Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
20/04/2022
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement à l'honneur, à la délicatesse et à la dignité du magistrat, Manquement à l'obligation de diligence, au devoir de rigueur et au sens des responsabilités, Manquement au devoir de loyauté à l'égard des collègues, Manquement au devoir de loyauté à l'égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat
Décision
Blâme avec inscription au dossier
Mots-clés
crise sanitaire
covid
devoirs de l'état de président de tribunal judiciaire
loyauté à l'égard des supérieurs hiérarchiques
Fonction
Président de juridiction
Résumé
Le 17 mars 2020, au premier jour du confinement national, M. X, président de tribunal judiciaire, a déclenché le plan de continuité de l’activité de son tribunal avant de se rendre à son domicile familial situé à près de 730 kilomètres. Il a finalement rejoint sa juridiction dix jours plus tard le 27 mars 2020. L’enquête administrative sur ces faits a par ailleurs révélé un mal être au sein de son cabinet qui résulterait d’une pression exercée sur ses collaborateurs, d’un comportement inadapté et insultant. Le CSM a été amené à travers cette décision sur « les devoirs de l’état » d’un président de tribunal judiciaire dans un contexte de crise hors norme. Dans sa motivation, le CSM a ainsi indiqué que « la fonction de chef de juridiction ne se limite pas, en période de crise, à l’organisation du fonctionnement de la juridiction, aussi performante soit-elle ». Il a précisé que « le président d’un tribunal judiciaire est […] le responsable de la juridiction et cette responsabilité suppose exemplarité et disponibilité. Il était ainsi légitimement attendu de M. X qu’il veille sur place à l’exécution du plan de continuité de l’activité en procédant aux nombreux ajustements et corrections nécessaires, a fortiori pendant les premières semaines du confinement et alors même que la mise en place d’un tel plan était un exercice totalement inédit pour les juridictions. Il lui appartenait également d’assurer un soutien moral de proximité auprès des magistrats et fonctionnaires présents, de les accompagner et de partager leur quotidien dans un contexte anxiogène. Pour ces raisons, il était donc de son devoir d’être présent ou à proximité et de pouvoir intervenir à tout moment en se rendant sur place afin de répondre aux légitimes sollicitations des personnels de justice tout en respectant les consignes sanitaires. Il s’agissait en l’espèce non seulement d’appliquer une circulaire relative à la gestion de la crise sanitaire dans les juridictions, mais de répondre à des principes déontologiques intrinsèquement liés à sa qualité de chef de juridiction ». Le CSM a également considéré que qu’en restant imprécis sur l’endroit dans lequel il se trouvait réellement, et ce pendant plusieurs jours, M. X avait manqué à son obligation de loyauté envers sa supérieure hiérarchique dans une période de crise aiguë. Il a rejeté les griefs liés au comportement inadapté à l’égard des membres de son cabinet, considérant que les faits n’étaient pas suffisamment étayés. Le ministre de la justice a abandonné à l’audience les griefs liés à l’absence d‘instructions précises sur le fonctionnement de la chaine hiérarchique.

 

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X

Président du tribunal judiciaire de xxxxx

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de Mme Chantal Arens, Première présidente de la Cour de cassation, présidente de la formation,

 

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel

M. Yves Saint-Geours

Mme Hélène Pauliat

Mme Natalie Fricero

M. Jean-Christophe Galloux

M. Frank Natali

M. Olivier Schrameck

M. Didier Guérin

M. Régis Vanhasbrouck

M. Benoit Giraud

Mme Virginie Duval

M. Benoist Hurel

M. Cédric Cabut

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature, de M. Jean-Baptiste Crabières, secrétaire général adjoint et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 21 avril 2021, reçue au Conseil le 26 avril 2021, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 3 mai 2021 désignant M. Yves Saint-Geours en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de son conseil ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation signifiée à M. X le 23 février 2022 ;

 

Vu les convocations adressées le 16 février 2022 à Maître A, désigné par M. X pour l’assister, Mme B et Mme C ;

 

Vu le mémoire produit par Maître A, aux intérêts de M. X ;

 

Après avoir entendu :

 

- le rapport de M. Yves Saint-Geours ;

 

- les observations de M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, assisté de Madame Delphine Yeponde, magistrate, cheffe de bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, et de Mme Alexia Cussac, magistrate au bureau du statut et de la déontologie du ministère de la justice, représentant du garde des Sceaux, qui a demandé la sanction de décharge d’activité assortie d’un déplacement d’office à l’encontre de M. X ;

- les explications et moyens de défense de M. X et de Maître A ainsi que Mme B, M. X ayant eu la parole en dernier ;

 

A rendu la présente

 

 

dÉcision

 

 SUR LA PROCEDURE

 

Par courrier du 9 mars 2022, Maître A, conseil de M. X, a sollicité l’audition de Mme D, actuelle cheffe de cabinet de M. X.

