Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous le présidence de M. Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation ;
Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiés par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967, n° 70-642 du 17 juillet 1970, n° 79-43 du 18 janvier 1979, n° 92-189 du 25 février 1992 et n° 94-101 du 5 février 1994 ;
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les dépêches du ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, des 28 juillet 1994 et 31 août 1994, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, juge d’instruction au tribunal de première instance de V, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Sur le rapport de M. Jean-Pierre Pech, premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, membre du Conseil supérieur de la magistrature, désigné par ordonnance du 4 août 1994 ;
Après avoir entendu M. Jean-François Weber, directeur des services judiciaires au ministère de la justice ;
Après avoir entendu M. X en ses explications et moyens de défense ;
Après avoir entendu M. bâtonnier Mario Stasi et Me Alex Ursulet, avocats au barreau de Paris, en leurs plaidoiries, M. X ayant eu la parole le dernier ;
L’affaire a été mise en délibéré et il a été annoncé que la décision serait rendue le 14 décembre 1994, à 15 heures ;
Attendu qu’aux termes de l’article 43, alinéa premier, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Tout manquement, par un magistrat, aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ;
Attendu que le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, ne porte aucune appréciation sur les actes juridictionnels, lesquels actes relèvent de la conscience et du seul pouvoir des juges, sous réserve des voies de recours prévues par la loi, en faveur des parties au litige ;
Attendu que les faits dénoncés dans la présente poursuite disciplinaire, à l’encontre de M. X, consistent essentiellement en des manquements dans la tenue du service de l’instruction et dans les relations professionnelles du magistrat mis en cause ;
Sur la tenue du service de l’instruction
Les reproches faits à M. X concernent le traitement des dossiers, la transmission des dossiers, le contentieux de la détention provisoire, l’exécution d’un arrêt de dessaisissement et une lettre adressée à la gendarmerie ;
M. X, lors de son installation en qualité de juge d’instruction, le 5 juillet 1990, n’avait que trente et un dossiers dans son cabinet et il n’a jamais eu plus de cent dossiers en cours ;
Des défaillances ont été constatées dans la gestion de nombreuses procédures ;
Ainsi, il n’a fait aucun acte pendant plus de six mois dans soixante-six dossiers, pendant une année dans trente-deux dossiers et pendant deux ans dans deux dossiers ;
Sur un total de 277 affaires dont il a été saisi entre juillet 1990 et octobre 1993, cent dossiers n’ont pas reçu une attention et un traitement suffisants, soit 36 % des procédures ;
Ainsi, dans le dossier 25/89, malgré plusieurs rappels du président de la chambre d’accusation (dont un du 15 juillet 1992 indiquant que « rien n’[avait été] fait depuis quatorze mois »), le premier acte qui a suivi ces rappels, savoir une commission rogatoire, n’est intervenu que le 15 janvier 1993, soit six mois plus tard ;
De même, dans le dossier 52/89, malgré des rappels du président de la chambre d’accusation, il n’y a eu aucun acte entre le 5 juillet 1990 et le 22 avril 1991 (neuf mois), entre le 1er juillet 1991 et le 15 janvier 1993 (un an et sept mois) et entre le 26 mai 1993 et le 28 octobre 1993 (cinq mois) ;
M. X, qui ne conteste pas ses carences, les explique notamment par son inexpérience, par les spécificités locales, par l’incompétence du personnel et par sa charge individuelle de travail ;
Cependant, M. X, qui a été avocat pendant dix ans « à dominante pénale » et qui avait fait un stage de quatre mois (dont deux au parquet et deux à l’instruction), ne pouvait se dire totalement inexpérimenté ;
…, qui est une île de l’archipel des ... dans l’Océan ..., peuplée de plus de 94 000 habitants, dont la quasi totalité ne parle pas français, applique l’essentiel du code de procédure pénale de la métropole ;
Le tribunal de première instance se compose de trois magistrats du siège et, dans une juridiction de cette taille, chaque juge est nécessairement conduit à avoir des activités professionnelles multiples ;
Tel a été le cas de M. X, qui a siégé en matière pénale, en matière civile et en matière de droit du travail ;
L’insuffisante qualité des collaborateurs du juge, avancée par M. X, ne pouvait être en tout état de cause – à la supposer avérée – que commune à l’ensemble de la juridiction ;
La charge de travail de M. X, tenue par celui-ci pour excessive, n’apparaît pas démesurée, ainsi qu’il résulte des constatations faites, dans son rapport, par l’inspection générale des services judiciaires ;
De plus, dans ses activités annexes qui auraient pu expliquer l’abandon de beaucoup de dossiers d’instruction, ont été aussi relevés des retards notables, notamment dans la longueur des délibérés ;
Ainsi, dans le traitement de plusieurs dossiers d’instruction, M. X a montré, sans justification acceptable, des carences répétées : nombre de dossiers abandonnés depuis des mois, voire des années, malgré les rappels écrits et renouvelés ;
Cette situation révèle des insuffisances professionnelles caractérisées, lesquelles sont constitutives d’autant de manquements graves aux devoirs et obligations du juge d’instruction ;
M. X a été dessaisi d’un dossier par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 26 juillet 1993 ;
Il a été informé de ce dessaisissement dès le 30 juillet suivant ; il n’a transmis le dossier que le 15 septembre, sur rappel écrit du procureur de la République ; il explique qu’il avait, dans ce même dossier, ordonné une expertise, et avait souhaité attendre l’arrivée du rapport, qu’il n’a, en fait, reçu que le 20 août ;
Il affirme que, bien qu’ayant dit à un journaliste, au téléphone, qu’il était surpris et peiné de son dessaisissement (propos rapportés dans le journal de … du 6 août 1993), il n’avait cependant fait preuve d’aucune mauvaise volonté et qu’il n’y avait aucun rapport entre son sentiment propre et le retard apporté dans la transmission du dossier ;
Cependant, ce retard ne s’explique que par une manifestation de mauvaise volonté : il contrevient en effet à l’obligation d’exécuter sans délai la décision de la Cour de cassation et, au surplus, une note du procureur général près la Cour de cassation du 26 juillet 1993 (reçue le 30 juillet), précisait que les arrêts rendus en matière de désignation de juridiction avaient pour effet d’attribuer compétence immédiate et exclusive à la juridiction désignée ;
Le comportement ainsi manifesté par M. X constitue un manquement caractérisé à une obligation professionnelle normale de diligence du juge d’instruction ;
Dans trois procédures, M. X a omis de statuer sur la prolongation de détention provisoire d’inculpés, ce qui a entraîné notamment des détentions arbitraires et a mis le parquet dans l’impossibilité d’exercer son droit d’appel (l’appel étant suspensif à ...) ;
Dans le dossier 36/90, un inculpé a effectué, en décembre 1990, dix jours de détention arbitraire ; dans un dossier 29/91, un inculpé a effectué, en septembre 1991, neuf jours de détention arbitraire ; dans un dossier 15/93, un inculpé a effectué, en août 1993, deux jours de détention arbitraire ;
M. X, tout en reconnaissant les erreurs ainsi commises, ne parvient pas à les comprendre ; pourtant, à cette époque, il n’avait qu’une dizaine de détenus, et la gestion de la détention ne présentait aucune difficulté particulière ;
De telles négligences, par leur gravité et leur répétition, constituent un manquement caractérisé aux devoirs de rigueur qui s’imposent à un juge d’instruction, dès lors qu’il s’agit de la liberté individuelle : elles dénotent aussi un manque évident du sens des responsabilités ;
Au cours d’une procédure ouverte contre X, sur plainte avec constitution de partie civile, M. X inculpait, le 9 juillet 1994, M. Y : cependant, par un arrêt du 19 juillet 1994, la chambre d’accusation, saisie par le parquet, annulait diverses pièces (auditions, commissions rogatoires, ordonnances), évoquait la procédure et désignait son président pour suivre sur l’information ;
L’annulation était fondée sur la violation par le juge d’instruction des droits de la défense et la méconnaissance de l’article 105 du code de procédure pénale, lequel interdit d’entendre comme témoin une personne contre laquelle existent des indices graves et concordants de culpabilité ;
L’arrêt de la chambre d’accusation était porté à la connaissance de M. X, le 19 juillet, par voie téléphonique, par le président de la chambre d’accusation lui-même ; le texte de l’arrêt était remis au juge d’instruction, le 21 juillet, avec un « soit-transmis » du procureur de la République, lui demandant de lui faire parvenir l’ensemble des pièces encore en sa possession, pour transmission au président de la chambre d’accusation ;
Le 22 juillet, M. X écrivait au procureur de la République en lui indiquant, qu’en raison du pourvoi en cassation de la partie civile, suspensif de l’exécution de l’arrêt de la chambre d’accusation le dessaisissant, il se considérait comme « légalement chargé de poursuivre l’instruction jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation » ;
Le 27 juillet, le président de la chambre d’accusation lui enjoignait, par écrit, de lui remettre, dans les plus brefs délais, par retour du courrier, tous actes, pièces, documents, en original ou en copie, dans la procédure dont il était dessaisi par l’effet dévolutif de la saisine de la chambre d’accusation ;
Le 28 juillet, M. X rendait une ordonnance qu’il concluait ainsi « Disons qu’il nous appartient de poursuivre notre information dans la procédure susvisée » ;
M. X a, de fait, continué à instruire le dossier, convoquant deux témoins et la partie civile, entendant un témoin, décidant d’un transport sur les lieux, convoquant un autre témoin, délivrant une commission rogatoire et dressant des procès-verbaux de non comparution ;
Il n’interrompra ses investigations qu’au début du mois d’août, parce que, sur instruction de la chambre d’accusation, la gendarmerie avait refusé de lui prêter assistance ;
En application de l’article 570 du code de procédure pénale, le pourvoi en cassation formé, le 22 juillet, par la partie civile ne pouvait avoir un effet suspensif que si celle-ci avait déposé, dans le délai du pourvoi, une requête demandant à faire déclarer ce pourvoi immédiatement recevable ;
Or, cette requête n’a pas été déposée et l’arrêt de la chambre d’accusation était donc exécutoire et le juge d’instruction dessaisi ;
Le dessaisissement d’un juge d’instruction et la continuation de l’information par la chambre d’accusation n’est pas une mesure exceptionnelle et un juge d’instruction doit, dans une telle situation, cesser toute investigation et transmettre son dossier ;
Il est en effet nécessaire que le juge du premier degré respecte la décision de la juridiction d’appel, quelles que soient ses opinions personnelles sur la question ;
Par ailleurs, instruire dans des conditions juridiques aussi incertaines, en continuation d’actes expressément annulés par la chambre d’accusation, présente des risques majeurs de nullité de la procédure ;
M. X, en passant outre à une décision très claire de la juridiction d’appel, en argumentant par courrier et par ordonnance contre l’exécution de cette décision, a volontairement méconnu le cadre de sa saisine et de sa compétence et s’est situé hors du champ juridictionnel ;
Par cette conception personnelle, illégale et inadmissible de ses fonctions, il a manqué gravement aux devoirs de son état de juge ;
M. X, continuant à instruire ce dossier malgré son dessaisissement et ayant décidé de procéder à diverses opérations, le président de la chambre d’accusation, par lettre du 28 juillet, demandait au parquet de faire défense à M. X, par tout moyen de droit approprié, de procéder à des actes d’information dans le dossier Z ;
M. X, écrivait alors, le 1er août, au commandant de la compagnie de gendarmerie de ..., une lettre lui demandant de cesser, dans tous les dossiers, les investigations en cours et de clôturer les missions qui avaient été confiées à la gendarmerie ;
En exécution de cette lettre, la gendarmerie a renvoyé au juge d’instruction douze commissions rogatoires, six notes de recherche, six mandats d’arrêt et dix sept mandats d’amener ;
M. X a déclaré à ce propos : « j’ai considéré que j’avais perdu toute autorité et crédibilité auprès de la gendarmerie, toutes les brigades ayant été averties et j’ai décidé, par lettre du 1er août 1994, de dessaisir la gendarmerie de toutes les missions en cours » ;
Ce faisant, M. X a paralysé en grande partie le fonctionnement de son cabinet d’instruction, parce qu’il n’acceptait pas d’être dessaisi d’un dossier par la juridiction d’appel : il a ainsi commis un abus d’autorité et manifesté une conception personnelle inadmissible de ses fonctions, en « bloquant » la poursuite des procédures n’ayant aucun rapport avec celle qui lui avait valu son dessaisissement ; il a ainsi manqué gravement aux devoirs de son état de juge ;
Sur les relations professionnelles
Au titre de ses relations professionnelles, M. X est critiqué à propos de transports de justice, de ses relations au sein du tribunal et de ses déclarations à la presse ;
Dans le cadre d’une procédure, M. X décide de se transporter à Paris, du 18 mai au 1er juin 1993, mais cette décision n’a été connue de l’autre juge du tribunal (deux seulement étaient alors en fonctions) et du substitut du procureur que quelques heures avant le départ de l’avion ; il a fallu suppléer M. X pour les actes urgents et même le remplacer pour la présidence d’une audience de police, le 26 mai suivant ;
Du 1er septembre au 14 septembre 1993, M. X se rend à nouveau en métropole, afin d’entendre un témoin à W ; cette audition sera réalisée dans la journée du 8 septembre ; il prévient par téléphone le procureur, le 31 août à 20 heures, et le président, par « soit-transmis », dont celui-ci n’a connaissance que 4 heures avant le départ de l’avion ; il a fallu réunir le jour même une assemblée générale, afin de désigner un remplaçant du juge d’instruction ; celui-ci avait laissé deux dossiers de demande de mise en liberté en souffrance et fait renvoyer les personnes convoquées à une audience de saisie-arrêt du 1er septembre, qu’il devait présider ; il a été nécessaire d’entendre à sa place des inculpés qu’il avait convoqués pour le 2 septembre ;
De l’aveu même de M. X, la date de ce transport a été choisie pour des raisons étrangères aux nécessités de l’instruction ; en effet, l’autorité administrative ayant refusé de prendre en charge les frais de retour en métropole, à la veille de la rentrée des classes de ses enfants, il a décidé de partir avec eux, ne souhaitant pas les laisser voyager seuls ;
Du 7 au 17 mai 1994, M. X s’est encore transporté en métropole, dans le cadre de trois procédures ; en fait, il procédera à l’audition de trois témoins dans une procédure et d’un témoin dans une autre, toutes ces auditions ayant eu lieu à U, pendant la seule journée du mercredi 11 mai ; or, on pouvait, en moins de quatre jours, exécuter cette commission rogatoire ; en effet, en partant le lundi, à 17 heures 45, de ..., on arrivait à Paris, le mardi, à 5 heures 05 ; on pouvait en repartir le jeudi, à 20 heures 50, et être de retour à ..., le vendredi, à 13 heures 55 ; ce qui laissait disponibles trois jours, le mardi, le mercredi et le jeudi ;
Au total, en dix-huit mois (1993 et premier semestre de 1994), M. X s’est absenté de son tribunal, pour des transports en métropole, pendant soixante-sept jours ;
En ne prenant pas toutes les mesures dépendant de lui pour limiter la gêne que son absence pouvait entraîner dans la juridiction à laquelle il appartient (1er et 2e transports), en agissant dans des conditions de précipitation non imposées par les nécessités de l’instruction, ce qui empêchait matériellement le ministère public de l’accompagner, comme celui-ci en avait le droit, et en prévenant au dernier moment de son départ (1er et 2e transports), en privilégiant son intérêt personnel (2e transport) et en prolongeant d’une manière manifestement abusive son absence (3e transport), M. X a manqué à son devoir de ne se déterminer qu’en fonction des seuls éléments du dossier, de veiller au bon usage des deniers publics, de permettre au ministère public d’exercer pleinement ses prérogatives et de se dispenser de toute manifestation de désinvolture et légèreté à l’égard de ses collègues ;
Le 28 mai 1991, mécontent de ne plus disposer d’un greffier permanent, situation qui a duré cinq semaines et a constitué une gêne certaine dans le fonctionnement de son cabinet, M. X a établi un procès-verbal dans lequel il a notamment indiqué « attendu qu’il nous est impossible d’avoir recours au service du personnel du greffe du tribunal pour assurer même ponctuellement les fonctions de greffier d’instruction, ledit personnel sous qualifié étant, (sic) au vu des essais passés, manifestement incapable de nous assister » ; un exemplaire de ce procès-verbal a été classé d’office dans chacun des soixante et onze dossiers alors en cours dans son cabinet ;
Une telle appréciation est particulièrement désobligeante à l’égard de l’ensemble du personnel du greffe du tribunal ; de plus, elle est déplacée, puisque destinée à connaître une certaine publicité et à laisser des traces dans les procédures, où elle n’a aucune raison d’être ;
Le comportement de M. X constitue un manquement à la nécessaire courtoisie et à l’élémentaire considération dont un magistrat doit faire preuve dans ses relations professionnelles, notamment avec ses collaborateurs fonctionnaires ;
Il est encore reproché à M. X des déclarations à la presse, parues dans le journal de … du 24 août 1994 et dans le mensuel … d’août-septembre 1994 ;
M. X explique qu’au cours du mois d’août 1994, un journaliste du journal de … est venu le voir à son cabinet et lui a demandé s’il était prêt à lui accorder un entretien, ce qu’il a accepté ;
Dans cet entretien, paru sous le titre « A ..., un magistrat dessaisi de ses dossiers, le juge d’instruction bâillonné parle », M. X décrit en détail les actes qu’il a fait ou voulu faire dans diverses procédures, citant le nom de personnes concernées, leurs déclarations, le résultat de ses investigations et critiquant le dessaisissement dont il fait l’objet ; il déclare notamment : « on est en droit de se poser des questions sur la manière dont la justice est rendue à ..., au regard des dossiers qui m’ont été enlevés. J’ai désigné un expert, mais le parquet, craignant sans doute que j’auditionne des personnalités locales, a utilisé des moyens de procédure pour déclarer nulle la désignation de cet expert, puis, à mon insu, une requête a été déposée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation... A partir de la mi-1993, non seulement on me retirait les dossiers mais on ne me confiait pas d’information. Il s’est passé une année sans que le parquet n’ouvre une information sauf pour vol de zébus, sans doute pour m’occuper. On me retire tous les dossiers qui intéressent des personnalités locales. Je n’ai pas d’explication sinon que certains protègent leurs petits avantages matériels ou leurs amis politiques, tous ces gens qui se côtoieraient comme tels. Je me pose aussi la question de savoir si Z, un ami intime du garde des sceaux, membre du même parti, ne va pas mettre en action les menaces proférées au sujet de la suite de ma carrière, lors de son inculpation... Un juge d’instruction, avec les pouvoirs qui sont les siens, ne se justifie pas à ..., société coloniale, hiérarchisée, musulmane, basée sur les privilèges. Les … se demandent ces jours-ci pourquoi ils sont exclus des prochains jeux de l’Océan ... à ..., en rappelant qu’ils sont français, ceci reste encore à prouver » ;
M. X a déclaré qu’il ne retirait rien des propos qui lui étaient prêtés et qu’il a effectivement tenus ;
En divulguant ainsi publiquement le contenu des dossiers dont il avait la charge et la responsabilité, et en critiquant les institutions publiques, judiciaires, politiques et leur représentants, dans un contexte insulaire où l’exercice de la fonction judiciaire doit être particulièrement exemplaire, M. X a manqué à son devoir de réserve, à son sens des responsabilités et à ses obligations de pondération, lesquelles incombent nécessairement à tout juge ;
Attendu que l’ensemble des faits susvisés, et sans avoir égard aux autres griefs mentionnés dans les dépêches du garde des sceaux, tenus pour inopérants, démontre, de la part de M. X, des insuffisances professionnelles graves et répétées, ainsi qu’un manquement caractérisé à l’obligation de réserve : le tout traduit un défaut du sens des responsabilités et de la conscience de ses devoirs dans l’accomplissement de son office de juge d’instruction ;
Attendu que ces fautes doivent être sanctionnées ;
Par ces motifs,
Vu les articles 45 et 46 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée,
Prononce, à l’encontre de M. X, la sanction du retrait des fonctions de juge d’instruction et dit que cette sanction sera assortie d’un déplacement d’office.