Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, réunie le 27 novembre 2012, à la Cour de cassation, 5 quai de l'Horloge, Paris 1 er
Vu l'article 65 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée ;
Vu la dépêche du garde des sceaux, en date du 8 décembre 2011 et ses pièces annexées, saisissant pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l'encontre de M. X, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition et dont une copie lui a été adressée ;
Vu la convocation adressée le 24 août 2012 à M. X et sa notification à l'intéressé le 24 août 2012 ;
Vu les convocations adressées le 3 septembre 2012 à M. A et le 13 novembre 2012 à Maître B ;
Vu l'ensemble des pièces produites et jointes au dossier au cours de la procédure.
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L'affaire a été mise en délibéré au 10 décembre 2012 à l'issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 27 novembre 2012, au cours desquels, après rappel des termes de la saisine du Conseil par le Président de la formation ;
M. Luc Fontaine a présenté son rapport préalablement communiqué aux parties, qui ont acquiescé à ce qu'il ne soit pas intégralement lu ;
M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications,
M. Eric Corbaux a présenté ses demandes tendant au prononcé d'un avis de déplacement d'office ;
M. A et Maître B ont été entendus en la défense de M. X qui a eu la parole en dernier, le principe de la contradiction et l'exercice des droits de la défense ayant été assurés.
Aux termes de la saisine du garde des sceaux, il est reproché à M. X, substitut du procureur de la République près le tribunal de première instance de XXXX, de s'être maintenu « dans une situation d'endettement ancienne et chronique malgré des revenus conséquents », d'avoir adopté « une attitude passive dans le règlement de ses dettes, donnant de ce fait une publicité certaine à sa situation par les doléances des créanciers, les interventions d'auxiliaires de justice et contraignant ses créanciers à engager des procédures judiciaires », d'avoir suggéré, « par cette même passivité, qu 'il était susceptible de bénéficier de la bienveillance de ses pairs dans le traitement judiciaire de sa situation » et, enfin, de s'être adonné « à la pratique des jeux d'argent dans des établissements situés dans le ressort du tribunal dans lequel il exerçait et dans lesquels sa qualité de magistrat était connue, au surplus dans un contexte insulaire ».
M. X a reconnu avoir, à compter de 1993 et jusque 2010, accumulé une dizaine de dettes, dans les conditions suivantes, selon le rapport de l'inspection générale des services judiciaires :
- des dettes de loyer pour une maison d'habitation auprès des époux XXXX, à compter d'avril 1997, pour un montant de 5 301, 50 euros,
- des dettes de loyer pour une maison d'habitation auprès des époux XXXXX à compter de décembre 1999, pour un montant de 8648, 30 euros,
- un emprunt contracté le 28 février 1995 auprès du Crédit commercial de XXXXX pour la location sans option d'achat d'un véhicule automobile, un montant de 1007, 50 euros étant demeuré impayé,
- un crédit « revolving » contracté le 2 février 1993 auprès du Crédit commercial de XXXXX pour un montant de 500000 F CFP (4190 euros), avec un solde impayé de 389 175 F CFP (3261, 30 euros) au 16 août 1999,
- un emprunt de 300000 F CFP (2514 euros) réalisé auprès d'un particulier, M. XXXXX, très partiellement remboursé,
- un prêt de 12750 euros contracté le 15 mai 2007 auprès de la banque XXXXX, demeuré largement impayé,
- un abonnement souscrit à une revue juridique en décembre 2008 pour un montant de 795 euros,
- 148 nuits d'hôtel demeurées impayées pour un montant de 9178, 30 euros, du 27 août 2009 jusqu'au 21 janvier 2010,
- des petites sommes d'argent empruntées à l'un de ses collègues substitut,
- et des frais médicaux impayés au préjudice d'un hôpital pour un montant de 427, 60 euros.
Ces dettes ont perduré durant une période au cours de laquelle M. X a exercé, successivement, les fonctions de substitut du procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa de septembre 1993 à 1998, des fonctions politiques alors qu'il était en position de disponibilité de 1998 à 2008, en qualité notamment de membre élu de l'Assemblée territoriale de XXXXX à partir de mars 2002, de président élu de l'Assemblée territoriale à compter de novembre 2005, puis de vice-président à partir de septembre 2007 et, de nouveau, les fonctions de substitut du procureur de la République près le tribunal de première instance de XXXX auxquelles il a été nommé le 27 août 2008.
M. X a précisé à l'audience avoir intégralement remboursé ces sommes à l'exception de deux emprunts souscrits auprès d'un particulier, M. XXXXX et auprès de la banque XXXXX, dont les entiers règlements devraient, selon lui, intervenir en février 2013.
Il a expliqué cette situation d'endettement par ses obligations coutumières qui prévalent dans la société XXXXX marquée par une forte solidarité communautaire notamment financière et l'importance des sommes d'argent qu'il devait mensuellement verser à ce titre au regard du montant de ses revenus. Il précisait à l'audience que la moitié environ de ses revenus d'un montant de 900000 F CFP -environ 7500 euros- était consacrée à ces obligations coutumières. Il a admis que sa situation d'endettement, était en outre liée à son addiction aux jeux, M. X fréquentant depuis 1995 des établissements de jeux du territoire.
L'ensemble de ces dettes ont donné lieu, de la part des créanciers, à des demandes de règlement amiable, demeurées infructueuses. Il résulte du rapport de l'inspection générale des services judiciaires que sur les dix créanciers identifiés, huit ont agi en justice. Ces procédures ont abouti pour certaines à des décisions de justice du tribunal de première instance de XXXXX ou du tribunal civil de XXXXX. Certains créanciers, dont la bailleresse de M. X ou le responsable d'un groupe hôtelier ont, en outre, alerté les autorités publiques locales, dont le procureur de la République. Cette situation a conduit le procureur général près la cour d'appel de XXXXX à délivrer à M. X un avertissement le 28 mai 2010.
Si M. X a reconnu ne pas avoir remboursé ses dettes durant plusieurs années, il a, à l'audience, justifié son attitude par une forme de « laisser-aller », contestant avoir profité de son statut de magistrat pour ne pas acquitter ses dettes.
La situation d'endettement dans laquelle s'est maintenue M. X durant plusieurs années, malgré des revenus lui permettant de s'acquitter de ses dettes, et en raison de graves négligences de sa part, présente le caractère d'un manquement à la dignité et à la délicatesse, qualités attendues du magistrat.
Le fait d'avoir persisté dans cette attitude malgré plusieurs décisions de justice caractérise de sa part un comportement contraire aux devoirs de l'état de magistrat et à l'obligation de respecter la loi et les décisions de justice, comportement de nature à porter atteinte à l'image et au crédit de l'institution judiciaire.
S'il n'est pas établi que M. X ait délibérément profité de sa situation de magistrat pour ne pas, durant plusieurs années, honorer ses dettes, sa passivité chronique dans le règlement de ces sommes, au mépris des décisions de justice rendues, conduisant certains de ses créanciers à alerter les autorités locales administratives et judiciaires, a entamé le crédit de l'institution judiciaire.
Le fait, pour M. X, de s'être adonné, de manière addictive, à des jeux de hasard en misant des sommes d'argent conséquentes alors qu'il était en situation d'endettement, au su notamment de l'un de ses créanciers, dans des établissements de jeux situés dans le ressort du tribunal dans lequel il exerçait ses fonctions, constitue un manquement au devoir de préserver la dignité de sa charge.
Les agissements de M.X, intervenus par ailleurs dans un contexte insulaire, ont porté atteinte au crédit de l'institution judiciaire et à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables. En cet état, il y a lieu pour le Conseil d'émettre à l'encontre de M. X l'avis de sanction disciplinaire du déplacement d'office.
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PAR CES MOTIFS,
Après en avoir délibéré à. huis clos, et hors la présence de M. Luc Fontaine,
ÉMET L'AVIS de prononcer contre M. X la sanction, prévue à l'article 45 2° de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, de déplacement d'office ;
Dit que le présent avis sera transmis au garde des sceaux et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.