Decision Disciplinaire
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline des magistrats du siège |
|
|
|
|
|
DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE
Dans la procédure mettant en cause :
M. X
Vice-président chargé de l’application des peines au tribunal judiciaire de Xx, interdit temporairement d’exercer depuis la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 17 décembre 2021
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,
En présence de :
Mme Sandrine Clavel
M. Georges Bergougnous
Mme Natalie Fricero
M. Frank Natali
M. Olivier Schrameck
M. Didier Guérin
Mme Virginie Duval
M. Benoist Hurel
Mme Dominique Sauves
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de M. Jean-Baptiste Crabières, secrétaire général adjoint du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la Justice, en date du 9 février 2022, reçu au Conseil le 11 février 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;
Vu l’ordonnance du 8 mars 2022 désignant M. Benoist Hurel en qualité de rapporteur ;
Vu la saisine complémentaire du garde des Sceaux ministre de la Justice en date du 23 mai 2022, reçue au Conseil le 25 mai 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;
Vu la décision de prorogation du 15 septembre 2022, portant le délai pour statuer au 11 février 2023 ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A, avocat au barreau de Xx, premier avocat désigné par l’intéressé pour l’assister ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation à l’audience du 14 décembre 2022, adressée à M. X par lettre recommandée à madame la première présidente de la Cour d’appel de Xxx le 23 novembre 2022 ;
Vu la convocation adressée par voie dématérialisée le 23 novembre 2022 à Maîtres A, B, C, D et E ;
Vu le mémoire du 14 décembre 2022 produit par les conseils de M. X au soutien de ses intérêts ;
Les débats s’étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le 14 décembre 2022 ;
Après avoir entendu :
- la synthèse du rapport de M. Benoist HUREL ;
- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de madame Emilie Zuber, magistrate, adjointe au cheffe de bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, qui a demandé le prononcé de la sanction disciplinaire de révocation prévue par le 7° de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;
- les explications et moyens de défense de M. X, Me D et Me B, avocats au barreau de Xxx, M. X ayant eu la parole en dernier ;
A rendu la présente
DÉCISION
L’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la Justice, et la saisine complémentaire ultérieure, relèvent plusieurs griefs portant sur des manquements imputés à M. X, à savoir :
- Un manquement au devoir de délicatesse en adoptant une attitude méprisante, voire agressive, caractérisée par des gestes de colère et des cris à l'égard des agents du greffe du service de l'application des peines, en formulant de façon individuelle ou collective des reproches et des propos dénigrants à l'égard de ces derniers, en persistant dans ce comportement malgré les interventions du président de la juridiction, en tenant des propos véhéments et en ayant une attitude menaçante vis-à-vis d'une directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) lors d'une audience d'aménagement de peine en présence d'une avocate ;
- Un manquement aux devoirs de délicatesse et de dignité en adoptant un comportement ferme, imprévisible et violent à l'égard de l'ensemble des membres du service de l'application des peines, comportement à |'origine de l'expression collective d'une souffrance au travail et générateur de risques psycho-sociaux ;
- Un manquement au devoir de délicatesse en exhibant son arme devant les membres de son service ;
- Un manquement à ses devoirs de légalité et de loyauté en critiquant ouvertement et de manière virulente les décisions de la chambre de l'application des peines au sein de ses propres jugements, en visant dans ses décisions ses échanges avec le président de la chambre de l'application des peines ;
- Une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer, et par là-même une atteinte à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire en adoptant un tel comportement en présence de partenaires extérieurs – administration pénitentiaire, SPIP, avocat ;
- Un manquement au devoir de diligence et de rigueur professionnelles en omettant volontairement d’assurer les fonctions de coordonnateur de service ;
- Un manquement au devoir d’impartialité et aux devoirs de son état en adoptant un positionnement à l'égard de certains détenus laissant penser qu'il manifestait un parti pris ou apparent, en adoptant une grande proximité avec deux avocats laissant suggérer aux justiciables comme aux personnes de l'environnement professionnel que ces avocats pouvaient bénéficier d'un traitement de faveur ;
- Un manquement aux devoirs de légalité et de loyauté en rendant des jugements non signés par sa greffière, en persistant dans ce comportement malgré l'opposition de son chef de juridiction.
Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
Sur les faits à l’origine de la poursuite disciplinaire
Dans un rapport daté du 26 novembre 2021, le premier président de la cour d’appel de Xxx a signalé au directeur des services judiciaires du ministère de la Justice plusieurs difficultés susceptibles de revêtir une qualification disciplinaire impliquant monsieur X, vice-président chargé de l’application des peines au tribunal judiciaire de Xx.
Le 2 décembre 2021, le garde des Sceaux a ordonné une enquête administrative à l’encontre de ce magistrat. Le lendemain, il a saisi le Conseil supérieur de la magistrature afin de voir prononcer à son encontre une interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions, interdiction qui a été ordonnée par le Conseil le 17 décembre 2021.
Le 9 février 2022, le garde des Sceaux a saisi le Conseil au fond de la situation de monsieur X. L’Inspection générale de la Justice a rendu son rapport le 15 avril 2022, conduisant le ministre de la Justice à compléter sa saisine par une dépêche du 23 mai 2022.
Les pièces communiquées par le premier président de la cour d’appel, les investigations diligentées par l’Inspection générale de la Justice ainsi que par le rapporteur du Conseil supérieur de la magistrature ont permis d’établir les éléments suivants :
Monsieur X a intégré la magistrature en 2004 après une première carrière comme commissaire de police entre 1989 et 2004 où il était entre autres affecté à la division nationale anti-terroriste ainsi qu’au SRPJ de Xxxx. Après avoir exercé des fonctions de juge, juge d’instruction, vice-président chargé de l’application des peines et vice-procureur, il a été nommé vice-président chargé de l’application des peines au tribunal judiciaire de Xx en août 2015.
A compter de cette date, les relations de monsieur X avec le greffe du service d’application des peines ainsi qu’avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation se sont progressivement dégradées.
Le conflit a semblé trouver son origine dans la diffusion, en mars 2016, d’un mail syndical évoquant un magistrat faisant « des pompes n’importe quand pour canaliser sa violence ». Monsieur X, qui a estimé être visé à travers cette description, en a attribué la responsabilité alternativement à une des greffières de son service et à la directrice de l’antenne du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du centre de détention de Xx. De cet épisode initial a découlé une situation de forte tension et de dégradation des relations de travail aboutissant au dépôt d’une mention au registre de santé et de sécurité au travail en 2019, à une enquête du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, aux arrêts des deux greffières du service et à un renouvellement de l’équipe du greffe en 2020 puis enfin au dépôt d’une seconde mention sur le registre de santé et de sécurité en novembre 2021 par la nouvelle équipe.
Les nombreux témoignages ont fait état d’un comportement anxiogène et dévalorisant de l’intéressé, évoquant des « cris, des insultes, des vociférations », des « colères imprévisibles », de la « paranoïa » des « coups de poing dans les murs » ainsi que des « exercices compulsifs de corde à sauter », une « haine » ressentie « à l’égard de la plupart des personnes qui l’entourent »… Les investigations ont établi par ailleurs que la hiérarchie de l’intéressé avait tenté sans succès d’intervenir à de multiples reprises à l’occasion de réunions et entretiens, pour l’inciter à modifier son comportement. Ses collègues successifs à l’application des peines ont confirmé ces éléments, expliquant que monsieur X n’acceptait qu’avec une grande difficulté toute remise en cause de ses positionnements professionnels.
Son attitude à l’égard de la directrice de l’antenne du SPIP du centre de détention, qu’il croyait responsable de la délation s’agissant des pompes, a été particulièrement dénoncée à l’occasion d’une audience d’aménagement de peine du 12 octobre 2017. L’intéressée a indiqué qu’au cours de cette audience, une avocate l’aurait prise à partie en lui reprochant des propos tenus précédemment. Monsieur X aurait alors abondé en ce sens jusqu’à faire pleurer son interlocutrice. Invité par son président à s’expliquer sur l’incident, monsieur X a répondu dans un rapport de neuf pages qu’il n’avait eu d’autre choix que d’improviser dans l’urgence « une réunion de crise » pour « apaiser les choses », revenant également sur l’épisode des pompes qualifié à cette occasion de « plaie restant béante depuis ». Il a stigmatisé l’incompétence de la directrice de l’antenne du SPIP, sa « connivence » avec le procureur de la République et s’est estimé victime d’un « harcèlement » qui pourrait pousser au suicide « n’importe quel magistrat ». L’avocate concernée a rédigé de son côté une attestation indiquant que monsieur X avait cherché « à mettre un terme à l’incident », appelant à l’organisation d’une réunion avec l’ensemble des acteurs et indiquant notamment qu’à aucun moment il n’avait fait preuve « d’une attitude ou de propos blâmables ou indignes ». A la suite de cet épisode, monsieur X a interdit à la directrice de l’antenne du SPIP du centre de détention de se présenter à nouveau à ses audiences d’aménagement de peine afin d’y développer oralement les avis pénitentiaires jusqu’à ce que celle-ci présente ses excuses, sans pour autant organiser la réunion qu’il disait souhaiter.
Outre cet épisode, plusieurs interlocuteurs sont revenus sur le rapport de monsieur X aux armes. En effet, celui-ci a bénéficié d’une autorisation de port d’armes et de nombreuses personnes entendues ont indiqué savoir qu’il se rendait au tribunal muni d’une arme à feu qu’il rangeait ensuite dans un tiroir. Les greffières du service de l’application des peines ont évoqué les discours particulièrement anxiogènes de l’intéressé sur ce sujet et sur les armes en général ainsi que leurs craintes. Monsieur X a expliqué cette autorisation de port d’arme par une condamnation à mort prononcée à son encontre par l’ETA dans le cadre de ses précédentes fonctions puis par des fonctions d’arbitre fédéral en tir sportif.
Les investigations réalisées ont mis également à jour de fortes tensions dans les rapports entre monsieur X et le président de la chambre d’application des peines, liées à des interprétations différentes des textes et à une contestation par la cour des pratiques juridictionnelles de l’intéressé. Trois éléments ont été plus particulièrement mis en exergue.
D’une part, la manière dont monsieur X a motivé certaines de ses décisions lorsqu’il avait été précédemment infirmé par la cour d’appel, qui pourrait s’analyser comme une critique ouverte des arrêts de la chambre d’application des peines :
- Dans un jugement du 3 novembre 2020 il a écrit « face à ces éléments, il ne sera jamais assez rappelé qu’on ne peut rejeter une demande d’aménagement de peine fondée sur l’un au moins de ses éléments, en la jugeant prématurée et non documentée eu égard de la personnalité de la personne détenue, sans refuser de déduire les conséquences qui s’évinçaient de ses propres constatations » ;
- Dans un jugement du 8 juin 2021 il a écrit : « Enfin, au visa des dispositions de l’article 712-13 du code de procédure pénale, l’interdiction de formuler une demande en aménagement de peine figurant à l’arrêt rendu le 4 mars 2021 par la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Xxx ne pourra être opposé à la personne détenue, en dépit de l’autorité de la chose jugée attachée aux arrêts de la cour d’appel. Il se déduit de l’article 712-3 que la CHAP ne peut fixer un délai pendant lequel toute demande d’octroi de l’une des mesures mentionnées aux articles 712-6 et 712-7 sera irrecevable, que si elle confirme un jugement refusant de l’accorder. Méconnaît ce texte et encourt la cassation l’arrêt qui, après avoir infirmé le jugement qui accordait au condamné le bénéfice de la libération conditionnelle, fixe un délai avant l’expiration duquel celui-ci ne pourra présenter une nouvelle demande. Crim, 7 novembre 2007. Ce qui impose de tenir la présente requête pour recevable ».
