Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
03/05/1990
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de légalité (obligation de rédaction des décisions), Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Retrait des fonctions de juge de l'application des peines
Déplacement d'office
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (pièces écartées)
Fréquentations
Image de la justice
Impartialité
Légalité
Diligence
Rédaction des décisions
Probité
Dignité
Réserve
Institution judiciaire (confiance)
Retrait des fonctions
Déplacement d'office
Juge de l'application des peines
Fonction
Juge de l'application des peines
Résumé
Retrait du dossier disciplinaire de pièces dont le versement régulier n’est pas établi. Violations manifestes des règles de procédure et des règles régissant l’exécution des peines par un juge de l’application des peines. Fréquentation régulière d’un détenu suivi par son service. Négligences dans la rédaction des décisions
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence de M. Drai, premier président de la Cour de cassation, et siégeant à huis clos à la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiés par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967, n° 70-642 du 17 juillet 1970 et n° 79-43 du 18 janvier 1979 ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche de M. le garde des sceaux du 10 janvier 1990, dénonçant au Conseil les faits motivant une poursuite disciplinaire contre M. X, juge au tribunal de grande instance de V, chargé du service de l’application des peines, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Sur le rapport de Mme Même, désignée par ordonnance du 16 janvier 1990 ;

Après avoir entendu M. le directeur des services judiciaires ;

Ouï M. X en ses explications et moyens de défense ;

Après avoir entendu en leurs observations M. Pont et M. Staechelé, tous deux désignés comme pairs par M. X ;

Après avoir entendu en leurs plaidoiries Maître Metzner et Maître Leclerc, avocats à la cour d’appel de Paris ;

M. X ayant eu la parole le dernier ;

Statuant sur les seuls faits contenus dans la dénonciation du garde des sceaux du 10 janvier 1990 ;

A rendu la décision ci-après :

Sur la production de certaines pièces du dossier transmis au Conseil

Considérant que le rapport sur les agissements de M. X, juge de l’application des peines au tribunal de grande instance de V, remis au garde des sceaux par l’inspecteur général des services judiciaires le 19 décembre 1989, comporte, en annexe, des procès-verbaux de retranscription d’écoutes téléphoniques de conversations d’un condamné ayant bénéficié, sur décision de ce magistrat, d’une mesure de placement à l’extérieur ; qu’il avait été procédé à ces écoutes sur commission rogatoire délivrée par un juge d’instruction de ce même tribunal, dans le cadre d’une information ouverte contre X, pour vols aggravés et vols ; que, dans le cadre de cette information, M. X a été entendu à titre de témoin le 13 octobre 1989 ; que le procès-verbal de son audition par le juge d’instruction figure également au dossier ;

Considérant que ces procès-verbaux sont des éléments d’une instruction pénale ; qu’il n’est pas établi qu’ils aient été remis à l’inspection générale des services judiciaires dans des conditions régulières, eu égard, notamment, aux dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale ; que, par suite, et bien que ces documents aient été communiqués à M. X, il y a lieu d’écarter lesdits procès-verbaux du dossier transmis au Conseil supérieur de la magistrature et de ne tenir aucun compte, pour l’appréciation des faits dénoncés, des indications figurant dans ces procès-verbaux ;

Sur les griefs formulés à l’encontre de M. X

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire » ;

En ce qui concerne l’absence de consultation de la commission de l’application des peines et les mentions figurant sur certaines ordonnances signées par M. X

Considérant qu’aux termes de l’article 722 du code de procédure pénale : « Auprès de chaque établissement pénitentiaire le juge de l’application des peines détermine pour chaque condamné les principales modalités du traitement pénitentiaire. Dans les limites et conditions prévues par la loi, il accorde les placements à l’extérieur, la semi-liberté, les réductions, fractionnements et suspensions de peines, les autorisations de sortie sous escorte, les permissions de sortir, la libération conditionnelle ou il saisit la juridiction compétente pour aménager l’exécution de la peine. Sauf urgence, il statue après avis de la commission de l’application des peines. La commission de l’application des peines est présidée par le juge de l’application des peines ; le procureur de la République et le chef de l’établissement en sont membres de droit » ;

Considérant qu’aux termes de l’article 733-1 du même code : « Les décisions du juge de l’application des peines sont des mesures d’administration judiciaire » ;

Considérant que M. X n’a pas consulté la commission de l’application des peines de la maison centrale de V pour les placements de condamnés à l’extérieur qu’il a accordés entre le 7 octobre 1987 et le 1er novembre 1989 ; qu’il justifie cette absence de consultation par l’urgence qui, selon lui, s’attachait à l’intervention de telles décisions ; qu’en recourant ainsi, de façon générale et systématique, pendant plus de deux ans, à la procédure d’urgence pour tous les placements à l’extérieur des condamnés de la maison centrale, M. X n’a pas respecté les dispositions de l’article 722 sus-reproduites qui lui faisaient obligation d’utiliser cette procédure avec mesure et discernement en examinant, spécialement et au cas par cas, l’urgence éventuelle d’une mesure de placement à l’extérieur ; qu’en outre les onze ordonnances de placement à l’extérieur concernant Z, A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, prises les 8 janvier, 1er mars, 13 avril, 25 mai, 13 juillet, 14 septembre, 21 septembre, 13 octobre, 17 octobre, et 4 novembre 1988, comportent un visa laissant supposer, à la fois, qu’il y avait urgence et que la commission de l’application des peines avait été consultée à la date figurant dans ce visa, alors qu’en réalité cette consultation n’a pas eu lieu ;

Considérant qu’en utilisant de telle façon la notion d’urgence et en laissant figurer, à plusieurs reprises, dans les visas de ses ordonnances, des mentions contradictoires, ne faisant pas apparaître s’il entendait ou non invoquer l’urgence, M. X, qui ne saurait alléguer, pour se justifier, l’utilisation d’imprimés dont il aurait omis de rayer certaines mentions, a manqué à la rigueur qui constitue l’un des devoirs du juge dans sa démarche ;

En ce qui concerne l’absence de notification au procureur de la République de certaines des ordonnances signées par M. X

Considérant qu’aux termes de l’article D. 544-1 du code de procédure pénale : « La notification des mesures d’administration judiciaire mentionnées à l’article 733-1 est faite à la diligence du juge de l’application des peines qui adresse au procureur de la République une copie de la décision dès que celle-ci est prise » ;

Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, l’ordonnance de placement à l’extérieur de K du 13 juillet 1988 a été prise sans l’avis de la commission de l’application des peines ; qu’il en a été de même des ordonnances des 26 octobre et 8 novembre 1988 et des 10 et 19 octobre 1989 accordant des permissions de sortir à L ; que cependant aucune de ces ordonnances n’a été notifiée au procureur de la République ; que M. X ne saurait tirer argument, en ce qui concerne ces permissions de sortir, d’un accord de principe du procureur sur les permissions habituelles de fin de semaine des condamnés placés à l’extérieur, alors que précisément, il ne s’agissait pas de telles permissions ; que là encore M. X a manqué aux devoirs de son état ;

Considérant que s’il est reproché, en outre, à M. X d’avoir commis, dans l’accomplissement de ses tâches de juge de l’application des peines, certaines erreurs et négligences, celles-ci, pour regrettables qu’elles soient, ne sont pas constitutives de fautes disciplinaires ;

En ce qui concerne l’attitude de M. X vis-à-vis du condamné L

Considérant qu’il résulte de l’instruction et des débats que M. X qui avait placé L, le 14 septembre 1988, en qualité de vaguemestre coursier au siège de « l’Association pour le développement de la semi-liberté et des chantiers extérieurs » qu’il présidait, l’a autorisé à avoir une résidence privée ; qu’il a accordé à ce condamné, pour la période allant du 11 octobre au 20 novembre 1989, des permissions de sortir d’une durée totale d’au moins quinze jours qui n’ont pas été précédées de l’avis de la commission de l’application des peines et n’ont pas été notifiées au procureur de la République ; qu’il a laissé L conduire sa voiture personnelle pour l’accompagner au palais de justice et sur les chantiers extérieurs ; qu’en outre, il s’est fait conduire par ce condamné à l’aéroport de W ; que ces pratiques ne peuvent être justifiées par la fatigue ou les difficultés qu’entraînerait pour M. X la conduite d’une automobile ; que l’ensemble de ces faits et circonstances ne peuvent qu’être interprétés comme un « échange de services » entre un juge et un condamné ; qu’un tel comportement est contraire à la dignité que tout juge doit s’imposer ;

Considérant en définitive que les manquements réitérés de M. X aux devoirs de rigueur de son état ainsi que le comportement contraire à la dignité du juge, qui ont été relevés ci-dessus, sont de nature à motiver une sanction ;

Par ces motifs,

1 - Décide d’écarter du dossier le procès-verbal qui constitue l’annexe 2 du rapport de l’inspection générale des services judiciaires, ainsi que le procès-verbal de déposition de témoin figurant à l’annexe 7 du même rapport ;

2 - Prononce à l’encontre de M. X, par application des dispositions combinées de l’article 45, 2° et 3°, et de l’article 46 deuxième alinéa de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée, le retrait des fonctions de juge de l’application des peines avec déplacement d’office.