10/2023
Conseil de discipline des magistrats du siège
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Décision du 12 avril 2023 N° de minute : 10/2023 |
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DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE
Dans la procédure mettant en cause :
M. X
Vice-président au tribunal judiciaire de Xxxx, et précédemment vice-président en charge des fonctions de juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Xxxxx,
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,
En présence de :
Mme Elisabeth Guigou
M. Patrick Titiun
Mme Diane Roman
Mme Dominique Lottin
M. Patrick Wachsmann
M. Jean-Luc Forget
M. Christian Vigouroux
M. Pascal Chauvin
M. Julien Simon-Delcros
M. Jean-Baptiste Haquet
Mme Clara Grande
M. Alexis Bouroz
Mme Céline Parisot
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de M. Jean-Baptiste Crabières, secrétaire général adjoint du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;
Vu les articles 61-1 et 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 17 février 2022, reçu au Conseil le 21 février 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;
Vu l’ordonnance du 2 mars 2022 désignant Mme Virginie Duval en qualité de rapporteure ;
Vu la décision de prorogation de délai pour statuer du 19 janvier 2023 ;
Vu la désignation en tant que rapporteur de M. Jean-Baptiste Haquet le 23 février 2023 ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître de A avocat au barreau de Xx et de Mme B, vice-présidente au tribunal judiciaire de Xxx, secrétaire permanente du C, désignés par l’intéressé pour l’assister;
Vu la copie de l’entière procédure délivrée à M. X et à son premier conseil, Me A ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation à l’audience du 30 mars 2023, adressée à Monsieur le premier président de la Cour d’appel de Xx pour notification à M. X par courrier du 16 février 2023 envoyé par LRAR le 21 février 2023, qui lui a été notifié par la voie hiérarchique 22 février 2023 ;
Vu la convocation à l’audience susvisée du 16 février adressée par voie dématérialisée le 21 février 2023 à Maître A et Mme B, courriers dont ils ont pris connaissance le jour même ;
Vu les questions prioritaires de constitutionnalité transmises par voie dématérialisée le 17 mars 2023 par les conseil et défenseur de M. X au soutien de ses intérêts ;
Vu les observations de M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice du 27 mars 2023 communiquées aux parties le même jour ;
Vu le rapport de M. Jean-Baptiste Haquet du 28 mars 2023 transmis aux parties par voie dématérialisée le même jour ;
Les débats s’étant déroulés en audience publique, au siège du Conseil supérieur de la magistrature, le 30 mars 2023 ;
Après avoir entendu :
- Les conseil et défenseur de M. X au soutien de leur demande de transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité ;
- Les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la Justice, assistée de Madame Philippine Roux, magistrate au bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires ;
- M. Jean-Baptiste Haquet, en son rapport ;
A rendu la présente
DÉCISION
Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »
M. X demande que soit renvoyées au Conseil d’Etat les questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :
« L’article 52 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le rapporteur du Conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte aux principes constitutionnels du droit à la présomption d’innocence et à celui des droits de la défense en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié alors que les déclarations recueillies sont susceptibles d’être utilisée, directement ou indirectement, dans le cadre d’une procédure pénale ? ».
« L’article 56 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le Conseil de discipline du conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte aux principes constitutionnels du droit à la présomption d’innocence et à celui des droits de la défense en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié alors que les déclarations recueillies sont susceptible d’être utilisées, directement ou indirectement, dans le cadre d’une procédure pénale ? ».
En application de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est procédé à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
En l’espèce, les articles 52 et 56 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 sont applicables au litige.
Ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif des décisions du Conseil Constitutionnel DC n°2010-611 du 19 juillet 2010 et DC n°70-40 du 9 juillet 1970.
Depuis ces décisions, le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle au droit au silence dans les procédures pénales (QPC n°2016-594 du 4 novembre 2016, QPC n° 2021-894 du 9 avril 2021). Cette évolution jurisprudentielle constitue un changement des circonstances de droit.
Une procédure disciplinaire initiée à l’encontre d’un magistrat pouvant conduire jusqu’à sa révocation, la question de la notification du droit au silence à l’occasion de son audition devant le rapporteur et devant le Conseil de discipline apparaît comme n’étant pas dépourvue de caractère sérieux.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Statuant en audience publique, le 30 mars 2023 pour les débats, et le 12 avril 2023 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Jean-Baptiste Haquet rapporteur ;
ORDONNE la transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :
« L’article 52 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le rapporteur du Conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte aux principes constitutionnels du droit à la présomption d’innocence et à celui des droits de la défense en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié alors que les déclarations recueillies sont susceptibles d’être utilisée, directement ou indirectement, dans le cadre d’une procédure pénale ? »
« L’article 56 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le Conseil de discipline du conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte aux principes constitutionnels du droit à la présomption d’innocence et à celui des droits de la défense en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié alors que les déclarations recueillies sont susceptible d’être utilisées, directement ou indirectement, dans le cadre d’une procédure pénale ? »
DIT que la présente décision sera adressée au Conseil d’Etat dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires des parties relatifs aux questions prioritaires de constitutionnalité ;
ORDONNE le renvoi de l’affaire au fond dans l’attente que soient tranchées les questions prioritaires de constitutionnalité.
La présente décision sera notifiée à M. X par la voie hiérarchique et à ses conseil et défenseur par voie dématérialisée.
Une copie sera adressée par voie dématérialisée à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice.
Le secrétaire général adjoint
Jean-Baptiste Crabières |
Le président
Christophe Soulard |