S264 QPC CE
Conseil d'État
N° 473249
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
M. Antoine Berger, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
DE COMBLES DE NAYVES, avocats
Lecture du vendredi 23 juin 2023
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 12 avril 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, avant qu'il soit statué sur la demande du garde des sceaux, ministre de la justice, de voir prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de M. A... B..., a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 52 et 56 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et par deux mémoires, enregistrés les 12 et 22 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... soutient que les articles 52 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui prévoient l'audition du magistrat poursuivi par le rapporteur désigné par le Conseil supérieur de la magistrature et par le conseil de discipline sans que lui soit notifié son droit au silence, méconnaissent le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, résultant des articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Par un mémoire, enregistré le 12 mai 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier que les dispositions des articles 52 et 56 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et que la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, notamment ses articles 52 et 56 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article 52 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction issue de l'article 27 de la loi organique du 22 juillet 2010 relative à l'application de l'article 65 de la Constitution : " Au cours de l'enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause par un magistrat d'un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s'il y a lieu, le justiciable et les témoins. Il accomplit tous actes d'investigation utiles et peut procéder à la désignation d'un expert. / Le magistrat incriminé peut se faire assister par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau. / La procédure doit être mise à la disposition de l'intéressé ou de son conseil quarante-huit heures au moins avant chaque audition ". Aux termes de l'article 56 de la même ordonnance, dans sa rédaction issue de l'article 18 de la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature : " Au jour fixé par la citation, après audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un magistrat faisant l'objet de poursuites disciplinaires devant le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, est amené à s'exprimer sur les faits qui lui sont reprochés devant le rapporteur puis devant le conseil de discipline, sans que son droit de se taire ait à lui être notifié.
3. En premier lieu, ces dispositions, qui appartiennent à la section II du chapitre VII de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, sont applicables au litige dont est saisi le Conseil supérieur de la magistrature, statuant, comme conseil de discipline des magistrats du siège de l'ordre judiciaire, sur la demande du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant au prononcé d'une sanction disciplinaire à l'encontre d'un magistrat du siège.
4. En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel a, par ses décisions n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, déclaré conformes respectivement les articles 52 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans leur rédaction applicable au présent litige. Toutefois, le Conseil constitutionnel a par ses décisions n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, n° 2021-894 QPC et n° 2021-895/901/902/903 QPC du 9 avril 2021, précisé sa jurisprudence relative au principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser en matière pénale, dont découle le droit de se taire. Ces décisions constituent une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel.
5. Toutefois, en dernier lieu, si le Conseil constitutionnel a reconnu que le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, résulte de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 juillet 1789, il résulte également des décisions précitées que ce principe a seulement vocation à s'appliquer dans le cadre d'une procédure pénale. Dès lors que les articles 52 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature définissent la procédure disciplinaire applicable aux magistrats du siège, M. B... n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, nonobstant la circonstance que les informations recueillies dans le cadre de cette procédure pourraient être ultérieurement transmises au juge répressif.
6. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B..., qui n'est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la Première ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Conseil supérieur de la magistrature.
Délibéré à l'issue de la séance du 31 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 23 juin 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse