Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. X, juge au tribunal de grande instance de xxxx, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation, en présence de (…):
Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice et des libertés,
en date du 12 mars 2010, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X , juge au tribunal de grande instance de xxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu l’ordonnance du 17 mars 2010, désignant M. Michel Le Pogam en qualité de rapporteur ;
Vu le rapport de M. Le Pogam, dont M. X et ses avocats ont reçu copie ;
Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels “l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline” et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens conduisant à tenir l’audience publiquement ;
Vu l’incident présenté oralement par l’avocat de M. X en début d’audience, par lequel il a été demandé au conseil de discipline de se déclarer incompétent pour connaître des faits soumis à son examen par le rapporteur mais qui ne sont pas inclus dans l’acte de saisine du ministre de la justice ;
Vu la jonction de cet incident à l’examen au fond du dossier, décidée par le conseil de discipline qui s’est retiré immédiatement en début d’audience pour en délibérer ;
Vu la lecture de son rapport par M. Michel Le Pogam, les observations de M. Pascal Prache, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature, Mme Florence Croize, magistrate à l’administration centrale, qui a demandé la sanction de la mise à la retraite d’office, les explications et moyens de défense de Maîtres A et B, M. X ayant eu la parole en dernier ;
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Sur l’incident soulevé en début d’audience
Attendu que le Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, peut légalement, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance ; qu’en l’espèce, les conseils juridiques prodigués par M. X à l’un de ses amis, au sujet des vérifications à mener quant à l’âge des acteurs participant à des films pornographiques, étaient évoqués dans le rapport du 22 décembre 2009 de l’inspection générale des services judiciaires, document auquel l’acte de saisine du ministre de la justice du 12 mars 2010 se réfère à plusieurs reprises ; que plusieurs documents, notamment des rapports administratifs, ainsi qu’une audition de M. X relatifs à ce même sujet, sont inclus dans la cote “incident” du dossier administratif de M. X qui fait partie des pièces versées à la procédure disciplinaire ; que le rapporteur s’est fait communiquer un précédent rapport de janvier 2005 de l’ inspection générale spécifiquement consacré à ces agissements tenant à des conseils juridiques particuliers et a fait verser ce document et ses annexes complètes dans les pièces de la présente procédure ; que le rapporteur a ensuite procédé, le 24 juin 2010, à une seconde audition, consacrée à ces faits, de M. X, en présence de son avocat ; qu’ainsi, les droits de la défense de M. X ont été respectés concernant le sujet des conseils juridiques qu’il a prodigués et qui relève du comportement dont le Conseil de discipline doit connaître ; que l’incident soulevé sera donc rejeté ;
Sur le comportement de M. X
Attendu que M. X est poursuivi pour un ensemble de faits qualifiés, selon l’acte initial de saisine, de manquements répétés aux devoirs liés à son état de magistrat, en particulier à son devoir de préserver son image d’impartialité et d’indépendance et celle de l’institution judiciaire ;
Attendu, en premier lieu, que l’acte de saisine reproche à M. X, responsable du service du contrôle des expertises ordonnées en référé du tribunal de grande instance de xxxx, de juin 2002 à janvier 2009, d’avoir désigné, en remplacement d’autres experts, son frère Y, expert judiciaire inscrit sur la liste de la cour d’appel de xxxx , dans la spécialité “électricité” ; que sa désignation a eu lieu à 26 reprises, une première fois en 2002, puis de mars 2007 à la fin de l’année 2008 ; qu’il est encore reproché à M. X d’avoir rendu les ordonnances de taxe des frais et honoraires de son frère pour les expertises dont le rapport a été déposé ; que M. X a reconnu avoir ainsi désigné son frère à de multiples reprises, plutôt 18 fois que 26 pendant la période récente ; qu’il explique la soudaine augmentation de ces désignations à compter de 2007 par le fait que son frère, qui allait ou venait de prendre sa retraite, était plus disponible qu’auparavant et pouvait désormais se consacrer entièrement à son activité d’expert judiciaire et que, par ailleurs, les experts judiciaires de la cour d’appel de xxxx étaient très sollicités et qu’il en manquait ; que M. X a précisé qu’il avait déjà désigné son frère par le passé, environ dix fois, lorsqu’il était en poste au tribunal de grande instance de xxxx à la fin des années 1980 ; qu’il soutient ne pas s’être rendu compte que sa pratique pouvait être contraire à ses obligations de magistrat avant que son chef de juridiction le lui rappelle en fin d’année 2008 ; que le président de la juridiction, qui a aussitôt déchargé M. X de son service lorsqu’il a été informé de la pratique de ce dernier, ainsi que ses collègues, ont unanimement mis ces agissements sur le compte d’une personnalité fragile et d’un manque de prudence et de distance les plus élémentaires, M. X n’ayant pas réfléchi aux risques qu’il a fait courir aux procédures en cause, ni à l’image négative de l’institution judiciaire qu’une telle pratique pouvait engendrer ;
Attendu, en second lieu, que les investigations de l’inspection des services judiciaires entreprises en 2009, ainsi que la cote “incident” du dossier administratif de M. X, font apparaître que celui-ci avait été entendu, en juin 2003, par le premier président de la cour d’appel de xxxx au vu de rapports administratifs émanant du parquet général de xxxx et de la direction des services judiciaires, puis, comme témoin, par un service de police agissant sur commission rogatoire d’un juge d’instruction de chargé d’une information ouverte du chef de corruption de mineurs, finalement clôturée par un non-lieu pour charges insuffisantes, le mineur concerné n’ayant pas déposé plainte ; que M. X a reconnu avoir été contacté, courant 1997, par un ami dont il connaissait déjà la reconversion dans la production de films pornographiques ; que cette personne lui avait demandé un conseil juridique au sujet des démarches à suivre pour éviter des difficultés quant à l’éventuelle minorité des acteurs participant à des scènes pornographiques ; que M. X explique s’être lancé dans des recherches juridiques sans rien trouver de précis jusqu’à interroger un commissaire de police de ses amis pour savoir si le ministère de l’intérieur avait émis des directives internes en la matière ; que, n’ayant finalement trouvé aucune réglementation ou directive administrative spécifique, il avait conseillé à son ami producteur de réclamer aux acteurs la présentation d’une pièce d’identité et d’en garder une copie ; que M. X soutient que son rôle s’est limité à ces conseils ; que l’inspection générale des services judiciaires a mené une enquête administrative sur ces agissements, achevée par un rapport de janvier 2005 concluant à un manquement, par M. X, aux devoirs de son état et à une atteinte portée à la dignité de sa fonction, lui reprochant une absence de discernement et de prudence, relevant d’une perte importante de repères déontologiques ; que l’inspection générale estimait que ce comportement devait être resitué dans un parcours professionnel marqué, dès le début de sa carrière, par un incident grave déjà significatif d’une capacité limitée à comprendre les contraintes et devoirs de sa profession ; que ce rapport évoquait par ailleurs, voyant là encore une atteinte à l’image de la justice, un article paru le 26 janvier 2004 dans l’hebdomadaire “L’express”, intitulé “un juge classé X” avec pour phrase d'accroche : “En échange de ses conseils juridiques, un magistrat assistait aux tournages de films pornographiques”, qui relatait, dans le détail, l’épisode impliquant M. X, sans cependant citer son nom ; que M. X, au vu de tous ces éléments, a déclaré qu’il reconnaissait avoir été imprudent de maintenir des relations avec une personne reconvertie dans le tournage de films aussi particuliers et de lui avoir donné de tels conseils ;
Attendu que si ces faits ont eu lieu en 1997, la hiérarchie de M. X n’en a eu connaissance qu’en juin 2003, à la suite de la révélation d’une audition prochaine de M. X par les services de police ; qu’une enquête administrative a alors été engagée à l’encontre de M. X, achevée en janvier 2005 par un rapport de l’inspection générale des services judiciaires ; qu’il s’ensuit, eu égard à l’ensemble de ces circonstances, que l’examen de ces faits, à l’occasion de la présente procédure disciplinaire débutée en mars 2010, s’est fait dans un délai raisonnable ;
Attendu qu’en désignant, à de nombreuses reprises, en 2007 et 2008, son frère, expert judiciaire inscrit sur la liste des experts d’une autre cour d’appel, dans de nombreux dossiers de référé et en taxant lui-même des frais et honoraires de ce dernier, M. X a favorisé un proche à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et a fragilisé les dossiers juridictionnels dans lesquels il a procédé à une telle désignation ; qu’en agissant ainsi, il a manqué au devoir de prudence et d’impartialité les plus élémentaires du magistrat, ainsi qu’à l’honneur de celui-ci ;
Qu’en acceptant de prodiguer des conseils juridiques à un ami devenu producteur de films pornographiques, qui l’avait interrogé sur une éventuelle réglementation concernant l’âge des acteurs participant à de tels films et les vérifications à mettre en oeuvre le cas échéant, et en se lançant dans ces recherches juridiques jusqu’à en parler à un fonctionnaire de police de ses connaissances, au risque que ses démarches deviennent publiques, ce qui a été le cas puisqu’un article de presse en a fait état, M. X a gravement porté atteinte au crédit et à l’image de la justice et, par suite, manqué à son devoir de délicatesse, ainsi qu’à la dignité et à l’honneur du magistrat ;
Attendu que cette atteinte à l’honneur caractérisée interdit de faire bénéficier M. X des dispositions de la loi d’amnistie n°2002-1062 du 6 août 2002, par application de l’article 11 dernier alinéa de ce texte ;
Attendu que ces fautes disciplinaires, qui jettent un grave discrédit sur l’institution judiciaire, affectant fortement son image et, par là, la confiance du public en la justice, justifient que soit appliquée à M. X la sanction de la mise à la retraite d’office, avec maintien des droits à pension ;
Par ces motifs
Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,
Statuant, en audience publique, le 21 octobre 2010 pour les débats et le 18 novembre suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au secrétariat de la Première présidence de la Cour de cassation,
Prononce, à l’encontre de X, la sanction de la mise à la retraite d’office avec maintien des droits à pension, prévue par l’article 45-6° de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958.