Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La commission de discipline du parquet, sur la poursuite disciplinaire exercée à l’encontre de Mlle X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V,
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment les articles 63, 64 et 65 de ce texte ;
Vu la dépêche en date du 30 octobre 1974 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, transmettant le dossier personnel de Mlle X, substitut près le tribunal de grande instance de V, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet, et le priant de réunir la commission afin de lui soumettre, pour avis, les faits reprochés au magistrat du parquet précité ;
Vu l’audition en date du 18 décembre 1974 de Mlle X, à laquelle son dossier personnel avait été communiqué préalablement par M. Chazal de Mauriac, conseiller à la Cour de cassation, désigné en qualité de rapporteur par arrêté de M. le procureur général près la Cour de cassation en date du 14 novembre 1974 ;
Attendu que Mlle X a comparu ce jour, 23 décembre 1974, devant la commission de discipline des magistrats du parquet, assistée de Maître Lyon-Caen, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation ; que M. Thomas, directeur adjoint au ministère de la justice, représentant le directeur, empêché, a été entendu ; que M. Chazal de Mauriac, conseiller rapporteur, a lu le rapport ; que Mlle X a fourni ses explications et que son avocat a plaidé ;
Attendu qu’il est constant que Mlle X, nommée substitut du procureur de la République à V par décret en date du 29 juin 1973 et installée dans ses fonctions le 8 septembre suivant, fut déléguée par le procureur général près la cour d’appel de Y pour exercer les fonctions de substitut à W du 14 décembre 1973 au 18 février 1974, puis du 19 février 1974 au 18 avril suivant ; qu’à cette date, elle reprit son service à V ; que s’étant installée, avec son père adoptif, à W, dès après qu’elle fût déléguée au parquet de cette ville, elle fit, à partir du 19 avril, quotidiennement la navette par la route entre W et V ; que le 21 mai suivant elle dut, pour raison de santé, interrompre son service sur avis médical ; que sur la réquisition du procureur général elle fit l’objet de trois expertises de contrôle, l’une dès après le 21 mai, les deux autres les 14 et 25 juin ; qu’à cette dernière date, le médecin expert fut d’avis que l’état de santé de Mlle X n’était plus incompatible avec l’exercice de ses fonctions de substitut à V, mais que les trajets quotidiens de W à V demeuraient contre-indiqués ; que par dépêche du 26 juin et télégramme du 27 juin, le procureur général prescrivit au procureur de la République de W d’inviter Mlle X à rejoindre son poste à V et de lui rappeler les dispositions de l’article 13 de l’ordonnance précitée du 22 décembre 1958 qui astreignent les magistrats à résider au siège de la juridiction à laquelle ils appartiennent ; que le procureur de la République de W notifia ces instructions à Mlle X, les 27 et 29 juin ; qu’elle ne rejoignit pas son poste à V et qu’elle ne déféra pas à la convocation pour le 19 juillet suivant que lui fit adresser le procureur général afin de l’informer, sur les instructions de la chancellerie, que si elle persévérait dans son attitude, elle commettrait une grave faute disciplinaire pouvant constituer un abandon de poste et qu’elle s’exposerait à des sanctions ; que, par télégramme du 2 août 1974, la chancellerie invita le procureur général de V à faire notifier à Mlle X sur place à W les instructions précédentes ; que notification lui fut donnée par le procureur de la République de W le 5 août ; que tant à cette date que le 9 août suivant, elle confirma à ce magistrat son refus de rejoindre son poste à V et d’être entendue à nouveau ;
Attendu qu’en refusant de rejoindre son poste et en réitérant ce refus, Mlle X a commis un manquement grave aux devoirs de son état et que, par application du second alinéa de l’article 43 de la loi du 22 décembre 1958, sa faute doit s’apprécier en tenant compte des obligations qui, pour un membre du parquet, découlent de sa subordination hiérarchique ;
Attendu toutefois qu’il y a lieu de prendre en considération la circonstance qu’ayant été déléguée au parquet de W alors qu’elle était entrée dans la magistrature depuis peu de mois après avoir exercé la profession libérale d’avocat, elle a pu estimer que sa délégation serait périodiquement renouvelée et entretenir l’espoir qu’elle serait ensuite nommée dans la ville où elle était déléguée ; qu’en effet ses chefs firent mettre à sa disposition un camion de l’administration pénitentiaire pour qu’elle effectuât son déménagement de V à W ; qu’ils lui assurèrent leur concours pour que, dans cette dernière ville, elle obtienne l’attribution par priorité d’un abonnement téléphonique personnel ; que le procureur de la République de W la fit figurer sur le tableau de roulement de ses substituts, établi jusqu’au 1er août 1974 ; qu’il doit être encore observé que les qualités intellectuelles, les bonnes connaissances juridiques et le zèle dont elle a fait preuve au cours du stage probatoire que Mlle X effectua auprès du parquet de Z autorisent à penser qu’une sanction qui l’écarterait définitivement de la magistrature serait contre-indiquée ;
Par ces motifs,
La commission, après en avoir délibéré à huis clos, émet l’avis que Mlle X soit déplacée d’office ;
Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice par les soins de M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet.