Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence du premier président de la Cour de cassation, et statuant à huis clos ;
Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature complétée et modifiée par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967 et n° 70-642 du 17 juillet 1970 ;
Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche de M. le garde des sceaux du 5 janvier 1972, dénonçant au Conseil les faits motivant la poursuite disciplinaire ouverte contre M. X, juge à la suite au tribunal de grande instance de V, chargé du service au tribunal d’instance de W ;
Vu les procès-verbaux en date des 4 février 1972 et 1er mars 1972 de l’audition de M. X par M. le conseiller Thirion ; ensemble les procès-verbaux et le rapport établis à la demande de celui-ci par le président du tribunal de V et les documents qui y sont annexés ;
Sur le rapport de M. le conseiller Thirion ;
Ouï M. X en ses explications ;
Le directeur des services judiciaires entendu ;
Considérant qu’il résulte de l’enquête que M. X a, depuis la fin de l’année 1968, donné aux greffiers du ressort de son tribunal d’instance l’ordre de réclamer aux justiciables de sa juridiction des frais de transport supérieurs au tarif règlementaire et de taxer, à son profit, des frais pareillement majorés pour des déplacements qu’il n’a pas effectués ;
Considérant que depuis 1970, M. X a exigé le paiement de sommes en général fixées à cinq francs, pour tous les actes de sa juridiction gracieuse ;
Considérant que selon les comptes établis par les greffiers et non contestés par M. X, celui-ci s’est ainsi fait remettre indûment une somme globale de 14 775,15 francs ;
Considérant que M. X a, fin 1971, dans des jugements avant dire droit rendus en matière de baux ruraux, ordonné la consignation au greffe d’une somme supérieure aux honoraires demandés par l’expert, en précisant que cette consignation était destinée à couvrir les frais de l’expert et du président du tribunal délégué par ses assesseurs pour assister à l’expertise ; que, bien plus, un jugement du 19 novembre 1971 dispose que « le bureau d’aide sociale de Z devra déposer au greffe de A la somme de 1 000 francs à titre d’honoraires d’expert et du président du tribunal » ;
Considérant, en outre, qu’il est établi par la déposition de Mme Y, exploitant forestier à B, et reconnu par M. X, que celui-ci qui avait d’importants besoins d’argent et avait demandé au notaire M. C de lui chercher un prêteur a, par l’entremise et la complaisance de cet officier public, sollicité Mme Y de lui prêter une somme de 35 000 francs provenant de la vente de terrains indivis appartenant à ses quatre enfants mineurs ; que cette vente avait été autorisée par M. X en sa qualité de juge des tutelles, aux termes d’une ordonnance du 21 juillet 1969 prévoyant que lesdits fonds seraient employés en titres nominatifs auprès d’établissements financiers agréés ;
Que, sur les assurances du notaire qu’un magistrat était une personne honorable et solvable, Mme Y ayant consenti à prêter ladite somme à M. X, celui-ci rendit d’office une nouvelle ordonnance, en date du 30 avril 1970, visant sa précédente ordonnance mais la modifiant en ce sens que les sommes revenant aux mineurs Y pourraient être employées « en prêts à des particuliers offrant toutes garanties morales et financières » ; que c’est dans ces conditions, qu’ayant reçu la somme de 35 000 francs déposée chez le notaire, M. X a, sous la dictée de celui-ci, rédigé de sa main une reconnaissance de dette stipulant un remboursement en cent-vingt mensualités suivant un plan d’amortissement préalablement établi par un expert comptable du canton, à la demande de M. X ;
Considérant que si M. X. a honoré régulièrement les premières échéances, il a été révélé par Mme Y et reconnu par M. X, que celui-ci s’étant aperçu que les trois chèques émis par lui en règlement des mensualités de mars, avril et mai 1971 n’avaient pas été encaissés par Mme Y, s’est rendu chez celle-ci pour lui demander de ne pas remettre lesdits chèques à l’encaissement, lui déclarant qu’il n’avait plus à son compte en banque les disponibilités nécessaires et qu’il obtint d’elle qu’elle les détruisît ; qu’interrogé sur ce point, M. X, tout en reconnaissant l’exactitude des déclarations de Mme Y, a contesté avoir agi irrégulièrement du fait que sa banque, en toute hypothèse, lui aurait consenti des facilités de caisse et que Mme Y était consentante ;
Considérant que, sans qu’il y ait lieu de s’étendre sur d’autres incidents qui témoignent d’une absence totale de réserve et de délicatesse, M. X s’est, par ces agissements, déconsidéré et a déconsidéré la justice aux yeux des justiciables ; qu’en abusant de ses fonctions pour percevoir des taxes illégales et, à la faveur de la confiance que ses fonctions inspiraient, en s’appropriant une somme importante appartenant à des mineurs, dont il avait mission sous la responsabilité de l’État de sauvegarder les intérêts, comme en retirant de surcroît, à l’occasion de remboursements par mensualités, la provision des chèques qu’il avait émis, M. X a, dans des conditions qui le disqualifient, gravement manqué aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse et à la dignité ;
Considérant que M. X n’a plus sa place dans le corps judiciaire ;
Par ces motifs,
Prononce contre M. X la sanction disciplinaire prévue par l’article 45, 7°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée (révocation sans suspension des droits à pension).