Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
02/03/2017
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Blâme avec inscription au dossier
Mots-clés
loyauté à l'égard des collègues
Juge de proximité
crédibilité de l'institution judiciaire
Fonction
juge de proximité
Résumé
Les fautes commises par le juge de proximité poursuivi, ayant évoqué lors de conversations téléphoniques avec un individu qu’elle assistait comme avocat, une procédure pénale qu’elle était appelée à juger en qualité de juge de proximité complétant un tribunal correctionnel, caractérisant des manquements aux devoirs de loyauté à l'égard des collègues et d'impartialité à l'égard des justiciables, justifient le prononcé d'un blâme avec inscription au dossier.

CONSEIL SUPÉRIEUR

DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline

des magistrats du siège

___

Le 2 mars 2017

___

             

 

              Mme X

 

 

DÉCISION

 

 

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège afin de statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des Sceaux, ministre de la justice, contre Mme X, juge de proximité au tribunal de grande instance de xxxxx,

Sous la présidence de M. Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,

En présence de :

M. Jean Danet,

Mme Soraya Amrani-Mekki,

M. Georges-Éric Touchard,

Mme Dominique Pouyaud,

Mme Évelyne Serverin,

M. Guillaume Tusseau,

Mme Paule Aboudaram,

M. Yves Robineau,

M. Alain Lacabarats,

Mme Chantal Bussière,

M. Alain Vogelweith,

Mme Virginie Valton,

Membres du Conseil,

 

Assistés de M. Daniel Barlow, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 41-23 et 43 à 58 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 26 octobre 2015, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires engagées contre Mme X juge de proximité au tribunal de grande instance de xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;  

Vu l’ordonnance du 16 novembre 2015 désignant Mme Paule Aboudaram en qualité de rapporteur ;

Vu l’ordonnance du 2 novembre 2016 prorogeant le délai imparti à Mme Aboudaram pour faire rapport ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X, mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de ses conseils ;

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

Vu le rapport déposé par Mme Aboudaram le 16 novembre 2016, dont Mme X a reçu copie ;

Vu la convocation adressée à Mme X le 10 janvier 2017 et sa notification du 25 janvier 2017 ;

Vu la convocation adressée le 10 janvier 2017 à M. A, avocat au barreau de xxxxx, ancien bâtonnier de l’ordre ;

Vu la convocation adressée le 7 février 2017 à Mme B, juge de l’application des peines au tribunal de grande instance de xxxxx ;

 

Le président de la formation ayant rappelé les termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit au public pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » ;

 

Mme X, comparante, n’ayant formulé aucune demande en ce sens ;

Le rapporteur ayant présenté son rapport, préalablement communiqué aux parties qui ont acquiescé à ce qu’il ne soit pas lu intégralement ;

Après avoir entendu :

- M. Ludovic André, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature, assisté de Mme Perrine Vermont, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice, en ses observations tendant au prononcé d’une mesure de fin des fonctions, conformément à l’article 41-23 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée ;

- Mme X en ses explications et moyens de défense ;

- Maître A en sa plaidoirie ;

  • Mme B en ses observations ;

 

Mme X ayant eu la parole en dernier ;

L’affaire ayant été mise en délibéré, avis ayant été donné que la décision serait rendue le 2 mars 2017, à 14 heures 30, par mise à disposition au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

*

Attendu qu’il est reproché à Mme X d’avoir, lors de conversations téléphoniques, dont une eut lieu à son initiative, évoqué à plusieurs reprises avec un individu qu’elle assistait comme avocat, une procédure pénale qu’elle était appelée à juger en qualité de juge de proximité complétant un tribunal correctionnel ; qu’il lui est notamment fait grief d’avoir, dans ces conditions, échangé avec l’intéressé sur la sévérité de la peine à prononcer et de lui avoir communiqué la composition du tribunal, puis d’avoir siégé dans la formation ayant à connaître de l’affaire à propos de laquelle cet ancien client lui avait demandé d’être sévère

Attendu que Mme X ne conteste pas la matérialité des faits, qui se trouve établie par la retranscription des conversations en cause, à la suite d’interceptions de télécommunications réalisées dans le cadre d’une procédure pénale ;

Qu’il ressort de ces retranscriptions qu’à aucun moment elle n’a opposé une fin de non-recevoir à son interlocuteur, alors même que celui-ci lui demandait, de façon réitérée, de faire preuve de sévérité à l’égard des protagonistes d’une affaire qu’elle était appelée à juger ; qu’ainsi sollicitée, Mme X répondait à plusieurs reprises : « bon d’accord », ponctuant ses réponses de rires, avant de conclure : « D’accord donc je ne tire pas vers le bas comme je fais d’habitude » ; qu’à l’issue d’une autre conversation, elle concluait, reprenant les propos de son interlocuteur : « demain grosse journée pas de cadeau » ;

Que les réponses ainsi faites par Mme X, quelles qu’aient été ses motivations, pouvaient objectivement laisser penser à l’intéressé que ses demandes étaient entendues et qu’il leur serait donné une suite favorable ;

Qu’elle a en outre pris l’initiative d’évoquer à nouveau la procédure avec lui à l’occasion d’une autre conversation téléphonique, lui donnant des précisions sur les conditions d’examen de l’affaire et notamment sur la personnalité d’un autre membre de la formation de jugement ;

Qu’en agissant de la sorte, Mme X a laissé croire à son interlocuteur que le cours de la justice pouvait être influencé, portant ainsi atteinte à l’image d’impartialité de la justice et à la crédibilité de l’institution judiciaire ;

Qu’il est en outre constant et non-contesté, que Mme X ne s’est à aucun moment ouverte de l’existence de ces échanges avec les magistrats siégeant avec elle pour connaître de l’affaire concernée ; que ce silence, qui n’a pas permis à la formation de s’interroger sur les répercussions possibles d’une telle situation sur l’impartialité du tribunal, constitue un manquement au devoir de loyauté ;

Attendu qu’en considération des fautes ainsi caractérisées, il y a lieu de prononcer à l’encontre de Mme X la sanction du blâme avec inscription au dossier ;

 

PAR CES MOTIFS,

 

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Paule Aboudaram, rapporteur,

Statuant en audience publique le 9 février 2017 pour les débats et le 2 mars 2017 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Prononce à l’encontre de Mme X, juge de proximité au tribunal de grande instance de xxxxx, un blâme avec inscription au dossier, en application des dispositions des articles 41-23 et 45, 1°, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx aux fins de notification.