Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline des magistrats du siège |
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DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE
Dans la procédure mettant en cause :
M. X
Vice-président en charge des fonctions de juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Xx,
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Christophe SOULARD, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,
En présence de :
Mme Sandrine CLAVEL
M. Yves SAINT-GEOURS
M. Georges BERGOUGNOUS
Mme Natalie FRICERO
M. Frank NATALI
M. Jean-Christophe GALLOUX
M. Olivier SCHRAMECK
M. Didier GUERIN
M. Régis VANHASBROUCK
M. Benoit GIRAUD
Mme Virginie DUVAL
Mme Dominique SAUVES
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de M. Jean-Baptiste CRABIERES, secrétaire général adjoint du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie VAUDRY, greffière principale ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 11 janvier 2022, reçu au Conseil le 17 janvier 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;
Vu l’ordonnance du 24 janvier 2022 désignant M. Yves SAINT GEOURS en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A et à Me B, avocats au barreau de Xx, désignés par l’intéressé pour l’assister ;
Vu la copie de l’entière procédure délivrée à monsieur X et à son premier conseil, Me A ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation à l’audience du 4 janvier 2023, adressée à monsieur le premier président de la Cour d’appel de Xx pour notification à M. X par courrier recommandé avec accusé de réception envoyée le 9 décembre 2022 dont l’accusé réception a été signé le 12 décembre 2022 et qui a été notifié par la voie hiérarchique le 16 décembre 2022 ;
Vu la convocation à l’audience susvisée adressée par voie dématérialisée le 9 décembre 2022 à Maître A et Maître B, courriers qui ont été téléchargés le jour même ;
Vu les conclusions de nullité et le mémoire au fond produits par Me A et Me B au soutien des intérêts de M. X ;
Les débats s’étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le 4 janvier 2023 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de monsieur Yves SAINT GEOURS ;
- les observations de madame Soizic GUILLAUME, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de madame Alexia CUSSAC, magistrate au bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, qui a demandé le prononcé de la sanction disciplinaire d’interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée de cinq ans assortie du déplacement d'office, prévue par les articles 2° et 3°bis de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;
- les explications et moyens de défense de monsieur X, Maître A et Maître B avocats au barreau de Xx, monsieur X ayant eu la parole en dernier ;
- Monsieur C, Maîtres D, E, F, G et H, avocats au barreau de Xx, témoins cités par la défense ;
A rendu la présente
DÉCISION
L’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, relève plusieurs griefs portant sur des manquements imputés à M. X, à savoir :
- Un manquement aux devoirs de son état de magistrat en se présentant aux audiences de façon tardive, et ce de manière récurrente, en ne préparant pas ou insuffisamment ses dossiers et audiences, en laissant le soin au greffe de gérer les conséquences de ses carences ou retards ;
- Un manquement au devoir de délicatesse, de dignité et aux devoirs de son état en tenant des propos désinvoltes, désobligeants voire grossiers ou moqueurs, et en usant d'un humour déplacé ou d'une tonalité d'audience inadaptée, vis-à-vis des justiciables ;
- Un manquement à son obligation de loyauté qui s’entend du respect de la règle de droit (légalité), de la loyauté dans l’activité juridictionnelle et vis-à-vis des fonctionnaires en tenant des audiences sans greffier ou en évoquant des dossiers sans débat, en méconnaissance des règles de procédure, et en négligeant le rôle du greffier ;
- Un manquement à l’obligation d’impartialité en échangeant ses coordonnées personnelles avec une avocate au cours d'une audience le 21 juillet 2020 ou encore en évoquant des thématiques personnelles étrangères aux débats avec des conseils ;
- Un manquement aux obligations de réserve, de prudence et de délicatesse en utilisant dans ses tweets des 16 et 17 mars 2019 pour décrire le mouvement dit des « gilets jaunes ››, les termes « exactions ››, « nervis d'extrême-gauche ››, « peste noire ››, expressions outrancières, ou encore en adoptant publiquement dans plusieurs publications Twitter un positionnement dénigrant ses collègues magistrats, au sein de la juridiction européenne et des juridictions françaises et en portant une appréciation sur leurs décisions juridictionnelles les accusant de laxisme ;
- Un manquement au devoir d’impartialité en faisant part de ses opinions personnelles sur les réseaux sociaux dans des termes outranciers ;
- Une atteinte à l’image de la justice auprès des partenaires de l’institution judiciaire mais aussi largement auprès des justiciables en adoptant un tel comportement.
Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
Sur les exceptions de procédure
A l’audience, le conseil de monsieur X a précisé que les conclusions relatives à la composition du Conseil ne devaient pas s’analyser comme une demande de récusation mais comme une simple observation. Il sera en tout état de cause rappelé les termes de la décision n°2010-611 DC du 19 juillet 2010 du Conseil constitutionnel selon laquelle « les membres du Conseil supérieur de la magistrature, dont la liste est fixée par l'article 65 de la Constitution, tiennent de cet article le droit et le devoir de participer aux travaux et aux délibérations de ce conseil ».
Sur l’illégalité de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature pour violation des articles 225-1 et suivants du code pénal
Monsieur X considère que la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le garde des Sceaux constituerait une discrimination au sens des articles 225-1 et suivants du code pénal en ce qu’elle viserait directement son action syndicale. Il conclut de ce fait à la nullité de la saisine du Conseil.
L’argumentation de monsieur X relève d’un débat au fond. Elle ne saurait en conséquence conduire à la nullité de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature.
Sur l’illégalité de la saisine de l’Inspection générale de la Justice pour incompétence de la directrice de cabinet
Monsieur X conclut à la nullité de la saisine de l’Inspection générale de la Justice, la lettre de mission étant signée par la directrice de cabinet du ministre de la justice alors que l’Inspection générale de la Justice ne peut être saisie d’une enquête administrative sur la manière de servir d’un magistrat que par le garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Il résulte de l’article 2 du décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que les ministres et secrétaires d'Etat peuvent, par un arrêté publié au Journal officiel de la République française, donner délégation pour signer tous actes, à l'exception des décrets, au directeur et au chef de leur cabinet, ainsi qu'à leurs adjoints.
Une telle délégation a été donnée par le garde des Sceaux à sa directrice de cabinet par arrêté du 16 juillet 2020.
La directrice de cabinet pouvait donc valablement saisir l’Inspection générale de la Justice par lettre de mission du 19 mars 2021, le recours à des mentions du type « pour le ministre et par délégation » étant ici superfétatoire.
Sur l’illégalité de la saisine de l’Inspection générale de la Justice pour violation des articles 225-1 et suivants du code pénal
Monsieur X considère que la saisine de l’Inspection générale de la Justice constituerait une discrimination au sens des articles 225-1 et suivants du code pénal en ce qu’elle viserait directement son action syndicale. Il conclut de ce fait à la nullité de la saisine de l’Inspection générale de la Justice.
L’argumentation de monsieur X relève d’un débat au fond. Elle ne saurait en conséquence conduire à la nullité de la saisine de l’Inspection générale de la Justice par le garde des Sceaux.
Sur la violation du secret de l’instruction par l’Inspection générale de la Justice
Monsieur X indique que certaines pièces versées au dossier de l’Inspection générale de la Justice étaient couvertes par le secret de l’instruction, alors que ce service ne figure pas au nombre des services administratifs pouvant légalement prendre connaissance de pièces couvertes par le secret en question.
Conformément au décret du 5 décembre 2016, les membres de l’Inspection générale de la Justice disposent d’un pouvoir général d’investigation, de vérification et de contrôle sur les juridictions, directions, établissements, services et organismes qui sont tenus de leur prêter leur concours, de leur fournir toutes justifications et tous renseignements utiles et de leur communiquer tous documents, pièces et éléments nécessaires. Des pièces tirées d’une enquête pénale en cours peuvent ainsi être versées au dossier disciplinaire dans le cadre d’une enquête administrative dès lors qu’elles font l’objet d’un débat contradictoire et que leur usage ne porte pas atteinte aux droits des parties concernées par cette enquête pénale.
En l’espèce, les pièces visées ont fait l’objet d’un débat contradictoire et n’ont pas porté atteinte aux droits des parties concernées par la procédure pénale. L’argumentation de monsieur X ne saurait donc prospérer.
Sur les faits à l’origine de la poursuite disciplinaire
Le 1er juillet 2019, un article publié sur le site internet de l’Obs a fait état des questionnements d’avocats quant à l’impartialité de monsieur X, vice-président chargé des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Xx.
L’article a rapporté certaines formulations d’une ordonnance du 29 mai 2019 rendue par monsieur X rejetant une demande de mise en liberté d’un individu présenté comme militant antifasciste, notamment en ce qu’il évoquait « le même lâche mode opératoire « antifa » semblant être toujours utilisé, en l’espèce, l’agression sauvage d’une victime isolée par une bande de nervis d’extrême-gauche ». Le lien a par ailleurs été fait entre les termes de cette ordonnance et les propos que ce magistrat tenait sur Twitter.
En effet, monsieur X dispose d’un compte Twitter sur lequel il fait état de ses responsabilités politiques et syndicales et où il avait notamment tenu les propos suivants :
- le 16 mars 2019, en réaction à des évènements survenus en marge d’une manifestation des gilets jaunes : « Les conséquences des exactions des antifas et autres nervis d’extrême gauche…#incendie criminel #Acte XVIII #Acte18 » ;
- le 17 mars 2019 en réaction à une mise en cause de son impartialité par un internaute : « arrêtez de dire les « gilets jaunes » … Osez nommer la peste noire qui sévit dans nos rues tous les samedis : extrême-gauche, antifas, blackblocks. Et nos services les connaissent, il serait grand temps de les stopper, policièrement et judiciairement ».
Par dépêche du 3 janvier 2020, le directeur des services judiciaires du ministère de la justice a sollicité le premier président de la cour d’appel de Xx afin que soient recueillies les observations de ce magistrat.
Après avoir entendu l’intéressé, le président du tribunal judiciaire de Xx a indiqué au premier président, par dépêche du 7 février 2020 : « monsieur X entretient une confusion dans ses communications sur Twitter entre son engagement syndical de longue date et ses propos qu’il considère comme n’étant pas inadaptés au regard des obligations déontologiques du magistrat ». Le président a également observé que Monsieur X était personnellement identifié comme titulaire du compte, sa notice biographique se référant « sans ambiguïté à ses fonctions juridictionnelles ». Il a toutefois ajouté que l’intéressé avait accepté de modifier son compte Twitter afin que figure l’identité « X I », « plus conforme aux raisons de sa communication sur ce média ». Il a encore précisé que le comportement de monsieur X avait déjà rendu nécessaires plusieurs rappels des obligations déontologiques. Au regard de ces éléments, le premier président de la Cour d’appel de Xx a répondu au directeur des services judiciaires que monsieur X semblait « avoir pris conscience des exigences en terme d’impartialité et de réserve » et qu’aucune suite disciplinaire ne lui apparaissait nécessaire.
En fin d’année 2020, monsieur X a publié de nouveaux tweets :
- Le 8 octobre 2020, à la suite d’un arrêt de la cour de justice de l’Union européenne : « les trafiquants de stupéfiants et autres criminels remercient vivement la CJUE qui vient de faire sauter des milliers de procédures et qui va empêcher concrètement les enquêtes » ;
- Le 27 octobre 2020 : « le totalitarisme climatique vous poursuivra jusque dans la mort… #Khmers Verts » accompagné d’un émoticon de personnage vomissant ;
- Le 1er décembre 2020, commentant l’activité pénale des juridictions pour mineurs : « des milliers de poursuites pénales abandonnées dans les tribunaux pour enfants : Bienvenue au « Laxistan dans la certitude de l’absence de peine. Même Taubira n’avait pas osé aller aussi loin !! #Antijustice #Beccaria ».
Ces éléments ont conduit le garde des Sceaux, ministre de la Justice, à saisir l’Inspection générale de la Justice d’une enquête administrative à son encontre le 19 mars 2021. L’inspection a rendu son rapport le 4 décembre 2021.
Dans le cadre de ses investigations, l’Inspection générale de la Justice a relevé différents éléments relatifs à l’investissement de l’intéressé dans ses fonctions juridictionnelles.
En effet, le coordonnateur du service dont dépend monsieur X a précisé que celui-ci ne s’inscrivait que « difficilement dans une politique de service ». Les magistrats et fonctionnaires entendus ont décrit l’intéressé comme privilégiant la rapidité au détriment de la qualité, étant absent au moment de la répartition des dossiers, n’étudiant pas les dossiers à l’avance, arrivant au dernier moment à l’audience, ainsi qu’étant difficilement joignable. En particulier, le directeur de greffe du service du JLD a fait état de retours « d’un nombre assez important d’agents et de greffiers » quant aux retards de monsieur X, au point de créer des difficultés face à certains délais légaux impératifs et une grande insécurité des agents contraints de le chercher. Plusieurs mails internes à la juridiction ont été versés au dossier, faisant état des difficultés du greffe sur ce point.
Ont été également évoqués des comportements inadaptés au cours des audiences : propos désinvoltes ou désobligeants voire grossiers, humour déplacé, tonalité d’audience inadaptée ou bien encore propos moqueurs vis-à-vis des détenus.
L’Inspection générale de la Justice a relevé par ailleurs que l’intéressé pouvait s’affranchir de certaines règles de procédure, par exemple en prenant des actes sans la présence de greffiers, en indiquant sa décision avant tout débat ou en recevant des demandes de nullité en dehors du cadre légal.
L’Inspection a relevé enfin le positionnement « sujet à interprétation » de monsieur X. Elle a évoqué plus particulièrement une audience du 21 juillet 2020 à l’occasion de laquelle l’intéressé aurait échangé ses coordonnées personnelles avec une avocate.
Entendu à plusieurs reprises par le rapporteur du Conseil supérieur de la magistrature, monsieur X a réfuté l’ensemble des manquements disciplinaires qui lui étaient reprochés par le garde de Sceaux. Il a indiqué avoir toujours fait preuve de disponibilité, s’organisant de manière à respecter les délais. Il a réfuté tout manquement procédural dans son activité juridictionnelle, expliquant n’avoir jamais eu de reproches de justiciables quant aux échanges qu’il pouvait avoir avec eux à l’audience, niant avoir échangé ses coordonnées téléphoniques avec une avocate en audience, faisant état de l’animosité éprouvée à son égard par des magistrats de son service afin d’expliquer certains reproches et indiquant que ses propos sur Twitter relevaient de son engagement syndical et politique sans dépasser le ton parfois offensif qui pouvait être celui d’autres syndicats de magistrats. Il a renouvelé ses dénégations à l’audience, faisant citer plusieurs avocats qui ont loué ses qualités juridiques et humaines ainsi que la bonne tenue de ses audiences.
Sur les griefs et manquements
S’agissant du manquement aux devoirs de son état de magistrat en se présentant aux audiences de façon tardive, et ce de manière récurrente, en ne préparant pas ou insuffisamment ses dossiers et audiences, en laissant le soin au greffe de gérer les conséquences de ses carences ou retards.
Les auditions de magistrats et fonctionnaires, par leur nombre et leur concordance quant au comportement décrit, confortées par plusieurs échanges de mails tant internes à la juridiction qu’émanant de services partenaires, établissent le caractère fréquent des retards et des difficultés pour joindre monsieur X. Ces retards ont eu un impact certain sur le fonctionnement du service et ont été source de stress pour les greffiers et fonctionnaires. A cet égard, monsieur X a manqué aux devoirs de son état de magistrat.
En revanche, les investigations n’ont pas permis de démontrer avec certitude que l’intéressé préparerait insuffisamment ses dossiers, seules quelques décisions étant mises en exergue par l’Inspection générale de la Justice au regard du nombre très important de décisions prononcées par ce magistrat sur plusieurs années.
S’agissant du manquement au devoir de délicatesse, de dignité et aux devoirs de son état en tenant des propos désinvoltes, désobligeants voire grossiers ou moqueurs, et en usant d'un humour déplacé ou d'une tonalité d'audience inadaptée, vis-à-vis des justiciables.
Si les éléments du dossier font état d’une certaine décontraction dans la tenue des audiences – ce que monsieur X a par ailleurs reconnu devant le Conseil en faisant état de sa volonté de mettre à l’aise le justiciable – les quelques épisodes relatés dans le rapport de l’Inspection, pour regrettables qu’ils puissent être, n’établissent pas suffisamment un comportement à l’audience d’une gravité telle qu’il revêtirait une qualification disciplinaire.
S’agissant du manquement à son obligation de loyauté qui s’entend du respect de la règle de droit (légalité), de la loyauté dans l’activité juridictionnelle et vis-à-vis des fonctionnaires en tenant des audiences sans greffier ou en évoquant des dossiers sans débat, en méconnaissance des règles de procédure, et en négligeant le rôle du greffier.
Les éléments relatés dans le rapport de l’Inspection générale de la Justice ne démontrent pas avec certitude un manquement procédural constituant une violation de la règle de droit caractérisant un manquement au devoir de légalité ou de loyauté.
S’agissant du manquement à l’obligation d’impartialité en échangeant ses coordonnées personnelles avec une avocate au cours d'une audience le 21 juillet 2020 ou encore en évoquant des thématiques personnelles étrangères aux débats avec des conseils.
A la suite d’investigations complémentaires réalisées par le rapporteur, la demande du garde des Sceaux n’est plus soutenue à l’audience par la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature. Ce grief sera écarté.
S’agissant du manquement aux obligations de réserve, de prudence et de délicatesse en utilisant dans ses tweets des 16 et 17 mars 2019 pour décrire le mouvement dit des « gilets jaunes ››, les termes « exactions ››, « nervis d'extrême-gauche ››, « peste noire ››, expressions outrancières, ou encore en adoptant publiquement dans plusieurs publications Twitter un positionnement dénigrant ses collègues magistrats au sein de la juridiction européenne et des juridictions françaises et en portant une appréciation sur leurs décisions juridictionnelles les accusant de laxisme.
La liberté d’expression de tout citoyen bénéficie d’un niveau élevé de protection. En particulier, l’article 11 de la déclaration du 26 août 1789 des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme stipule que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».
S’agissant des magistrats, la liberté d’expression doit être conciliée avec leur devoir de réserve prescrit par l’article 10 de l’ordonnance statutaire.
S’ils peuvent faire connaître leur opinion, ils doivent toutefois s’exprimer de façon mesurée afin de ne pas compromettre l’image d’impartialité et de neutralité indispensable à la confiance du public, ni porter atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire et des juges, ni donner de la justice une image dégradée ou partisane. La parole du magistrat est en effet reçue comme l’expression d’une appréciation objective qui engage non seulement celui qui s’exprime mais aussi, à travers lui, toute l’institution de la Justice (CEDH (grande chambre), arrêt du 23 avril 2015, Morice c. France, n° 29369/10).
Cette obligation de réserve ne saurait servir à réduire un magistrat au silence ou au conformisme. Sa portée doit s’apprécier au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a élaboré plusieurs critères : l’intérêt général du débat en cause, l’absence de divulgation d’informations secrètes, l’absence d’intentions cachées du magistrat et l’objectivité du propos, qui n’exclut pas une certaine dose d’exagération le cas échéant. La Cour prête une attention particulière au risque, que pourrait faire peser l’infliction d’une sanction, de décourager des citoyens et particulièrement des magistrats de participer au débat public. Elle s’assure que l’action de poursuite « soit exempte de tout soupçon d’avoir été menée à titre de représailles pour l’exercice de ce droit fondamental » qu’est la liberté d’expression (CEDH, arrêt du 12 février 2009, grande chambre, Guja c. Moldavie n° 14277/04, CEDH, arrêt du 26 février 2009, Koudechkina c. Russie n° 29492/05, CEDH, grande chambre, arrêt du 23 juin 2016, Baka c. Hongrie n° 20261/12, CEDH, arrêt du 19 octobre 2021, Todorova c. Bulgarie n° 40072/13, CEDH, arrêt du 1er mars 2022, Kozan c. Turquie n° 16695/19).
En l’espèce, Monsieur X a tenu les propos qui lui sont reprochés par le biais d’un compte Twitter sur lequel il entretient une confusion entre ses opinions personnelles sur divers sujets d’ordre général extérieurs à l’activité judiciaire, ses positions syndicales, son engagement politique et son activité d’essayiste. Dans un tel contexte, quelle que soit l’argumentation dont se prévaut l’intéressé au titre de son affiliation syndicale, les tweets :
- « Les conséquences des exactions des antifas et autres nervis d’extrême gauche…#incendie criminel #Acte XVIII #Acte18 » ;
- « arrêtez de dire les « gilets jaunes » … Osez nommer la peste noire qui sévit dans nos rues tous les samedis : extrême-gauche, antifas, blackblocks. Et nos services les connaissent, il serait grand temps de les stopper, policièrement et judiciairement » ;
- « le totalitarisme climatique vous poursuivra jusque dans la mort… #Khmers Verts » accompagné d’un émoticon de personnage vomissant ;
Caractérisent, par les termes employés sans la moindre nuance, un manquement à ses obligations de réserve, de prudence et de délicatesse.
En revanche, les tweets relatifs à un arrêt de la cour de justice de l’Union européenne et commentant l’activité pénale des juridictions pour mineurs, bien que rédigés sur un ton volontairement polémique, n’excèdent pas les limites de la liberté d’expression dont bénéficient les magistrats de l’ordre judiciaire.
S’agissant du manquement au devoir d’impartialité en faisant part de ses opinions personnelles sur les réseaux sociaux dans des termes outranciers.
Monsieur X a publié en mars 2019, les tweets suivants :
- « Les conséquences des exactions des antifas et autres nervis d’extrême gauche…#incendie criminel #Acte XVIII #Acte18 » ;
- « arrêtez de dire les « gilets jaunes » … Osez nommer la peste noire qui sévit dans nos rues tous les samedis : extrême-gauche, antifas, blackblocks. Et nos services les connaissent, il serait grand temps de les stopper, policièrement et judiciairement ».
Il a été ultérieurement amené à statuer en tant que juge des libertés et de la détention dans des procédures en lien avec les faits sur lesquels il s’exprimait, ayant notamment eu à connaître, en mai 2019, de la demande de remise en liberté d’un « militant antifasciste », demande rejetée aux termes d’une ordonnance du 29 mai 2019 dans laquelle il employait les mêmes termes de « bande de nervis d'extrême gauche ».
En statuant dans ces procédures, après s’être exprimé comme il l’a fait dans les tweets précités, monsieur X a pu faire naître un doute quant à sa neutralité. Ces éléments constituent un manquement à son devoir d’impartialité.
S’agissant de l’atteinte à l’image de la justice auprès des partenaires de l’institution judiciaire mais aussi largement auprès des justiciables en adoptant un tel comportement.
Les manquements retenus, s’agissant tant des tweets diffusés sur un réseau social public et repris dans la presse que des retards ayant impacté les partenaires de l’institution, ont porté atteinte à l’image de la justice.
Sur la sanction
Les comportements de monsieur X ont fait obstacle au bon fonctionnement du service des juges des libertés et de la détention et ont été source de stress et d’inquiétude pour le personnel de greffe. Ils ont également mis ses collègues magistrats et certains partenaires institutionnels en difficulté et rendent impossible son maintien dans la juridiction alors même qu’il n’a pas fait montre d’une quelconque remise en cause personnelle sur ses agissements. De surcroît, les manquements à son devoir d’impartialité ont eu une incidence sur l’image de la justice et particulièrement de la juridiction dans laquelle il exerce. Ces éléments justifient que soit prononcée à son encontre la sanction disciplinaire de déplacement d’office.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Yves SAINT-GEOURS, rapporteur ;
Statuant en audience publique, le 4 janvier 2023 pour les débats et le 16 janvier 2023, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Prononce à l’encontre de M. X la sanction de déplacement d’office.
La présente décision sera notifiée à M. X, par la voie hiérarchique et à ses conseils par voie dématérialisée.
Une copie sera adressée par voie dématérialisée à M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Le secrétaire général adjoint
Jean-Baptiste CRABIERES |
Le président
Christophe SOULARD |