Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée ;
Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;
Vu la dépêche, en date du 5 septembre 2007, de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice et le rapport annexé, daté de juin 2007, de l’inspection générale des services judiciaires, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, saisissant cette formation pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition ;
L’affaire a été mise en délibéré à l’issue des débats qui se sont déroulés publiquement, le 23 novembre 2009, dans les locaux de la Cour de cassation, au cours desquels M. X a comparu ;
M. Francis Brun-Buisson, rapporteur, a procédé à la lecture de son rapport ;
M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications ;
Mme Dominique Lottin, directrice des services judiciaires, assistée de Mme Béatrice Vautherin, magistrat à cette direction, a été entendue et a présenté ses demandes ;
M. X a été entendu en sa défense et a eu la parole en dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant été assurés ;
Aux termes de la dépêche susvisée du garde des sceaux, le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi de plusieurs incidents relatifs à sa vie privée, d’une part, et de retards et carences accumulés dans le traitement des procédures dont était chargé M. X, d’autre part ;
Sur les griefs tirés des incidents relatifs à la vie privée du magistrat, affectant son exercice professionnel et la dignité de la justice
Trois griefs sont invoqués dans la saisine du garde des sceaux à l’encontre de M. X ;
En premier lieu, il lui est reproché d’être intervenu dans une procédure pénale diligentée contre son fils majeur, dont il avait été constitué mandataire, notamment en adressant à l’association chargée de la médiation pénale dans cette affaire, deux lettres, en date des 11 et 27 avril 2002, ayant pour objet d’obtenir une réduction des indemnités réclamées par la victime, en faisant référence à sa qualité et à son expérience de magistrat ;
S’il n’est pas douteux que les interventions de M. X comportaient une certaine ambiguïté, elles ne caractérisent pas suffisamment l’abus de fonction qui lui est reproché par le garde des sceaux ;
En deuxième lieu, il est reproché à M. X d’être intervenu auprès de la direction départementale des services vétérinaires de … pour dénoncer les conditions d’exploitation d’un refuge pour animaux géré par son épouse avec laquelle il était en conflit ;
Toutefois, son intervention, visant principalement à ne pas être tenu pour responsable des conditions d’exploitation de ce refuge, qui lui apparaissaient irrégulières, ne caractérise pas l’abus de fonction qui lui est imputé ;
En troisième lieu, il est reproché à M. X d’avoir mobilisé, sans discernement, les services de la gendarmerie et du parquet de … à l’occasion de plusieurs incidents l’opposant à son épouse, en donnant aux péripéties d’un conflit conjugal une notoriété publique ;
L’appel aux forces de l’ordre, pour des faits qui trouvent leur origine dans ce conflit et qui étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale, ne caractérise pas, en l’absence de tout abus, une atteinte à la dignité de sa fonction ;
Sur les griefs tirés du retard et des carences dommageables accumulés dans le traitement des procédures
La saisine du garde des sceaux, étayée des constats de l’inspection générale des services judiciaires, fait état des insuffisances professionnelles et des retards reprochés à M. X tout au long de sa carrière, tout en visant spécifiquement les carences relevées à son encontre dans l’exercice de ses fonctions de vice-procureur de la République au tribunal de grande instance de …, depuis son installation en décembre 1995 ;
La mission, après avoir évalué la charge de travail et l’activité de M. X, a estimé que celui-ci disposait du temps nécessaire pour faire face, de façon satisfaisante, aux obligations professionnelles correspondant à ses attributions ;
Il résulte de l’instruction et des débats qu’à la date de son départ en congé maladie, le 3 avril 2006, le magistrat avait laissé en déshérence un grand nombre de procédures tant pénales que civiles ou commerciales, dans lesquelles il n’avait pas mis en œuvre les mesures lui incombant pour leur résolution, en dépit de rappels faits par sa hiérarchie, par des justiciables ou par des victimes ;
Certaines des procédures pénales, dont la plupart ont dû être classées par le procureur de la République en raison de leur prescription, étaient cependant relatives à des faits d’une particulière gravité ; au nombre de celles-ci, la mission a, notamment, relevé trois affaires délictuelles ou criminelles plus récentes ayant trait : l’une à un accident du travail, dont la plainte, enregistrée le 6 septembre 2002, a été laissée sans suite malgré un rappel de l’avocat de la victime, le 8 juin 2004, pour être en définitive classée pour cause de prescription, le 8 juin 2006 ; l’autre à un décès suspect dont la procédure, initialement non enregistrée, a été laissée à l’abandon, sans qu’ait été ordonné le complément d’enquête qu’exigeait le compte-rendu d’information remis au parquet le 15 février 2005 ; la dernière à des agressions sexuelles répétées d’un mineur sur sa sœur également mineure, reconnues par l’auteur, dont le compte-rendu d’enquête, transmis au parquet le 28 mars 2007, n’a pas connu de suite ;
Bon nombre des procédures civiles laissées en déshérence constituaient pourtant des enjeux majeurs pour les personnes intéressées : un soupçon d’abus de faiblesse, des requêtes aux fins de mise en place d’une mesure de protection ainsi que des demandes de rectifications d’actes d’état-civil, dont une demande de rectification d’un acte de naissance ;
Certaines procédures laissées en souffrance au service commercial portaient sur des détournements d’actifs à caractère pénal, d’autres concernaient des mandataires judiciaires dont les procédures étaient laissées sans suite ;
La continuité des retards reprochés à M. X et la gravité des carences relevées dans le règlement ou le traitement des procédures dont il était responsable, manifestent, outre une incapacité d’organisation reconnue – dans le cadre d’un service dont la charge n’était pas excessive –, un désengagement persistant dans l’exercice de ses fonctions et une absence de sens des responsabilités qui lui étaient confiées ;
Les faits reprochés à M. X, commis antérieurement au 17 mai 2002, n’étant pas contraires à l’honneur, sont amnistiés par application de la loi susvisée du 6 août 2002 ;
Les insuffisances professionnelles de M. X, postérieures au 16 mai 2002, caractérisent des manquements manifestes au devoir de diligence et un désengagement persistant dans l’exercice de ses fonctions ; de tels comportements, qui ont compromis le bon fonctionnement du parquet de … révèlent une absence du sens des responsabilités et constituent des manquements aux devoirs de l’état de magistrat, portant atteinte à la dignité de sa charge et au crédit de l’institution judiciaire ;
Par ces motifs,
Constate que les faits reprochés à M. X, commis antérieurement au 17 mai 2002, sont amnistiés ;
Dit que les faits commis postérieurement au 16 mai 2002, constituent des fautes disciplinaires ;
Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction, prévue à l’article 45, 5° du statut de la magistrature, de rétrogradation, assortie du déplacement d’office ;
Dit que le présent avis sera transmis à Mme le garde des sceaux et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.