Conseil d'Etat - Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies
CONSEIL D'ETAT
statuant
au contentieux
N° 380570 REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. B et autres
Mme Marie-Françoise Guilhemsans Rapporteur Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section
de la Section du contentieux
Mme Suzanne von Coester Rapporteur public
Séance du 16 mars 2016 Lecture du 6 avril 2016
Vu la procédure suivante :
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 25 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. B, O, en qualité d’héritier de D, C et A, ainsi que Mme E demandent au Conseil d’Etat :
1°) d'annuler la décision du 20 mars 2014 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a dit qu’il n’y avait pas lieu au prononcé d’une sanction à l'encontre de Mme X, vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
- la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, notamment ses articles 51, 52, 53, 54, 55, 56 et le second alinéa de son article 58, dans leur rédaction issue de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Françoise Guilhemsans, conseiller d'Etat, - les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me P, avocat de M. B et autres, et à la SCP Q, avocat de Mme X ;
1. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 64 de la Constitution : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. / Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. / Une loi organique porte statut des magistrats. / Les magistrats du siège sont inamovibles. » ; qu’aux termes de son article 65, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 : « Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l'égard des magistrats du siège et une formation compétente à l'égard des magistrats du parquet. / La formation compétente à l'égard des magistrats du siège est présidée par le premier président de la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'État désigné par le Conseil d'État, un avocat ainsi que six personnalités qualifiées qui n'appartiennent ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif. Le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. (...) / La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle comprend alors, outre les membres visés au deuxième alinéa, le magistrat du siège appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet. (...) / Sauf en matière disciplinaire, le ministre de la justice peut participer aux séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature. / Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées par une loi organique. / La loi organique détermine les conditions d'application du présent article. » ;
2. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 50-3 de l’ordonnance portant loi organique relative au statut des magistrats du 22 décembre 1958, dans sa rédaction issue de la loi organique du 22 juillet 2010 : « Tout justiciable qui estime qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du siège dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature. (...) La plainte est examinée par une commission d'admission des requêtes composée de membres de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège (...). Lorsqu'elle estime que les faits sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, la commission d'admission des requêtes du Conseil supérieur renvoie l'examen de la plainte au conseil de discipline (...) » ; qu’aux termes de l’article 52 de la même ordonnance : « Au cours de l'enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en
cause par un magistrat d'un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s'il y a lieu, le justiciable et les témoins. Il accomplit tous actes d'investigation utiles et peut procéder à la désignation d'un expert. » ; qu’aux termes de son article 58 : « La décision rendue est notifiée au magistrat intéressé en la forme administrative. Elle prend effet du jour de cette notification. / Le recours contre la décision du conseil de discipline n'est pas ouvert à l'auteur de la plainte. » ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 25 octobre 2012, la commission d’admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature a renvoyé à la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du siège l’examen des plaintes déposées en 2011 par M. B et autres contre Mme X, magistrat ; que, par une décision du 20 mars 2014, le Conseil supérieur de la magistrature a dit qu’il n’y avait pas lieu au prononcé d’une sanction à l’encontre de celle-ci ; que M. B et autres demandent l’annulation de cette décision, en soutenant que l’application du deuxième alinéa de l’article 58 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précité, qui prévoit l’irrecevabilité de leur recours contre la décision du conseil de discipline, doit être écartée, ses dispositions étant contraires aux stipulations de l’article 6 paragraphe 1 et de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » ;
5. Considérant qu’aucune stipulation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne reconnaît de droit, pour une personne à laquelle le comportement d’un magistrat a porté préjudice, à obtenir qu’il fasse l’objet d’une sanction disciplinaire ; que ni les dispositions précitées de l’article 65 de la Constitution, ni celles de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ne confèrent aux personnes qui saisissent le Conseil supérieur de la magistrature, en l’alertant sur des comportements susceptibles de constituer une faute disciplinaire, la qualité de partie, non plus qu’aucun droit à obtenir que le magistrat dont ils se plaignent fasse l’objet d’une sanction ; que ce droit n’est d’ailleurs pas davantage reconnu dans le droit français de la fonction publique à une personne à laquelle le comportement d’un fonctionnaire ou d’un agent public aurait porté préjudice ; qu’en effet, d’une part, la décision par laquelle une autorité administrative inflige, dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, une sanction à un agent placé sous son autorité a pour seul objet de tirer, en vue du bon fonctionnement du service, les conséquences que le comportement de cet agent emporte sur sa situation vis-à-vis de l’administration, d’autre part, la victime d’un dommage causé par un agent public dans l’exercice de ses fonctions a la possibilité d’engager une action en réparation, en recherchant, soit la responsabilité de l’administration pour faute de service, soit la responsabilité personnelle de l’agent ; qu’en l’absence de droit reconnu par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou dans l’ordre juridique français, les requérants ne peuvent se prévaloir de l’article 6 paragraphe 1 précité, qui ne crée par lui-même aucun droit matériel susceptible d’être l’objet de contestation dans les conditions qu’il prévoit ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les requérants ne peuvent pas davantage se prévaloir d’une méconnaissance des stipulations de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la
présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale (...) » ;
7. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article 58 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 que les requérants ne sont pas recevables à former un pourvoi contre la décision du conseil supérieur de la magistrature statuant sur les poursuites disciplinaires engagées contre Mme X ; que, par suite, leur pourvoi doit être rejeté ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de M. B et autres est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B, premier requérant dénommé, à Mme X et au garde des sceaux, ministre de la justice. Les autres requérants seront informés de la présente décision par Me P, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat.