S271 7/2025
CONSEIL DE DISCIPLINE DES MAGISTRATS DU SIÈGE |
Décision du 10 avril 2025
N° de minute : 7/2025
DÉCISION
Dans la procédure mettant en cause :
Mme X, juge au tribunal judiciaire de Xx, précédemment juge des contentieux de la protection au tribunal judiciaire de Xxx,
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,
En présence de :
M. Patrick Titiun,
Mme Diane Roman,
M. Didier Paris,
Mme Dominique Lottin,
M. Patrick Wachsmann,
M. Jean-Luc Forget,
M. Christian Vigouroux,
M. Pascal Chauvin,
Mme Catherine Farinelli,
M. Julien Simon-Delcros,
M. Jean-Baptiste Haquet,
Mme Clara Grande,
Mme Céline Parisot,
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de Mme Sarah Salimi, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Aurélie Vaudry, cheffe du pôle discipline ;
En présence de Mme Sandrine Branche, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature de la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, assistée de Mme Anaëlle Louat, adjointe à la cheffe du bureau du statut et de la déontologie de cette même direction ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 16 mai 2024 et reçu le 22 mai 2024, ainsi que les pièces jointes ;
Vu la décision du 23 mai 2024 désignant M. Jean-Luc Forget en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de ses conseil et défenseures ;
Vu la copie de la procédure disciplinaire transmise à Mme X, Mme A, conseillère à la cour d'appel de Xxxx, secrétaire générale de D, et à Me B, avocat au barreau de Xxxxx ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation à l’audience du 13 mars 2025 adressée à Mme X par courrier recommandé avec demande d’avis de réception et par voie dématérialisée au premier président de la cour d’appel de Xx dont elle a reçu notification par la voie hiérarchique le 10 février 2025 ;
Vu la convocation adressée par voie dématérialisée le 5 février 2025 à ses conseil et défenseures ;
Vu les observations de Me B reçues par voie dématérialisée le 5 mars 2025 et communiquées à la direction des services judiciaires le 6 mars 2025 ;
Les débats s’étant déroulés en audience publique, dans la salle d’audience de la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 13 mars 2025 ;
Après avoir entendu :
- M. Forget, en son rapport ;
- Les explications et moyens de défense de Mme X, après notification qui lui a été faite de son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions, de Mme A et de son conseil ;
- Les observations de Mme Branche, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, tendant au prononcé d’un blâme avec inscription au dossier ;
- Mme X ayant eu la parole en dernier ;
A rendu la présente
DÉCISION
Sur la saisine du conseil de discipline
Par acte du 16 mai 2024, reçu le 22 mai 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège, en application de l’article 50-1 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, de poursuites disciplinaires visant Mme X, juge au tribunal judiciaire de Xx, précédemment juge des contentieux de la protection au tribunal judiciaire de Xxx.
L’acte de saisine impute à Mme X les manquements suivants :
En étant définitivement condamnée pour avoir commis des violences avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, Mme X a gravement manqué à la probité, à la dignité, à l'honneur et aux devoirs de son état, et a ainsi porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer, à l'image et à l'autorité de l'institution judiciaire.
Par ordonnance du 23 mai 2024, le premier président de la Cour de cassation, président de du conseil de discipline des magistrats du siège, a désigné M. Jean-Luc Forget pour procéder à une enquête et faire rapport. M. Forget a déposé son rapport le 4 février 2025.
Sur les faits à l’origine des poursuites disciplinaires
Les faits en cause ont eu lieu alors que Mme X exerçait, au tribunal judiciaire de Xxx, les fonctions de juge des contentieux de la protection.
Par courriel du 8 septembre 2022, la direction des affaires criminelles et des grâces a informé la direction des services judiciaires de poursuites pénales engagées par le parquet de Xxxxx à l’égard de Mme X du chef de violences volontaires, aggravées par l’usage ou la menace d’une arme, ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours commis à Xxxxx le 27 novembre 2021.
Mme X a été citée à comparaître devant la Yème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Xxxxx à l’audience du 28 février 2023 après qu’elle eut refusé la mesure de composition pénale ordonnée initialement.
Par jugement du 11 avril 2023, le tribunal correctionnel de Xxxxx a déclaré Mme X coupable des faits de la prévention et l’a condamnée à la peine de quatre mois d’emprisonnement assortie du sursis, outre des dommages et intérêts à hauteur de 8 000 euros au titre de l’action civile.
Mme X ayant interjeté appel, la cour d'appel de Xxxxx a, par arrêt du 13 février 2024, confirmé le jugement en ce qui concerne la culpabilité et l’action civile. L’infirmant pour le surplus, elle a condamné Mme X à une amende de 10 000 euros dont 6 500 euros assortis du sursis, avec exclusion du bulletin n°2 du casier judiciaire.
Sur le fond
Selon les dispositions de l'article 43, alinéa 1er, de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, dans sa rédaction applicable à la présente espèce, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
En l’espèce, il résulte des pièces de la procédure pénale versées aux débats les éléments qui suivent.
Le 28 novembre 2021, M. C déposait plainte pour des faits de violences qui s’étaient déroulés le 26 novembre 2021 vers 2h00 du matin dans un bar situé à Xxxxx. Il indiquait qu’à la suite d’une altercation survenue entre lui et Mme X, celle-ci lui avait jeté son verre au visage, lui occasionnant trois plaies superficielles au niveau de l’arcade droite, laquelle avait dû être suturée, ainsi qu’en attestait un certificat médical établi le 27 novembre 2021. La mise en cause avait quitté les lieux alors que lui-même était pris en charge par le personnel du bar, puis par les pompiers.
L’incapacité totale de travail était fixée par l’unité médico-judiciaire à six jours, aux termes d’un certificat en date du 1er décembre 2021, qui relevait une gêne esthétique résultant de cicatrices très visibles sur le crâne, ainsi qu’un retentissement psychologique.
Entendue le 6 décembre 2021, Mme X a déclaré être intervenue auprès d’une de ses amies alors qu’elle se disputait avec le plaignant, lequel apparaissait agressif dans sa gestuelle et ses propos. Selon elle, au cours de l’altercation, M. C avait fait de grands gestes et l’avait injuriée puis poussée violement. Alors qu’il se dirigeait de nouveau dans sa direction, elle avait levé la main gauche, dans laquelle elle tenait son verre, afin de se protéger et celui-ci s’était cassé sur le visage du plaignant. S’étant blessé elle-même la main, elle s’était rendue aux toilettes pour se soigner avant de quitter les lieux à la demande du personnel du bar. Elle soutenait n’avoir eu aucune intention de le blesser, ajoutant qu’il était menaçant par ses paroles et son attitude.
Lors des confrontations des 6 décembre 2021 et 4 février 2022, M. C a précisé que Mme X lui avait cassé le verre sur le visage et a contesté l’avoir bousculée. Celle-ci a maintenu ses déclarations, réfutant avoir cassé le verre sur le visage de M. C.
Toutefois, l’état de légitime défense, invoqué par Mme X, a été exclu tant en première instance qu’en appel.
La cour d'appel, tout en rappelant que la victime des violences avait préalablement poussé Mme X, en réponse à une agressivité verbale de celle-ci, a retenu que « le geste accompli par Mme X, nécessairement intentionnel puisqu’il est question dans les témoignages d’un verre « explosé » sur la tête de M. C et non d’un jet malencontreux de ce verre, s’analyse en un geste volontaire de violence », sans que les éléments du dossier ne permettent « d’objectiver l’existence d’une attaque concomitante au geste violent accompli, excluant que puisse être retenu le fait justificatif de légitime défense ».
Devant le rapporteur du conseil, Mme X a réitéré avoir eu l’intention de se protéger et non de blesser M. C, tout en indiquant que sa réaction, décrite comme un geste réflexe, n’avait certainement pas été adaptée à la situation.
A l’audience, comme dans ses écritures communiquées le 5 mars 2025, Mme X a renouvelé ses regrets. Ses conseil et défenseure ont soutenu qu’au regard des circonstances de commission de l’infraction pénale en cause et en application des principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des sanctions, le prononcé d’une sanction disciplinaire n’apparaissait pas justifié.
La matérialité des faits de violences constatés par l’arrêt de la cour d'appel de Xxxxx, à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée, étant établie, elle s’impose au conseil de discipline.
Toutefois, au regard de l’autonomie de la procédure disciplinaire, la faute pénale se rattachant à la vie privée du magistrat n’engage sa responsabilité disciplinaire que si, selon les circonstances, les faits commis mettent en cause son aptitude à exercer ses fonctions ou s’ils ont pour effet de perturber le fonctionnement de la juridiction ou de jeter le discrédit sur l’institution judiciaire.
Le conseil relève que l’acte commis par Mme X est un acte unique, commis dans un cadre festif par une magistrate qui n’a à aucun moment fait état de sa qualité et dont l’engagement professionnel est resté constant et irréprochable au cours de la procédure pénale.
Au regard de l’absence de répercussion des faits tant sur l’image de la justice que sur l’aptitude de Mme X à exercer ses fonctions et à incarner l’institution, aucune faute disciplinaire ne se trouve caractérisée à son égard, nonobstant la gravité des faits relevée par le juge pénal et la condamnation prononcée à ce titre.
Partant, Mme X sera renvoyée des fins de la poursuite disciplinaire.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Jean-Luc Forget, rapporteur ;
Siégeant en audience publique le 13 mars 2025 pour les débats et statuant le 10 avril 2025 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Renvoie Mme X des fins de la poursuite disciplinaire.
La présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de Xx pour une notification à Mme X par la voie hiérarchique et à ses conseil et défenseures par voie dématérialisée.
Une copie sera adressée par voie dématérialisée au garde des sceaux, ministre de la justice.
La secrétaire générale adjointe
Sarah Salimi |
Le Président
Christophe Soulard |
Notifications
La présente a été envoyée par LRAR et par voie dématérialisée à Monsieur le premier président de la cour d'appel de Xx pour notification par la voie hiérarchique à Mme X ;
Et envoyée par voie dématérialisée aux conseils de Mme X et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Le 10 avril 2025
Le greffier