Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La commission de discipline du parquet,
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, et notamment les articles 59 et suivants sur la discipline des magistrats du parquet ;
Vu la dépêche de M. le garde des sceaux en date du 6 mai 1968 qui a saisi la commission de discipline des faits reprochés à M. X, procureur de la République près le tribunal de grande instance de V ;
Ouï M. l’avocat général Orvain en ses rapports ;
Ouï Me Roger Hild, avocat à la cour d’appel de Paris, assistant M. X, à qui son dossier personnel ainsi que les rapports de M. Orvain ont été régulièrement communiqués ;
Ouï M. X qui a eu la parole le dernier ;
Attendu qu’il résulte des éléments du dossier que M. X a, sans autorisation régulière, quitté son parquet au cours de la matinée du jeudi 15 février 1968 pour se rendre à Y ; qu’il a seulement regagné V le dimanche 18 en fin d’après-midi ;
Que le lendemain 19 n’en parvenaient pas moins au parquet général de W deux rapports qu’il avait réclamés au parquet de V les 15 et 16 février ; ils étaient signés de la main de M. X et avaient été postés à V le samedi 17 ; sachant pertinemment que M. X ne se trouvait pas à son poste ce jour-là, M. le procureur général près la cour d’appel de W procédait à une enquête qui révéla que M. X avait, depuis plusieurs années, confié à son secrétaire un certain nombre de feuillets en blanc, portant sa signature au recto et au verso et à des hauteurs différentes, ce qui permettait en son absence de répondre par écrit aux demandes les plus urgentes sans révéler l’irrégularité de sa situation ;
Attendu, même si un petit nombre de ces feuillets a été seulement utilisé, que la conception et la mise en œuvre d’un tel procédé révèlent un état d’esprit regrettable ;
Attendu que les investigations effectuées ont également établi que M. X n’avait pas une exacte conscience des obligations de sa charge ; que privé le plus souvent de substitut, il n’hésitait pas, lors de ses fréquentes absences, à s’en remettre à son secrétaire du soin d’expédier les affaires courantes, se bornant à lui prescrire de l’alerter téléphoniquement à des numéros qu’il lui avait indiqués avant son départ, si un incident grave venait à se produire ; qu’en outre M. X s’est maintenu dans un « baraquement » dit « baraquement Churchill » , édifié dans une enclave d’un jardin public, mis à sa disposition lorsque [la ville de] V se trouvait pratiquement détruite mais qui ne pouvait dans des conditions redevenues normales, constituer un logement décent pour un chef de parquet conscient du rang qu’il doit occuper dans la cité où il exerce ses fonctions ;
Attendu enfin que M. X a soutenu avec une obstination inconsidérée et une insigne mauvaise foi, tant au cours de l’enquête diligentée par M. le procureur général près la cour d’appel de W que lors de ses deux premières comparutions devant la commission de discipline, qu’il avait regagné V le samedi 17 février et qu’il avait signé lui-même ce jour-là les deux rapports destinés au parquet général ;
Par ces motifs,
La commission de discipline du parquet, à la majorité de ses membres,
Émet l’avis que la sanction d’un déplacement d’office et d’une rétrogradation soit prononcée contre M. X.