Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline des magistrats du siège |
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DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE
Dans la procédure mettant en cause :
M. X
Premier vice-président au tribunal judiciaire de xxx
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de Mme Chantal Arens, Première présidente de la Cour de cassation, présidente de la formation,
En présence de :
Mme Sandrine Clavel
M. Yves Saint-Geours
M. Georges Bergougnous
Mme Natalie Fricero
M. Frank Natali
M. Jean-Christophe Galloux
M. Olivier Schrameck
M. Didier Guérin
M. Régis Vanhasbrouck
M. Benoit Giraud
Mme Virginie Duval
M. Benoist Hurel
M. Cédric Cabut
Mme Marie-Antoinette Houyvet
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine de la garde des Sceaux, ministre de la justice, du 7 mai 2020, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;
Vu l’ordonnance du 14 mai 2020 désignant Mme Virginie Duval en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de son conseil ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation signifiée à M. X le 21 septembre 2021 ;
Vu la convocation adressée le 13 septembre 2021 à Maître A, désigné par M. X pour l’assister ;
Vu le mémoire produit par Maître A, aux intérêts de M. X ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Virginie Duval ;
- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de Mme Joanna Garreau, adjointe au chef du bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, qui a demandé la sanction de déplacement d’office assorti d’un abaissement d’échelon à l’encontre de M. X ;
- les explications et moyens de défense de M. X et de Maître A, M. X ayant eu la parole en dernier ;
A rendu la présente
dÉcision
L’acte de saisine du garde des Sceaux relève huit griefs disciplinaires portant sur des manquements imputés à M. X :
- un manquement à la délicatesse et aux devoirs de son état, en s'abstenant d'exercer son pouvoir de police à l'audience à l'occasion de sa présidence d'une audience correctionnelle alors que l'avocat d'un prévenu s'opposait à une demande de renvoi dans des termes portant atteinte à la probité, à l'honneur du procureur de la République et à l'image de la juridiction ;
- un manquement au devoir de délicatesse, en faisant preuve d'une impatience excessive à l'égard d'une fonctionnaire en situation de fragilité ;
- un manquement au devoir de loyauté, en adressant un courriel aux conseils des parties les informant renvoyer une affaire audiencée sur deux jours, et en invoquant des raisons tenant à l'organisation interne de la juridiction, sans en faire part au préalable au président de ladite juridiction ;
- un manquement à ses devoirs de dignité et de délicatesse, en adoptant, en qualité de président d'audience correctionnelle, une attitude de nature à donner une image dégradée de la justice et en manquant ostensiblement de considération pour ses collègues du siège et du parquet ;
- un manquement à son devoir de diligence, en n'exerçant pas son rôle de coordonnateur alors qu'il était président du pôle correctionnel ;
- un manquement aux devoirs de délicatesse, de dignité et une atteinte à l'image de la justice, en ayant, en sa qualité d'assesseur en audience civile, montré son agacement et consulté son téléphone de manière ostensible ;
- un manquement au devoir de délicatesse et aux devoirs de son état, en refusant de rédiger des projets de jugement au motif qu'ils seraient signés par un magistrat inscrit après lui sur la liste de rang des magistrats du siège du tribunal judiciaire de xxx ou par un magistrat placé, occasionnant une surcharge de travail pour ses collègues et obligeant par cette attitude à une réorganisation du service ;
- un manquement aux devoirs de loyauté et de délicatesse, ainsi qu'aux devoirs de son état, en adressant directement au premier président de la cour d'appel et aux organisations syndicales une plainte relative aux mesures prétendument vexatoires dont il serait l'objet de la part du président de juridiction et en ne répondant pas aux courriels adressés notamment par le chef de la juridiction.
Par nouvelle dépêche reçue le 14 janvier 2021, le garde des Sceaux, ministre de la justice, a adressé au Conseil l’enquête administrative de l’Inspection générale de la justice, ainsi qu’un courriel du premier président de la cour d’appel de xxx, qui fait état de faits nouveaux susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire.