D’autre part, le 13 mai 2020, à la suite d’un échange de mails avec le président de la chambre de l’application des peines en lien avec un désaccord sur l’interprétation d’un arrêt, monsieur X a rendu une « ordonnance relative à une difficulté de mise en œuvre d’un arrêt de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Xxx », qui comportait le visa suivant : « vu le courriel du président de la chambre de l’application des peines au vice-président chargé de l’application des peines au tribunal judiciaire de Xx en date du 13 mai 2020 mettant en demeure ce magistrat d’organiser la mise en œuvre de la mesure d’aménagement de peine accordée à la personne détenue ».
Enfin, les investigations ont démontré que lors des moments de grande tension avec son greffe, monsieur X avait, à plusieurs reprises, décidé de se passer de la signature des greffières sur ses jugements qu’il transformait pour l’occasion en ordonnances. Pendant la crise sanitaire, il a également signé seul des jugements d’aménagement de peine hors débat.
Outre ces éléments, la procédure a établi que monsieur X, désigné comme coordinateur du service de l’application des peines dès son arrivée en janvier 2015, semblait ne jamais avoir investi ses fonctions. Les nombreuses auditions réalisées ont mis en effet en évidence l’absence de réunions de service, de représentation du service vers l’extérieur et de politique de service. Plusieurs personnes entendues ont même été incapables de se rappeler qui était le coordinateur du service. L’intéressé a indiqué quant à lui n’avoir jamais été candidat à ces fonctions et avoir même suggéré d’en être déchargé à plusieurs reprises.
Par ailleurs, le positionnement particulier de monsieur X à l’égard de certains détenus a été souligné. La jurisprudence très personnelle développée par l’intéressé l’a rendu en effet très populaire parmi les détenus qui ont même pu solliciter leur transfèrement à Xx afin d’augmenter leurs chances d’obtenir un aménagement de peine.
Une forme de « fascination » pour une certaine frange de la population pénale, notamment s’agissant du grand banditisme, a également été soulignée par plusieurs interlocuteurs.
Certaines personnes entendues ont également indiqué que monsieur X instaurait une relation extrêmement personnalisée avec certains détenus impliquant des entretiens au parloir et des conseils juridiques.
Enfin, les auditions réalisées ont mis à jour une relation de grande proximité existant entre monsieur X et deux avocats, Maître A et Maître F.
S’agissant de Maître F, les investigations ont établi que monsieur X lui avait notamment communiqué des échanges de mail internes à la juridiction.
S’agissant de Maître A, les personnes entendues ont évoqué un rôle de « mentor » de l’intéressé, cette avocate venant par exemple préparer ses requêtes dans le bureau de monsieur X, en sa présence. Le fait que Maître A obtienne des dates d’audience plus rapprochées a également été évoqué.
Certaines personnes entendues ont émis des doutes sur des compromissions plus graves, qui auraient pu consister en ce que les décisions de monsieur X soient plus favorables aux clients de ces avocats, sans toutefois apporter d’éléments objectifs à l’appui de ces doutes.
Sur la prescription
Les conseils de monsieur X invoquent la prescription de l’action disciplinaire s’agissant des faits du 12 octobre 2017. Ils indiquent que le délai de prescription de trois ans a commencé à courir à partir du moment où le chef de cour a été informé des faits.
Cependant, la connaissance par le chef de cour des faits susceptibles de revêtir une qualification disciplinaire ne fait pas courir le délai de prescription à l’égard du garde des Sceaux, ce dernier n’ayant disposé d’une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur de ces faits qu’à partir du 26 novembre 2021, date à laquelle le premier président a informé la direction des services judiciaires de la situation de monsieur X. Ces faits ayant été portés à la connaissance du garde des Sceaux moins de trois ans avant la saisine de la formation disciplinaire du Conseil, ils ne sont, par conséquent, pas prescrits.
Sur les griefs et manquements
S’agissant du manquement au devoir de délicatesse en adoptant une attitude méprisante, voire agressive, caractérisée par des gestes de colère et des cris à l'égard des agents du greffe du service de l'application des peines, en formulant de façon individuelle ou collective des reproches et des propos dénigrants à l'égard de ces derniers, en persistant dans ce comportement malgré les interventions du président de la juridiction, en tenant des propos véhéments, en ayant une attitude menaçante vis-à-vis d'une directrice du SPIP lors d'une audience d'aménagement de peine en présence d'une avocate ;
Les témoignages recueillis, par leur nombre et leur concordance sur une période de plusieurs années, établissent malgré les dénégations de monsieur X l’existence d’un comportement professionnellement inadapté, caractérisé notamment par des emportements, des épisodes de colères imprévisibles et la tenue fréquente des propos dévalorisants. Ces comportements ont créé un climat de travail anxiogène pour les agents du greffe du service de l’application des peines qui se sont succédé. Les éléments du dossier établissent par ailleurs la persistance de ces comportements malgré des interventions et mises en garde hiérarchiques. En cela, ils caractérisent un manquement de monsieur X à son devoir de délicatesse.
S’agissant de l’audience d’aménagement de peine du 12 octobre 2017, en poursuivant l’audience alors que la situation s’envenimait entre une avocate et la directrice de l’antenne du SPIP du centre de détention sans faire cesser l’incident, en faisant le lien entre cet épisode et la supposée dénonciation antérieure par la directrice de pompes réalisées par l’intéressé dans son bureau et surtout en lui interdisant par la suite de se présenter à nouveau à ses audiences pour y développer oralement les avis pénitentiaires, monsieur X a également manqué à son devoir de délicatesse.
S’agissant du manquement aux devoirs de délicatesse et de dignité en adoptant un comportement ferme, imprévisible et violent à l'égard de l'ensemble des membres du service de l'application des peines, comportement à l'origine de l'expression collective d'une souffrance au travail et générateur de risques psycho-sociaux ;
Le comportement de monsieur X détaillé ci-dessus, par le climat d’insécurité et d’angoisse qu’il a créé au sein du service de l’application des peines, caractérise un manquement aux devoirs de délicatesse et de dignité.
S’agissant du manquement au devoir de délicatesse en exhibant son arme devant les membres de son service ;
Si les investigations n’ont pas permis de démontrer que monsieur X aurait volontairement exhibé son arme, elles établissent cependant que sa présence non dissimulée et fréquemment rappelée dans ses propos, dans le contexte des comportements colériques et véhéments décrits plus haut, a contribué à créer un climat d’inquiétude et de violence au sein du service d’application des peines et plus largement de la juridiction. A cet égard, monsieur X a manqué à son devoir de délicatesse.
S’agissant du manquement à ses devoirs de légalité et de loyauté en critiquant ouvertement et de manière virulente les décisions de la chambre de l'application des peines au sein de ses propres jugements, en visant dans ses décisions ses échanges avec le président de la chambre de l'application des peines ;
Le fait pour un magistrat de ne pas se conformer à la pratique jurisprudentielle de la cour d’appel dont il dépend relève de l’exercice de ses prérogatives juridictionnelles et ne saurait s’analyser comme un manquement au devoir de loyauté. Par ailleurs, le ton employé par monsieur X dans ses décisions de justice ne relève pas d’une virulence telle qu’il serait susceptible de revêtir une qualification disciplinaire.
En revanche, le fait pour monsieur X, à la suite d’un échange de mails avec le président de la chambre de l’application des peines en lien avec un désaccord sur l’interprétation d’un arrêt, de rendre une « ordonnance relative à une difficulté de mise en œuvre d’un arrêt de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Xxx », comportant un visa faisant référence à un échange de courriels avec le président de la chambre de l’application des peines constitue bien un manquement disciplinaire. Ce manquement doit cependant s’analyser comme une violation de son devoir de délicatesse et non de loyauté ou de légalité.
S’agissant du manquement aux devoirs de légalité et de loyauté en rendant des jugements non signés par sa greffière et en persistant dans ce comportement malgré l'opposition de son chef de juridiction ;
Monsieur X ne nie pas s’être passé à plusieurs reprises de la signature des greffières sur ses jugements transformés pour l’occasion en ordonnances, arguant d’une interprétation personnelle des textes. Cependant, le fait qu’il ait, à cette occasion, appliqué à ses ordonnances le délai d’appel normalement réservé aux jugements démontre bien que sa pratique n’était pas liée à sa lecture des textes mais à une volonté de se passer de la signature de sa greffière dans un contexte de grande tension avec le service du greffe de l’application des peines. Les manquements aux devoirs de légalité et de loyauté sont donc constitués.
S’agissant de l’atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer, et par là-même une atteinte à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire en adoptant un tel comportement en présence de partenaires extérieures – administration pénitentiaire, SPIP, avocat - ;
Par son comportement, ses accès de colère, son attitude autoritaire, ses sautes d’humeur et ses réactions en cas de remise en cause, monsieur X a profondément affecté les relations du service de l’application des peines de sa juridiction avec l’administration pénitentiaire ainsi qu’avec les services d’insertion et de probation. En cela, il a porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer, et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.
S’agissant du manquement au devoir de diligence et de rigueur professionnelles en omettant volontairement d’assurer les fonctions de coordonnateur de service ;
Les éléments du dossier, s’ils établissent incontestablement un manque d’implication de monsieur X dans ses fonctions de coordonnateur du service de l’application des peines, ne suffisent pas pour autant à caractériser un manquement au devoir de diligence et de rigueur professionnelle à l’encontre de ce magistrat par ailleurs très engagé dans ses fonctions juridictionnelles.
S’agissant du manquement au devoir d’impartialité et aux devoirs de son état en adoptant un positionnement à l'égard de certains détenus laissant penser qu'il manifestait un parti pris ou apparent, en adoptant une grande proximité avec deux avocats laissant suggérer aux justiciables comme aux personnes de l'environnement professionnel que ces avocats pouvaient bénéficier d'un traitement de faveur ;
Les éléments du dossier ne permettent pas d’établir avec certitude que le positionnement de monsieur X à l’égard de certains détenus laisserait croire à un parti pris quant aux décisions rendues.
S’agissant des relations de monsieur X avec deux avocats, il convient de rappeler que le devoir d’impartialité impose aux magistrats de s’abstenir de tout comportement donnant l’image d’une trop grande proximité avec les parties ou leurs conseils. En l’espèce, les investigations n’ont pas établi que le positionnement de l’intéressé vis-à-vis de deux avocats serait de nature à constituer un manquement au devoir d’impartialité et aux devoirs de son état.
Sur la sanction
Les faits reprochés à monsieur X sont nombreux. Ils se sont déroulés sur plusieurs années, démontrant sa difficulté à incarner la présidence d’audience. Ils ont affecté l’ensemble de sa communauté de travail, magistrats et fonctionnaires. Ils ont également eu une incidence forte vis-à-vis des partenaires de l’institution judiciaire, tant dans leur activité professionnelle que dans l’image qui leur était renvoyée. Ils se sont poursuivis malgré les rappels adressés à l’intéressé par le biais de ses évaluations et lors d’entretiens avec sa hiérarchie. Devant le Conseil, monsieur X n’a questionné qu’a minima ses pratiques professionnelles et son positionnement, reconnaissant tout au plus un caractère rugueux et entier de « paysan auvergnat ».
Ces éléments, qui invitent à tenir monsieur X éloigné des fonctions de cabinet pour lui permettre de se réapproprier la collégialité tout en lui donnant la possibilité de réinvestir un nouvel environnement de travail, justifient le prononcé à son encontre d’une interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée de cinq ans, assortie d'un déplacement d'office.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Benoist Hurel, rapporteur ;
Statuant en audience publique, le 14 décembre 2022 pour les débats et le 18 janvier 2023, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Prononce, à l'encontre de monsieur X, la sanction d’interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée de cinq ans, assortie du déplacement d'office.
La présente décision sera notifiée à monsieur X, par courrier recommandé avec accusé de réception adressée à madame la première présidente de la Cour d’appel de Xxx pour notification par la voie hiérarchique et à ses conseils par voie dématérialisée.
Une copie sera adressée par voie dématérialisée à M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Le secrétaire général adjoint
Jean-Baptiste Crabières |
Le président
Christophe Soulard |