Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
17/10/2012
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (devoir de réserve), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Retrait des fonctions de président de tribunal de grande instance
Déplacement d'office
Mots-clés
Assiduité
Audience
Avocat
Chef de juridiction
Collègue
Comportement inadapté
Délégation
Délicatesse
Déplacement d'office
Dignité
Enquête administrative (IGSJ)
Exemplarité
Gestion du tribunal
Greffe
Impartialité
Justiciable
Président de tribunal de grande instance
Presse
Pression
Réserve
Résidence
Retentissement médiatique
Retrait des fonctions
Fonction
Président de tribunal de grande instance
Résumé
Manque d’implication du président du tribunal de grande instance dans l’activité de la juridiction (grief retenu) – Manque d’écoute, d’attention et de considération à l’égard des magistrats et des fonctionnaires de la juridiction (grief non retenu) - Comportement inadapté à l’égard des magistrat et des fonctionnaires de la juridiction postérieurement à l’audition par la mission d’inspection (grief retenu) – Délégation trop large et sans véritable contrôle juridictionnel à des assistants de justice et signature, dans ses conditions, et à distance, des ordonnances de référé (grief non retenu) – Délégation de la rédaction d’ordonnances de référé à un magistrat du tribunal en congé maladie (grief retenu) – Présidence d’audiences de manière lapidaire et désinvolte (grief retenu)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux contre M. X, président du tribunal de grande instance du xxxxx, sous la présidence de M. Daniel Ludet, Conseiller à la Cour de cassation, suppléant M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation, (…)

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l'article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l'acte de saisine du garde des sceaux, en date du 16 décembre 2011, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, président du tribunal de grande instance du xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l'ordonnance du 5 janvier 2012 du président de la formation désignant M. Luc Fontaine en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport déposé le 28 août 2012 par M. Luc Fontaine, dont M. X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L'audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline » et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X, conduisant à tenir l'audience publiquement ;

Après avoir entendu M. A, avocat au barreau du xxxxx en qualité de témoin et M. X, assisté de M. B, avocat au barreau du xxxxx, en ses explications et moyens de défense, Mme Isabelle Montagne, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction en ses observations tendant au prononcé du retrait des fonctions de président assorti d'un déplacement d'office, la plaidoirie de Maître B, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

+ + + +

Attendu qu'aux termes de l'acte de saisine du 16 décembre 2011, il est reproché à M. X :

  • d'avoir manqué d'implication dans l'activité de la juridiction,
  • d'avoir manqué d'écoute, d'attention et de considération à l'égard des magistrats et des fonctionnaires de la juridiction,
  • d'avoir adopté un comportement inadapté à l'égard de magistrats et de fonctionnaires de sa juridiction,
  • d'avoir délégué trop largement et sans véritable contrôle son activité juridictionnelle et d'avoir signé, dans ces conditions et à distance, des ordonnances de référé,
  • d'avoir délégué la rédaction d'ordonnances de référé à un magistrat du tribunal en congé maladie,
  • d'avoir présidé des audiences de manière lapidaire et désinvolte ;

Attendu que, selon l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ;

Attendu que ces termes doivent être entendus de façon particulièrement rigoureuse à l'égard d'un chef de juridiction, dont les fonctions exigent un sens spécialement aigu de ses responsabilités propres et à qui incombe, au premier chef, le devoir de préserver une image de l'institution judiciaire portant la marque du sérieux, de la sérénité et du respect d'autrui que sont en droit d'attendre les justiciables, les auxiliaires de justice, les magistrats et les fonctionnaires de la juridiction ;

* Sur le manque d'implication dans l'activité de la juridiction

Attendu qu'il est reproché à M. X une implication insuffisante dans ses fonctions de chef de juridiction ;

Attendu qu'il lui est en premier lieu fait grief, à ce titre, d'avoir pris la liberté de n'être présent dans la juridiction que trois jours par semaine pendant plusieurs mois et de n'avoir cessé cette pratique que sur le rappel de sa hiérarchie ;

Attendu que M. X, installé dans ses fonctions de président du tribunal de grande instance du xxxxx le 10 mai 2010, n'a assuré, jusqu'en septembre 2010, sa présence dans le tribunal chaque semaine que du mardi au jeudi afin de pouvoir rejoindre sa famille à xxxxx pour le week-end et qu'il a laissé le soin de le suppléer au premier vice-président du jeudi soir au mardi matin ; que ce n'est qu'à compter du mois de septembre, à la suite d'observations du premier président de la cour d'appel d'xxxxx, que M. X est resté présent au tribunal le vendredi, et qu'il a confirmé que c'est à partir du début de l'année 2011, qu'ayant cessé de rentrer systématiquement chaque week-end à xxxxx, il s'est rendu plus disponible ;

Qu'il a justifié, lors de son audition par le rapporteur, cette situation par le fait que son épouse avait dû rester à xxxxx, lieu de leur résidence familiale, en raison de l'aggravation de l'état de santé de sa mère dont elle avait la charge ;

Qu'il a précisé n'avoir pas perçu cette situation comme préjudiciable au bon fonctionnement de sa juridiction ;

Mais attendu que cette situation, remarquée au sein de la juridiction a eu effectivement des incidences sur l'administration et la gestion de celle-ci ; que M. C, premier vice-président du tribunal de grande instance du xxxxx, a précisé devant les services de l'inspection générale des services judiciaires avoir été, « de fait, le plus souvent seul du jeudi soir au mardi matin », sans qu'aucune délégation formelle n'ait été prise ; que selon la secrétaire générale de la première présidence de la Cour, elle « ne parvenai(t) pas à le joindre à son bureau aisément ce qui est inhabituel pour un président » ; que Mme D, directrice du greffe, indiquait que cela était devenu « compliqué pour la gestion » ; que cette situation avait amené le premier président de la cour d'appel à faire observer à M. X que « son absence ne permettait pas d'asseoir son autorité » ;

Attendu que le manque d'implication de M. X au sein de la juridiction est encore illustré par son absence à la réunion budgétaire d'arrondissement du 6 juin 2011 qui avait pourtant été fixée en fonction de ses disponibilités ;

Attendu que sans méconnaître la situation familiale de M. X, le fait d'avoir pris la liberté de n'être présent que trois jours par semaine dans sa juridiction pendant plusieurs mois, alors même que c'est en toute connaissance de cause qu'il s'était porté candidat à la présidence du tribunal de grande instance du xxxxx, alors qu'il présidait le tribunal de grande instance de xxxxx, ne lui a pas permis d'exercer son autorité au sein du tribunal, ni de prendre personnellement les mesures qu'appelait au quotidien le bon fonctionnement de celui-ci ;

Attendu que le présent grief est établi ;

Attendu qu'il est en deuxième lieu reproché à M. X de n'avoir rendu compte qu'avec retard de faits commis par un magistrat ayant ensuite donné lieu à des poursuites disciplinaires ;

Que le vendredi 3 septembre 2011 étaient révélés par le procureur de la République au procureur général des faits justifiant l'ouverture d'une enquête administrative, visant un juge du tribunal de grande instance du xxxxx ; que M. X n'en faisait part que le mardi suivant au premier président de la cour d'appel qui en avait, dans l'intervalle, appris l'existence par le procureur général ;

Attendu que M. X a expliqué que ces faits n'étaient pas liés à son absence de la juridiction, le procureur de la République ayant anticipé, le 3 septembre 2011, une information des chefs de la cour d'appel, qui devait faire l'objet d'un rapport commun la semaine suivante ;

Attendu en cet état que ce grief n'apparaît pas suffisamment établi ;

Attendu qu'il est en troisième lieu reproché à M. X de s'être peu investi dans l'activité de la juridiction qu'il connaissait mal, en traitant superficiellement les difficultés ou les choix organisationnels qui lui étaient soumis ;

Attendu que M. X conteste ce grief ; qu'il invoque les déclarations de plusieurs vice-présidents et le témoignage du greffier en chef adjoint indiquant que M. X était « capable de trancher » ;

Attendu que si plusieurs vice-présidents ont exprimé leur satisfaction quant à la gestion de la juridiction, en raison des suites favorables données par M. X à leurs demandes relatives à l'organisation de leurs attributions et de leurs services, il résulte d'autres auditions, devant l'inspection générale des services judiciaires, du procureur de la République et d'autres vice-présidents, que la gestion par M. X de la juridiction était marquée par l'absence de décisions concrètes ; que sa démarche qui, selon lui, était de favoriser « les solutions consensuelles fondées sur l'adhésion » aboutissait en réalité à une implication insuffisante dans l'organisation de la juridiction ; que M. C, premier vice-président, indiquait sur ce point que M. X « n'était pas très investi en tant que président qui venait d'être nommé à un poste de haut niveau » ;

Attendu que le manque de disponibilité et l'insuffisante implication de M. X ne pouvaient être compensés par le fait qu'il s'était appuyé « en pleine confiance sur son premier vice-président qui (...) connaissait parfaitement » la juridiction ; que le grief est établi ;

Attendu que les deux manquements relevés ci-dessus traduisent, de la part de M. X, un défaut d'implication et de sens des responsabilités et caractérisent une méconnaissance par celui-ci des devoirs spécifiques d'assiduité et d'exemplarité qui sont ceux d'un chef de juridiction ;

* Sur le manque d'écoute, d'attention et de considération de M. X à l'égard des magistrats et des fonctionnaires de la juridiction

Attendu, selon l'acte de saisine, que M. X aurait manqué d'écoute, d'attention et de considération à l'égard des magistrats de la juridiction et se serait adressé à eux et à certains personnels du greffe d'une manière abrupte et vexatoire ; que partant, il aurait manqué à ses devoirs de dignité et de délicatesse ;

Attendu d'une part, qu'aux termes du rapport de l'inspection générale des services judiciaires, M. X aurait, « dans le domaine de la gestion présidentielle des ressources humaines », « été mis en cause à raison de son manque d'intérêt pour la situation personnelle des magistrats, un défaut d'écoute et d'attention aux autres lui étant reproché » ;

Attendu, d'autre part, que M, X aurait tenu des propos dévalorisants, notamment sur le service des affaires familiales, marquant les esprits pour ce qu'ils révélaient du peu de considération que le président lui portait ; qu'il aurait qualifié ainsi habituellement les affaires familiales de « rhinopharyngite de la justice » ;

Attendu enfin que selon le rapport de l'inspection générale des services judiciaires, M. X, s'il apparaissait souvent jovial et accessible, aurait fait preuve régulièrement d'un manque de pondération significatif, certaines expressions utilisées et plusieurs commentaires étant marqués par l'impulsivité ;

Attendu que M. X a contesté ces faits, expliquant avoir pour habitude de faire preuve de franchise avec ses interlocuteurs, ce qui ne saurait caractériser, selon lui, un manque de délicatesse ; qu'il a expliqué s'être publiquement excusé du jugement hâtif sur le service des affaires familiales ; qu'il a de plus relevé que le premier président indiquait dans son évaluation que « les relations de M. X sont courtoises et confiantes avec le procureur de la République et cordiales avec les magistrats et fonctionnaires » ;

Attendu qu'en cet état et dans le contexte où les faits se sont produits, le grief n'apparaît pas suffisamment établi ;

* Sur le fait d'avoir adopté un comportement inadapté à l'égard de magistrats et de fonctionnaires de sa juridiction

Attendu qu'à la suite des auditions, dans le cadre de l'enquête administrative diligentée, à la demande du garde des sceaux, par des membres de l'inspection générale des services judiciaires, de magistrats de la juridiction, M. X est intervenu auprès de plusieurs d'entre eux afin de connaître le contenu de leurs déclarations ;

Que s'il a déclaré aux membres de la mission d'inspection que c'était dans un souci d'anticipation et pour se rassurer, et s'il a précisé lors de l'audience disciplinaire que c'était seulement pour "calmer une inquiétude", il n'en demeure pas moins qu'un tel comportement, qui était de nature à placer les magistrats concernés dans une situation de conflit de loyauté, était totalement inadapté de la part d'un chef de juridiction ;

Attendu que M. X a ainsi manqué, à l'égard des magistrats concernés, tant aux devoirs de réserve, de délicatesse et de dignité qu'à celui de loyauté ;

Attendu que manifeste également un manquement à ces mêmes devoirs le fait d'avoir, à l'occasion d'une assemblée générale du 5 avril 2011, sollicité, au demeurant sans l'obtenir, le soutien des magistrats et fonctionnaires de la juridiction à la suite de la parution, dans l'édition du 1er avril 2011 d'un organe de la presse régionale, d'un article à la tonalité critique à l'égard du comportement de M. X dans la présidence, le 31 mars 2011, d'une audience correctionnelle, alors surtout que le code de l'organisation judiciaire

ne permet pas au président de saisir l'assemblée générale d'une telle question ;

* Sur le fait d'avoir délégué trop largement et sans véritable contrôle son activité juridictionnelle et d'avoir signé, dans ces conditions et à distance, des ordonnances de référé

Attendu qu'il est reproché à M. X, aux termes de l'acte de saisine, d'avoir délégué trop largement et sans véritable contrôle l'activité juridictionnelle du service des référés qui lui était dévolue, d'avoir confié à des assistantes de justice des dossiers dépassant leur qualification, sans les conseiller utilement et sans suivre leur travail, contraignant l'un de ses collègues à assurer ce suivi et à assumer de fait un travail qui ne lui incombait pas, et d'avoir signé à distance des ordonnances de référé préparées dans de telles conditions sans s'être fait communiquer les dossiers afférents ; que partant, M. X aurait manifesté un manque de rigueur et d'implication dans son travail, et manqué de délicatesse à l'égard des assistantes de justice comme de son collègue ;

Attendu qu'il résulte des déclarations des deux assistantes de justice affectées au service des référés qu'elles consacraient l'intégralité de leur temps à la rédaction des ordonnances présidentielles ; qu'à l'issue des audiences, la quasi-totalité des dossiers étaient répartie entre elles et qu'aucune consigne particulière ne leur était fournie ; que l'une d'entre elles, Mlle E, a précisé que « le président n'était pas souvent là », et qu'elles allaient voir M. C, premier vice-président ; que ce dernier a confirmé le fait que les deux assistantes de justice venaient lui demander conseil et qu'il constatait en ces occasions qu'elles se voyaient confier la rédaction de décisions excédant leur niveau de qualification ;

Attendu que s'il apparaît que M. X n'assurait pas suffisamment l'encadrement de l'activité des assistantes de justice, il n'est pas établi qu'il n'exerçait pas un contrôle juridictionnel sur ces projets d'ordonnances ; que M. F, greffier, a précisé que M. X les relisait complètement et que s'il « en gardait », « il en apportait aux assistantes qui mettaient des post-it ou venaient le voir » ;

Attendu qu'en l'état, le grief tiré d'une insuffisance de l'indispensable suivi de l'activité des assistantes de justice et d'une absence de véritable contrôle juridictionnel n'apparaît pas suffisamment caractérisé ;

* Sur le fait d'avoir délégué la rédaction d'ordonnances de référé à un magistrat du tribunal en congé maladie

Attendu, selon les termes de l'acte de saisine, qu'il est reproché à M. X d'avoir délégué la rédaction d'ordonnances de référé à un juge du tribunal de grande instance du xxxxx, alors en congé maladie, et qui était dans l'attente des suites d'une enquête administrative le concernant pour des faits susceptibles de constituer des fautes disciplinaires ;

Attendu que M. X a expliqué aux membres de l'inspection générale des services judiciaires que c'est ce magistrat, alors en congé maladie, qui avait sollicité un vice-président de la juridiction, afin que lui soit donné du travail juridictionnel de telle manière que son absence ne pèse pas sur ses collègues ; que c'est dans ces conditions qu'il a envisagé, ne disposant plus d'assistantes de justice, de confier la rédaction d'ordonnances de référé simples à ce magistrat ; qu'il indiquait n'avoir « perçu aucune réticence » chez ce dernier ;

Attendu toutefois que le magistrat concerné a déclaré lors de l'enquête administrative avoir estimé que la tâche qui lui était confiée posait « difficulté sur le plan procédural », mais aussi s'être senti dans l'incapacité « de dire non à (sa) hiérarchie », en raison d'une « hypersensibilité aux questions déontologiques » résultant de l'enquête administrative dont il avait été l'objet ;

Attendu que M. X a pris l'initiative critiquée par l'acte de saisine, ainsi qu'il l'a confirmé lors de l'audience, alors que plusieurs vice-présidents du tribunal lui avaient indiqué qu'aucun travail ne devait, selon eux, être en quelque sorte sous-traité à un magistrat en congé maladie ;

Que la démarche du président du tribunal ne peut être justifiée par le souhait qu'avait exprimé le magistrat concerné, d'autant que celui-ci se trouvait fragilisé par l'enquête administrative dont il venait de faire l'objet ;

Que le comportement de M. X est constitutif d'un manquement aux devoirs de délicatesse et de loyauté s'imposant à tout magistrat, et a fortiori à un chef de juridiction ;

Que la déclaration de M. X, lors de l'audience disciplinaire, tendant à justifier son initiative dès lors qu'elle s'était avérée utile à la juridiction, comme au magistrat concerné, témoigne d'une perte des repères déontologiques qui a présidé à la démarche du président du tribunal ;

* Sur le fait d'avoir présidé des audiences de manière lapidaire et désinvolte

Attendu que l'acte de saisine du conseil de discipline a relevé à l'encontre de M. X, s'agissant de la présidence de ses audiences de juge aux affaires familiales, un comportement inadapté, à la fois désinvolte et abrupt, irrespectueux, donnant, notamment à travers la pratique du délibéré sur le siège conduisant, dans un souci de rapidité, à ne pas consulter les pièces du dossier produites par les parties, le sentiment d'une justice expéditive et d'un manque d'écoute et d'attention portée aux parties comme aux auxiliaires de justice ; qu'il a également relevé, s'agissant de la présidence par M. X des audiences correctionnelles, une rapidité perçue par une majorité des personnes entendues lors de l'enquête administrative comme la manifestation d'une justice expéditive ;

Attendu que certaines déclarations recueillies par la mission d'inspection et soulignées par M. X, ainsi que les témoignages écrits ou les opinions émises par un certain nombre d'avocats du barreau du xxxxx, versées aux débats par ce magistrat, donnent une présentation de sa présidence des audiences comme rapide et efficace sans préjudicier à l'effectivité du débat contradictoire ;

Attendu que le traitement d'une audience correctionnelle en date du 31 mars 2011 au cours de laquelle cinq prévenus étaient poursuivis pour des faits correctionnalisés, initialement qualifiés d'actes de torture et de barbarie, a donné lieu à la publication d'un article dans la presse régionale, amenant le bâtonnier à écrire le 6 avril 2011 au premier président de la cour d'appel d'xxxxx pour dénoncer une instruction menée de manière expéditive ;

Que M. X a contesté le traitement expéditif de cette affaire, précisant que « si le rythme de l'audience était rapide, chacun a(vait) pu tout à loisir s'exprimer » ;

Attendu que si les témoignages recueillis par les services de l'inspection générale des services judiciaires établissent que l'audience avait été conduite avec célérité, ils comportent, comme le souligne le mémoire en défense produit par M. X, des appréciations contradictoires sur le comportement de celui-ci le 31 mars 2011, qui ne permettent pas de caractériser de façon certaine de la part de M. X, une brutalité dans la conduite de l'audience ni une méconnaissance des exigences du débat contradictoire et des droits des parties ;

Que ce grief n'apparaît pas suffisamment établi concernant cette audience ;

Attendu, toutefois, que selon l'acte de saisine du conseil de discipline se référant à des déclarations des avocates des deux parties, M. X a, pendant une audience de juge aux affaires familiales tenue le 7 octobre 2010 au cours de laquelle était en débat la résidence principale de deux enfants de six et sept ans, d'abord déclaré péremptoirement, avant que se soit déroulé un débat contradictoire, que le jeune âge des enfants rendait évident qu'ils restent chez leur mère alors qu'une garde alternée avait été organisée par les parents, puis après avoir entendu la mère annoncer à l'audience au père qu'elle entendait déménager à xxxxx, a déclaré, sans procéder à un examen des pièces qui lui étaient remises par l'avocate de celle-ci, que l' attitude de cette dernière était discourtoise et qu'en conséquence la résidence des enfants serait fixée chez le père, le président ne permettant pas au débat de se poursuivre en intimant à l'avocate de la mère de se taire;

Que M. X a déclaré lors de l'enquête administrative qu'il avait peut-être pris sa décision dans un moment de courroux en raison du comportement déloyal de la mère, ajoutant qu'il estimait avoir pris une bonne décision, et qu'effectivement il avait peut-être été un peu vif ;

Attendu de plus que lors d'une autre audience du 4 novembre 2010, M. X aurait coupé la parole de l'avocate d'un demandeur en disant : « On a compris la situation, Monsieur a trompé Madame, donc j'accorde à Madame tout ce qu'elle demande » ;

Que si M. X a indiqué à l'audience qu'il s'agissait d'une impression purement subjective dont seule cette avocate fait état, ces faits apparaissent suffisamment établis au regard des déclarations circonstanciées de Maître G, avocat, devant les services de l'inspection générale des services judiciaires ;

Attendu, encore, que selon l'acte de saisine, lors d'une audience correctionnelle en date du 19 août 2010 concernant une affaire d'agression sexuelle dans laquelle était poursuivi un enseignant, M. X a déclaré à l'une des jeunes filles parties civiles : « vous avez déjà menti », se référant au fait que la jeune fille avait dit au cours de l'année scolaire que sa mère était enceinte ; que le père, présent à l'audience et voyant sa fille en pleurs, a alors réagi aux propos du président en indiquant que son épouse avait fait une fausse couche ;

Attendu que M. X a déclaré à ce sujet, selon le rapport de l'enquête administrative, qu'il avait "un a priori contre cette personne qui mettait en jeu la carrière d'un enseignant", ajoutant que le prévenu avait été relaxé ; qu'il a déclaré lors de l'audience disciplinaire que son propos ne résultait pas d'un a priori mais d'une déduction après lecture du dossier ;

Attendu qu'en ces trois circonstances, M. X a manqué à l'obligation qui s'impose à tout juge, et a fortiori à celui qui occupe la position la plus élevée au sein du tribunal de grande instance, de veiller à garantir au justiciable un jugement impartial, ce qui implique l'absence de manifestation de préjugés et de parti pris ; que les trois comportements relevés au cours des audiences en question, à les supposer même isolés, constituent de la part de leur auteur, au regard de l'expérience que l'on était en droit d'attendre de sa part et des responsabilités qui lui incombent à raison de ses fonctions, des manquements graves aux devoirs de sa charge, de nature à porter atteinte au crédit de l'institution judiciaire ;

Attendu que les manquements relevés ci-dessus à l'encontre de M. X, aux devoirs d'assiduité, d'exemplarité, de dignité, de délicatesse, d'impartialité et de réserve incombant à tout magistrat, et aux obligations spécifiques incombant à un président de juridiction, lequel doit, en tout, donner une image exemplaire de l'institution judiciaire qu'il représente dans son ressort, sont constitutifs d'une faute disciplinaire ;

Attendu que ces manquements dont il est résulté une atteinte portée localement au crédit de l'institution judiciaire font obstacle au maintien de M. X dans ses fonctions de président de tribunal et justifient le retrait de ces fonctions, assorti d'un déplacement d'office.

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de M. Luc Fontaine, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 26 septembre 2012 pour les débats et le 17 octobre 2012, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce à l'encontre de M. X, la sanction de retrait des fonctions de président assorti du déplacement d'office, en application de l'article 45, 2° et 3° de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d'appel d'xxxxx.