Si cette demande n’entre pas dans les prévisions des articles 51 à 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 qui confient au rapporteur le soin d’entendre les témoins et plus généralement d’accomplir tous actes d’investigation utiles, elles ne font pas obstacle à ce que le Conseil, à titre exceptionnel, décide l’audition d’une personne.

En l’espèce, il apparaît que l’audition de Mme D présente un intérêt pour éclairer le Conseil sur le comportement de M. X à l’égard des membres de son cabinet.

Il s’ensuit que la demande est recevable et bien fondée.

 

SUR LE FOND

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux relève quatre griefs disciplinaires portant sur des manquements imputés à M. X :

 

- Un manquement au devoir de loyauté vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, en n’informant que très tardivement la première présidente de la cour d’appel de sa situation géographique, et ce malgré de nombreuses relances de cette dernière ;

- Un manquement au devoir de loyauté et aux devoirs de son état, en quittant la juridiction sans en avertir l’ensemble des magistrats et des fonctionnaires, et en se retirant dans un contexte de crise hors norme ;

- Un manquement au devoir de rigueur et de diligence qui lui incombe en sa qualité de chef de juridiction, en laissant magistrats et fonctionnaires sans instructions précises sur le fonctionnement de la chaîne hiérarchique ;

- Un manquement à ses devoirs de délicatesse et de dignité, en tenant des propos dévalorisants et en adoptant un comportement inadapté à l’égard des membres de son cabinet, en tenant des propos insultants à l’égard de ses collègues et des fonctionnaires.

 

 

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

Les faits à l’origine des poursuites disciplinaires

 

M. X a été installé en qualité de président du tribunal judiciaire de xxxxx le 2 janvier 2017. Le 17 mars 2020, au premier jour du confinement national et après le déclenchement du plan de continuité de l’activité dans son tribunal, il quittait le ressort de sa juridiction pour se rendre à son domicile familial à xxxxx dans les xxxxx situé à une distance de près de 730 kilomètres. M. X rejoignait sa juridiction le 27 mars 2020.

 

La première présidente de la cour d’appel de xxxxx estimant que le comportement de ce magistrat constituait un manquement à ses obligations déontologiques sollicitait auprès de la direction des services judiciaires la saisine de l’inspection générale de la justice. Cette dernière, saisie le 3 juillet 2020 par lettre de mission du garde des Sceaux, transmettait son rapport le 16 décembre 2020.

 

Outre l’enquête relative au départ de la juridiction de son président, la mission faisait état d’un mal-être au sein du cabinet de M. X en raison de la pression exercée par ce dernier sur ses collaborateurs et de son comportement inadapté et insultant à l’égard de certains.

 

 

Sur le manquement au devoir de loyauté à l’égard de la première présidente de la cour d’appel de xxxxx, en n’informant que très tardivement de sa situation géographique et ce malgré de nombreuses relances de cette dernière

Il est établi que le président et la première présidente ont eu, dans les jours qui précédaient le départ de M. X, une ou deux conversations téléphoniques, et qu’il avait été question de ce que ferait M. X les jours suivants. Leurs souvenirs divergent en revanche nettement sur l’exacte teneur de leurs échanges.

Toutefois, les échanges de mails des 20 et 22 mars suivants établissent sans conteste que la première présidente n’était pas informée de l’intention de M. X d’aller passer au moins neuf jours à plusieurs centaines de kilomètres du tribunal judiciaire de xxxxx en plein déclenchement de la crise sanitaire.

Ainsi, dans son courrier du 20 mars 2020, transmis par mail et intitulé « obligation de service », la première présidente a fait état de ce qu’elle venait d’apprendre le départ de M. X « pour rejoindre votre domicile familial à xxxxx », a ajouté qu’elle n’avait pas été informée de son départ « du ressort du tribunal judiciaire de xxxxx », et elle lui a rappelé clairement « que conformément aux plans de continuité d’activité, la direction de la juridiction est une mission essentielle qui est maintenue », insistant sur la nécessité pour les présidents « d’accompagner et de soutenir les magistrats et les fonctionnaires de permanence ».

Il en résulte de façon certaine que l’information apportée par M. X n’avait pas été précise étant en outre relevé que la première présidente croyait, après avoir été informée du départ de celui-ci, que ce domicile familial était situé à xxxxx alors qu’il se trouvait en réalité près d’xxxxx.

De même, dans sa réponse du surlendemain, M. X s’est contenté de lui indiquer que son domicile familial ne se situait « pas à xxxxx », sans lui dire exactement où il se trouvait. Il n’a alors nullement affirmé qu’il avait donné à sa supérieure hiérarchique, au cours de leurs échanges des jours précédents, des informations qui lui auraient permis de comprendre la situation dans laquelle il se mettait. Au contraire, il a écrit : « je vous avais fait part spontanément lundi dernier de ce que j’envisageais d’alterner les permanences de présence de la direction de la juridiction entre des premiers vice-présidents et moi-même et que, en dehors de mes périodes de présence, je serais confiné à mon domicile en dehors du ressort pour y travailler ».

Il doit être relevé qu’à réception du mail du 20 mars 2020, M. X n’a nullement envisagé de regagner sa résidence administrative, ainsi que celui-ci l’y invitait implicitement mais nécessairement.

Mais surtout, la conviction de la première présidente de ce que M. X était demeuré à proximité de la juridiction xxxxxeoise pouvait être d’autant plus établie que la résidence administrative de M. X était fixée sur la commune d’xxxxx. Or, les consignes sanitaires de l’époque faisaient obligation à tout citoyen de résider dans son domicile, qui ne pouvait s’entendre, pour les chefs de juridiction, que de leur résidence administrative.

A cet égard, la confusion entretenue depuis l’origine et jusqu’à l’audience par M. X sur la nature du domicile qui était le sien à l’époque ne saurait prospérer, en l’absence de toute dérogation à son obligation de résidence, dérogation dont l’octroi est, du reste, de la compétence du garde des Sceaux.

Il peut enfin être constaté que les relances de la première présidente, même si elles n’ont pas été « nombreuses » comme indiqué dans l’acte de saisine, ont consisté en deux courriers transmis par mail, et que le second, en date du 26 mars, a été reçu par M. X au moment où il avait déjà regagné sa résidence administrative.

Il résulte de ces considérations qu’en restant imprécis sur l’endroit dans lequel il se trouvait réellement, et ce pendant plusieurs jours, M. X a manqué à son obligation de loyauté envers sa supérieure hiérarchique dans une période de crise aiguë.

 

Sur le manquement au devoir de loyauté et aux devoirs de son état, en quittant la juridiction sans en avertir l’ensemble des magistrats et des fonctionnaires, et en se retirant dans un contexte de crise hors norme

En premier lieu, il est reproché au président du tribunal judiciaire de xxxxx de ne pas avoir averti l’ensemble des magistrats et des fonctionnaires de sa juridiction et d’avoir ainsi manqué à son devoir de loyauté.

En l’espèce, M. X a réuni le 16 mars 2020 les coordonnateurs de pôle, les informant de son départ de la juridiction. Il est également établi qu’il a avisé la procureure de la République, la directrice de greffe ainsi que ses deux secrétaires et la cheffe de cabinet.

Il résulte du rapport de l’inspection générale des services que M. X a, dès son installation, réorganisé la juridiction en instaurant des pôles par contentieux, chacun animé par un premier vice-président ou vice-président qu’il réunissait régulièrement. Cette organisation pyramidale permettait aisément aux coordonnateurs de prévenir l’ensemble des magistrats de leur pôle du départ du chef de juridiction. De même, en avisant de son départ la procureure de la République et la directrice de greffe, M. X pouvait valablement considérer que les magistrats du parquet et l’ensemble des fonctionnaires en seraient informés. En ce sens, il n’a pas manqué à son obligation de loyauté à l’égard des magistrats et fonctionnaires de la juridiction.

Le grief tenant de ce chef sera, en conséquence, écarté.

En second lieu, il lui est reproché de s’être retiré de la juridiction dans un contexte de crise hors norme.

