Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente à l’égard
des magistrats du parquet
AVIS MOTIVÉ
sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. X
Vice-procureur de la République près le tribunal judiciaire de xxxxx
Antérieurement vice-procureur de la République au parquet national financier
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire, réunie le 23 février 2021 sous la présidence de :
M. Jean-Paul Sudre, avocat général à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,
En présence de :
Mme Sandrine Clavel
M. Yves Saint-Geours,
Mme Hélène Pauliat,
M. Georges Bergougnous,
Mme Natalie Fricero,
M. Jean-Christophe Galloux,
M. Olivier Schrameck,
Mme Jeanne-Marie Vermeulin,
M. David Charmatz,
Mme Isabelle Pouey,
Mme Marie-Antoinette Houyvet,
M. Cédric Cabut,
Membres du Conseil,
Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature,
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche de la garde des Sceaux, ministre de la justice, du 8 janvier 2020 et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;
Vu l’ordonnance du 13 janvier 2020 désignant Mme Clavel, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de son conseil ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, que M. X et son conseil ont pu consulter ;
Vu le rapport déposé par Mme Clavel le 25 janvier 2021, dont M. X a reçu copie le 29 janvier 2021 ;
Vu la convocation adressée à M. X le 1er février 2021 qu’il a réceptionnée le 5 février 2021 ;
Après avoir entendu, lors de l’audience publique du 23 février 2021 :
Mme Clavel, en son rapport ;
M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Emilie Zuber, rédactrice au sein du bureau du statut et de la déontologie de cette direction ;
M. X, assisté de Maître A, avocat au barreau de xxxxx ;
A rendu, le 23 mars 2021, le présent
AVIS
Sur la procédure
Sur la demande de non-publicité des débats
Il résulte des termes de l’article 65 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, susvisée que : « L’audience de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ».
Au début de l’audience, M. X, assisté de son avocat, demande que celle-ci ne se tienne pas publiquement aux motifs que les faits comportent des développements sur sa vie privée et que leur nature pourrait générer un écho médiatique préjudiciable aux intérêts de la justice.
Après avoir entendu le demandeur, assisté de son avocat, et M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, en leurs observations et en avoir délibéré, en l’absence du rapporteur, le Conseil estime que ni la protection de l’ordre public, ni celle de la vie privée de M. X, ni aucune circonstance spéciale de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ne justifient, en l’espèce, une exception au principe de la publicité de l’audience du Conseil.
Sur le fond
L’acte de saisine de la garde des Sceaux relève à l’encontre de M. X les griefs disciplinaires suivants :
- En infligeant à Madame B une succession de commentaires, remarques, questions, à connotation sexuelle, tous d’une singulière obscénité, adressés à la magistrate en présence de collègues du parquet national financier, de greffiers ou de fonctionnaires, en imposant par surprise un geste déplacé sur la personne de Mme B en présence d’un tiers, M. X a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.
- En infligeant à sa greffière, Madame C, une succession de propos inadaptés adressés à la fonctionnaire en présence d’autres magistrats ou d’autres greffiers, en imposant par surprise un geste déplacé sur la personne de Mme C en présence d’autres magistrats ou d’autres greffiers, M. X a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.
- En donnant à voir de tels comportements à ses collègues magistrats, aux greffiers et fonctionnaires du parquet national financier, M. X a porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.
Aux termes de l’article 43 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. »
Lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, le Conseil supérieur de la magistrature est légalement saisi, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est ainsi pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance par l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice.
Sur l’origine des poursuites disciplinaires
Les faits en cause ont eu lieu alors que M. X exerçait les fonctions de vice-procureur au parquet national financier. Le 7 novembre 2019, Mme B, vice-procureure, informait le chef du parquet national financier de propos et de gestes déplacés, intrusifs et obscènes commis par son collègue. Elle était entendue sur ces faits par la procureure générale près la cour d’appel de xxxxx le 9 décembre 2019 et lui précisait, en outre, que la greffière de ce dernier, Mme C, avait pu subir des agissements semblables. Entendue par la procureure générale le 16 décembre 2019, Mme C faisait état de difficultés relationnelles avec M. X et de comportements intrusifs et déplacés. Elle déposait une plainte le 9 septembre 2020 ayant conduit à l’ouverture d’une information judiciaire le 25 septembre 2020 des chefs de harcèlement moral et harcèlement sexuel, dépaysée au tribunal judiciaire de xxxxx par décision de la Cour de cassation du 18 novembre 2020.
Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme B
Aux termes de l’écrit récapitulatif adressé à Mme la procureure générale près la cour d’appel de xxxxx le 10 décembre 2019, confirmés au cours de l’enquête, Mme B déclarait avoir noué une relation de camaraderie dans le cadre professionnel avec M. X et exposait les éléments suivants :
- En février ou mars 2019, M. X avait déclaré devant M. D, chauffeur du procureur national financier : « t’emmerde pas, tu vas jamais te la taper. J’ai essayé de me la faire et je n’ai pas réussi » ;
- En avril ou mai 2019, alors qu’elle se trouvait dans le bureau de M. X et le complimentait sur des photos de famille, il avait répliqué : « tu me suces, tu me suces ? » ;
- Ultérieurement, alors que Mme B évoquait ses liens avec sa belle-famille, il lui déclarait : « oui, c’est ça, toi la nana canon, avec ton mec blindé et qui baise comme une lapine… » ;
- En septembre 2019, alors qu’il la croisait dans un couloir après un week-end qu’elle avait passé avec son mari sans ses enfants, il criait à son adresse : « fais gaffe, ça coule » avant de lui expliquer qu’il faisait allusion au sperme qui coulerait le long de ses cuisses ;
- Par la suite, M. X s’amusait à plusieurs reprises, lorsqu’il la croisait, à jeter un stylo par terre dans l’attente de la voir se baisser pour le ramasser, ce qu’elle ne faisait pas ;
- Le 16 octobre 2019, alors qu’elle était en réunion avec un assistant spécialisé, M. X entrait dans le bureau, interrompait la conversation et introduisait un de ses doigts dans le nez de sa collègue avant de repartir. Revenu plus tard, il expliquait son geste en lui indiquant que « c’était à défaut de le [lui] mettre ailleurs » ;
- Enfin, le lendemain, alors qu’elle se rendait dans son bureau pour lui faire part du caractère inadmissible de ce dernier comportement, M. X commençait à défaire les boutons de sa chemise en disant : « attends, je me déshabille ».
Il résulte des éléments du dossier que, lors de cet entretien, l’intéressé a présenté ses excuses à Mme B et que, revenant la voir le jour même dans son bureau, il s’est agenouillé devant elle en lui demandant de lui taper sur la tête pour le punir. Le 6 novembre 2019, il réitérait ses excuses au cours d’un nouvel entretien et Mme B lui adressait le jour-même un minimessage téléphonique qui s’achevait par les termes suivants : «Je souhaite de tout cœur que cet incident ne te porte pas préjudice, d’abord parce que tu es un super professionnel, mais aussi parce que je reste convaincue que tu es quelqu’un de bien ».
Décrivant au cours de l’enquête les répercussions psychologiques et professionnelles subies, elle expliquait, lors de son audition du 21 février 2020, qu’elle s’était sentie salie et souillée. Cette situation a conduit son médecin à la placer en congé de maladie à la mi-novembre 2019 pour une durée d’un mois. Elle a repris ensuite ses activités au sein du parquet national financier avant d’être placée en congé parental le 7 avril 2020 et de rejoindre le tribunal judiciaire de xxxxx le 1er septembre 2020.
Elle ajoutait également qu’elle avait été partagée entre la culpabilité de ne pas avoir placé les limites assez tôt, désireuse qu’elle était alors de ne pas passer pour une personne « prude » devant M. X, et le besoin croissant d’une réponse institutionnelle face au préjudice causé. Le Conseil n’exclut d’ailleurs pas que l’impact du comportement de l’intéressé sur Mme B ait pu être renforcé par le positionnement choisi par la hiérarchie du parquet national financier qui, dans le traitement des suites à donner à cette affaire, a considéré qu’après de fermes remontrances verbales faites à M. X, celle-ci s’arrêtait aux excuses de l’intéressé acceptées par Mme B, qui avait en outre exprimé le désir qu’aucune suite n’affecte la carrière de son collègue.
A l’audience, M. X, confirmant les déclarations faites au cours de l’enquête, reconnaît l’ensemble des faits relatés par Mme B, ajoutant que même les termes tenus le 16 octobre 2019, dont il n’avait pas eu souvenance au cours de l’enquête, ont probablement été prononcés. Il indique avoir tenu des propos et eu des comportements déplacés, vulgaires, salaces qu’il voulait à tort humoristiques et qui se sont avérés blessants.
Tant au cours de l’enquête que lors de l’audience, M. X a déclaré regretter profondément l’ensemble de son comportement à l’égard de sa collègue qu’il impute à son absence de discernement.
Il conteste cependant les termes de « harcèlement sexuel » mentionnés dans la saisine du Conseil, considérant que si son comportement avait une connotation sexuelle, il ne revêtait pas de finalité sexuelle.
Il précise qu’il pensait partager avec Mme B une amitié lui ayant laissé croire qu’il pouvait tenir ce genre de propos, ajoutant que le caractère réciproque de leurs échanges ne lui permettait pas de percevoir le « ressenti » de sa collègue. Il fait notamment état à cet égard de deux messages suggestifs reçus de celle-ci en mars et juin 2019. Il ajoute qu’antérieurement au 17 octobre 2019, Mme B n’aurait manifesté aucune réticence à l’égard des propos tenus.
Sur ce point, le Conseil relève toutefois qu’interrogé à l’audience sur le fait qu’il avait pourtant reconnu au cours de l’enquête que Mme B avait manifesté sa réprobation à la suite des propos « fais gaffe, ça coule », survenus en septembre 2019, M. X déclare qu’il n’avait pas compris les paroles de Mme B comme lui demandant de mettre un terme à son comportement.
Contrairement à ce que soutient M. X, le Conseil estime que les propos tenus, les jets de stylo au sol et le geste intrusif imitant une pénétration sexuelle reprochés, dont la connotation sexuelle est établie, ne se limitent pas à un humour « potache » caractérisant un personnage provocateur maniant un humour volontiers vulgaire qu’il reconnaît s’être forgé de longue date et qui est mis en évidence tant par les auditions réalisées que par les éléments versés au dossier.
Les paroles prononcées et les gestes accomplis, le plus souvent devant témoins, par leur extrême vulgarité, leur répétition et leur connotation systématiquement sexuelle, sont intrinsèquement dégradants et humiliants, nonobstant la relation d’amitié invoquée avec Mme B.
Ni la tension née de l’exercice professionnel au sein du parquet national financier, ni la survenance d’évènements personnels douloureux en juillet 2019, ni le fait que Mme B a participé à des échanges ponctuels de plaisanteries suggestives n’autorisaient M. X à adopter un tel comportement, survenu sur son lieu d’exercice professionnel et auxquels il a été incapable de mettre spontanément un terme.
Par ses agissements, M. X a manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.
Ces comportements, adoptés le plus souvent en présence de tiers et qui ont été relatés par la presse nationale ayant fait état de la qualité professionnelle de leur auteur, ont eu un retentissement certain tant au sein qu’à l’extérieur du service auquel il appartenait.
Il en est résulté une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et partant, une atteinte grave à l’image et au crédit de l’institution judiciaire.
Sur les griefs disciplinaires relatifs au comportement de M. X à l’égard de Mme C
Entendue par la procureure générale près la cour d’appel de xxxxx le 16 décembre 2019, Mme C déclarait qu’elle avait travaillé avec M. X de juin 2018 à septembre 2019 et que leurs relations professionnelles avaient été difficiles en raison de la pression professionnelle que le magistrat exerçait sur elle en situation de stress.
Elle affirmait également que, sous prétexte d’un humour salace, M. X adoptait un comportement déplacé et volontiers intrusif, comportement qui s’était intensifié à partir de mai 2019, générant chez elle un malaise croissant.
Elle exposait les éléments suivants, qu’elle réitérait au cours de l’enquête :
- Dans les locaux du greffe M. X avait déclaré : « en matière de mecs, C a les mêmes goûts que ma femme » ;
- Il lui disait régulièrement : « arrêtez de me demander mon 06 je suis un homme marié » ;
- Elle précisait également que vers la mi-juin 2019, il avait pris l’initiative de lui masser les épaules devant ses collègues du greffe. Face à sa gêne, il lui avait dit : « ça va, je ne suis quand même pas Harvey Weinstein » ;
- Le 20 juillet 2019, jour de son départ en vacances, M. X lui apportait un dossier à traiter avant 18 heures. La croisant dans les locaux vers 18 heures 30, il lui criait : « mais barrez-vous, qu’est-ce que vous faites là ? » ;
- En septembre 2019, il l’apostrophait devant une vice-procureure en lui disant : « vous pouvez me dire si vous êtes amoureuse de moi ».
Mme C, qui occupait son premier poste de greffière, a déclaré au conseiller rapporteur que le comportement de M. X, tant par ses propos intrusifs que par son exigence professionnelle excessive, qualifiée par elle de harcèlement moral, avait eu des répercussions sur les plans personnel et professionnel. Elle a ainsi précisé lors de son audition du 21 février 2020 : « je partais au travail la boule au ventre et je mettais en place des stratégies d’évitement pour ne pas le croiser ». En septembre 2019, Mme C s’est résolue à solliciter un changement d’affectation qu’elle a obtenu.
M. X conteste tout harcèlement moral envers Mme C. S’il reconnaît une certaine exigence dans ses demandes professionnelles du fait de la difficulté des dossiers qu’il avait à gérer, il estime ne jamais avoir exercé de pression psychologique sur sa greffière.
Il résulte des différentes auditions des membres du parquet national financier que la pression professionnelle subie par M. X était effectivement très forte en raison de la complexité des dossiers traités et de leurs enjeux.
Le Conseil estime que le stress en résultant pour l’intéressé apparaît être à l’origine de réactions ponctuelles ressenties par Mme C comme inappropriées sans pour autant relever d’une qualification disciplinaire en l’absence d’une caractérisation suffisante de manquements avérés.
En revanche, le Conseil considère que les manquements reprochés à M. X résultant de propos ou comportements inadaptés à connotation sexuelle sont caractérisés.
M. X reconnaît leur matérialité et les explique en indiquant qu’il avait souhaité développer une relation de proximité avec Mme C visant à « casser » la distance magistrats-greffiers.
Toutefois, le fait de masser les épaules de sa greffière, en présence avérée d’un témoin, est un geste particulièrement intrusif qui n’a notamment pas sa place dans un cadre professionnel, a fortiori lorsqu’il s’inscrit dans un rapport d’autorité fonctionnelle. M. X n’a d’ailleurs pas pu ne pas percevoir le malaise de Mme C et la connotation sexuelle de ce geste dès lors qu’il a aussitôt déclaré à sa greffière : « ça va, je ne suis quand même pas Harvey Weinstein ».
Par ailleurs, les propos inappropriés tenus et la familiarité excessive de M. X démontrent une incapacité à se fixer les limites qui s’imposent dans ses relations professionnelles et à prendre conscience de l’impact de son comportement sur autrui.
Le Conseil considère que M. X a ainsi manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.
En outre, ces agissements ont, pour les mêmes motifs que ceux commis à l’encontre de Mme B, porté une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et partant, une atteinte grave à l’image et au crédit de l’institution judiciaire.
Sur les griefs disciplinaires relatifs aux autres faits résultant des investigations menées par le conseiller rapporteur
Aux termes des différentes auditions et du rapport du conseiller rapporteur, d’autres propos déplacés et un geste inconvenant reprochés à M. X ont été décrits :
- Mme B et Mme C ont précisé qu’il a formulé des remarques irrespectueuses, dont certaines à caractère sexuel, à l’égard de Mme E, procureure de la République adjointe ;
- Mme B, Mme C et M. F, magistrat au parquet national financier, ont fait état du sobriquet « chatounette » dont il avait affublé une avocate en son absence ;
- Mme B a évoqué les propos blessants tenus à Mme G, assistante spécialisée, relative à son apparence physique et à son poids ;
- Mme B et Mme C ont mentionné une réflexion faite à Mme H, directrice de greffe, alors que celle-ci sortait des archives avec un collègue masculin : « pendant qu’il y en a qui travaillent, il y en a qui prennent du bon temps » ;
- Mme H et Mme I, ancienne greffière de M. X, ont rapporté les propos tenus à une greffière d’origine alsacienne, Mme J, mentionnant sa connaissance des « boches » et de la « langue nazie » ;
- Mme I a rapporté un épisode, non situé dans le temps, au cours duquel M. X lui a spontanément massé les tempes, sans son accord, alors qu’elle se trouvait seule au greffe.
Tant lors de l’enquête que lors de l’audience, M. X n’a pas contesté, à l’exception des paroles concernant Mme G qu’il qualifie de « mensonges », la matérialité des propos tenus qu’il demande de replacer dans leur contexte relationnel.
Il décrit ainsi les relations amicales qu’il entretient avec Mme E depuis plusieurs années et le fait qu’elle ne s’offusquerait pas de ses propos. Il précise que le terme « chatounette » utilisé à l’égard d’une avocate n’avait aucune connotation sexuelle mais se rapporte au port par celle-ci d’un imprimé félin. Déclarant ne pas comprendre la signification des propos qui lui sont prêtés à l’égard de la directrice de greffe, il reconnait cependant ceux prononcés à l’encontre de Mme J.
S’agissant du massage des tempes subi par Mme J, M. X ne conteste pas davantage avoir eu ce comportement sans pour autant en avoir conservé le souvenir.
Le Conseil considère que ce geste, particulièrement indélicat et constitutif d’une atteinte physique à la personne de Mme I, est de même nature que celui subi par Mme C et n’a pas sa place dans une relation professionnelle comportant, en outre, une dimension d’autorité fonctionnelle.
Par ailleurs, le fait de mentionner à une greffière d’origine alsacienne sa connaissance des « boches » et de la « langue nazie » apparaît particulièrement indélicat.
Si les autres faits rapportés ne sont pas suffisamment étayés pour constituer des manquements disciplinaires, ils apparaissent cependant comme autant d’éléments contextuels attestant de l’excessive familiarité de ce magistrat envers les femmes dans le cadre de son exercice professionnel.
Le Conseil estime en conséquence que les agissements commis par M. X à l’encontre de Mme I et de Mme J constituent des manquements à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état de magistrat.
Ils portent également atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.
Sur la sanction
S’agissant de la sanction appropriée à la nature des manquements relevés et à la personnalité de M. X, le Conseil relève tout d’abord que si l’examen psychiatrique et psychologique produit par l’intéressé au soutien de sa défense écarte toute dimension perverse, toute intentionnalité malveillante ou toute volonté de séduction, l’intéressé a, dans l’exercice de ses fonctions de magistrat, eu des comportements et tenu des propos à connotation sexuelle ou intrusifs à l’égard des personnes concernées qui sont intolérables par leur nature et leur impact.
Ils caractérisent une incapacité à respecter tant les limites attendues dans les relations interpersonnelles à l’égard des femmes côtoyées sur son lieu de travail que celles résultant des rapports professionnels avec ses collègues magistrates ou le personnel du greffe. Ils confirment l’analyse de l’intéressé lui-même, exprimée au cours de l’enquête, selon laquelle il avait conscience d’aller trop loin et qu’il ne s’arrêtait que lorsque l’on lui demandait.
S’il a manifesté à plusieurs reprises ses regrets au cours de l’enquête et de l’audience et affirmé avoir tiré les leçons de son comportement, M. X a néanmoins fait la démonstration qu’il n’a pas mis spontanément un terme à un comportement habituel dont il a été incapable de mesurer les effets.
La gravité des manquements constatés ainsi que leur caractère réitéré témoignent d’une perte des repères déontologiques et d’un dysfonctionnement relationnel dans le cadre professionnel.
En conséquence, nonobstant l’excellence incontestable du parcours professionnel de ce magistrat, particulièrement illustrée au sein du parquet national financier et confirmée dans sa dernière affectation en qualité de vice-procureur près le tribunal judiciaire de xxxxx, le Conseil estime qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. X la sanction de rétrogradation prévue au 5° de l’article 45 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958.
PAR CES MOTIFS,
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire,
Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence du rapporteur,
Émet l’avis de prononcer à l’encontre de M. X, la sanction de rétrogradation ;
DIT que le présent avis sera transmis au garde des Sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X par les soins de la secrétaire soussignée.
Fait à Paris, le 23 mars 2021
La secrétaire,
Sophie Rey |
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Le président,
Jean-Paul Sudre |