Par dépêche du 24 décembre 2020, le garde des Sceaux a ainsi relevé un nouveau grief disciplinaire :
- un manquement à la délicatesse et à la probité, en tenant des propos déplacés à l’égard de Mme I, directrice des services de greffe placée.
La mission d’Inspection a également soulevé deux nouveaux griefs, non visés par la saisine initiale, repris par le rapporteur, susceptibles de revêtir une qualification disciplinaire :
-un manquement aux devoirs d’efficacité et de diligence, par un refus initial de rédiger l’audience civile du 19 février 2019 ;
-un manquement à la conscience professionnelle, par le retard dans la motivation de jugements civils.
Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
Les faits à l’origine des poursuites disciplinaires
Installé en qualité de premier vice-président au tribunal de xxx le 8 janvier 2016, en charge de la coordination du service pénal général et des intérêts civils, il est reproché à M.X des insuffisances professionnelles et des comportements inadaptés sur la période allant du 2 mars 2016 au 3 mars 2019.
Il a fait l’objet d’un avertissement le 26 avril 2017 par le premier président de la cour d’appel de xxx sur le fondement des trois premiers griefs visés ci-dessus. Cet avertissement a été annulé par le Conseil d’Etat le 3 octobre 2018 en raison du refus de délivrance à l’intéressé de la copie du dossier qui lui était opposé dans le cadre de la procédure.
Suite à de nouveaux incidents relatifs à une pratique de renvoi contestable et des tensions avec ses assesseurs, il a fait l’objet, contre son gré, à compter du 7 janvier 2019, d’une nouvelle affectation à la chambre civile. En raison de tensions avec la coordonnatrice du service civil et des retards dans les délibérés, il était, en septembre 2019, de nouveau affecté à la chambre pénale générale sans toutefois en assurer la coordination.
Sur le manquement à la délicatesse et aux devoirs de son état, en s'abstenant d'exercer son pouvoir de police à l'audience à l'occasion de sa présidence d'une audience correctionnelle alors que l'avocat d'un prévenu s'opposait à une demande de renvoi dans des termes portant atteinte à la probité, à l'honneur du procureur de la République et à l'image de la juridiction
Il est établi que le 2 mars 2016, à l’occasion d’une demande de renvoi dans un dossier correctionnel sensible du fait de la personnalité du prévenu, ex-président du conseil régional de xxx et député C, le conseil de ce dernier a tenu des propos désobligeants et grossiers à l’encontre du ministère public représenté par le procureur de la République M. B. Les notes d’audience précisent ainsi que Maître H s’est attaqué ouvertement au procureur de la République, en dépit des rappels à l’ordre de ce dernier, en l’appelant à de multiples reprises par son patronyme et en refusant de le désigner par sa fonction. M. B précisera que l’avocat l’a ainsi nommé « « soldat B » et a proféré des paroles « Monsieur B n’est pas digne de la robe qu’il porte » ou « il faut plumer le soldat B ».
M. X, qui présidait cette audience correctionnelle, ne conteste pas l’absence de rappel à l’ordre de sa part et reconnait que c’est sur l’insistance du procureur qu’il a rappelé à l’avocat qu’il devait appeler M. B par sa fonction. Il ne dément pas davantage avoir renoncé à évoquer le comportement de l’avocat alors qu’il réunissait les avocats et le ministère public après l’audience.
Sur la prescription
Le conseil de M. X soulève la prescription des faits en considérant qu’il n’y a qu’une seule autorité de poursuite et que si le chef de cour est informé de faits pouvant constituer des manquements disciplinaires, la prescription commence alors à courir dès cette date.
Il ressort des pièces versées au dossier à la demande du rapporteur, que la direction des affaires criminelles et des grâces a été régulièrement informée par le parquet général de xxx de cette affaire et notamment de la saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation d’une requête en dépaysement. Il résulte des échanges entre la DACG et le parquet général de xxx, et notamment du courriel transmis le 4 août 2016 à la DACG pour expliciter la requête en dépaysement, que le fondement de la requête était la mise en cause de l’impartialité du procureur de la République et non le comportement de M. X lors de l’audience du 2 mars 2016 qui n’est évoqué à aucun moment.
Dans ces conditions, la connaissance par le chef de cour des faits susceptibles de constituer un manquement disciplinaire n’a pas fait courir le délai de prescription pour le garde des Sceaux, ce dernier n’ayant disposé d’une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur de ces faits qu’à partir du 11 mai 2017, date à laquelle la direction des services judiciaires a reçu l’entier dossier de l’avertissement. Ces faits ayant été portés à la connaissance du garde des Sceaux moins de trois ans avant la saisine de la formation disciplinaire du Conseil, ils ne sont, par conséquent, pas prescrits.
Sur le fond
En sa qualité de président de la formation collégiale, M. X assurait la police de l’audience correctionnelle et n’en a pas fait usage auprès du conseil du prévenu pour faire cesser ses propos grossiers et outrageants à l’encontre du représentants du ministère public.
Le contexte particulier de cette audience doit toutefois être pris en compte. En effet, ayant pris ses fonctions deux mois auparavant, M. X disposait d’une connaissance partielle du contexte politique et social du territoire. De plus, la salle correctionnelle accueillait ce jour-là un public de militants, dépassant les capacités d’accueil du tribunal, face à un avocat qui recherchait manifestement l’incident. L’assesseure de M. X a ainsi indiqué que l’audience était particulièrement tendue au point qu’elle avait craint pour sa stagiaire présente dans le public.
Dans ces conditions, pour regrettable qu’ait pu paraître l’absence d’intervention du président d’audience, le contexte particulier de ces faits à la suite desquels le procureur général n’a d’ailleurs pas engagé de poursuites disciplinaires à l’encontre de l’avocat en cause ne permet pas de caractériser un manquement disciplinaire. Il s’ensuit que ce grief doit être écarté.
Sur le manquement au devoir de délicatesse, en faisant preuve d’une impatience excessive à l’égard d’une fonctionnaire en situation de fragilité
Il résulte des pièces versées au dossier que, par dépêche du 11 octobre 2016, le président du tribunal judiciaire de xxx et le procureur de la République adressaient aux chefs de la cour d’appel de xxx une fiche d’incident concernant une adjointe administrative du service correctionnel, Mme D, dont l’état de santé avait nécessité le 7 octobre 2016 son transport à l’hôpital. Le certificat médical délivré le 8 octobre 2016 faisait état de « troubles anxio-généralisés secondaires à un harcèlement moral sur le lieu de travail ». Mme D précisait que son état était la résultante des humiliations infligées par M. X.
Par deux dépêches des 18 octobre et 5 décembre 2016, la garde des Sceaux sollicitait la communication de tous renseignements utiles sur les relations de ce magistrat avec le greffe correctionnel, sur les suites apportées à l’incident et sur l’existence d’autres incidents.
Par deux dépêches en réponse des 27 octobre et 20 décembre 2016, le premier président précisait avoir reçu le 8 novembre M. X afin de recevoir ses explications et de lui demander de veiller à adapter à l’avenir son comportement dans ses observations au greffe. Il indiquait également qu’il s’agissait du premier incident signalé entre ce magistrat et cette fonctionnaire.
Sur la prescription
Le conseil de M. X soulève la prescription des faits.
La sous-directrice des services judiciaires a déclaré à l’audience ne pas soutenir les poursuites de ce chef.
Selon les dispositions de l’article 47 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifié par la loi organique n°2016-1090 du 8 août 2016, le garde des Sceaux, ministre de la justice, et les chefs de cour ne peuvent saisir le Conseil supérieur de la magistrature de faits motivant des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où ils ont eu connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur de ces faits.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’échange de plusieurs courriers entre le premier président de la cour d’appel de xxx et le garde des Sceaux entre le 18 octobre et le 20 décembre 2016, établit que le garde des Sceaux disposait alors d’une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur de ces faits. Ces faits ayant été portés à la connaissance du garde des Sceaux plus de trois ans avant la saisine de la formation disciplinaire du Conseil, ils sont par conséquent prescrits.
Sur le manquement à son devoir de diligence, en n'exerçant pas son rôle de coordinateur alors qu'il était président du pôle correctionnel
Aux termes de l’article R212-62 du code de l’organisation judiciaire, le coordonnateur d’un service « est notamment chargé de l’animation du service. Il est l’interlocuteur des personnes, organismes et autorités avec lesquels ce service est en relation ».
En l’espèce, M. X a été en charge de la coordination du service pénal général, recouvrant l’administration générale du service et le co-audiencement, de janvier 2016 à décembre 2018.
Il n’est pas contesté que M. X a dû faire face, dès son arrivée, à un service correctionnel en difficulté avec un fort déficit d’agents du greffe, un taux de renvoi important et des délais élevés de traitement des affaires pénales.
Interrogé, il fait valoir qu’il n’a pas reçu à son arrivée une lettre de mission du président du tribunal et que l’urgence, pour lui, était la problématique du sous-effectif du greffe, la résorption du stock civil et l’harmonisation de la jurisprudence au sein de la chambre. Il souligne qu’il a également été empêché à agir.
Il ressort toutefois de l’enquête administrative diligentée par l’Inspection générale de la justice que l’intéressé ne remplissait pas une grande partie des missions dévolues au coordonnateur d’un service. Ainsi, en raison de sa carence à élaborer les tableaux de composition d’audience, le président du tribunal a été dans l’obligation de confier leur établissement à une magistrate de la chambre. M. X n’élaborait pas davantage les tableaux des vacations puisqu’il a pu partir du 3 juin au 9 juillet 2017 en congé sans prévoir de projet de remplacement. De plus, il n’a organisé que très peu de réunions du service correctionnel, et ne représentait que rarement le service pénal lors des réunions organisées par le chef de juridiction. S’il a rédigé un rapport d’activité chaque année, il n’a élaboré aucun projet de service. Lors de l’inspection du greffe correctionnel en mai 2017, les chefs de cour avaient pourtant formulé plusieurs recommandations à l’attention du coordonnateur du service pénal, dont le renforcement du dialogue dans le cadre du co-audiencement, ou encore une harmonisation des pratiques de tenue d’audiences, qui n’ont pas été suivies d’effets. Le compte-rendu de la commission restreinte du 8 novembre 2018 souligne ainsi que plusieurs magistrats ont fait état de leurs difficultés à siéger sous la présidence de M. X en raison de renvois difficilement compréhensibles et de tensions lors des délibérés.
Les dysfonctionnements relatés ont finalement conduit le président de la juridiction à affecter M. X en janvier 2019 à la chambre civile. Le premier président de la cour d’appel écrit ainsi dans son évaluation 2017-2018 que « considérant toutefois que sa coordination du service correctionnel avait été perçue de façon mitigée par une partie du greffe ainsi que par les collègues du siège et du parquet, le président du tribunal de grande instance a pris la décision de l’affecter à la chambre civile à compter du mois de janvier 2019 tout en lui attribuant la gestion d’un important service comprenant les intérêts civils ».
S’il est établi que le service correctionnel du tribunal judiciaire de xxx était en souffrance du fait d’un déficit structurel de fonctionnaires, il n’en demeure pas moins que les fonctions de coordonnateur ne se limitent pas à dénoncer l’insuffisance du nombre de fonctionnaires mais visent à mettre en œuvre une politique d’animation et de gestion d’un service en s’appuyant sur le dialogue et la concertation.
Les nombreuses défaillances constatées dans l’animation et la coordination du service pénal sur une période de près de trois années sont constitutives d’un manquement de la part de M. X à son devoir de diligence au titre des responsabilités qui relevaient de son statut de coordonnateur du service pénal.
Un manquement au devoir de loyauté, en adressant un courriel aux conseils des parties les informant renvoyer une affaire audiencée sur deux jours, et en invoquant des raisons tenant à l'organisation interne de la juridiction, sans en faire part au préalable au président de ladite juridiction
Les 15 et 16 mars 2017, il devait être jugé à l’audience correctionnelle présidée par M. X un dossier sensible comportant dix personnes prévenues d’avoir commis des faits d’escroquerie, de complicité d’escroquerie, d’abus de biens sociaux, de blanchiment et de corruption active ou passive, dans lequel E était partie civile. Ce dossier avait déjà fait l’objet de deux renvois à la demande des parties.
Il est établi que, par six courriels datés du 4 mars 2017, M. X informait de façon unilatérale les parties au procès dont le ministère public, la greffière d’audience et ses assesseurs que les magistrats de la chambre correctionnelle envisageaient le report de l’évocation de ce dossier en raison des difficultés importantes de fonctionnement du greffe correctionnel. Il résulte des investigations menées par l’Inspection que si la situation critique de greffe correctionnel était confirmée, aucun échange ne s’était tenu, ni en interne avec les assesseurs et le ministère public, ni avec les avocats, sur l’opportunité de ce renvoi et ses conséquences.
Si X démontre une nouvelle fois son manque de considération à l’égard de la collégialité et de la concertation, le fait de procéder au renvoi du dossier, en sa qualité de président d’audience, sans en faire part au président de la juridiction, ne constitue pas un manquement au devoir de loyauté.
Un manquement à ses devoirs de dignité et de délicatesse, en adoptant, en qualité de président d'audience correctionnelle, une attitude de nature à donner une image dégradée de la justice et en manquant ostensiblement de considération pour ses collègues du siège et du parquet
Aux termes d’un courrier du 7 novembre 2018 du procureur de la République au président du tribunal, il est fait état de plusieurs incidents au sein du service correctionnel mettant en cause M. X.
Modification de la date d’évocation de deux demandes de permission de sortie
Le vendredi 12 octobre 2018, un détenu sollicitait une permission de sortie en urgence afin de pouvoir revoir sa mère mourante. En accord avec la vice-procureure, la requête était audiencée au lundi 15 octobre, en même temps que celle d’un détenu qui demandait à se recueillir sur la tombe de sa sœur.
Le 15 octobre, nonobstant ces deux demandes de permission de sortie, M. X adressait un mail à ses assesseurs leur indiquant qu’en l’absence de dossiers de comparution immédiate, il n’était pas prévu d’audience ce jour-là. Le procureur précisait que M. X avait considéré, à tort, qu’en l’absence de dossiers audiencés en comparution immédiate, il n’était pas saisi de ces deux requêtes.
Les investigations menées démontraient que les requêtes n’ont été traitées que le 17 octobre, la demande du premier détenu ayant été convertie en requête aux fins de se rendre aux obsèques de sa mère, décédée le 15 octobre, la seconde permission de sortie étant devenue sans objet.
Les deux dossiers étant en état le 15 octobre, il appartenait à M. X de tenir l’audience pour statuer ce jour-là et ce, quel que soit l’état du rôle à l’audience de comparutions immédiates.
Renvoi de l’audience correctionnelle du 29 octobre 2018 et de deux dossiers à l’audience du 31 octobre 2018
Mme F, vice-présidente affectée au service correctionnel, faisait part d’un arrêt de travail rendant nécessaire son remplacement les 24, 26 et 29 octobre. En l’absence de dispositions prises par M. X en sa qualité de coordonnateur du service pour remplacer la magistrate et en raison des congés des autres magistrats du service, le président du tribunal informait le 26 octobre M. X « n’avoir d’autre choix que de le désigner ». A l’audience du 29 octobre, ce dernier procédait au renvoi des dossiers de 24 prévenus, ne conservant que les trois dossiers des prévenus non comparants.
M. X ne conteste pas l’absence de dispositions prises pour le remplacement de Mme E mais fait valoir qu’il était à l’audience les 24 et 26 octobre et qu’il devait en outre rédiger un jugement JIRS.
A l’audience correctionnelle du 31 octobre 2018, le président a procédé au renvoi de quatre des onze dossiers audiencés ce jour-là pour des motifs contestés par le ministère public et sans recueillir l’avis de ses assesseurs.
Si chaque grief ne peut en soi être constitutif d’un manquement disciplinaire, leur répétition sur une période de quinze jours démontre la désinvolture de ce magistrat à l’égard des parties au procès et des justiciables ainsi qu’une incapacité à s’inscrire dans une collégialité, comportements préjudiciables au fonctionnement du service correctionnel.
En ce sens, ils constituent un manquement à ses devoirs de dignité et de délicatesse.
