Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
16/01/2019
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de loyauté et de délicatesse, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues
Décision
Abaissement d’échelon assortie du déplacement d’office
Mots-clés
Loyauté
Délicatesse
Supérieur hiérarchique
règles de procédure
violation du secret professionnel
Incompétence
Question prioritaire de constitutionnalité
nullité
enquête administrative
rapporteur
prestation de serment
Fonction
Vice-procureur de la République
Résumé
Exception d’incompétence : En application du principe fondamental de protection statutaire des magistrats du siège, les poursuites concernant un magistrat exerçant au siège doivent être engagées devant le conseil discipline des magistrats du siège, quand bien même les faits le mettant en cause porteraient sur son exercice professionnel au parquet, dans un poste précédent. // Sur le fond : Le comportement par lequel un magistrat, usant de sa qualité de vice-procureur, s’affranchit des règles de procédure pour engager - méconnaissant la décision de sa hiérarchie de ne pas poursuivre les investigations concernant cette affaire - des investigations et ordonner des actes en dehors de tout cadre juridique régulier, manquant ainsi aux devoirs de son état — en ce compris la violation du secret professionnel, s'agissant de la communication de pièces d'une procédure à des tiers, hors toute procédure régulière - caractérise un manquement au devoir de loyauté et de délicatesse envers la hiérarchie, doublé d'un manquement au devoir de loyauté et de délicatesse à l'égard des enquêteurs, propre à porter atteinte à l'image de l'institution judiciaire. La recherche de la vérité alléguée par l'intéressé ne saurait, à cet égard, justifier le contournement ou le détournement des règles et principes légitimant l'usage de ses prérogatives et pouvoirs par le magistrat. Le contexte professionnel tendu et le sentiment de menaces éprouvé par M. X, dont le Conseil ne nie pas la réalité, ne sauraient davantage constituer des faits justificatifs, le respect du cadre procédural constituant au contraire la meilleure des garanties pour le magistrat. // L’attitude du magistrat consistant à ne pas rejoindre son poste de délégation conformément à l'organisation qui avait été mise en place par son procureur - qui s’est notamment traduite pas des répercussions sur le service de la justice et une nécessité de réorganiser en urgence des activités du parquet - est constitutive d'une faute caractérisée par un manquement au devoir de loyauté envers sa hiérarchie et ses collègues.

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline des magistrats du siège

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

Dans la procédure mettant en cause :

M. X

Vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

Sous la présidence de M. Alain Lacabarats, président de chambre honoraire à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,

En présence de :

M. Jean Danet

Mme Dominique Pouyaud

Mme Evelyne Serverin

M. Guillaume Tusseau

Mme Paule Aboudaram

M. Yves Robineau

Mme Chantal Bussière

M. Eric Maréchal

M. Christophe Regnard

M. Alain Vogelweith

Mme Virginie Valton

Membres du Conseil,

Assistés de M. Daniel Barlow, secrétaire général ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1, 64 et 65 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 et suivants ;

 

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994, modifiée, sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994, modifié, relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

Vu l'acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 27 mars 2017, reçu par le Conseil le 30 mars 2017, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l'ordonnance du 25 avril 2017 désignant Mme Valton, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition, ainsi qu'à celle de ses conseils ;

Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

Vu les décisions des 16 mars 2018 et 27 septembre 2018 prorogeant le délai imparti au Conseil supérieur de la magistrature pour statuer ;

Vu la convocation adressée à M. X le 21 novembre 2018 ;

Vu la convocation adressée à Maître A, conseil premier choisi de M. X, le 21 novembre 2018;

Vu le mémoire produit par Maître A, aux intérêts de M. X, du 4 décembre 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du directeur des services judiciaires du 7 décembre 2018 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître A du 10 décembre 2018 ;

Vu le mémoire à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité déposé par Maître A le 11 décembre 2018, régularisé lors de l'audience du 12 décembre 2018 ;

Vu les conclusions de donner acte, déposées en cours de délibéré par Maître A le 20 décembre 2018;

 

Les débats s'étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, les 12 et 13 décembre 2018 ;

Après avoir entendu :

  • Mme Virginie Valton, en son rapport ;
  • M. Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Virginie Tilmont, magistrat à la direction des services judiciaires, représentant le garde des Sceaux ;
  • M. X, assisté de Maître A, avocat au barreau de xxxxx, de M. B et de Mme C, magistrats ;
  • M. D, M. E, Mme F, M. G, M. H et M. I, témoins cités par la défense ;

A rendu la présente

DECISION

  1. Vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de xxxxx, M. X est poursuivi devant le Conseil de discipline des magistrats du siège, suivant dépêche du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 27 mars 2017, pour des faits qui lui sont imputés dans l'exercice de ses fonctions de vice-procureur près le tribunal de grande instance de xxxxx en résidence à xxxxx, poste qu'il occupa du 20 juillet 2012 au 31 août 2015.
  2. Avant toute défense au fond, M. X conclut, à titre principal, à l'incompétence de la formation du Conseil saisie de la procédure. Il invoque, subsidiairement, la nullité de l'enquête administrative produite au soutien des poursuites, la nullité de l'ordonnance portant désignation du rapporteur et la nullité subséquente du rapport déposé au cours de la procédure conduite devant le Conseil. Il met en cause les conditions d'audition des témoins et soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Le Conseil a joint au fond l'examen de ces exceptions et moyens, et a renvoyé à la date de son délibéré sa décision sur la question prioritaire de constitutionnalité.

