Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature modifiée notamment par les lois organiques n° 94-101 du 5 février 1994 et n° 2001-539 du 25 juin 2001 ;
Vu la dépêche de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, au procureur général soussigné en date du 3 janvier 2005, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre Mme X ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de ce magistrat, mis préalablement à sa disposition ;
- Sur la non-comparution de Mme X
Considérant que Mme X n’a pas comparu à l’audience et n’a pas fait connaître les raisons de son absence ;
Considérant que le président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature, compétente pour la discipline des magistrats du parquet, a adressé le 5 avril 2006 un courrier au procureur général près la cour d’appel de … lui demandant de faire connaître à Mme X qu’elle était convoquée à l’audience du mercredi 10 mai 2006 à 9h30 ; qu’il lui était demandé de bien vouloir remettre à Mme X la copie du rapport de Mme le rapporteur ainsi que les pièces du dossier ; que le 10 avril 2006, le procureur général près la cour d’appel de … a adressé à Mme X, par lettre recommandée avec accusé de réception et par lettre simple, le courrier susmentionné du 5 avril 2006 ;
Considérant que par rapport du 5 mai 2006, le procureur général près la cour d’appel de … indique que « ni l’accusé de réception ni le retour par la poste » de l’envoi ne lui est parvenu ;
Considérant que par la suite, à la demande du procureur général près la cour d’appel de …, et du procureur de la République près le tribunal de grande instance de …, un agent du greffe du tribunal s’est présenté à deux reprises, les 2 mai 2006 à 15h00 et 3 mai 2006 à 11h00, au domicile de Mme X, pour lui remettre sa convocation à l’audience ainsi que les pièces jointes ; que par un rapport en date du 3 mai 2006, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de … indique que « lors de ces deux passages », l’agent « n’a pas obtenu de réponse, Mlle X paraît bien être domiciliée à cette adresse » ;
Considérant enfin qu’à la demande du Conseil, le 5 mai 2006, le procureur de la République a requis un huissier de justice à … de bien vouloir signifier à Mme X sa convocation à comparaître à l’audience du 10 mai 2006 ; qu’il résulte de l’acte d’huissier en date du 5 mai 2006 que la signification s’est avérée impossible « en l’absence de toute personne présente au domicile capable ou acceptant de recevoir l’acte » ; que copie de l’acte a été déposée par clerc assermenté en l’étude de l’huissier ; qu’un avis de passage a été laissé à l’adresse de l’intéressée et qu’une lettre simple comportant les mêmes mentions de l’avis de passage, ainsi que copie de l’acte de signification ont également été adressés ;
Considérant en outre que par lettre du 4 mai 2006 adressée au secrétaire général du parquet général de …, M. …, père de Mme X indiquait : « Nous avons toute raison de penser que X se rendra à sa convocation, comme elle nous l’a dit, tout en prenant seule ses décisions sans avoir recours à un conseil, pas davantage à l’avis de ses parents » ;
Considérant qu’au vu de l’ensemble de ces éléments et après en avoir délibéré, le Conseil estime qu’il y a lieu de passer outre à la non-comparution de Mme X ;
- Sur le fond
Considérant qu’à la reprise de l’audience, le rapporteur a lu son rapport ;
Considérant que M. Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires, accompagné de Mme Florence Butin, magistrat de sa direction, a présenté ses demandes ;
Considérant que l’affaire a été mise en délibéré à l’issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 10 mai 2006 ;
Considérant qu’une mission de l’inspection générale des services judiciaires a été diligentée aux fins de vérifier les manquements imputés à Mme X à la suite d’un rapport du procureur général près la cour d’appel de … adressé à la direction des services judiciaires le 26 juin 2003, transmettant un rapport du procureur de la République près le tribunal de grande instance de … qui relevait que « Mlle X ne présente aucune des aptitudes techniques requises ni des qualités humaines nécessaires pour l’exercice des fonctions de substitut dans une juridiction comme celle de … » et qu’elle paraît « inadaptée à l’exercice des fonctions de magistrat du parquet » ;
Considérant que la saisine du garde des sceaux expose qu’« il est relevé que Mme X a d’une part, manifesté un désinvestissement incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions et d’autre part, adopté un comportement incorrect dans la tenue des audiences et des permanences, ainsi que vis-à-vis de sa hiérarchie dont elle méconnaissait délibérément les observations », ces insuffisances caractérisant au terme de la requête « des manquements aux devoirs de l’état de magistrat » et « des atteintes au devoir de réserve, à la délicatesse et à la dignité » ;
Considérant que les faits ainsi dénoncés dans la présente poursuite disciplinaire et reprochés à Mme X entre le 26 février 1997, date de son installation et le 2 juin 2003, date de son placement en congé de maladie précédant sa mise en disponibilité à compter du 1er septembre 2003, s’articulent autour de deux séries de griefs :
Sur les griefs tirés du désinvestissement professionnel
Considérant, en premier lieu, qu’il ressort de l’enquête de l’inspection générale des services judiciaires que Mme X a accumulé un retard important dans le traitement des dossiers qui lui étaient soumis, amenant notamment le procureur de la République à la décharger du service civil du parquet auquel elle avait été affectée lors de sa prise de fonctions à … et à redistribuer l’ensemble des procédures entre plusieurs magistrats afin de résorber ce retard ;
Considérant que si pour expliquer ce retard, Mme X a indiqué au rapporteur qu’elle n’avait reçu aucune formation en cette matière, il ressort cependant de l’enquête de l’inspection générale des services judiciaires que ce retard s’est poursuivi ultérieurement à l’occasion du traitement d’autres contentieux, notamment celui relatif à la circulation routière, comme le relève le procureur de la République près le tribunal de grande instance de … dans un rapport en date du 19 juin 2003 ; qu’à cet égard, ses retards dans le traitement des projets d’ordonnances pénales ont entraîné l’acquisition de la prescription d’un certain nombre d’entre elles ;
Considérant en deuxième lieu que Mme X s’est signalée par des absences dans le service à l’occasion de permanences d’action publique ou d’astreintes qui lui incombaient ; qu’ainsi, aux termes d’un rapport du 21 octobre 1997 le procureur de la République de … relève qu’à plusieurs reprises « ce magistrat a “oublié” qu’elle était d’audience, de permanence ou d’astreinte pour les débats devant le juge d’instruction » ; que notamment, le 15 février 1999, Mme X n’a pas pris son service de permanence, indiquant « avoir oublié [...] car elle était malade » et qu’elle n’a pas été joignable dans la nuit du 6 au 7 septembre 1999, fait pour lequel elle a écrit « ne pas comprendre l’origine de l’incident qui ne lui est aucunement imputable » ;
Considérant, en troisième lieu, que Mme X a, en diverses occasions, refusé de prendre son service ; qu’ainsi, elle ne s’est pas rendue à une réunion au parquet général de … le 13 février 2003 portant sur la circulation routière, domaine relevant de sa compétence, alors que cette demande lui avait été formulée par écrit à deux reprises par le procureur de la République ; qu’en outre, sans prévenir quiconque, elle n’a pas tenu le siège du ministère public à une audience commençant à 9h00, en raison, selon elle, de débats contradictoires s’étant terminés tardivement la veille ;
Considérant, en quatrième lieu, que ce magistrat s’est signalé par des absences injustifiées ; qu’ainsi, il apparaît que lors du déménagement du tribunal de … au mois de mai 2003, Mme X a été absente pendant près de quinze jours sans pouvoir être jointe téléphoniquement à son domicile ; que suite à une demande d’explication écrite du procureur de la République, elle a indiqué s’être isolée pour travailler ;
Considérant enfin que la faible disponibilité de Mme X a perduré alors pourtant que son champ d’action professionnel était réduit progressivement par sa hiérarchie, en raison précisément de ses carences ; que si elle a contesté ce point devant le rapporteur, expliquant avoir eu notamment un nombre important d’audiences correctionnelles à juge unique et avoir été en charge du règlement de l’ensemble d’un cabinet d’instruction, il apparaît toutefois que Mme X a été corrélativement déchargée du service de permanence de fin de semaine, de représentation du ministère public devant la cour d’assises et devant le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale, ainsi que de règlement de dossiers d’information de nature criminelle ;
Considérant que l’ensemble des faits susmentionnés caractérisent l’insuffisance professionnelle de Mme X ;
Sur les griefs tirés du comportement inadapté de Mme X
Considérant, en premier lieu, qu’il ressort de l’enquête de l’inspection générale des services judiciaires que, le plus souvent, lors des audiences, Mme X écoutait à peine l’instruction faite par le président, ne se levait pas pour requérir, prononçait de manière inaudible des réquisitions très réduites, révélant une insuffisante préparation des dossiers ;
Considérant que si Mme X a contesté ces griefs, elle a précisé cependant qu’il lui arrivait de ne pas se lever en raison de sa fatigue et d’un état dépressif ;
Considérant que s’il apparaît qu’à l’occasion de quelques rares dossiers, Mme X a su requérir de manière adaptée, l’ensemble des magistrats du siège entendus et ayant présidé des audiences correctionnelles auxquelles l’intéressée représentait le ministère public ont décrit de manière concordante son absence de participation active à l’audience ; que ce point est confirmé par une note du président du tribunal de grande instance de … en date du 18 septembre 2000 attirant l’attention du procureur de la République « sur les difficultés rencontrées par les magistrats du siège lors des audiences correctionnelles auxquelles est présente Mme X », précisant qu’« ils considèrent tous que son audience est insuffisamment préparée et que ses réquisitions n’apportent rien aux débats et sont souvent réduites à leurs plus simples expressions » et qu’« il apparaît que sa prise de parole est peu audible pour le public » et qu’« elle ne se lève qu’exceptionnellement » ;
Considérant qu’à l’occasion d’une audience correctionnelle à juge unique, Mme X a quitté le tribunal à l’issue d’une suspension alors qu’il restait des dossiers à juger et que des prévenus étaient présents dans la salle ; que sur cet incident, elle a expliqué dans une note remise au rapporteur, avoir agi de la sorte parce que « son collègue faisait exprès de faire durer l’audience pour l’agacer dans une affaire minime, lisant et relisant les PV » ; que par ailleurs, il apparaît qu’elle faisait à haute voix des commentaires personnels à l’audience, notamment sur les décisions prononcées ;
Considérant, en deuxième lieu, que les vérifications effectuées dans le cadre de la mission d’inspection ont établi un manque d’implication de Mme X à l’occasion des permanences d’action publique, se caractérisant par le fait qu’elle se bornait à prendre acte des événements lors des comptes rendus téléphoniques d’enquête par les officiers de police judiciaire, sans donner la moindre instruction ou le moindre conseil ;
Considérant que l’ensemble de ces faits caractérisent le comportement inadapté de Mme X notamment à l’audience et à la permanence ;
Considérant qu’aussi bien les insuffisances professionnelles que les comportements inadaptés de Mme X ont perduré durant toute la période de l’exercice de ses fonctions au parquet de …, et ce, malgré les observations et les remarques faites par sa hiérarchie, effectuées d’abord de manière informelle puis par des notes ou à l’occasion d’évaluations ; qu’à cet égard, le procureur de la République de … relève dans son rapport du 19 juin 2003 que « Mlle X n’a pas saisi l’opportunité d’un service allégé pour se former et s’inscrire utilement et progressivement dans l’activité du parquet » et qu’« elle n’a pas tenu compte des nombreux avertissements dont il lui a été fait part » ;
Considérant que Mme X a expliqué devant le rapporteur avoir toujours été dépressive, précisant que dans la période précédant son départ du tribunal de grande instance de …, elle souffrait de troubles de la concentration et ne parvenait plus à travailler ;
Considérant toutefois que dans le cadre de l’expertise psychiatrique réalisée, Mme X a refusé à l’expert l’accès à son dossier médical, ne le mettant pas en mesure de vérifier ses allégations selon lesquelles elle aurait toujours « été dépressive » ;
Considérant que si l’expert relève que Mme X présente « une personnalité psychorigide fonctionnant sur un mode paranoïaque », il constate en revanche qu’« il n’y a chez elle actuellement aucun signe clinique repérable de pathologie mentale du registre psychiatrique » et que « malgré son profil de personnalité, Mlle X était durant la période concernée en mesure de discerner quelles pouvaient être ses éventuelles erreurs et quels étaient les moyens à mettre en œuvre pour y remédier » ;
Considérant que les insuffisances professionnelles persistantes et les comportements inadaptés de Mme X dans l’accomplissement de ses tâches, caractérisent des manquements manifestes aux devoirs de diligence, de loyauté, de réserve et de délicatesse ; que de tels comportements qui ont compromis le bon fonctionnement du parquet de … caractérisent une absence du sens des responsabilités et constituent des manquements aux devoirs de l’état de magistrat, portant atteinte à la dignité de sa charge et au crédit de l’institution judiciaire ;
Considérant enfin que par sa persistance et son caractère délibéré, le comportement professionnel blâmable de Mme X constitue un manquement à l’honneur du magistrat ;
Par ces motifs,
Émet l’avis de prononcer contre Mme X la sanction prévue à l’article 46, 6° de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 de mise à la retraite d’office ou d’admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n’a pas droit à une pension de retraite ;
Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux et notifié à Mme X par les soins du secrétaire soussigné.