S262 6/2023

Decision Disciplinaire

Date
19/01/2023
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image et à l'autorité de la justice, Manquement à l'honneur, à la délicatesse et à la dignité du magistrat, Manquements à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables
Décision
Non-lieu à sanction
Mots-clés
assistante de justice
stagiaire
tutorat
comportement déplacé
manquement déontologique
relation privée
Fonction
Vice-président chargé de l’instruction
Résumé
Pendant une période courant d’octobre 2019 à février 2020, M. X a tenté de nouer deux relations intimes avec, d’une part, une stagiaire avec laquelle il était engagé dans un cadre institutionnel par une convention de tutorat, et d’autre part, une assistante de justice de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de son ressort à qui il avait proposé un soutien pédagogique pour la préparation du concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature. S’agissant de la première relation, en ne tirant pas immédiatement les conséquences du refus de Mme E de nouer une relation avec lui et en entretenant la confusion entre les registres personnels et professionnels, M. X a commis un manquement déontologique. Cependant, au vu des circonstances de fait, l’inobservation des règles déontologiques n’atteint pas un niveau de gravité la rendant constitutive d’une faute disciplinaire. S’agissant de la seconde relation qui ne se situe pas dans un cadre institutionnel, M. X et Mme D ont reconnu l’ambiguïté de leur relation, il en résulte que cette dernière a un caractère privé et consenti, et ne relève donc pas du champ disciplinaire. La procédure pénale a par ailleurs été classés sans suite par décision du 3 août 2021. Enfin, il ressort de la procédure que ces deux situations n’ont pas été médiatisées et connues de peu de personnes ; en conséquence l’atteinte à la confiance et au respect de la fonction de magistrat et de l’image de la justice n’est pas constituée.

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X

Vice-président au tribunal judiciaire de Xx, et précédemment vice-président en charge de l’instruction au tribunal judiciaire de Xxx,

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Didier Guérin, président de chambre à la Cour de cassation honoraire, président suppléant de la formation,

 

 

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel 

M. Yves Saint-Geours

M. Georges Bergougnous

Mme Natalie Fricero

M. Jean-Christophe Galloux 

M. Frank Natali

M. Régis Vanhasbrouck

M. Benoit Giraud 

M. Benoist Hurel

Mme Dominique Sauves

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 24 juin 2022, reçu au Conseil le 27 juin 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 19 juillet 2022 désignant Mme Natalie Fricero en qualité de rapporteure ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A avocat au barreau de Xxxx et de Mme C, présidente de chambre de l’instruction de la cour d’appel de Xxxxx et secrétaire nationale de F, désignés par l’intéressé pour l’assister;

 

Vu la copie de l’entière procédure délivrée à M. X et à son premier conseil, Me A ;

  

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience du 11 janvier 2023, adressée à M. le premier président de la cour d’appel de Xxxxxx pour notification à M. X par courrier recommandé avec accusé de réception, envoyée le 20 décembre 2022 et qui a été notifié par la voie hiérarchique 23 décembre 2022 ;

 

Vu la convocation à l’audience susvisée adressée par voie dématérialisée le 20 décembre 2022 à Me A et Mme C, présidente de la chambre d’instruction à la cour d’appel de Xxxxx, secrétaire nationale de F, courriers qui ont été téléchargés le jour même ;

 

Vu la demande de huis clos déposée le 3 janvier 2023 et soutenue à l’oral par Me A, au soutien des intérêts de M. X ;

 

Les débats s’étant déroulés à huis clos, au siège du Conseil supérieur de la magistrature, le 5 janvier 2023 ;

 

Après avoir entendu :

 

-   le rapport de Mme Natalie Fricero, en sa synthèse ;

 

- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de Mme Philippine Roux, magistrate au bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, qui a sollicité le prononcé de la sanction de rétrogradation prévue par le 5° de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée ;

- Maître A accompagné par Maître B, et de Mme C, M. X ayant eu la parole en dernier.

A rendu la présente

 

DÉCISION

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la Justice, relève plusieurs griefs portant sur des manquements imputés à M. X :

  • Un manquement aux devoirs de dignité et de délicatesse :

 

-- en envoyant très régulièrement des messages sortant du cadre professionnel, à des heures tardives, à une stagiaire, de plusieurs années sa cadette et dont il avait été désigné tuteur, en persistant à adopter un comportement déplacé voire inadapté à son égard malgré l’envoi de messages clairs caractérisant l’absence de sentiments réciproques de la part de la jeune femme ;

 

-- en étant à l’origine d’une relation ambiguë avec une assistante de justice de plusieurs années sa cadette et à laquelle il devait initialement apporter son aide dans la préparation du concours d’accès à l’Ecole nationale de la magistrature, en insistant pour qu’une relation intime naisse entre eux malgré les réticences de la jeune femme ;

 

  • Une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et, par là même, à l’image de l’institution judiciaire en donnant à voir de tels comportements à ses collègues magistrats, aux greffiers et aux fonctionnaires du tribunal judiciaire de Xxx

 

 

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

Sur la demande de non-publicité des débats

 

Aux termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exige, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline ».

 

Le conseil de M. X a présenté une demande tendant à ce que l’audience ne se tienne pas publiquement.

 

Mme Soizic Guillaume, représentante du garde des Sceaux, ne s’oppose pas à cette demande.

 

Après en avoir immédiatement délibéré, le Conseil estime que les éléments particuliers tenant à la vie privée du magistrat et des personnes entendues dans cette affaire justifient que la salle d’audience soit interdite d’accès pendant la totalité de l’audience.

 

En conséquence, le Conseil fait droit à la demande, l’audience se poursuivant à huis-clos.

 

 

Sur les faits à l’origine de la poursuite disciplinaire

 

M. X, âgé de 50 ans en 2022, a été affecté le 1er juillet 2018 au tribunal de grande instance de Xxx en qualité de vice-président chargé des fonctions de l’instruction à la JIRS.

 

Il faisait la connaissance, à l’occasion d’un déjeuner organisé le 18 novembre 2019 par la présidente de la chambre de l’instruction, de Mme D, assistante de justice affectée à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Xxx. Il proposait alors à la jeune femme de l’aider dans la préparation du concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature, proposition à laquelle elle consentait.

 

Par note en date du 22 septembre 2020, Mme D, alors âgée de 24 ans, dénonçait au premier président de la cour d’appel de Xxx le comportement de M. X à son égard, faisant état, sous couvert d’assistance pour préparer le concours, de sollicitations répétées, notamment à caractère sexuel, aux fins de nouer une relation intime. Elle produisait notamment à l’appui de ses dires, des échanges de messages avec le magistrat et décrivait une « relation toxique et malsaine » achevée le 21 février 2020.

 

Il convient de relever que Mme D n’a pas ensuite souhaité être entendue par les enquêteurs de police et par l’inspection de la Justice et ne l’a été que par la rapporteure du Conseil. Elle a aussi manifesté son trouble à l’idée que les faits soient rendus publics.

 

A la suite d’un rapport du premier président de la cour d’appel de Xxx adressé au garde des Sceaux sur le fondement de la note de Mme D, la directrice de cabinet du ministre saisissait, par lettre de mission en date du 26 octobre 2020, l’Inspection générale de la Justice d’une enquête administrative relative au comportement de M. X. Le rapport était remis au mois d’avril 2022.

 

Dans le cadre de cette enquête, des étudiantes, dont M. X avait été le tuteur, étaient contactées ou entendues. Aucun témoignage ne faisait état de faits similaires, à l’exception de celui de Mme E qu’il avait rencontrée dans le cadre d’un dispositif de tutorat à compter du 30 septembre 2019, soit quelques semaines avant sa rencontre avec Mme D.

 

En effet, de messages initialement strictement professionnels, le magistrat évoluait, du 19 octobre au 5 novembre 2019, vers des SMS plus intimes entreprenant une démarche de séduction auprès de Mme E et faisant état de son souhait de nouer une relation avec elle. Cette attitude obligeait cette dernière à rappeler avec fermeté le cadre de la relation professionnelle. M. X prenait en compte, au bout de trois semaines, ce rappel et reprenait une attitude strictement professionnelle, à l’exception d’un texto isolé en date du 5 février 2020 lors duquel il lui proposait de boire un verre, proposition qu’elle déclinait.

 

Dans le prolongement de ces événements, M. X sollicitait sa mutation et il exerce désormais en qualité de vice-président au tribunal judiciaire de Xx depuis le 1er septembre 2021. Il est à mi-temps thérapeutique depuis le 1er septembre 2022 en raison de son état de santé.

 

 

Sur les griefs et manquements

 

S’agissant du manquement aux devoirs de dignité et de délicatesse en envoyant des messages sortant du cadre professionnel, à des heures tardives, à une stagiaire, de plusieurs années sa cadette et dont il avait été désigné tuteur, en persistant à adopter un comportement déplacé voire inadapté à son égard malgré l’envoi de messages clairs caractérisant l’absence de sentiments réciproques de la part de la jeune femme :

 

En l’espèce, il résulte des éléments du dossier que la relation professionnelle entre M. X et Mme E s’inscrivait dans un cadre spécifique, une convention de tutorat entre un magistrat en fonction et une étudiante préparant le concours de l’Ecole nationale de la magistrature.

 

Si cette convention n’établissait pas un lien hiérarchique ou d’autorité entre les deux protagonistes, son caractère institutionnel obligeait ce magistrat à conserver une attitude strictement professionnelle.

 

M. X reconnait avoir voulu séduire Mme E et nouer une relation intime. Il est également conscient qu’il « n’aurait pas dû sortir du cadre ».  A titre explicatif, il fait valoir qu’il traversait une « crise conjugale » avec la femme qu’il avait épousée en juillet 2019, quelques mois après leur rencontre, et qui devait le rejoindre en France au mois de décembre 2019. Il ajoute que pendant cette période de quatre mois environ, du mois d’octobre 2019 au mois de février 2020, il se sentait isolé et avait éprouvé de vrais sentiments tant pour Mme E que pour Mme D.

 

Si les explications fournies par M. X sont constantes, il n’en demeure pas moins qu’en sa qualité de tuteur de Mme E, il aurait dû immédiatement tirer les conséquences du refus formulé clairement par la jeune femme de nouer une relation autre que professionnelle, et ne pas la poursuivre de ses assiduités pendant une période de près de trois semaines.

 

Ainsi, en essayant de tirer profit de cette relation et en entretenant la confusion entre les registres professionnel et personnel alors que Mme E n’a jamais été ambivalente à son égard et a systématiquement fait part de sa volonté de maintenir le cadre strict du tutorat, M. X a commis un manquement déontologique.

 

Toutefois, le Conseil prend en compte le court laps de temps durant lequel les faits se sont déroulés, ainsi que le changement de comportement de M. X, qui a repris une attitude professionnelle à l’égard de l’étudiante et a mené le tutorat jusqu’à son terme, se comportant même, aux dires de la jeune femme, de façon exemplaire lors de leurs rencontres sur le lieu de travail.

Compte tenu de ces circonstances particulières, le Conseil considère que l’inobservation des règles déontologiques constatée n’atteint pas un niveau de gravité la rendant constitutive d’une faute disciplinaire.

 

S’agissant du manquement aux devoirs de dignité et de délicatesse en étant à l’origine d’une relation ambiguë avec une assistante de justice de plusieurs années sa cadette et à laquelle il devait initialement apporter son aide dans la préparation du concours d’accès à l’Ecole nationale de la magistrature, en insistant pour qu’une relation intime naissent entre eux malgré les réticences de la jeune femme :

 

La relation professionnelle entre M. X et Mme D n’a pas le même cadre institutionnel que celle relative à Mme E.

 

En effet, Mme D était une assistante de justice placée auprès de la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Xxx, qui, à l’occasion d’un déjeuner, s’est vue proposer par M. X, alors magistrat au tribunal judiciaire, une aide pédagogique pour la préparation du concours de l’Ecole nationale de la magistrature. Aucune convention de tutorat n’existait entre les deux protagonistes et Mme D n’était pas davantage l’assistante de justice du magistrat.

 

Il est établi que M. X, à compter du mois de décembre 2019, a entrepris une démarche de séduction à l’égard de Mme D, en lui adressant de nombreux messages faisant ouvertement état de son attirance pour elle, de son souhait de nouer une relation intime en envoyant notamment des SMS de nature explicitement sexuelle.

 

Mme D reconnait qu’après une première période où elle a refusé de donner suite à ses sollicitations, ils ont entamé une relation nettement plus ambiguë qu’elle qualifiera après coup de « toxique et malsaine ». M. X, de son côté, explique qu’il s’agissait d’une relation entre deux adultes consentants, une relation certes « chaotique » mais « construite ».

 

Ainsi, si les deux protagonistes n’ont pas la même approche de cette relation, ils reconnaissent tous les deux l’ambivalence du lien noué. En outre, il n’apparaît pas possible de s’appuyer sur la teneur des messages émanant de M. X et produits par Mme D pour appréhender plus avant la nature de leur relation, Mme D ayant effacé, selon elle par inadvertance, près de 90% des messages échangés, notamment la quasi-totalité de ses propres SMS.

 

Enfin, l’enquête pénale diligentée des chefs d’exhibition sexuelle et de harcèlement sexuel aggravé par un abus d’autorité, a fait l’objet d’une décision de classement sans suite le 3 août 2021 pour infractions insuffisamment caractérisées.

 

De l’ensemble de ces éléments, et sans minimiser l’impact psychologique qu’elle a pu avoir ultérieurement sur Mme D, il résulte que cette relation a eu un caractère privé et consenti entre deux adultes responsables et sans lien institutionnel. Elle ne relève donc pas du champ disciplinaire.

 

S’agissant de l’atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et à l’image de la justice en donnant à voir de tels comportements à ses collègues magistrats, aux greffiers et aux fonctionnaires du tribunal judiciaire de Xxx :

 

Il résulte des éléments du dossier qu’il n’y a pas eu de médiatisation de ces deux situations : d’une part, très peu de magistrats et de fonctionnaires ont été informés du comportement reproché à M. X, et d’autre part, l’enquête de police menée a été délocalisée puis classée sans suite. 

 

Dans ces conditions, le Conseil considère que l’atteinte à la confiance et au respect de la fonction de magistrat et de l’image de la justice n’est pas constituée.

 

Il y a lieu en conséquence de renvoyer le magistrat des fins de la poursuite et dire n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire.  

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Natalie Fricero, rapporteure ;

Statuant à huis clos, le 11 janvier 2023 pour les débats et le 19 janvier 2023, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre de M. X ;

 

 

 

La présente décision sera notifiée à M. X par la voie hiérarchique et à ses défenseurs par voie dématérialisée.

Une copie sera adressée par voie dématérialisée à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

La secrétaire générale

 

 

Sophie Rey

Le président adjoint

 

 

Didier Guérin