Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
14/03/1997
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Avis
Réprimande avec inscription au dossier
Décision Garde des sceaux
Conforme (9 avril 1997)
Mots-clés
Injure
Violence
Vie privée (relations intimes)
Séduction
Probité
Abus des fonctions
Dignité
Réprimande avec inscription au dossier
Substitut du procureur de la République
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Comportement du magistrat dans sa vie privée ayant acquis un caractère public par l’outrance, la violence et la répétition de ses gestes et de ses propos. Tentative de séduction de la mère d’une victime au cours d’un procès criminel

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,

Vu l’article 65 de la Constitution modifié par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994 ;

Vu la dépêche en date du 29 novembre 1996 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, saisissant cette formation pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, l’entier dossier ayant été mis à la disposition de M. X ;

Vu le dossier administratif de M. X, également mis préalablement à sa disposition ;

Vu les débats qui se sont déroulés publiquement à la Cour de cassation le jeudi 13 mars 1997 au cours desquels :

- M. X a comparu, assisté de M. le bâtonnier Jean-Philippe Honnet, avocat au barreau de V ;

- le rapporteur a été dispensé par toutes les parties et les membres du Conseil de la lecture de son rapport qui avait été antérieurement communiqué à tous ;

- M. X a été interrogé sur chacun des faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications, M. le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, Me Honnet a été entendu en sa plaidoirie, et M. X a eu la parole le dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;

L’affaire ayant ensuite été mise en délibéré au 14 mars 1997 ;

Considérant que, par dépêche du 29 novembre 1996, M. le garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi la formation du Conseil supérieur de la magistrature, compétente en matière de discipline des magistrats du parquet, de faits imputables à M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V ;

Considérant qu’ancien officier de l’armée de terre, M. X a été intégré dans la magistrature et nommé, le 18 décembre 1991, substitut du procureur de la République de W ; qu’il a été affecté au parquet de V le 11 mars 1994 et qu’il y est encore en fonction ;

Considérant qu’après des débuts difficiles dans son premier poste, M. V manifestait à nouveau, dans son affectation actuelle, des défaillances de comportement que le procureur général près la cour d’appel de Y a signalées à la chancellerie, par un rapport du 12 janvier 1996 ; qu’une mission d’inspection fut alors confiée à l’inspection générale des services judiciaires qui a établi un rapport, en date du mois de mai 1996, qui figure au dossier avec ses annexes ;

Considérant, qu’en l’état du dossier, il n’est pas établi que la grenade inerte trouvée, le 12 août 1996, attachée par un cordon au véhicule de M. X, ait été placée par ce dernier ;

Considérant, en revanche, qu’il ressort de l’examen des faits, que M. X a entretenu de mauvais rapports, parfois empreints de violence, avec son épouse ; qu’en particulier les gendarmes, appelés par une voisine, ont dû intervenir le 16 novembre 1995 au domicile de M. X pour mettre fin à une très vive altercation entre celui-ci, son épouse et sa fille ; qu’ils ont à nouveau été alertés, le 22 août 1996, par Mme X, à raison d’insultes criées par son mari à son encontre ; qu’il n’entre pas dans la compétence du Conseil de porter des appréciations sur la vie privée d’un magistrat ;

Considérant toutefois qu’il en est autrement lorsque le comportement privé du magistrat acquiert un caractère public par l’outrance, la violence et la répétition de ses gestes et de ses propos ; qu’en l’occurrence ceux-ci ont été portés à la connaissance à tout le moins d’une voisine et des militaires de la brigade de gendarmerie locale ; qu’ainsi M. X a manqué à la dignité s’attachant à son état de magistrat ;

Considérant, en outre, qu’à l’occasion d’un procès d’assises dont il était le ministère public, M. X, le 3 avril 1995, s’est cru autorisé, pendant le délibéré, à entrer en contact avec la mère de la victime pour créer les premières approches de ce qu’il espérait devenir une liaison intime ;

Considérant, à cet égard, que doit être relevé comme inadmissible pour un magistrat de tirer parti de la considération et de l’autorité s’attachant à ses fonctions pour tenter une manœuvre séductrice à l’égard d’une personne manifestement troublée et désorientée par les débats d’un procès criminel impliquant son enfant ; qu’une telle attitude traduit une conception de la dignité et de la réserve imposées au magistrat par son état qui est contraire à l’honneur ; qu’il y a lieu donc de la sanctionner ;

Considérant, en définitive, que les faits retenus à l’égard de M. X manifestent des manquements affectant l’image que doivent donner d’eux-mêmes les membres du corps judiciaire quant à leur dignité et leur réserve et conduisent à proposer une mesure de réprimande, avec inscription au dossier ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction de la réprimande avec inscription au dossier prévue à l’article 45, 1°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X, par les soins du secrétaire de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet.