S268 9/2024

S268 9/2024

Date
13/06/2024
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de loyauté et de délicatesse, Devoir de légalité, Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence)
Décision
Blâme avec inscription au dossier
Mots-clés
huis clos
ordonnance de règlement
Commission d'admission des requêtes
Inaction
plainte du justiciable
Délai raisonnable
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Le Conseil supérieur de la magistrature a considéré qu’en s’abstenant de rendre l’ordonnance de clôture de l’information judiciaire ouverte contre M. Y durant toute la période où il était juge d’instruction au tribunal judiciaire de X, M. X a manqué à son devoir de diligence. Il a également considéré que par ses engagements réitérés de régler le dossier non suivis d’effet, M. X a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis du coordonnateur du service de l’instruction du tribunal et de la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel. Il a enfin considéré qu’il avait manqué à son devoir de délicatesse vis-à-vis de M. Y.

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Formation disciplinaire compétente à l’égard des magistrats du siège

 

Décision du 13 juin 2024

N° de minute : 9/2024

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X, vice-président au tribunal judiciaire de XX, précédement en détachement à l'F et encore précédemment juge d'instruction au tribunal judiciaire de XX

 

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Pascal Chauvin, président de chambre honoraire à la Cour de cassation, président suppléant du conseil de discipline des magistrats du siège, conformément à l’article 14 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature,

 

En présence de :

 

Mme Elisabeth Guigou                             

M. Patrick Titiun,                                      

M. Loïc Cadiet,                                             

Mme Dominique Lottin,                             

M. Patrick Wachsmann,                           

M. Jean-Luc Forget,                                   

M. Julien Simon-Delcros,                            

Mme Clara Grande,                                     

M. Alexis Bouroz,                                        

Mme Céline Parisot                                   

                                              

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Mme Sarah Salimi, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;

 

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu la décision de la commission d’admission des requêtes du 15 juin 2023, reçue le 22 août 2023 et renvoyant devant la formation compétente à l’égard des magistrats du siège la plainte de M. Y à l’encontre de M. X, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu la décision du 6 septembre 2023 désignant M. Loïc Cadiet en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de ses défenseures ;

 

Vu la copie de la procédure disciplinaire transmise à M. X et Mme A, vice-présidente au tribunal judiciaire de XXX, secrétaire générale de l'D, première défenseure désignée par l’intéressé pour l’assister ;

  

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation adressée le 24 avril 2024 à M. X par lettre recommandée à M. le premier président de la cour d’appel de XX dont il a reçu notification par la voie hiérarchique le 24 avril 2024 ;

 

Vu la convocation adressée par voie dématérialisée le 24 avril 2024 à Mmes A et B, ses défenseures ;

 

Vu la désignation de Mme C, présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de XXXX, trésorière nationale adjointe de l’D, par M. X le lundi 13 mai 2024 ;

 

Les débats s’étant déroulés en audience publique dans la salle d’audience de la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 16 mai 2024 ;

 

 

Après avoir entendu :

 

  • M. Loïc Cadiet, en son rapport ;

 

  • Les explications et moyens de défense de M. X, après notification qui lui a été faite de son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions, et de sa défenseure ;

 

  • Les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, assistée de Mme Philippine Roux, magistrate au bureau du statut et de la déontologie de cette sous-direction, qui a demandé le prononcé de la sanction d’interdiction d’être nommé ou désigné dans des fonctions à juge unique pendant la durée de cinq ans ;

 

  • M. X ayant eu la parole en dernier ;

A rendu la présente

DÉCISION

 

Sur la demande de non-publicité de l’audience

Aux termes de l’article 57 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, « L'audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit au public pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline.

Le conseil de discipline délibère à huis clos.

La décision, qui doit être motivée, est rendue publiquement ».

M. X a présenté une demande tendant à l’absence de publicité des débats afin de protéger sa vie privée, ainsi que celles de ses proches entendus lors de la procédure disciplinaire, au regard des éléments médicaux et personnels devant être abordés au cours des débats.

Mme Soizic Guillaume, représentant M. le garde des sceaux, ministre de la justice, s’est opposée à cette demande qu’elle a estimé infondée.

En l’espèce, étant rappelé que le principe est celui de la publicité des débats, il n’est pas démontré que les débats seraient susceptibles de porter atteinte à la vie privée de M. X ou à celle de ses proches.

 

En conséquence, la demande de huis clos doit être rejetée.

 

 

Sur la saisine du conseil de discipline

 

Par requête reçue le 24 juin 2022, complétée par une lettre reçue le 22 juillet 2022, M. Y a saisi le Conseil supérieur de la magistrature d’une plainte à l’encontre de M. X, magistrat placé en position de détachement à l’F, précédemment juge d'instruction au tribunal judiciaire de XX.

 

Par décision du 26 octobre 2022, la commission d'admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du siège a déclaré la plainte recevable et a sollicité les observations du magistrat, lesquelles ont été reçues le 9 décembre 2022 par Mme la directrice de l’F.

 

Par décision du 15 juin 2023, elle a renvoyé l’examen de la plainte dirigée à l'encontre de M. X au conseil de discipline des magistrats du siège sur le fondement de l’article 50-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature.

 

La plainte de M. Y et ses courriers subséquents invoquent, à l’égard de M. X, des manquements aux devoirs de légalité, de rigueur et de diligence qui auraient été commis à l’occasion d’une information judiciaire dans laquelle il a été mis en examen.

 

M. Y allègue les griefs disciplinaires suivants :

 

  • l’altération frauduleuse de la vérité dans une ordonnance du 17 septembre 2019, dans le but de le priver des dispositions de l’article 140, alinéa 3, du code de procédure pénale ;

 

  • l’absence d’acte d’instruction et en particulier d’ordonnance de clôture de l’information entre le 19 juin 2019, date de la notification du réquisitoire définitif, et le 1er juin 2022, date du départ du juge d'instruction en détachement ;

 

  • l’altération frauduleuse de la vérité par des annonces mensongères de la clôture imminente de l’information judiciaire.

 

 

Sur l’origine des poursuites disciplinaires

 

Les faits dénoncés ont eu lieu alors que M. X exerçait les fonctions de juge d'instruction au tribunal judiciaire de XX entre le 2 septembre 2019 et le 1er juin 2022.

 

Il ressort des pièces de l’information judiciaire versées aux débats par M. Y que, suivant réquisitoire introductif du 25 mai 2010, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX a requis l’ouverture d’une information des chefs de faux et usage de faux, falsification de documents administratifs et usage de tels documents, escroqueries, abus de biens sociaux, abus de confiance et recel de complicités des trois dernières infractions. Le magistrat instructeur a été par la suite saisi de nouveaux faits et de requalifications par vingt et un réquisitoires supplétifs délivrés entre 2010 et 2014.

 

M. Y a été mis examen et placé sous contrôle judiciaire le 2 juillet 2010, puis placé en détention provisoire du 7 juin 2011 au 29 juillet 2011, date à laquelle il a été mis en liberté sous contrôle judiciaire. Il a fait l’objet de plusieurs mises en examen supplétives par la suite, la dernière datant du 18 décembre 2014, ainsi que des mainlevées partielles de la mesure de contrôle judiciaire.

 

L’avis de fin d’information a été communiqué au procureur de la République une première fois le 9 novembre 2016 et en troisième et dernier lieu le 19 juin 2019.

 

Par réquisitoire définitif du 19 juin 2019, le procureur de la République a requis le renvoi de M. Y devant le tribunal correctionnel de XX de cinq chefs de prévention, outre un non-lieu à suivre concernant le surplus des faits pour lesquels celui-ci avait été mis en examen.

 

M. X a été désigné pour suivre cette information judiciaire par ordonnance du président du tribunal judiciaire de XX du 2 septembre 2019, date de son installation dans ses nouvelles fonctions à la section de la criminalité financière et cybercriminalité du pôle financier du service de l’instruction.

 

 

Sur le fond

Aux termes de l’article 43 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 dans sa rédaction applicable à la procédure, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive ».

 

Pour apprécier l’existence d’une faute disciplinaire, il appartient au conseil de déterminer l’existence d’un grief et de le qualifier.

 

 

1. Sur l’altération frauduleuse de la vérité dans une ordonnance du 17 septembre 2019 afin de priver M. Y des dispositions de l’article 140, alinéa 3, du code de procédure pénale 

 

M. Y a déposé plainte le 21 octobre 2019, entre les mains du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX, pour des faits de faux, usage de faux et escroquerie au jugement contre M. X.

 

Il expose avoir adressé une demande de modification de son contrôle judiciaire datée du 3 septembre 2019 et reçue au greffe de l’instruction le 6 septembre 2019. Sa demande a été rejetée par une ordonnance rendue le 17 septembre 2019 par M. X, laquelle a visé à tort une demande datée du 6 septembre 2019 et reçue à son cabinet le 12 septembre 2019.

 

Il soutient qu’en outre, les pièces justificatives jointes à sa demande n’ont été ni cotées au dossier, eu égard l’absence de procès-verbal en ce sens du greffe, ni en conséquence communiquées au parquet en l’absence de mention quant à cette transmission dans l’ordonnance de soit-communiqué du 12 septembre 2019 sollicitant les réquisitions du procureur de la République.

 

La mention d’une date de réception erronée de la demande et l’absence de communication des pièces au parquet caractérisent, selon M. Y, une altération frauduleuse de la vérité par le magistrat dans le but de s’exonérer du délai de cinq jours prévu à l’article 140, alinéa 2, du code de procédure pénale.

 

Selon lui, ces infractions pénales constituent un manquement par le magistrat à son devoir de légalité et de rigueur.

 

Lors de son audition par le rapporteur du conseil le 15 janvier 2024 et à l’audience, M. X a contesté toute altération frauduleuse de la date de réception de la demande de M. Y, rappelant que la demande a été déposée alors qu’il se trouvait en stage de changement de fonctions à l’F, de sorte que l’ordonnance de soit-communiqué du 12 septembre 2019 a été signée par une magistrate du service le suppléant en son absence. Il a fait valoir qu’il s’agissait manifestement d’une erreur matérielle liée à une confusion entre la date de l’ordonnance de soit-communiqué et la date de réception de la demande de mainlevée sans qu’il n’ait l’intention de priver M. Y des dispositions de l’article 140 du code de procédure pénale.

 

Par dépêche du 6 novembre 2023, la direction des services judiciaires a informé le rapporteur du conseil du fait que la plainte de M. Y n'avait fait, à ce jour, l'objet d'aucune suite ni d’aucune plainte avec constitution de partie civile à l’initiative de celui-ci.

 

 

 

 

Sur ce,

 

Sur le manquement au devoir de légalité :

 

Le respect de la légalité s’impose à tout magistrat dans sa mission constitutionnelle de gardien de la liberté individuelle, dans la limite de ses attributions.

 

Conformément aux dispositions précitées de l’article 43, alinéa 2, de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, seule une violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties constatée par une décision de justice devenue définitive peut caractériser un manquement disciplinaire.  

 

Le manquement invoqué par le plaignant au titre du devoir de légalité est fondé sur les dispositions de l’article 140, alinéa 2, du code de procédure pénale suivant lesquelles « le juge d'instruction statue sur la demande de mainlevée du contrôle judiciaire dans un délai de cinq jours, par ordonnance motivée ». Selon le dernier alinéa de ce texte, « faute par le juge d'instruction d'avoir statué dans ce délai, la personne peut saisir directement de sa demande la chambre de l'instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine. A défaut, la mainlevée du contrôle judiciaire est acquise de plein droit, sauf si des vérifications concernant la demande de la personne ont été ordonnées ».

 

En l’espèce, aucune des pièces de la procédure ne permet de caractériser une intention frauduleuse de M. X quant à la mention erronée de la date de réception de la demande de mainlevée de M. Y sur l’ordonnance du 17 septembre 2019, étant relevé que la demande avait été adressée au magistrat instructeur l’ayant précédé.

 

En outre, la mention d’une date erronée n’a causé aucun grief à M. Y quant à son droit de saisir directement la chambre de l’instruction ou à interjeter appel à l’égard de l’ordonnance du magistrat instructeur, recours dont il a d’ailleurs fait usage.

 

Enfin, aucune décision de justice n’a constaté une violation grave et délibérée d’une règle de procédure par le magistrat instructeur.

 

Le manquement au devoir de légalité n’est en conséquence pas caractérisé.

 

 

Sur le manquement au devoir de rigueur :

 

Le manquement au devoir de rigueur, lequel s’impose au magistrat au titre des devoirs de son état, n’entre dans le champ disciplinaire qu’à la condition que le magistrat ait commis « un manque de rigueur caractérisé de nature à nuire au bon déroulement de l’information ».

 

L’erreur concernant les dates mentionnées dans l’ordonnance litigieuse ne peut  davantage caractériser un manquement au devoir de rigueur par le magistrat instructeur, s’agissant manifestement d’une erreur qui n’est pas de nature à nuire au bon déroulement de l’information judiciaire au regard de la faculté de saisine directe de la chambre de l’instruction prévue par l’article 140 du code de procédure pénale.

 

De même, l’absence de transmission au parquet des pièces jointes au soutien de la demande de mainlevée du contrôle judiciaire ne peut fonder un manquement au devoir de rigueur par M. X dès lors que celui-ci n’est pas le rédacteur de l’ordonnance de soit-communiqué litigieuse.

 

Les manquements disciplinaires invoqués au titre de l’ordonnance du 17 septembre 2019 ne sont en conséquence pas caractérisés.

 

 

2. Sur l’absence d’acte d’instruction entre le 19 juin 2019 et le 1er juin 2022 

 

M. Y invoque à ce titre, d’une part, l’absence d’acte d’instruction réalisé par M. X depuis le réquisitoire définitif du procureur de la République notifié le 19 juin 2019, d’autre part, l’absence de délivrance de l’ordonnance de clôture de l’information judiciaire.

 

Selon M. Y, l’absence de durée raisonnable de l’information judiciaire, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, a été expressément relevée par la chambre de l’instruction de la cour d'appel de XX dans un arrêt du 9 novembre 2020, de sorte que l’inaction fautive du magistrat instructeur caractérise un manquement par M. X à son devoir de diligence.

 

Le plaignant a initié, sur le fondement de ce grief, une action en responsabilité de l’Etat par assignation délivrée le 1er juin 2022. L’instance est actuellement pendante devant le tribunal judiciaire de XX, la date de l’ordonnance de clôture et celle de l’audience de plaidoirie n’étant pas encore fixées.

 

Par dépêche du 6 novembre 2023, la direction des services judiciaires a informé le rapporteur du conseil de la clôture de l’information judiciaire litigieuse, en précisant que l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel avait été rendue le 19 janvier 2023 et que l’appel de cette ordonnance avait été déclaré non-admis par ordonnance du président de la chambre de l'instruction du 19 juin 2023.

Lors de ses auditions par la commission d'admission des requêtes et le rapporteur du conseil, M. X a confirmé qu’il lui incombait de procéder au règlement de ce dossier. Il a justifié sa carence par la charge de travail que représente la gestion d’un cabinet d’instruction financier tel que celui qui lui avait été confié et par une succession d’évènements personnels douloureux.

 

A l’audience, M. X a mis en avant la difficulté de l’exercice dès lors qu’il ne partageait pas l’avis du parquet dans ce dossier et qu’il lui incombait, en conséquence, de motiver avec une particulière attention l’ordonnance de règlement.

 

 

Sur ce,

 

Le devoir de diligence du magistrat lui impose d’agir dans un délai raisonnable, en traitant toutes les affaires dont il est saisi en fonction des moyens dont il dispose et en alertant le cas échéant sa hiérarchie sur les obstacles rencontrés.

 

S’il ne peut être reproché à M. X de n’avoir réalisé aucune investigation dans une information judiciaire ayant déjà fait l’objet d’un avis de fin d’information, force est de constater que celui-ci n’a pas procédé au règlement de la procédure mettant en cause M. Y durant toute la période au cours de laquelle il a exercé les fonctions de juge d’instruction au tribunal judiciaire de XX, soit entre son installation dans cette juridiction le 2 septembre 2019 et sa mise en position de détachement le 1er juin 2022.

 

Le magistrat instructeur avait pourtant lui-même relevé, dès la rédaction de son annexe 1 en date du 4 novembre 2019 concernant la situation de son cabinet d’instruction, que l’information judiciaire concernant M. Y, constituée de trente-trois tomes et ayant fait l’objet d’un réquisitoire définitif du parquet le 19 juin 2019, nécessiterait plusieurs semaines de travail.

 

De même, il ressort du résumé de l’entretien préalable à son évaluation rédigé le 6 janvier 2021 par le 1er vice-président chargé de l’instruction, coordonnateur du pôle financier, qu’au titre des objectifs fixés apparaît celui de veiller à la clôture des informations dans les délais de l’article 175 du code de procédure pénale, une fois le réquisitoire définitif du parquet notifié.

 

Par ailleurs, M. X a annoncé à plusieurs reprises l’imminence de son ordonnance de règlement, ainsi que l’ont relevé tant les arrêts de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de XX des 31 décembre 2021 et 31 mai 2022 qu’une note du 14 avril 2022, cotée au dossier d’information judiciaire ouvert devant une autre juge d’instruction saisie d’une affaire connexe.

Enfin, il ressort de l’audition de la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d'appel de XX que celle-ci a expressément invité M. X le 21 mars 2022 à rendre deux ordonnances de règlement, dont celle du dossier de M. Y, avant son départ en détachement au 1er juin 2022.

 

L’annexe 3 de son évaluation rédigée le 15 juillet 2022 par le coordonnateur du service de l’instruction note ainsi que M. X « n’a pas été en mesure de respecter plusieurs des objectifs qui lui avaient été assignés lors de sa dernière évaluation alors pourtant qu’il a été saisi d’un peu moins de dossiers que ses collègues afin de ne pas obérer la situation de son cabinet ». 

 

Si le Conseil relève que M. X a été affecté par des évènements personnels de nature à altérer son engagement professionnel, ces circonstances ne sauraient, en l’espèce, l’affranchir du devoir de diligence auquel il était astreint.

 

Dès lors, en s’abstenant de rendre l’ordonnance de clôture de l’information suivie contre M. Y entre le 2 septembre 2019 et le 1er juin 2022, en dépit des alertes de sa hiérarchie comme des objectifs fixés par celle-ci et de ses propres engagements, réitérés à plusieurs reprises, M. X a gravement manqué à son devoir de diligence.

 

 

3. Sur l’altération frauduleuse de la vérité par des annonces mensongères concernant la clôture imminente de l’information judiciaire

 

M. Y invoque enfin un manquement par le magistrat instructeur à son devoir de diligence, de légalité et de rigueur au regard des annonces faites au titre de l’imminence de la clôture de l’information judiciaire auprès de la chambre de l’instruction de la cour d'appel de XX et d’une juge d'instruction du tribunal judiciaire de XX. Selon lui, lors de ces annonces, M. X n’avait en réalité pas l’intention de clôturer le dossier avant son départ en détachement.

