Conseil d'Etat, Section du contentieux, 6ème sous-section

Date
18/11/2015
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de prudence, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), devoir de probité, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques
Décision
Rejet du pourvoi
Mots-clés
Prudence
Probité
Délicatesse
Immixtion dans une procédure
Admission à cesser ses fonctions Loyauté
Fonction
Juge
Résumé
Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision rendue par le Conseil ayant admis l’intéressé à cesser ses fonctions, sous le visa du 6°de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, et contre le décret du Président de la République radiant l’intéressé des cadres de la magistrature en exécution de cette décision, a été rejeté par le Conseil d’État.

CONSEIL D'ETAT JG
statuant
au contentieux
Nos 388891, 388908, 391280 REPUBLIQUE FRANÇAISE

M. X AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. Stéphane Decubber Rapporteur Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème sous-section)

M. Xavier de Lesquen Rapporteur public
Séance du 5 novembre 2015 Lecture du 18 novembre 2015

Vu la procédure suivante :
1°) Sous le n° 388891, par une requête enregistrée le 23 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. X demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 19 février 2015 par lequel le Président de la République l'a radié des cadres de la magistrature à compter du 27 janvier 2015.
Il soutient que le décret doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 21 janvier 2015 ;
1°) Sous le n° 388908, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars et 24 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 21 janvier 2015 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction d'admission à cesser ses fonctions ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
I1 soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'insuffisance de motivation, faute d'exposer en quoi l'intérêt du service justifiait qu'il fût statué sur la sanction envisagée à son encontre sans attendre la décision du juge pénal ;
- la décision attaquée a méconnu les droits de la défense dès lors qu'il n'a pas eu accès à des pièces déterminantes qui se trouvaient dans le dossier de l'instruction pénale ;

- le Conseil supérieur de la magistrature a dénaturé les pièces du dossier et
inexactement qualifié les faits de l'espèce en relevant que M. X s'était, en qualité de magistrat, immiscé dans une procédure judiciaire en cours dont il n'avait pas la charge ;
- le Conseil supérieur de la magistrature a dénaturé les faits de l'espèce et les
pièces du dossier en affirmant qu'il aurait pris plusieurs initiatives pour tenter de mettre fin à l'hospitalisation de Mme F et en regardant comme un manquement aux devoirs de l'état de magistrat la dénonciation au médecin traitant de Mme F de la situation de celle-ci et l'engagement d'une action en justice contre le gré de cette dernière, sans qu'il ignore que l'intéressée faisait l'objet d'une mesure de sauvegarde ;
- le Conseil supérieur de la magistrature a dénaturé les faits de l'espèce et les pièces du dossier en relevant, à partir d'un seul témoignage, que le requérant avait cherché à obtenir le bulletin n°1 de casier judiciaire de personnes sans lien avec les dossiers dont il avait la charge ;
- le Conseil supérieur de la magistrature a dénaturé les faits de l'espèce et les pièces du dossier et entaché sa décision d'insuffisance de motif en estimant qu'il avait manqué au devoir de loyauté envers la hiérarchie et de délicatesse à l'égard des collègues en raison de ses absences répétées et injustifiées;
- la sanction est disproportionnée par rapport aux manquements susceptibles d'avoir été commis ;
3°) Sous le n° 391280, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés
les 24 juin et 27 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner le sursis à exécution de la décision du 21 janvier 2015 par
laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé à son encontre la sanction d'admission à cesser ses fonctions ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de la décision le
prive de son emploi et de son traitement et lui porte donc un préjudice grave, immédiat et difficilement réparable ;
- les moyens identiques à ceux soulevés dans sa requête n° 391280 sont
sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2015, le garde des sceaux,
ministre de la justice conclut, sous les numéros susvisés, au rejet des conclusions mentionnées ci-dessus ; il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu:
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ; - le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :

N° 388891 - 3 -
- le rapport de M. Stéphane Decubber, maître des requêtes en service
extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP A, avocat de M. X ;
1. Considérant que les trois requêtes visées ci-dessus sont relatives à une même
procédure disciplinaire et présentent à juger des questions connexes ; qu’il y a lieu de les joindre
pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature en date du 21 janvier 2015 ;
2. Considérant que, contrairement à ce que soutient M. X, la décision attaquée énonce avec une précision suffisante les motifs pour lesquels le Conseil supérieur de la magistrature a refusé de surseoir à statuer ;
3. Considérant qu'il appartient en principe au juge disciplinaire de statuer sur une plainte dont il est saisi sans attendre l'issue d'une procédure pénale en cours concernant les mêmes faits ; que, cependant, il peut décider de surseoir à statuer jusqu'à la décision du juge pénal lorsque cela paraît utile à la qualité de l'instruction ou à la bonne administration de la justice ;
4. Considérant qu'il résulte de la décision contestée que M. X a demandé au Conseil supérieur de la magistrature de surseoir à statuer sur l'instance disciplinaire en faisant valoir qu'il aurait été dans l'impossibilité de disposer de différentes pièces déterminantes pour sa défense, et qui se trouvaient au dossier de l'instruction pénale ; que le Conseil supérieur de la magistrature a toutefois estimé, par une appréciation souveraine qui n'est pas susceptible d'être discutée, en l'absence de dénaturation, devant le juge de cassation, qu'il disposait de pièces permettant d'établir suffisamment la réalité des faits reprochés à M. X et que la bonne administration de la justice et l'intérêt du service justifiaient qu'il soit statué sans attendre sur les poursuites engagées contre l'intéressé en juillet 2013 ;
5. Considérant, que le Conseil supérieur de la magistrature n'a pas dénaturé les faits et les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant, au terme d'une appréciation souveraine et par une décision suffisamment motivée, que les faits reprochés à M. X, consistant à avoir fait état de sa qualité de magistrat afin de faire sortir Mme F de l'établissement où elle se trouvait, d'avoir, dans ce but, dénoncé l'attitude des responsables de cet établissement auprès notamment des services de police, des magistrats du parquet, de l'ordre des médecins, d'une association de défense des personnes âgées, de son médecin traitant et d'un journaliste, d'avoir introduit une action en justice au nom de Mme F sans son accord, d'avoir demandé la délivrance de bulletins n° 1 de casiers judiciaires de personnes étrangères aux affaires dont il avait la charge, et ne pas avoir prévenu sa hiérarchie de ses absences inopinées et répétées, devaient être regardés comme établis ; que le Conseil n'a pas inexactement qualifié de tels faits estimant qu'ils étaient constitutifs d'un manquement, par M. X à ses obligations statutaires et à ses devoirs de loyauté, de dignité et de délicatesse et qu'ils revêtaient le caractère d'un manquement à l'honneur professionnel ;

6. Considérant, en dernier lieu, que, compte tenu de la gravité des faits reprochés à l'intéressé, le Conseil supérieur de la magistrature a pu légalement infliger à M. X la sanction d'admission à cesser ses fonctions ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 21 janvier 2015 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature lui a infligé la sanction d'admission à cesser ses fonctions ;
Sur les conclusions dirigées contre le décret du 19 février 2015 du Président de la République radiant M. X des cadres de la magistrature :
8. Considérant qu'aux termes de l'article 73 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 : « La cessation définitive des fonctions entraînant radiation des cadres et, sous réserve des dispositions de l'article 77 ci-après, perte de la qualité de magistrat, résulte : (...) 2° (...) de l'admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n'a pas droit à pension » ; que le Président de la République est tenu de tirer les conséquences sur le plan statutaire de la décision par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature prononce une sanction disciplinaire et, en particulier, lorsque la sanction consiste en une admission à cesser ses fonctions, de procéder, par décret, à la radiation des cadres de l'intéressé ; que les conclusions dirigées contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature ayant prononcé la sanction d'admission à cesser ses fonctions à l'encontre de M. X ayant été rejetées par la présente décision, le moyen tiré de ce que le décret le radiant des cadres devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature ne peut être qu'écarté ;
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
9. Considérant que dès lors que le pourvoi formé par M. X contre la décision du 21 janvier 2015 du Conseil supérieur de la magistrature est rejeté par la présente décision, les conclusions à fin de sursis de M. X sont devenues sans objet ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code justice administrative :
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE:
Article ler : Le pourvoi n° 388908 et la requête n° 388891 de M. X sont rejetés.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 391280 de M. X.