Sur un manquement aux devoirs de délicatesse, de dignité et une atteinte à l'image de la justice, en ayant, en sa qualité d'assesseur en audience civile, montré son agacement et consulté son téléphone de manière ostensible ;
Affecté à compter de janvier 2019 au service civil, il lui est reproché d’avoir, lors de l’audience civile collégiale du 23 janvier 2019 présidée par la coordonnatrice du service, vice-présidente placée, manifesté publiquement son agacement en ayant une « attitude désinvolte », en ricanant et en consultant son téléphone.
La sous-directrice des services judiciaires a déclaré à l’audience ne pas soutenir les poursuites de ce chef.
Interrogé, M. X conteste les faits en reconnaissant uniquement avoir transmis un message urgent à sa fille.
Il résulte des pièces versées que ce comportement n’étant étayé par aucun autre témoignage que celui de la présidente d’audience, le grief n’apparaît pas suffisamment établi pour constituer un manquement disciplinaire.
Dans ces conditions, le grief tenant de ce chef sera écarté.
Un manquement au devoir de délicatesse et aux devoirs de son état, en refusant de rédiger des projets de jugement au motif qu'ils seraient signés par un magistrat inscrit après lui sur la liste de rang des magistrats du siège du tribunal judiciaire de xxx ou par un magistrat placé, occasionnant une surcharge de travail pour ses collègues et obligeant par cette attitude à une réorganisation du service
Il est reproché à M. X d’avoir refusé lors de son affectation à des audiences civiles collégiales de rédiger des projets de jugement au motif qu’ils seraient signés par la vice-présidente placée qui avait un rang inférieur au sien.
La sous-directrice des services judiciaires a déclaré à l’audience ne pas soutenir les poursuites de ce chef.
Il résulte en effet de l’article R212-3 du code de l’organisation judiciaire que chacune des chambres est présidée par le président du tribunal judiciaire, un premier vice-président ou un vice-président, ou à défaut, par le magistrat du siège dont le rang est le plus élevé.
Dans ces conditions, les jugements devant être soumis à la signature du magistrat disposant du rang le plus élevé, le grief tenant de ce chef sera écarté.
Un manquement aux devoirs de loyauté et de délicatesse, ainsi qu'aux devoirs de son état, en adressant directement au premier président de la cour d'appel et aux organisations syndicales une plainte relative aux mesures prétendument vexatoires dont il serait l'objet de la part du président de juridiction et en ne répondant pas aux courriels adressés notamment par le chef de la juridiction
Il est reproché à M. X d’avoir, en l’absence d’une réponse du président du tribunal à sa demande de congé, adressé au président du tribunal un courriel faisant état des mesures vexatoires dont il faisait l’objet depuis plusieurs mois, en mettant en copie le premier président de la cour d’appel et l’organisation syndicale dont il est membre.
La sous-directrice de la direction des services judiciaires a déclaré à l’audience ne pas soutenir les poursuites de ce chef.
Les faits constitutifs d’un manquement disciplinaire n’étant pas suffisamment étayés, il s’ensuit que le grief sera écarté.
Un manquement à la délicatesse et à la probité, en tenant des propos déplacés à l’égard de Mme I, directrice des services de greffe placée
En l’espèce, il est reproché à M. X des propos déplacés à l’encontre de Mme I, directrice des services de greffe placée, ainsi qu’une immixtion dans la gestion des services de greffe.
La sous-directrice de la direction des services judiciaires a déclaré à l’audience ne pas soutenir les poursuites de ce chef.
M. X conteste avec force les griefs formulés par Mme I.
Les faits constitutifs d’un manquement disciplinaire n’étant pas suffisamment étayés, il s’ensuit que le grief sera écarté.
Un manquement aux devoirs d’efficacité et de diligence, par un refus initial de rédiger l’audience civile du 19 février 2019
La mission d’Inspection a soulevé dans son rapport de nouveaux griefs, repris par le rapporteur, dont celui d’avoir attendu la notification tardive de sa nouvelle fiche de poste au service civil pour rédiger ses premières décisions, ce qui a conduit à retarder de deux mois la rédaction de ses jugements.
Le conseil de M. X considère que le Conseil ne peut être saisi que par la dénonciation que lui adresse le garde des Sceaux et ne peut donc l’être de ces nouveaux faits.
Lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, le Conseil est légalement saisi, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est ainsi pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance par l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Il résulte des éléments du dossier que cette affectation au service civil, accompagnée du retrait de ses fonctions de coordonnateur, a été décidée par le président de la juridiction contre la volonté de l’intéressé dans un contexte professionnel particulièrement tendu et difficile. Ces éléments de contexte explicitent la position de l’intéressé qui a pu légitimement attendre de recevoir une fiche de poste.
Compte tenu de ces éléments contextuels, le grief sera écarté.
Un manquement à la conscience professionnelle, par le retard dans la motivation de jugements civils
Il ressort de l’enquête administrative diligentée par l’Inspection générale de la justice qu’entre février et août 2019, M. X a présidé 5 audiences civiles à juge unique avec 36 dossiers en délibéré. Il a rendu seulement 13 décisions fin août et 6 fin décembre, avec une prorogation systématique des délibérés fixés à 2 mois à partir de l’audience de mars 2019 puis une réouverture des débats pour 10 dossiers.
Interrogé, M. X reconnaît les retards dans la rédaction des jugements civils mais argue de la notification tardive de sa fiche de poste, du temps d’adaptation à un nouveau contentieux ainsi que de sa charge de travail consécutive à son retour au service correctionnel.
L’affectation à un nouveau contentieux ne justifie pas de telles défaillances dans la rédaction des décisions, a-fortiori pour un magistrat doté d’une longue expérience professionnelle. Il appartenait en effet à ce magistrat d’anticiper et de s’organiser pour rendre les décisions en respectant les délais. Son manque d’investissement dans ce contentieux est d’autant plus dommageable que la réouverture des débats a eu des répercussions sur l’activité civile en augmentant la charge de travail des magistrats et des services de greffe.
Il s’ensuit que ces faits caractérisent un manquement à son devoir de diligence et aux devoirs de son état.
Sur la sanction
En dépit des qualités professionnelles indéniables de ce magistrat relevées dans ses évaluations, des manquements professionnels répétés sur une période de trois années sont établis à l’encontre de M. X dans ses fonctions de premier vice-président au tribunal judiciaire de xxx.
Il n’est pas contestable que ces manquements s’inscrivent dans un contexte particulier. En effet, les relations tendues entre l’intéressé et le président de la juridiction ont manifestement pour origine une forme de rivalité entre ces deux magistrats, tous deux appartenant à la même promotion et M. X ayant été auparavant à deux reprises chef de juridiction. A cela s’ajoute le déficit structurel de fonctionnaires au service pénal général qui a contribué à cristalliser les difficultés de fonctionnement de ce service. Enfin, le contexte politique et social du ressort de cette juridiction G est également à prendre en compte.
Il n’en demeure pas moins que les manquements de ce magistrat, constitués par ses défaillances dans la coordination du service pénal, son manque de dialogue et de concertation avec les magistrats et le ministère public, ses renvois intempestifs de dossiers à l’audience, son manque d’investissement en matière civile, ont été préjudiciables au fonctionnement du tribunal de xxx, générant de multiples tensions ainsi que des dysfonctionnements au sein des services. Cette situation a été nécessairement aggravée par le retentissement extérieur de ces manquements, amplifié par le caractère G de la juridiction. L’ensemble de ces éléments constitue aujourd’hui un obstacle à la crédibilité de ce magistrat au sein de la juridiction et y rend inenvisageable la poursuite de son exercice professionnel.
Dans ces conditions, l’ensemble de ces éléments présente un caractère de gravité justifiant la sanction de déplacement d’office.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Virginie Duval, rapporteur ;
Statuant en audience publique, le 14 octobre 2021 pour les débats et le 5 novembre 2021, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Prononce à l’encontre de M. X la sanction disciplinaire de déplacement d’office ;
La présente décision sera notifiée à M. X ;
Une copie sera adressée à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice.
La secrétaire générale
Sophie Rey |
La présidente
Chantal Arens |