11/2023
Conseil de discipline des magistrats du siège
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Décision du 20 avril 2023 N° de minute : 11/2023 |
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DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE
Dans la procédure mettant en cause :
Mme X
Vice-présidente chargée des fonctions de juge du contentieux de la protection au tribunal judiciaire de XX et précédemment en charge des fonctions de l’instruction au tribunal judiciaire de XX
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Pascal Chauvin, président de chambre à la Cour de cassation, président suppléant de la formation, conformément à l’article 14 de la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature,
En présence de :
Mme Elisabeth Guigou
M. Patrick Titiun
Mme Diane Roman
M. Loïc Cadiet
Mme Dominique Lottin
M. Patrick Wachsmann
M. Jean-Luc Forget
M. Christian Vigouroux
Mme Catherine Farinelli
M. Julien Simon-Delcros
Mme Clara Grande
M. Alexis Bouroz
Mme Céline Parisot
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de Madame Marie Dubuisson, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu la plainte déposée par Mme D et M. E, en date du 12 octobre 2020, reçue le 14 octobre 2020 et les pièces jointes en annexe ;
Vu la décision de la commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du siège du 30 mars 2022 et ses pièces annexées, renvoyant l’examen de la requête susvisée devant la formation du Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, reçue le 10 mai 2022 ;
Vu l’ordonnance du 12 mai 2022 désignant M. Régis Vanhasbrouck, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ; vu celle du 23 février 2023 désignant Mme Catherine Farinelli, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de ses conseils ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation du 16 février 2023 adressée à Mme X, le 21 février 2023 dont cette dernière a eu notification par la voie hiérarchique le 27 février 2023 ;
Vu la convocation adressée le 21 février 2023 à Me A, conseil premier choisi, assistant Mme X ;
Vu la convocation adressée le 21 février 2023 à Mme B, présidente de chambre de l’instruction à la cour d’appel de XXX et secrétaire nationale de G ;
Vu la convocation adressée le 10 mars 2023 à M. C, premier vice-président chargé de l’instruction au tribunal judiciaire de XXXXX et président de H ;
Les débats s’étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le jeudi 16 mars 2023 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Régis Vanhasbrouck lu par Mme Catherine Farinelli ;
- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, représentant le garde des Sceaux, assistée de Mme Alexia Cussac, magistrate au bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, qui a déclaré ne retenir qu’un manquement tiré du devoir de délicatesse et a conclu au prononcé d’un blâme;
- les explications et moyens de défense de Mme X, de Me A, avocat au barreau de XX, de Mme B, secrétaire nationale de l’G et de M. C, premier vice-président chargé de l’instruction au tribunal judiciaire de Nanterre et président de l’H, Mme X ayant eu la parole en dernier ;
A rendu la présente
dÉcision
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Vice-présidente chargée des fonctions de juge du contentieux de la protection au tribunal judiciaire de XX et précédemment en charge des fonctions de l’instruction au tribunal judiciaire de XX au moment des faits objets de la plainte, Mme X est poursuivie devant le conseil de discipline des magistrats du siège suivant saisine de la commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du siège, qui a renvoyé, par décision du 30 mars 2022, l’examen de la plainte de Mme D et de M. E du 12 octobre 2020 à la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège.
Cette plainte avait été déclarée recevable le 11 mars 2021, au terme d’un procès-verbal de délibération de la commission d’admission des requêtes du Conseil, laquelle, après avoir recueilli les observations de Mme X et du premier président de la cour d’appel de XX, avait procédé, le 6 janvier 2022, à l’audition de Mme D et de M. E, puis, le 3 février 2022, à celle de Mme X.
Dans leur plainte, Mme D et M. E, parties civiles dans une information judiciaire suivie par Mme X et ouverte du chef d’homicide involontaire à la suite du décès de leur fils F consécutif à une opération chirurgicale, imputent à cette magistrate divers manquements sur le fondement des dispositions de l’article 50-3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, selon lesquelles « Tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du siège dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature ».
Mme D et M. E, réitérant leurs griefs dans leur lettre du 5 décembre 2022 adressée au rapporteur, reprochent à Mme X :
- de ne pas les avoir reçus tout le temps de la procédure en dépit de leurs nombreuses demandes, de ne pas les avoir informés de l’état d’avancement du dossier et de les avoir « ignorés » ;
- d’avoir, à l’été 2018, « agressé » Mme D au téléphone en lui reprochant d’être la cause du retard de l’instruction du fait de la plainte complémentaire déposée par celle-ci à l’encontre de la clinique, laquelle ne ferait pas « reven[ir] » F ;
- de ne pas leur avoir transmis certains éléments du dossier ;
- de ne pas avoir diligenté les actes « importants » qu’ils avaient demandés, de n’avoir pas voulu identifier « tous les coupables » et d’avoir commis des erreurs, notamment en « déform[ant] » certaines investigations dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.
M. Régis Vanhasbrouck, dans son rapport, a qualifié les faits reprochés à l’aune de trois manquements disciplinaires :
- le manquement au devoir de légalité ;
- le manquement au devoir de respect et d’attention à autrui ;
- le manquement au devoir d’impartialité.
SUR LE FOND
Aux termes des dispositions de l'article 43, alinéa 1er, de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
Aux termes des dispositions de l’article 43, alinéa 2, « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive ».
Les faits à l’origine des poursuites disciplinaires
Les plaignants sont les parents d’un enfant âgé de onze ans, F, décédé des suites d’une opération chirurgicale à la Clinique Claude Bernard, à XXXX, le 2 novembre 2014.
L’information judiciaire a été initialement ouverte au cabinet du juge d’instruction du tribunal judiciaire de XXXX, le 7 novembre 2014, contre X…, du chef d’homicide involontaire. Au cours de celle-ci, les deux chirurgiens ayant opéré l’enfant ont été mis en examen les 29 et 30 août 2016. Cette instruction a fait l’objet d’un « dépaysement » au profit du tribunal judiciaire de XX, par arrêt du 29 mars 2017 de la chambre criminelle de la Cour de cassation, les plaignants ayant fait valoir que la deuxième juge désignée pour reprendre le cours de cette information avait été, antérieurement à son entrée dans la magistrature, l’associée de l’avocat de l’un des médecins mis en examen.
Mme X, installée en qualité de vice-présidente chargée des fonctions de juge d’instruction au tribunal judiciaire de XX, le 28 août 2017, a été la quatrième juge en charge de cette information. Par décret du 10 août 2020, elle a été nommée vice-présidente chargée des contentieux de la protection au tribunal judiciaire de XX et installée dans ses fonctions le 1er septembre 2020.
En l’état des pièces et éléments fournis par les plaignants, l’information judiciaire étant au demeurant toujours en cours et couverte par le secret de l’instruction, figurent les procès-verbaux de leurs auditions en date des 24 mars 2015 et 27 septembre 2016 par les juges d’instruction successifs du tribunal judiciaire de XXXX, ainsi que deux ordonnances des 17 novembre 2017 et 3 octobre 2019 par lesquelles Mme X a rejeté leurs demandes présentées respectivement les 16 et 25 octobre 2017 et le 2 octobre 2019, réitérée le 23 octobre 2019, sollicitant diverses investigations. Un appel interjeté à l’encontre de la seconde a été déclaré non-admis par ordonnance du 20 novembre 2019.
Les plaignants produisent également des lettres adressées par la présidente du tribunal de XX (5 novembre 2019), la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de XX (26 novembre 2019), un avocat général près ladite cour (9 octobre 2019) et le procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX (19 décembre 2019), qu’ils ont saisis de doléances en lien avec la conduite de la procédure d’instruction, étant précisé qu’un autre avocat général près la même cour et le procureur de la République de XX les ont reçus respectivement les 5 décembre 2019 et 23 janvier 2020.
Pour sa part, Mme X indique avoir retrouvé, par la consultation du logiciel Cassiopée auquel elle a toujours accès compte tenu de ses fonctions actuelles, la trace des diligences suivantes : la rédaction d’une commission rogatoire le 6 novembre 2017, prolongée à plusieurs reprises, faute pour les enquêteurs de pouvoir obtenir une réponse du conseil de l’ordre des médecins ; des interrogatoires des mis en examen en décembre 2017 et février 2018 ; des expertises complémentaires en mai et juin 2018 ; une confrontation des mis en examen en juin 2018 ; des auditions de nouveaux témoins en août et octobre 2019, à la suite de la nouvelle plainte des parties civiles déposée le 25 avril 2018 à l’encontre de la clinique et ayant entraîné un réquisitoire supplétif du parquet en date du 16 mai 2019 ; un avis de fin d’information du 19 décembre 2019 ; la notification du réquisitoire définitif aux parties le 29 avril 2020 ; l’ordonnance du 15 juillet 2020 aux fins de non-lieu partiel, s’agissant de la clinique, et de renvoi des deux médecins devant le tribunal correctionnel du chef d’homicide involontaire, également produite par les plaignants.
Par arrêt du 22 octobre 2020 produit par les plaignants, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de XX a infirmé ladite ordonnance du 15 juillet 2020 dont ils avaient relevé appel et a ordonné un supplément d’information.
Sur le manquement au devoir de légalité
Le respect de la règle de droit s’impose à tout magistrat dans sa mission constitutionnelle de gardien des libertés individuelles et dans la limite de ses attributions.
En l’espèce, les plaignants reprochent à la juge d’instruction de ne pas les avoir reçus pendant les trois ans qu’a duré l’instruction à XX, ni de les avoir tenus informés de l’état d’avancement du dossier, malgré leurs demandes réitérées et tel que l’impose notamment l’article 90-1 du code de procédure pénale (CPP).
Ce texte dispose : « En matière criminelle, lorsqu'il s'agit d'un délit contre les personnes prévu par le livre II du code pénal ou lorsqu'il s'agit d'un délit contre les biens prévu par le livre III du même code et accompagné d'atteintes à la personne, le juge d'instruction avise tous les six mois la partie civile de l'état d'avancement de l'information.
Cet avis peut être donné par lettre simple adressée à la partie civile et à son avocat, ou à l'occasion de l'audition de la partie civile […].
Si la partie civile le demande, l'information relative à l'évolution de la procédure prévue par le présent article intervient tous les quatre mois, et la partie civile est convoquée et entendue à cette fin par le juge d'instruction. »
A l’appui de leurs prétentions, en complément de leurs demandes d’actes formellement présentées et visées supra, les plaignants produisent une lettre du 20 novembre 2017 adressée à la juge d’instruction, sollicitant un rendez-vous avec elle. La magistrate a répondu par lettre du 24 novembre 2017 qu’en raison de sa charge de travail et surtout en raison du fait qu’ils avaient déjà été longuement entendus au cours de l’information judiciaire, elle n’envisageait pas de les entendre à nouveau, tout en ayant pris bonne note de leurs observations et en les assurant de ce que ce dossier faisait l’objet de toute son attention et serait traité comme il se devait.
Les plaignants produisent d’autres lettres émanant d’eux-mêmes et/ou de leur conseil, adressées à la juge d’instruction, sollicitant des informations sur l’avancée de la procédure et/ou des demandes de rencontre avec elle et/ou des actes supplémentaires, en date des 26 novembre 2017, 2 janvier, 5 avril, 31 juillet, 23 août, 23 octobre, 7 novembre et 24 décembre 2019.
Il doit être tout d’abord relevé qu’il ressort de l’ensemble des éléments du dossier que Mme X a répondu aux demandes d’actes qui lui ont été adressées par les plaignants lorsqu’elles ont été formées dans les conditions prévues par les textes, qu’aucune demande d’acte tenant à leur audition n’a été formellement présentée et qu’aucune saisine directe de la chambre de l’instruction n’est intervenue sur ce point.
Il ressort également des auditions de Mme X, tant devant la commission d’admission des requêtes et devant le rapporteur qu’à l’audience du Conseil de discipline, corroborées par celles des trois greffières qui ont successivement assisté la magistrate, que les pièces du dossier ont été très régulièrement adressées aux plaignants, parfois avec demande d’avis de réception et que de nombreuses conversations téléphoniques ont été échangées entre, d’une part, les personnels de greffe au sujet du dossier, voire Mme X elle-même, d’autre part, Mme D ou M. E.
En revanche, il apparaît qu’aucun avis ou convocation tels que prévus par l’article 90-1 n’a été adressé aux plaignants. Il est également constant et admis par Mme X que celle-ci n’a jamais reçu ni entendu les plaignants entre le jour où elle a été chargée du dossier, soit le 28 août 2017, et celui où elle a rendu une ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel, soit le 15 juillet 2020.
Cependant, un éventuel manquement disciplinaire lié au non-respect de la règle de procédure édictée par l’article 90-1 précité doit être examiné au regard des dispositions de l’alinéa 2 de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, qui dispose que « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive ».
Or, en l’espèce, force est de constater qu’en l’état, aucune décision définitive constatant un quelconque manquement procédural de la part de la magistrate visée par la plainte n’est produite.
A cet égard, le fait que, par arrêt du 22 octobre 2020, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de XX ait infirmé partiellement l’ordonnance du 15 juillet 2020 et ordonné un supplément d’information ne saurait caractériser un manquement de Mme X dès lors que cette décision a été rendue sans qu’aucun manquement ne lui ait été imputé et à l’issue d’une différence d’appréciation de nature juridictionnelle qui ne constitue que la mise en œuvre du dispositif d’examen par la juridiction du second degré.
Dans ces conditions, faute de décision définitive constatant une violation grave et délibérée par la magistrate d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, telle qu’exigée par les dispositions de l’article 43 susvisé, aucun manquement au devoir de légalité n’est caractérisé à l’encontre de Mme X, de sorte que le grief doit être écarté.
Sur le manquement au devoir de respect et d’attention à autrui
Examinée supra sous le strict angle de la légalité posée par l’article 90-1 du code de procédure pénale prescrivant les formes que l’avis sur l’avancement de la procédure doit revêtir, la question de l’audition des plaignants doit s’apprécier également au regard du devoir de respect et d’attention à autrui.
Nonobstant leurs auditions par les prédécesseurs de Mme X, l’absence de toute audition des parties civiles par la juge d’instruction apparaît de nature à constituer un manquement, compte tenu, d’une part, du caractère maintes fois réitéré des demandes de Mme D et de M. E en ce sens, auxquelles il n’a pas été donné suite pendant près de trois années en dehors de la réponse apportée par la lettre du 24 novembre 2017, d’autre part, de la souffrance particulière endurée par les parents de F, décédé dans des circonstances tragiques à l’âge de onze ans.
Toutefois, afin de déterminer si ce manquement constitue une faute disciplinaire, il y a lieu de l’apprécier, non seulement au regard de la procédure dans son ensemble, mais aussi au regard des conditions d’exercice de ses fonctions par la magistrate, ainsi que des moyens dont elle disposait.
A cet égard, Mme X indique s’être « emparée » du dossier dès qu’elle a pu être assistée d’une greffière, en novembre 2017, soit deux mois après son arrivée, et ajoute qu’elle n’a eu pour seul objectif que d’instruire utilement et efficacement ce dossier afin de le mener à son terme et de permettre ainsi aux parents du jeune garçon « de faire leur deuil ».
Sur ce point, il convient de relever que Mme X, qui a été la quatrième juge d’instruction en charge de ce dossier ouvert trois ans auparavant, a accompli ses premières diligences dès le 6 novembre 2017 et qu’elle l’a clôturé par un avis de fin d’information du 19 décembre 2019, puis par l’ordonnance de renvoi du 15 juillet 2020, intervenue moins de trois mois après la notification du réquisitoire définitif aux parties le 29 avril 2020.
Tout en reconnaissant a posteriori qu’elle aurait dû procéder à l’audition des plaignants, elle explique qu’une telle audition ne lui est pas apparue nécessaire à la manifestation de la vérité dès lors que ceux-ci avaient été longuement entendus à deux reprises, par deux magistrats instructeurs du tribunal judiciaire de XXXX, ainsi qu’en attestent les procès-verbaux figurant au dossier.
Tant lors de ses différentes auditions qu’à l’audience, Mme X a soutenu de façon constante ne pas avoir manqué de délicatesse ni d’empathie à l’égard des plaignants, en ce que des liens fréquents avec eux se sont traduits par l’envoi régulier des pièces de la procédure ou par le biais des multiples conversations téléphoniques entretenues par ses greffières successives ou par elle-même. Sur ce point, les greffières ayant assisté Mme X ont confirmé les sollicitations nombreuses de Mme D et de M. E, qui n’ont rapidement plus eu de conseil, ainsi que les échanges intervenus au sujet de ce dossier, tant avec elles qu’avec la juge d’instruction.
Mme X affirme qu’en l’état de sa charge de travail et de ses conditions matérielles, il lui a été impossible d’agir autrement, sa priorité ayant été de traiter avec diligence ce dossier dont elle reconnaît le caractère particulier, mais aussi les autres nombreux dossiers importants de son cabinet, notamment ceux de nature criminelle et comportant des personnes détenues dont le nombre a pu atteindre 60 fin 2018.
Il ressort des pièces de la procédure que, si le stock de dossiers affectés au cabinet de Mme X entre 2017 et 2020 n’apparaît pas spécialement élevé (61 au 30 septembre 2017, 73 fin 2018 et 23 fin 2019 en raison d’une décharge de dossiers en contrepartie de la reprise par elle de l’entier service correctionnel), ce cabinet, qui comportait de nombreux dossiers en souffrance, a été qualifié de « misérable » par la présidente de la chambre de l’instruction.
A ces difficultés se sont ajoutées celles liées à la grande instabilité qu’a connue le greffe de l’instruction au cours de cette période, celui-ci n’ayant bénéficié que de l’affectation de deux greffiers pour les trois cabinets d’instruction du tribunal, hors la période de novembre 2017 à août-septembre 2018 où trois greffiers ont été en poste. Le nombre de magistrats a lui aussi été réduit à un seul, puis à deux en 2018 et de nouveau à deux en 2020, Mme X assumant alors la charge des trois cabinets seule ou avec une autre collègue.
De plus, il est constant que les trois greffières qui se sont succédé au cabinet de Mme X, la première n’étant affectée qu’en novembre 2017, ne connaissaient pas le service de l’instruction avant leur arrivée, n’ont bénéficié que d’une formation succincte et assuraient en outre de lourdes tâches annexes comme le greffe du juge des libertés et de la détention. Toutes ont unanimement indiqué, lors de leurs auditions, que leur charge de travail était très importante.
Enfin, il est également établi que les juges d’instruction assuraient, en plus de leurs attributions propres, la présidence d’une audience correctionnelle à juge unique par semaine et, à compter de septembre 2019, de deux audiences de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité par mois.
En plus de ces éléments précis objectivant les conditions difficiles dans lesquelles Mme X, qui a alerté sa hiérarchie à de nombreuses reprises, a pu exercer son activité de magistrat instructeur, perturbée en outre par un arrêt maladie en octobre-novembre 2019, l’audience a permis de mettre en lumière l’ensemble des nombreux autres obstacles que celle-ci a rencontrés quotidiennement, principalement ceux liés à son statut de travailleur handicapé se déplaçant dans un fauteuil roulant dont elle ne peut s’extraire seule, tels des pannes d’ascenseur, des sanitaires inadaptés, des poignées de porte inutilisables, des étagères trop hautes, etc…, sans que des solutions y soient apportées ou ne le soient que de manière très tardive ou limitée.
Dans ces conditions, au regard de l’ensemble des contraintes structurelles, conjoncturelles et personnelles rencontrées par Mme X, qui a par ailleurs toujours fait l’objet d’excellentes évaluations soulignant son engagement professionnel et la qualité de son travail, l’absence d’audition des parties civiles par celle-ci, laquelle a été relevée dans ce seul dossier, si elle est tout à fait regrettable, ne constitue pas pour autant une faute disciplinaire au sens de l’article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, de sorte que le grief doit être écarté.
S’agissant des griefs relatifs aux propos qu’auraient tenus Mme X au cours d’une conversation téléphonique qui se serait déroulée au cours de l’été 2018 selon les plaignants, au-delà du fait que ceux-ci soutiennent qu’il s’agit de l’unique conversation entre eux, tandis que Mme X affirme qu’il y en a eu plusieurs, ce que confirment ses greffières, aucun élément objectif et extérieur ne permet de contredire les déclarations constantes et circonstanciées de la magistrate qui conteste avoir agressé verbalement Mme D, de sorte que ce grief doit être également écarté.
Sur le manquement au devoir d’impartialité
Tout magistrat est tenu, dans sa démarche et dans son action, au devoir d’impartialité.
En l’espèce, les plaignants reprochent à la magistrate de ne pas avoir diligenté les actes « importants » qu’ils avaient demandés, de n’avoir pas voulu identifier « tous les coupables » et d’avoir commis des « erreurs » notamment en « déform[ant] » certaines investigations dans l’ordonnance de renvoi, telles la mention des « urgences psychiatriques » au lieu des « urgences pédiatriques », l’utilisation du mot « stercolithe » au pluriel au lieu du singulier, ou encore sur le moment de la décision d’opérer l’enfant.
Il apparaît toutefois que de tels éléments relatifs à la conduite de l’instruction ou au contenu de l’ordonnance de règlement relevaient de l’appréciation souveraine de Mme X dans l’exercice de sa mission juridictionnelle et ne peuvent être contestés que par l’exercice des voies de recours, de sorte que le Conseil supérieur de la magistrature ne peut en connaître.
Ce grief doit donc être écarté.
En conséquence, il y a lieu de renvoyer Mme X des fins de la poursuite disciplinaire.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Farinelli, rapporteure ;
Statuant en audience publique, le 16 mars 2023 pour les débats et, le 20 avril 2023, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Renvoie Mme X des fins de la poursuite disciplinaire ;
Dit qu’une copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de XX, aux fins de notification à Mme X ;
Dit que la présente décision sera adressée par voie dématérialisée au conseil et aux défenseurs de Mme X, à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice ;
Mme D et à M. E seront avisés, ce jour, de ce que la décision a été rendue.
La secrétaire générale adjointe
Marie Dubuisson |
Le président suppléant
Pascal Chauvin
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