 

Lors de ses auditions et à l’audience, M. X a soutenu que son intention de régler le dossier était réelle.

 

 

Sur ce,

 

Conformément à son serment, le magistrat exerce ses fonctions avec loyauté. Dès lors, il doit informer loyalement sa hiérarchie de l’évolution des procédures dont il a la charge.

 

Dans ses relations avec le justiciable, le magistrat est soumis à un devoir de délicatesse lui imposant le respect et la prévenance envers autrui.

 

Il est constant que M. X s’est engagé à plusieurs reprises à rendre l’ordonnance de règlement relative à l’information judiciaire ouverte à l’encontre de M. Y et en dernier lieu auprès de la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d'appel de XX à l’égard de laquelle il s’était engagé à notifier l’ordonnance le 19 avril 2022, puis le 30 avril 2022.

 

Or, au regard de l’ampleur du travail qu’impliquait la rédaction de l’ordonnance de règlement, qu’il n’avait pas même débutée, il est manifeste que M. X n’était pas en mesure de respecter, vis-à-vis de la présidente de la chambre de l’instruction, les engagements qu’il avait pris oralement le 21 mars 2022 et par courriel le 14 avril 2022.

 

Si le Conseil considère que ces engagements non suivis d’effet ne relèvent pas des devoirs de légalité, de rigueur et de diligence, contrairement aux moyens soutenus par M. Y, ils caractérisent en revanche un manquement manifeste par le magistrat à son devoir de loyauté à l’égard de sa hiérarchie et à son devoir de délicatesse à l’égard du justiciable.

 

C’est d’ailleurs sur le terrain de la loyauté que s’est précisément placée la présidente de la chambre de l’instruction dans l’annexe du 15 juillet 2022 établie par ses soins et concernant M. X : « alors que X est capable de réaliser des interrogatoires construits et d’instruire certains dossiers avec la diligence requise, il a également démontré, d’une part, qu’il était incapable de gérer avec méthode un cabinet et de faire preuve de diligence notamment dans les dossiers dont il a hérité à sa prise de fonction et, d’autre part, d’être franc et loyal à mon égard puisqu’il m’a menti sur toutes ces dernières semaines […] ».

 

Le même constat concernant le défaut de loyauté peut être dressé au regard des engagements pris par M. X auprès du coordonnateur du service de l’instruction, devant lequel il s’était engagé à clôturer sept procédures lors de son évaluation de janvier 2021 précitée, dont celle concernant M. Y.

 

 

Sur la sanction

 

Si les évaluations de M. X concernant ses premières fonctions de substitut du procureur de la République soulignent ses qualités techniques et relationnelles et que le cabinet d’instruction dont il a été chargé à XX comprenait des procédures volumineuses, telle que celle concernant M. Y, relevant de « la grande complexité et de la très grande complexité », M. X n’a toutefois pas été à la hauteur des exigences attendues d’un magistrat instructeur en charge d’un cabinet financier en dépit de la diminution des saisines de son cabinet, dont il a bénéficié.

 

Les différents manquements retenus à son encontre, nonobstant les évènements personnels l’ayant affecté, justifient le prononcé à l’égard de M. X d’un blâme avec inscription au dossier en application de l’article 45, 1°, de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature.

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Loïc Cadiet, rapporteur ;

Siégeant en audience publique le 16 mai 2024 pour les débats et statuant le 13 juin 2024 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce, à l'encontre de M. X, la sanction du blâme avec inscription au dossier.

La présente décision sera notifiée à M. X par courrier recommandé avec demande d’avis de réception à M. le premier président de la cour d’appel de XX pour notification par la voie hiérarchique et à sa défenseure par voie dématérialisée.

Elle sera également adressée par voie dématérialisée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Y sera avisé ce jour du prononcé de la décision.

 

 

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

Sarah Salimi

Le président suppléant

 

 

Pascal Chauvin