SUR LA COMPÉTENCE DU CONSEIL DE DISCIPLINE DES MAGISTRATS DU SIEGE

  1. M. X soutient qu'au regard des dispositions de l'article 65 de la Constitution, la formation du Conseil compétente à l'égard des magistrats du siège ne saurait se prononcer sur des faits reprochés à un magistrat dans l'exercice de fonctions antérieures de vice-procureur. Il fait valoir que, dans une décision du 20 avril 2016, le conseil de discipline des magistrats du siège a écarté sa compétence pour connaître de faits imputés à un magistrat alors qu'il était en poste au parquet.
  1. L'article 64 de la Constitution affirme le principe d'inamovibilité des magistrats du siège, dont la discipline relève, selon l'article 65, de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à leur égard, la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet donnant son avis sur les sanctions disciplinaires applicables à ces derniers. L'article 48 de l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 susvisée précise que le pouvoir disciplinaire est exercé à l'égard des magistrats du siège par le Conseil supérieur de la magistrature et, à l'égard des magistrats du parquet, par le garde des Sceaux, ministre de la justice.
  2. Il résulte de la lecture combinée de ces dispositions que la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège, statuant comme conseil de discipline, est seule à même de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre d'un magistrat exerçant ses fonctions au siège, les principes d'indépendance et d'inamovibilité s'opposant à ce que le garde des Sceaux émette une telle une sanction.

Les poursuites concernant un magistrat exerçant au siège doivent dès lors être engagées devant le conseil discipline des magistrats du siège, quand bien même les faits le mettant en cause porteraient sur son exercice professionnel au parquet, dans un poste précédent.

Cet équilibre participe, en l'état du statut de la magistrature, de la garantie constitutionnelle de l'indépendance des magistrats du siège.

Si le Conseil supérieur de la magistrature a pu, par le passé, ne pas retenir sa compétence dans un cas d'espèce mêlant des faits commis successivement au parquet puis au siège par un même magistrat, cette décision ne saurait remettre en cause le principe fondamental de protection statutaire des magistrats du siège en permettant que ceux-ci puissent faire l'objet d'une sanction décidée par le ministre de la justice sur avis simple de la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet.

Il s'ensuit que l'exception d'incompétence soulevée par M. X sera rejetée.

SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

  1. Avant toute défense au fond, M. X soulève la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L'article L1 du code de justice administrative est-il conforme à la Constitution, et notamment aux articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 34 de la Constitution, en ce qu'il exclut de son application les juridictions administratives spécialisées pour toute règle de procédure qui n'est pas inconciliable avec son organisation ? ».

  1. En droit, l'article 61-1 de la Constitution énonce que « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

La juridiction saisie d'un tel moyen doit, conformément aux dispositions combinées 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, statuant sans délai et par une décision motivée, transmettre la question au Conseil d'État ou à la Cour de cassation, selon le cas, si les conditions suivantes sont remplies :

  • Le moyen est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé ;
  • La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
  • Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
  • La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
  1. En l'espèce, le moyen soulevé, présenté dans un écrit distinct et motivé, est recevable.

Si M. X reproche au Conseil de n'avoir pas statué sur sa demande de transmission « immédiatement au cours des débats », lors de l'audience du 12 décembre 2018, et d'avoir différé sa décision à la date de son délibéré sur l'exception d'incompétence, le Conseil relève que les articles 61-1 de la Constitution et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 n'imposent pas au juge du fond de se prononcer sur le champ, pas plus qu'ils n'enserrent sa décision dans un délai déterminé.

Ces textes ne font d'autre obligation à la juridiction régulièrement saisie d'un tel moyen que celle de se prononcer rapidement et par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité.

Dans la présente procédure, le moyen invoqué par M. X ne pouvant être examiné avant que le Conseil se prononce sur sa compétence, rien ne s'opposait à ce qu'il fût tranché, par priorité à toute autre question, à la date du délibéré sur ce point.

  1. Ce moyen porte sur la conformité à la Constitution de l'article L. 1 du code de justice administrative, aux termes duquel ce code « s'applique au Conseil d'État, aux cours administratives d'appel et aux tribunaux administratifs ».

M. X soutient que ces dispositions présenteraient un caractère imprécis en ce qu'elles ne permettraient pas de savoir si les règles, notamment de procédure, que fixe ce code et qui ont un effet direct sur les droits des justiciables, concernant la protection de libertés fondamentales, comme le droit au caractère contradictoire des débats devant une juridiction et les droits de la défense, sont applicables aux juridictions administratives spécialisées.

  1. La procédure disciplinaire applicable aux magistrats est toutefois régie par des dispositions spécifiques, énoncées par l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 et la loi organique du 2 février 1994 susvisées, ainsi que par leurs textes d'application respectifs, que complètent les règles et principes généraux de procédure dont l'application n'est pas incompatible avec l'organisation de cette procédure ou n'a pas été écartée par une disposition expresse, tels que dégagés par le Conseil supérieur de la magistrature et par le Conseil d'État.

Cet ensemble définit et organise la protection des droits reconnus aux parties dans la procédure.

Il ne saurait, dans ces conditions, être conclu à une incompétence négative du législateur dans l'énoncé de l'article L. 1 du code de justice administrative, qui n'a pas vocation à s'appliquer à la procédure suivie devant le Conseil supérieur de la magistrature.

La question prioritaire de constitutionnalité soumise au Conseil apparaît dès lors dépourvue du caractère sérieux propre à justifier sa transmission au Conseil d'État.

Elle sera, en conséquence, rejetée.

SUR LES EXCEPTIONS DE PROCEDURE

Sur la nullité de l'enquête administrative

  1. Pour conclure à la nullité du rapport de l'inspection générale des services judiciaires produit par le garde des Sceaux à l'appui des poursuites, ainsi qu'à la nullité des actes subséquents, M. X soutient que les membres de la mission d'inspection ayant conduit les investigations à l'origine de ce document ne disposaient pas d'un statut garantissant la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la magistrature, et n'avaient pas qualité pour procéder à une enquête administrative portant sur la discipline d'un magistrat.

Il avance que, dans la structure qui était la sienne au moment de l'enquête administrative, l'inspection générale était composée de membres qui, à l'exception de l'inspecteur général qui la dirigeait, n'appartenaient pas au corps judiciaire et n'avaient donc pas qualité pour agir dans le respect des principes précités.

  1. Le Conseil relève néanmoins que, dès avant les réformes opérées par la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 et le décret n° 2016-1675 du 23 mars 2016 portant création de l'inspection générale de la justice, l'inspection générale des services judiciaires était composée de magistrats de l'ordre judiciaire nommés sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la justice, après avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet, conformément aux dispositions de l'article 5 du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 pris pour l'application de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Ces magistrats, affectés à l'administration centrale du ministère de la justice, selon les termes mêmes du décret de 1993 précité, pris dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-1905 du 27 décembre 2016, appartenaient bien, comme tels, au corps judiciaire.

Il ne saurait, dans ces conditions, être soutenu qu'ils n'avaient pas qualité pour participer à une enquête administrative conduite sous l'autorité de l'inspecteur général des services judiciaires dont M. X ne conteste pas, au demeurant, l'appartenance au corps judiciaire.

Le rattachement de l'inspection générale au garde des Sceaux ne saurait en outre être regardé comme portant atteinte au principe de séparation des pouvoirs, le ministre de la justice disposant, selon la loi organique portant statut de la magistrature, dont la constitutionnalité n'a pas été remise en cause sur ce point, d'une compétence pour engager des poursuites disciplinaires contre des magistrats, du siège comme du parquet, et devant, à ce titre, être à même de conduire les investigations propres à étayer ce type d'action.

Il s'ensuit que l'exception de nullité soulevée de ce chef par M. X sera rejetée.

Sur les conditions de désignation du rapporteur et la nullité du rapport

  1. M. X reproche au président de la formation compétente pour la discipline des magistrats du siège d'avoir, dans son acte de désignation, chargé le rapporteur de « procéder, s'il y a lieu, à une enquête ». Il soutient qu'il n'aurait, ce faisant, pas exercé la plénitude de ses pouvoirs, en déléguant au rapporteur le soin d'apprécier la nécessité d'une enquête et d'en déterminer l'objet, cette erreur de droit portant, selon lui, sur une formalité substantielle et constituant une atteinte aux droits de la défense. Il ajoute que la désignation du rapporteur et la décision de faire procéder à une enquête ne lui auraient pas été notifiées.
  2. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 51 de l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 confient au président du conseil de discipline le soin de désigner un rapporteur parmi les membres de ce conseil et de le charger « s'il y a lieu, de procéder à une enquête ».

La reprise littérale de ces dispositions dans l'ordonnance portant désignation de Mme Valton en qualité de rapporteur ne saurait être regardée comme faisant grief à M. X, dès lors que l'enquête a bien été réalisée par le rapporteur, offrant ainsi à l'intéressé, qui contestait les conditions de réalisation de l'enquête administrative conduite par l'inspection générale des services judiciaires, le bénéfice d'un regard tiers et la possibilité de demander de nouveaux actes.

Elle ne porte pas davantage atteinte aux droits de la défense.

N'ayant privé M. X d'aucune garantie, elle ne peut être regardée comme caractérisant la violation d'une formalité substantielle, étant précisé que l'article 51 de l'ordonnance statutaire n'impose en rien au président du conseil de discipline de définir l'objet de l'enquête.

Enfin, contrairement à ce que soutient M. X dans ses écritures, la désignation du rapporteur lui a été notifiée contre émargement le 10 mai 2017, ainsi qu'il résulte des pièces versées au dossier.

L'absence d'acte portant notification formelle de la décision de procéder à l'enquête conformément aux dispositions de l'article R. 623-2 du code de justice administrative est sans effet, ce texte n'étant pas applicable à la présente procédure.

Le moyen tiré de la nullité de la désignation du rapporteur et des actes subséquents ne pourra donc qu'être écarté.

Sur l'absence de prestation de serment des témoins

  1. M. X invoque la violation des dispositions des articles R. 623-3 et R. 623-5 du code de justice administrative à raison de l'absence de prestation de serment des témoins entendus par le rapporteur, qui a en outre procédé aux auditions des témoins hors sa présence et celle de ses conseils.
  2. Ces textes, qui concernent les juridictions administratives de droit commun, ne sont toutefois pas applicables à la procédure disciplinaire des magistrats.

Aucune des dispositions spécifiques à cette procédure n'impose la prestation de serment des témoins et la réalisation de leur audition en présence des parties. Ces exigences ne ressortissent pas davantage d'un principe général de procédure.

M. X, qui a eu toute possibilité de discuter les déclarations des témoins entendus, tant durant l'instruction de l'affaire que lors de l'audience de jugement, ne saurait, à cet égard, prétendre à la privation d'un droit ou à la violation d'une garantie qui justifierait l'annulation des auditions en question.

Le moyen tiré de ce chef sera dès lors rejeté.

SUR LES DEMANDES D'AUDITIONS DE TEMOINS ET DE CONFRONTATION

  1. M. X a sollicité l'audition de témoins qu'il a cités à comparaître devant le Conseil. Il fait grief à celui-ci d'avoir joint au fond sa décision sur l'opportunité d'entendre ceux d'entre eux qui n'avaient pas comparu lors de l'audience tenue les 12 et 13 décembre 2018, regardant cette jonction comme constitutive d'une atteinte aux droits de la défense.
  2. Le Conseil, qui a procédé à l'audition de l'ensemble des témoins cités par M. X présents lors des débats, relève que les trois témoins non-comparants ont été entendus lors de l'enquête administrative puis, pour deux d'entre eux, lors de l'enquête conduite par le rapporteur.

Les procès-verbaux de ces auditions ont été régulièrement versés au dossier, où ils ont pu être consultés à tout moment par M. X et ses défenseurs. Ceux-ci ont eu la possibilité d'en discuter la teneur au cours de la procédure, de sorte qu'il ne saurait être conclu à une atteinte aux droits de la défense.

M. X, qui a refusé de s'exprimer devant le rapporteur, même à titre subsidiaire, sur le contenu des témoignages recueillis lors de l'enquête menée par l'inspection, et qui a eu toute latitude, lors de l'audience, pour discuter le contenu de ces auditions, ne démontre pas en quoi la comparution des intéressés serait de nature à apporter des éléments d'information supplémentaires.

Dans ces conditions, le Conseil s'estime suffisamment informé et n'entend pas rouvrir les débats pour procéder à l'audition des témoins non-comparants.

SUR LE FOND

  1. L'article 43 de l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 susvisée qualifie de faute disciplinaire tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité.
  2. En l'espèce, le garde des Sceaux, ministre de la justice, reproche à M. X un manquement au devoir de délicatesse envers ses collègues et sa hiérarchie à raison de son comportement, un manquement au devoir de loyauté et de délicatesse envers ses collègues et sa hiérarchie du fait d'absences répétées et d'un manque de disponibilité, une perte de repères déontologiques dans le traitement d'une affaire, un manquement aux devoirs de délicatesse et de loyauté du fait des conditions de son retour à xxxxx en juillet 2015, ainsi qu'un manquement au devoir de loyauté à l'occasion d'une « interview » donnée à un journal local.

M. X conteste l'intégralité des faits qui lui sont imputés.

Sur le manquement au devoir de délicatesse envers ses collègues et sa hiérarchie

  1. Il est fait grief à M. X d'avoir adopté un comportement volontairement fermé, répété et blessant, depuis son entrée en fonction, à l'égard de ses collègues du siège et du parquet, et d'avoir employé un ton inacceptable lors d'un échange téléphonique avec son procureur de la République.
  2. Les pièces versées aux débats et les témoignages recueillis au cours de l'instruction font état du comportement individualiste de M. X et d'un mode de communication privilégiant l'utilisation du courriel.

Ces éléments, rapportés au contexte particulier de l'exercice professionnel à xxxxx, marqué par un grand éloignement de ses collègues, ne sauraient toutefois, en tant que tels, établir le manquement au devoir de délicatesse allégué.

Les reproches tenant aux conditions de l'accueil par M. X de magistrats venus assurer son remplacement pour des audiences n'apparaissent, quant à eux, pas suffisamment étayés en fait pour caractériser un tel manquement.

Il en va de même du grief portant sur le ton inacceptable employé par ce magistrat lors d'une conversation téléphonique avec son procureur, cette imputation, dont M. X conteste la teneur, n'étant confortée par aucun témoignage extérieur direct.

En considération de ces éléments, le Conseil estime non-établi ce premier chef de poursuite.

Sur les manquements aux devoirs de loyauté et de délicatesse envers ses collègues et sa hiérarchie tenant à des absences injustifiées et au manque de disponibilité

  1. L'acte de saisine impute à M. X des absences et des retards réguliers aux audiences, ainsi que des absences dont son procureur n'aurait pas été préalablement informé. Il lui est plus largement reproché de n'avoir pas été aisément joignable par ses collègues magistrats et par les enquêteurs.
  2. Formulé en termes généraux et non-étayé par des exemples précis propres à caractériser une atteinte au fonctionnement du service de la justice, ce dernier grief n'apparaît pas établi.

Doivent de même être écartés le grief tenant aux prétendus retards habituels aux audiences, celui portant sur les indisponibilités des 24 octobre et 3 novembre 2014, ainsi que celui, général, portant sur des absences non justifiées, faute d'éléments d'appréciation de nature à établir la réalité et le bien-fondé de ces imputations.

Sur le manquement au devoir de loyauté

  1. Il est reproché à M. X d'avoir donné une interview à un journal de xxxxx, sans information préalable de sa hiérarchie, en opposant son action à celle de son parquet de tutelle.
  2. Si les pièces versées aux débats établissent que l'article en cause a été publié à la « une » du journal P, le 2 août 2015, alors que M. X se trouvait en arrêt maladie, un doute subsiste sur la date de réalisation de l'interview qui a été à son origine. Cette date ne saurait dès lors être opposée à M. X.

Sur le principe et le contenu de la publication, le Conseil relève par ailleurs que le fait pour un magistrat d'accorder à un média local une interview au moment de son départ de la juridiction n'est pas, en soi, critiquable et que les propos rapportés par le journaliste ne mettent pas en cause la hiérarchie de M. X mais concernent l'action de l'institution judiciaire dans son ensemble. Ces éléments et le caractère général des propos prêtés ne caractérisent pas le manquement allégué au devoir de loyauté.

Le grief tenant de ce chef sera, en conséquence, écarté.

Sur le manquement au devoir de délicatesse et de loyauté tenant aux conditions du départ de xxxxx

  1. Il est reproché à M. X de n'avoir pas rejoint son poste de délégation à xxxxx en juillet 2015 conformément à l'organisation qui avait été mise en place par son procureur, mettant ainsi ses collègues en position d'avoir à gérer une situation d'urgence en effectifs réduits.
  2. Il est, sur ce point, constant et non contesté qu'en accord avec son procureur, M. X devait rejoindre le parquet de xxxxx à compter du 16 juillet 2015, afin d'y prendre son service durant les dernières semaines précédant sa mutation à xxxxx.

Il ne s'est toutefois pas présenté à xxxxx le jour-dit, faisant savoir à ses collègues le lendemain, 17 juillet 2015, par courriel, qu'il entendait différer sa venue d'une semaine afin de traiter des piles de dossiers non-transférées à xxxxx.

À la suite de ce message, le service était réorganisé afin de différer au 23 juillet 2015 la permanence que M. X devait initialement prendre le 21 juillet.

Le 22 juillet, à 14 heures 43, M. X adressait au parquet de xxxxx un arrêt de travail, daté du 20 juillet et courant jusqu'au 2 août 2015.

  1. S'il ne saurait être fait grief à M. X de n'avoir pas justifié de son absence à compter du 23 juillet 2015, la tardiveté de l'information dispensée concernant celle-ci, comme les conditions dans lesquelles M. X décidait, unilatéralement et sans concertation, de ne pas rejoindre son poste à compter du 16 juillet, caractérisent un manquement au devoir de loyauté envers sa hiérarchie et ses collègues.

Les explications produites par l'intéressé, tenant à son sommeil prolongé du 20 au 22 juillet, apparaissent à cet égard d'autant moins convaincantes qu'il n'est nullement contesté que des actes de procédure ont été réalisés par lui durant cette période.

Cette attitude, qui s'est traduite par des répercussions sur le service de la justice à xxxxx et a nécessité une réorganisation en urgence des activités du parquet, est constitutive d'une faute au sens de l'article 43 de l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958.

Sur la perte de repères déontologiques à l'occasion du traitement de l'« affaire L »

  1. Il est reproché à M. X d'avoir pris l'initiative de faire procéder, contre l'avis de sa hiérarchie, à de nouveaux actes d'enquête sur la mort d'une personne, après qu'une procédure a été classée sans suite pour « absence d'infraction », ces initiatives procédant de sa seule conviction de l'implication de la veuve du défunt et de celle d'un tiers dans ce décès.

Pour le garde des Sceaux, ces faits caractérisent tout à la fois un abus de la qualité de magistrat, les investigations ayant été conduites en dehors de tout cadre juridique, un manquement à l'obligation de loyauté, de délicatesse et de réserve à l'égard de la hiérarchie, faute d'information de celle-ci sur les directives données aux enquêteurs, un manquement au devoir de délicatesse vis-à-vis des gendarmes, ainsi placés en position de conflit de loyauté et soumis à une surcharge de travail, une atteinte à l'image de l'institution judiciaire, du fait de l'audition par les gendarmes de M. X en qualité de témoin, à sa demande, une violation du secret professionnel, des pièces de la procédure ayant été communiquées à des tiers, un manquement au devoir d'impartialité et un manquement au devoir de délicatesse à l'égard des justiciables, du fait de propos irrespectueux à l'égard de personnes qu'il jugeait impliquées.

M. X conteste l'intégralité de ces griefs. Il fait valoir, sur l'abus de la qualité de magistrat, avoir agi à la suite du signalement d'un enquêteur de la gendarmerie qui avait relevé des éléments troublants propres à justifier un réexamen du dossier. Il soutient, à cet égard, n'avoir pas entrepris lui-même les investigations, n'étant intervenu qu'à l'occasion du traitement d'une autre procédure dont il avait été régulièrement saisi. Sur le manquement à l'obligation de loyauté, de délicatesse et de réserve à l'égard de sa hiérarchie, il indique avoir souhaité recueillir le point de vue des enquêteurs avant tout retour vers son procureur. Il ajoute, sur son audition en qualité de témoin par ces mêmes enquêteurs, avoir choisi ce moyen afin de permettre le recueil d'informations essentielles qu'il ne pouvait exploiter lui-même et dont il se pensait être le seul à même de faire la synthèse. Il précise qu'ayant eu le sentiment que la tournure des événements risquait de l'exposer, avec sa famille, à un danger, il avait souhaité par ce moyen assurer sa protection. Il conclut à l'absence de violation du secret professionnel, la démarche consistant à consulter un sachant étant une pratique courante et ne démontrant pas l'intention de commettre un tel délit. Il dénie toute perte d'objectivité et conteste avoir affiché une quelconque conviction dans le traitement de cette affaire. Il soutient enfin que les propos qui lui sont prêtés concernant des tiers ne présentent pas le caractère injurieux que leur attribue le garde des Sceaux. Plus généralement, il met en avant le contexte particulier de son exercice professionnel à xxxxx, marqué par une grande insécurité et de fortes pressions.

31. En fait, il résulte des débats et des pièces versées au dossier que, le 4 juillet 2011, le cadavre de M. L était découvert dans les locaux de la société « W » dont il était le gérant. Le médecin généraliste requis concluait à un suicide par arme à feu, le corps ayant été retrouvé dans une pièce fermée à clef de l'intérieur, l'arme tenue des deux mains. Un classement sans suite était décidé par le parquet de xxxxx le 14 mars 2012.

En octobre 2013, le major D, gendarme en poste à xxxxx, faisait part à M. X de ses doutes sur la réalité de ce suicide. Mis en cause par M. M, huissier, à l'occasion d'une autre procédure, le major indiquait avoir rouvert l'ensemble des dossiers dans lesquels ce dernier avait été cité et avoir été interpellé, dans celui-ci, par la position de la victime, qui l'avait convaincue d'une mise en scène. En présence du major D, M. X prenait l'attache téléphonique d'un médecin légiste de xxxxx qui, selon les déclarations des intéressés, les confortait dans leurs doutes. Il remettait à son procureur, le 8 octobre 2013, une copie de la procédure, lui faisant part de ses interrogations.

Contact pris avec la directrice de l'institut de médecine légale, le procureur de xxxxx, M. N, estimait cependant n'y avoir lieu à conduite d'investigations complémentaires. Il était rendu destinataire, par M. X, le 2 janvier 2014, d'un procès-verbal du major D, daté du 4 novembre 2013, faisant état d'incohérences dans le décès de M. L. À cette occasion, M. X interrogeait son procureur sur l'opportunité d'une transmission dudit procès-verbal à la brigade de recherche. Il suggérait, le lendemain, la réalisation d'actes, tels que l'audition de l'épouse ou la conduite d'une expertise en métropole.

Il adressait au parquet de xxxxx, le 7 janvier 2014, un soit-transmis aux fins de localiser la veuve de M. L, prenant pour support juridique une procédure relative à la société dont ce dernier avait été le gérant, ce soit-transmis faisant état de « reconsidérations » de la procédure relative au suicide de l'intéressé.

Courant 2014, M. N décidait de confirmer le classement de la procédure relative au décès de M. L. Cette décision était portée à la connaissance de M. X, à date certaine, le 20 novembre 2014.

Rendu destinataire en mai 2015 de l'audition de Mme L par des services d'enquête agissant sur ses précédentes réquisitions, M. X contactait à nouveau le médecin légiste de xxxxx et lui adressait copie de photographies et de pièces issues de la procédure relative au décès de M. L afin de recueillir son avis. En accord avec M. X, ce professionnel prenait l'attache d'un ancien officier de police judiciaire afin de recueillir son avis sur la façon dont la porte du local où fut retrouvé le corps aurait pu être verrouillée de l'intérieur par un éventuel tueur. Ce tiers adressait directement à M. X une vidéo illustrant ce mode opératoire.

Il est constant que ces démarches n'ont pas été portées à la connaissance de sa hiérarchie par M. X.

Le 8 juin 2015, à 8 heures 30, une réunion était organisée par M. X avec les personnels de la brigade de recherche de xxxxx afin d'évoquer les éléments de ce dossier.

À l'issue de cette rencontre, M. X était entendu par les enquêteurs, à sa demande, en qualité de témoin, durant plus de trois heures. Il décrivait, à cette occasion, les incohérences ressortant selon lui de l'enquête, citant les recherches faites avec le major D, le médecin légiste de xxxxx et l'ancien officier de police judiciaire, pour conclure à la nécessité de reconsidérer le dossier « de A à Z ». Il remettait aux enquêteurs, pour annexion au procès-verbal de son audition, la copie du rapport établi par son procureur à la suite d'une contestation d'évaluation, les notes manuscrites de ses échanges avec le médecin légiste, un courriel qu'il avait adressé à son procureur faisant état d'un lien entre l'affaire L et celle dite « des huissiers », les vérifications opérées pour localiser Mme L ainsi que les « FADFT » de Maître M, sans mention du cadre procédural dans lequel elles avaient été obtenues.

À la suite de cette audition, M. X adressait au major O, qui avait reçu sa déposition, un courriel indiquant : « plusieurs personnes proches de l'environnement de M. M sont au courant de certaines choses concernant M. L », sans que l'ensemble de ces démarches soient directement portées par M. X à la connaissance de sa hiérarchie.

32. Si M. X affirme n'avoir effectué lui-même aucune investigation dans le dossier L et n'avoir agi qu'au titre d'une autre procédure dont il était régulièrement saisi, il n'en demeure pas moins constant :

Qu'après le 20 novembre 2014 — date à compter de laquelle il ne pouvait méconnaître la décision de sa hiérarchie de ne pas poursuivre les investigations concernant cette affaire — il a transmis à des tiers des pièces de cette procédure afin de solliciter leur avis en dehors de tout cadre légal ;

Qu'il a convoqué en urgence une réunion d'enquêteurs portant sur les investigations à conduire concernant le décès de M. L et les moyens de relancer la procédure afférente, ainsi qu'en attestent les témoignages recueillis au cours de l'instruction, confirmés sur ce point par les témoins entendus lors de l'audience ;

Qu'à la suite de cette réunion, il a provoqué son audition par les gendarmes, en qualité de témoin, précisant, à cette occasion, les vérifications qu'il jugeait nécessaires, les pièces versées aux débats faisant en outre état de contacts postérieurs avec l'un des enquêteurs présents pour s'enquérir de l'avancée des investigations ;

Qu'il a fait annexer à cette audition les « FADET » de Maître M, issues d'une autre procédure ;

Que, dès avant le mois de novembre 2014, il avait engagé des démarches aux fins de localisation puis d'audition de la veuve de M. L, prenant pour ce faire appui sur une procédure dont il était régulièrement saisi mais qui portait sur des infractions fiscales, tout en rattachant explicitement ses instructions à la procédure relative au décès de M. L.

Il résulte de ces éléments qu'usant de sa qualité de vice-procureur, M. X s'est affranchi des règles de procédure pour engager des investigations et ordonner des actes en dehors de tout cadre juridique régulier, manquant ainsi aux devoirs de son état — en ce compris la violation du secret professionnel, s'agissant de la communication de pièces d'une procédure à des tiers, hors toute procédure régulière.

La recherche de la vérité alléguée par l'intéressé ne saurait, à cet égard, justifier le contournement ou le détournement des règles et principes légitimant l'usage de ses prérogatives et pouvoirs par le magistrat.

Le contexte professionnel tendu et le sentiment de menaces éprouvé par M. X, dont le Conseil ne nie pas la réalité, ne sauraient davantage constituer des faits justificatifs, le respect du cadre procédural constituant au contraire la meilleure des garanties pour le magistrat.

  1. M. X ne conteste pas, par ailleurs, n'avoir pas informé sa hiérarchie de la tenue et de la teneur de la réunion du 8 juin 2015.

S'il avance le caractère purement technique de cette rencontre pour justifier ce défaut d'information, les témoignages recueillis sur son déroulement établissent que les enquêteurs, l'interrogeant sur ce point, se sont vu répondre par M. X qu'il se chargerait lui-même d'informer le procureur de xxxxx.

Il apparaît ainsi que tant les enquêteurs que M. X avaient pleinement conscience de la nécessité d'une telle information, justifiée par la réalisation d'actes de direction d'enquête dans un dossier que tous savaient clôturé.

Ces mêmes témoignages attestent la perception très nette par les enquêteurs, à travers le comportement et les propos tenus par M. X lors de la réunion, des dissensions existantes entre celui-ci et son procureur. Ils soulignent les interrogations suscitées par le choix d'une audition de l'intéressé en qualité de témoin.

Il convient à cet égard d'ajouter que l'information que M. X avait promis d'assurer a, en définitive, été donnée au procureur de la République et à la procureure générale par les gendarmes eux-mêmes.

Se trouve ainsi caractérisé un manquement au devoir de loyauté et de délicatesse envers la hiérarchie, doublé d'un manquement au devoir de loyauté et de délicatesse à l'égard des gendarmes, propre à porter atteinte à l'image de l'institution judiciaire.

  1. Le Conseil estime, en revanche, insuffisamment étayés en fait les griefs relatifs au défaut d'impartialité et au manque de délicatesse à l'égard de Maître M dès lors qu'il n'est pas établi que M. X ait été mû par des motifs personnels et que les propos rapportés ne présentent pas, dans leur contexte d'utilisation, un caractère injurieux.

SUR LA SANCTION

  1. Les fautes précédemment relevées mettent notamment en cause des atteintes aux droits et libertés commises par un magistrat agissant en dehors de tout cadre légal. Elles présentent, de ce fait, un caractère de particulière gravité justifiant la sanction de l'abaissement d'échelon prévue au 4° de l'article 45 de l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958.

Cette sanction sera assortie du déplacement d'office.

Le Conseil relève, à cet égard, que M. X a été nommé dans ses fonctions actuelles avant l'engagement de la présente procédure, à une époque où, contestant avec vigueur les reproches qui lui étaient faits, il bénéficiait pleinement de la présomption d'innocence.

La nature et la gravité des fautes disciplinaires retenues contre M. X, et notamment de celle de s'être affranchi des règles de procédure pour engager des investigations et ordonner, en dehors de tout cadre juridique régulier, des actes attentatoires aux droits et libertés, ne peuvent que porter atteinte à la crédibilité de ce magistrat dans son environnement professionnel et ses attributions actuels.

En outre, l'absence totale de prise de conscience par M. X de la gravité des fautes commises ne permet pas d'exclure une réitération de tels agissements.

En conséquence, en dépit des évaluations positives récentes dont il fait l'objet, il est nécessaire d'assortir la sanction de l'abaissement d'échelon d'un déplacement d'office qui permettra de reconsidérer, à la lumière des manquements retenus contre lui, les fonctions qu'en l'état, M. X est susceptible d'exercer.

SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE L. 761-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE

  1. M. X sollicite la condamnation de l'État à lui verser la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative aux termes duquel « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ».
  2. Outre le fait que ces dispositions ne sont pas applicables à la procédure disciplinaire des magistrats, la partie qui succombe ne peut prétendre à aucune indemnisation en application des principes généraux de procédure.

La demande de M. X sur ce point sera donc rejetée.

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil de discipline,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence du rapporteur,

Statuant en audience publique, les 12 et 13 décembre 2018 pour les débats, et le 16 janvier 2019 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature, pour la décision,

SE DECLARE compétent pour connaître de la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. X, vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de xxxxx, pour des faits qui lui sont imputés dans l'exercice de ses fonctions de vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx en résidence à xxxxx ;

DECLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. X ;

DIT n'y avoir lieu à transmission de cette question au Conseil d'État ; REJETTE les exceptions de nullité présentées par M. X ;

PRONONCE à l'encontre de M. X, pour les faits retenus comme constitutifs de fautes disciplinaires, la sanction disciplinaire de l'abaissement d'échelon assortie du déplacement d'office, prévue par les articles 45, 2° et 4°, et 46, alinéa 2, de l'ordonnance du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut des magistrats ;

REJETTE la demande formulée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DIT qu'une copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d'appel de xxxxx, aux fins de notification.

Le secrétaire général,                                                                      Le président,

Daniel Barlow                                                                           Alain Lacabarats