disproportion et le caractère démesuré de la réaction de M. X tout au long du déroulement de cette affaire ont révélé une incapacité à exercer des fonctions de responsabilité, telles que celles de conseiller à la cour d’appel lesquelles impliquent la possibilité de présider la cour d’assises ;

Attendu que M. X ne paraît plus en mesure, par le comportement qu’il a manifesté, d’exercer des fonctions de responsabilité du 1er grade ; que le Conseil estime devoir prononcer la sanction, prévue à l’article 45, 5° de l’ordonnance statutaire, de la rétrogradation, afin que M. X bénéficie, dans l’exercice de ses fonctions d’un encadrement ;

***

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Mme Catherine Vandier, rapporteure ;

Statuant en audience publique le 27 novembre 2014 pour les débats et le 19 décembre 2014, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce à l’encontre de M. X, conseiller à la cour d’appel de xxxxx, la sanction de rétrogradation, en application de l’article 45, 5° de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée à Madame la Première présidente de la cour d’appel de xxxxx.