En l’espèce, il n’est pas contesté que face à cette situation sans précédent de crise sanitaire, M. X a fait le choix de quitter sa juridiction pour se confiner, dès le premier jour, à son domicile familial à près de 730 kilomètres. Il explique à l’audience qu’il est parti « l’esprit serein » car il avait « tout préparé » en amont : le plan de continuité de l’activité, et l’ordonnance dérogatoire de roulement qui organisait notamment sa suppléance durant son absence. En outre, tous les témoignages mettent en avant sa réactivité pendant cette période, que ce soit par téléphone ou par courriel, pour apporter une réponse aux difficultés qui pouvaient se poser. Enfin, aucun dysfonctionnement pendant sa période d’absence ne lui est imputé.

Toutefois, la fonction de chef de juridiction ne se limite pas, en période de crise, à l’organisation du fonctionnement de la juridiction, aussi performante soit-elle. D’ailleurs, si M. X différencie à l’audience « présence physique » et « obligation de service », il a néanmoins veillé dans son ordonnance de roulement à une présence quotidienne en alternance des premiers vice-présidents, témoignant ainsi du caractère essentiel de la présence sur place de la hiérarchie. La procureure de la République près ledit tribunal exprime cette position quand elle précise lors de son audition « j’ai senti dans mon équipe que ma présence était importante. Quand je faisais le tour des locaux, je n’allais pas voir que les collègues du parquet ». De même, la directrice de greffe a indiqué « pour la direction de greffe, il me paraissait indispensable d’être en présentiel compte tenu de toutes les questions pratiques qui se posaient, surtout lors de la première semaine de confinement ». L’absence du président dans ce contexte n’a pu que renvoyer l’image d’une gestion déséquilibrée de la juridiction.

Il résulte de plusieurs témoignages de magistrats et de fonctionnaires que l’absence du président du tribunal a pu surprendre, voire choquer. M. E, représentant local du syndicat de la magistrature, souligne ainsi que « les personnels se sont plaints à moi de son absence. Les greffiers en particulier ont été choqués de ce que le président soit parti alors que la procureure était présente ». Mme F, vice-présidente, indique que « d’autres collègues avec lesquels j’ai discuté ont considéré que ce comportement était inadmissible parce qu’on ne quitte pas le navire ». M. X n’a informé personne des raisons pour lesquelles il se rendait à son domicile familial tenant à la situation de sa mère, raisons qu’il n’a invoquées que tardivement et de manière peu étayée.

Le président d’un tribunal judiciaire est en effet le responsable de la juridiction et cette responsabilité suppose exemplarité et disponibilité. Il était ainsi légitimement attendu de M. X qu’il veille sur place à l’exécution du plan de continuité de l’activité en procédant aux nombreux ajustements et corrections nécessaires, a fortiori   pendant les premières semaines du confinement et alors même que la mise en place d’un tel plan était un exercice totalement inédit pour les juridictions. Il lui appartenait également d’assurer un soutien moral de proximité auprès des magistrats et fonctionnaires présents, de les accompagner et de partager leur quotidien dans un contexte anxiogène. Pour ces raisons, il était donc de son devoir d’être présent ou à proximité et de pouvoir intervenir à tout moment en se rendant sur place afin de répondre aux légitimes sollicitations des personnels de justice tout en respectant les consignes sanitaires. Il s’agissait en l’espèce non seulement d’appliquer une circulaire relative à la gestion de la crise sanitaire dans les juridictions, mais de répondre à des principes déontologiques intrinsèquement liés à sa qualité de chef de juridiction.

En ce sens, M. X a manqué aux devoirs de son état de président du tribunal judicaire de xxxxx.

 

Un manquement au devoir de rigueur et de diligence qui lui incombe en sa qualité de chef de juridiction, en laissant magistrats et fonctionnaires sans instructions précises sur le fonctionnement de la chaîne hiérarchique

Le directeur des services judiciaires a déclaré à l’audience ne pas soutenir les poursuites de ce chef.

 

En l’espèce, il n’est pas contesté que le président X a fixé des instructions précises dans le cadre du plan de continuité de l’activité et de l’ordonnance de roulement sur le fonctionnement de la chaîne hiérarchique et qu’aucun dysfonctionnement ne peut lui être imputé.

Le grief tenant de ce chef sera, en conséquence, écarté.

 

Un manquement à ses devoirs de délicatesse et de dignité, en tenant des propos dévalorisants et en adoptant un comportement inadapté à l’égard des membres de son cabinet, en tenant des propos insultants à l’égard de ses collègues et des fonctionnaires.

La mission de l’inspection a mis en exergue un taux de rotation des effectifs élevé, huit agents se succédant sur trois postes entre janvier 2017 et septembre 2020, qui traduirait le mal-être des membres du cabinet de la présidence. Mme G, cheffe de cabinet, Mme H et Mme I, membres de ce même cabinet, ont fait part de la pression du président à l’occasion de l’exercice de leur activité professionnelle et de l’insistance de ce dernier pour une exécution rapide des tâches demandées, ainsi que des appels téléphoniques de M. X à leur domicile en dehors des heures de travail.

Ces personnes ont fait également état, dans leurs auditions, de remarques blessantes de M. X les concernant. Mme J, greffière, indiquait avoir été très déstabilisée par les remarques du président sur sa personnalité et notamment sur sa voix qu’il aurait qualifié d’« enfantine et pas finie ». Mme H soulignait que le président la nommait « soldat » puis l’avait « traitée d’insubordonnée » en lien avec son activité professionnelle antérieure de militaire. Mme G exposait qu’il l’avait traitée de « minable » et avait remis en cause son positionnement avec les secrétaires ainsi que sa compétence. Mme J dénonçait également les critiques du président sur le fait d’avoir répondu favorablement à une demande de la première présidente de la cour d’appel de xxxxx alors qu’elle n’était pas sa supérieure hiérarchique.

M. X, s’il ne conteste pas certaines des situations évoquées, nie les propos qui lui sont attribués tant sur la forme que sur le fond.

Il résulte des pièces du dossier que d’autres membres de son cabinet ou de cabinets antérieurs ont au contraire relaté le comportement adapté et bienveillant de M. X, comme le témoignage à l’audience de son actuelle cheffe de cabinet. De même, les représentants locaux des syndicats de magistrats et de fonctionnaires ont fait état d’un président attentif au dialogue social sans soulever de critiques particulières sur son attitude envers ses collaborateurs. Enfin, il n’est pas fait état dans ses précédentes évaluations d’une difficulté relationnelle avec ses subordonnées.

S’il ne s’agit pas de nier le mal-être ressenti par certains membres de son cabinet, ainsi que le management apparemment directif de M. X, les propos qualifiés de dévalorisants ou insultants ne sont pas suffisamment étayés pour constituer un manquement disciplinaire.

Le grief tenant de ce chef sera, en conséquence, écarté.

 

 

SUR LA SANCTION

 

Le manquement essentiel retenu à l’encontre de M. X est de ne pas être resté présent auprès des magistrats et fonctionnaires de son tribunal, ou à proximité immédiate afin d’intervenir très rapidement, alors même que la juridiction faisait face à une crise sanitaire d’une ampleur inédite. En sa qualité de chef de juridiction, il se devait de ne pas se limiter à prévoir une organisation opérante mais également d’être présent, ou facilement mobilisable, pour en assurer l’adaptation et pour soutenir moralement les magistrats et fonctionnaires présents dans la juridiction. Il a également manqué à son devoir de loyauté en restant imprécis auprès de la première présidente de la cour d’appel de xxxxx sur le lieu où il se trouvait confiné.

 

Si ces manquements portent atteinte aux devoirs de son état de chef de juridiction, il s’insère toutefois dans la carrière jusque-là sans faute de M. X qui a occupé quatre postes de président de tribunal judiciaire et a été décrit comme un remarquable chef de juridiction « pragmatique, moderne et innovant », démontrant ainsi des qualités indéniables d’animation et de coordination.

 

Ainsi, une sanction qui le priverait de ses fonctions actuelles de chef de juridiction serait d’une rigueur inadaptée.

 

En conséquence, la sanction de blâme avec inscription au dossier sera prononcée.

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Yves Saint-Geours, rapporteur ;

Statuant en audience publique le 16 mars 2022 pour les débats et le 20 avril 2022 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce à l’encontre de M. X la sanction de blâme avec inscription au dossier ;

La présente décision sera notifiée à M. X ;

Une copie sera adressée à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

 

La secrétaire générale

 

 

Sophie Rey

La présidente

 

 

Chantal Arens