Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline des magistrats du siège
DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE
Dans la procédure mettant en cause : Mme X
Magistrat en disponibilité, précédemment présidente de chambre à la cour d'appel de xxxxx,
Poursuivi par le garde des Sceaux, ministre de la justice, suivant saisine du 1er février 2018,
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation,
En présence de :
M. Jean Danet,
Mme Soraya Amrani Mekki,
Mme Dominique Pouyaud,
M. Georges-Eric Touchard,
Mme Evelyne Serverin,
M. Yves Robineau,
M. Alain Lacabarats,
M. Eric Maréchal,
M. Christophe Régnard,
Mme Virginie Valton,
M. Richard Samas-Santafe,
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de Mme Pauline Jolivet, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature,
Vu l'article 65 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l'acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 1er février 2018 ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu l'ordonnance du 15 mars 2018 désignant M. Danet, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;
Vu la convocation pour audition adressée à Mme X par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 27 juillet 2018 ;
Vu le procès-verbal de non comparution de Mme X en date du 3 octobre 2018 ;
Vu la communication des pièces du dossier disciplinaire à Mme X et l'information relative à la mise à disposition de son dossier administratif par courriers recommandés avec accusé de réception signés les 30 mars, 21 septembre et 14 novembre 2018 ;
Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation adressée à Mme X par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 23 novembre 2018 ;
Vu le courrier de Mme X en date du 1er décembre 2018 informant qu'elle ne comparaîtrait pas à l'audience ;
Les débats s'étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le mercredi 9 janvier 2019 ;
Après avoir entendu :
- M. Jean Danet en son rapport ;
- Mme Catherine Mathieu, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de M. Patrick Gerbault, magistrat à la direction des services judiciaires ;
A rendu la présente
DÉCISION
Sur la procédure
Aux termes de l'article 54 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée : « Le magistrat cité est tenu de comparaître en personne. Il peut se faire assister et, en cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés, se faire représenter par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau. »
En l'espèce, Mme X a, par courrier reçu au Conseil supérieur de la magistrature le 3 décembre 2018, indiqué qu'elle ne se présenterait pas à l'audience sans évoquer d'autres motifs que ceux pour lesquels elle a refusé d'être entendue par le rapporteur au mois de juillet 2018, à savoir qu'elle n'a pas compris le renvoi devant la formation disciplinaire et que le Conseil dispose de son audition par l'inspection générale de la justice.
Le dernier alinéa de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 dispose : «Si le magistrat cité, hors le cas de force majeure, ne comparaît pas, il peut néanmoins être statué et la décision est réputée contradictoire. »
En l'absence de Mme X, régulièrement convoquée, la décision rendue sera réputée contradictoire.
Sur les griefs disciplinaires
Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
L'acte de saisine du garde des Sceaux relève cinq griefs disciplinaires portant sur des manquements imputés à Mme X. Il lui est ainsi reproché :
- un manquement au devoir de délicatesse envers les fonctionnaires du greffe pour avoir adopté à leur égard, de manière récurrente, des attitudes souvent violentes, déplacées, méprisantes ou blessantes tant dans les bureaux qu'en audience publique ;
- un manquement au devoir de délicatesse envers ses collègues magistrats du siège comme du parquet, à la cour d'appel d' xxxxx puis à la cour d'appel de xxxxx, pour avoir adopté à leur égard un comportement inadapté, empreint de mépris et de dévalorisation, tant dans les bureaux qu'en audience publique ;
- une atteinte à l'image de la justice, dans la mesure où les attitudes rappelées ci-dessus ont été adoptées devant des tiers, avocats et justiciables ;
- un manquement au devoir de fidélité au serment prêté imposant le respect du secret des délibérations et au devoir de loyauté vis-à-vis de ses collègues pour avoir, lors du prononcé d'un délibéré, indiqué qu'elle n'était pas d'accord avec la décision rendue ;
- une atteinte à l'image de la justice et un manquement au devoir de délicatesse à l'égard des auxiliaires de justice, pour avoir adopté un ton inadapté et interrompu de manière intempestive une avocate à l'audience.
1) Sur le manquement au devoir de délicatesse à l'égard des fonctionnaires du greffe de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de xxxxx
Il résulte des pièces jointes à la saisine du garde des Sceaux, notamment du rapport de l'inspection générale de la justice n° 051-17 déposé au mois d'octobre 2017, d'une part, des auditions réalisées au cours de la procédure disciplinaire, d'autre part, que rapidement après la nomination de Mme X en qualité de présidente de chambre à la cour d'appel de xxxxx, les relations avec le greffe se sont détériorées.
Il est établi par les déclarations concordantes et réitérées des fonctionnaires que Mme X a adopté à leur égard une attitude méprisante et parfois violente, caractérisée par des gestes de colère tels que des portes claquées ou des dossiers déposés de façon brusque, qu'elle a formulé à l'encontre des fonctionnaires, de façon collective ou individuelle, des reproches non justifiés, qu'elle a refusé d'engager le dialogue coupant court à certaines tentatives en mettant en avant sa qualité de présidente de chambre. Ces incidents, qui se sont déroulés dans les bureaux mais aussi à l'audience publique, ont entraîné une déstabilisation des fonctionnaires qui se sont retrouvés en souffrance et ont ressenti un grand mal-être. Cette souffrance au travail a été constatée par la directrice de greffe, laquelle a été régulièrement informée des difficultés survenues avec Mme X, mais aussi par les chefs de cours et les autres magistrats. Elle a entraîné des arrêts de travail de plusieurs fonctionnaires, des demandes de changement de service, une mention au registre d'hygiène et de sécurité puis une mention au registre spécial « danger grave et imminent ». Les mesures prises pour tenter de renouer le dialogue au sein de la chambre — réunion de la commission plénière, entretiens avec le premier président, réunion de service - n'ont pas permis de retrouver un fonctionnement de service apaisé.
Interrogée sur les faits par l'inspection, Mme X a indiqué qu'elle n'avait pas constaté de signes de souffrance de la part des greffiers mais qu'elle avait vu des greffiers provoquer des incidents pour tenter de la pousser à la faute. Elle s'estimait victime d'un complot et ne se remettait pas en cause. Elle reconnaissait seulement avoir eu un échange brusque avec l'ensemble du greffe le 8 février 2016, précisant toutefois qu'elle était « dans son rôle » et qu'elle avait été « rapide, efficace, concise mais pas violente » alors que l'ensemble des fonctionnaires et leur chef de service décrivent une scène au cours de laquelle Mme X a hurlé sur eux de façon violente et quitté le bureau en claquant la porte. Elle contestait les autres incidents ou disait ne pas en avoir souvenir.
L'attitude autoritaire et fermée de Mme X à l'égard des fonctionnaires de greffe, les reproches formulés à leur encontre caractérisant un manque de respect et une atteinte à leur dignité, l'absence de remise en cause de sa part, constituent un manquement au devoir de délicatesse.
2) Sur le manquement au devoir de délicatesse à l'égard de ses collègues magistrats du siège comme du parquet, à la cour d'appel d'xxxxx puis à la cour d'appel de xxxxx
Il résulte des pièces jointes à la saisine du garde des Sceaux, d'une part, des auditions réalisées au cours de la procédure disciplinaire, d'autre part, que des difficultés relationnelles importantes sont nées entre Mme X et ses collègues de travail.
En premier lieu, il résulte notamment du rapport de l'inspection générale de la justice n° 051-17 déposé au mois d'octobre 2017 et de l'audition par le rapporteur de M. A, que Mme X a adopté une attitude méprisante et arrogante à l'égard de Mme B avec laquelle elle partageait son bureau et siégeait à la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'xxxxx.
En second lieu, il résulte des pièces de la procédure que les magistrats travaillant avec Mme X à la cour d'appel de xxxxx, ses assesseurs comme le substitut général affecté dans sa chambre, se sont heurtés à des comportements inappropriés de sa part, en particulier, des gestes et mimiques méprisants, dévalorisants, vexatoires, un dénigrement devant témoin ou en audience publique, des accusations de parti pris en délibéré, de malhonnêteté intellectuelle ou de mise en scène, des reproches et critiques sur des mots prononcés ou des attitudes à l'audience, lors du rapport ou des réquisitions, des reproches relatifs au mode de relation avec le greffe, un refus de dialogue et une invocation inappropriée de sa qualité de présidente de chambre, et des exigences très formelles sur les règles de salutations donnant lieu à des remarques.
Ces faits sont établis par les déclarations concordantes et réitérées des magistrats dans le cadre de la mission d'inspection et de la procédure disciplinaire. Ils se sont déroulés, pour la majorité, devant témoin.
Dans le cadre de son audition par l'inspection, Mme X a reconnu très partiellement les faits survenus à xxxxx, imputant toutefois la dégradation des relations à sa collègue ou à l'attitude du président de chambre.
Sur la situation au sein de la cour d'appel de xxxxx, elle s'estimait victime d'une campagne de calomnies, orchestrée par des collègues malveillants. Elle mettait en cause sa hiérarchie qui lui aurait tendu un piège. Les magistrats entendus par le rapporteur maintenaient la présentation des événements faite devant l'inspection et leur relation des événements est confirmée, en des termes circonstanciés, par les autres magistrats.
Le comportement adopté par Mme X avec ses collègues caractérise un manque de respect à leur égard pouvant aller jusqu'à une atteinte à leur dignité et constitue un manquement au devoir de délicatesse. L'absence de remise en question de sa part aggrave ce manquement.
3) Sur l'atteinte à l'image de la justice
Les remarques désobligeantes voire vexatoires formulées à l'encontre des fonctionnaires de greffe, de ses assesseurs ou du substitut général occupant le siège du ministère public, auxquelles s'ajoutait une attitude méprisante à leur égard, ont été formulées en audience publique, devant les justiciables et avocats. Lors de son audition par l'inspection, le bâtonnier de l'ordre a confirmé que les membres du barreau avaient perçu les difficultés relationnelles existant entre Mme X et ses collègues du siège, le greffe et le ministère public.
Les comportements ainsi mis en exergue, qui se sont poursuivis sur une période de neuf mois et alors même que l'intéressée avait été alertée par son premier président, ont porté atteinte à l'image de la justice.
4) Sur le manquement au devoir de fidélité au serment prêté imposant le respect du secret des délibérations et au devoir de loyauté vis-à-vis de ses collègues
Il résulte des pièces de la procédure, notamment de l'audition de Mme C, qu'à l'audience du 7 avril 2016, Mme X a, lors du prononcé d'un délibéré, indiqué qu'elle n'était pas d'accord avec la décision rendue manifestant ainsi son opinion personnelle et violant le secret des délibérations.
Lors de son audition, Mme X a indiqué qu'elle ne comprenait pas la décision prise par ses assesseurs et ne toujours pas la comprendre et qu'elle avait en effet « dit que telle était la décision de la cour ».
Cette formulation trahit le secret du délibéré en révélant la position minoritaire de la présidente et constitue un manquement au devoir de loyauté vis-à-vis des collègues composant la formation collégiale.
5) Sur l'atteinte à l'image de la justice et le manquement au devoir de délicatesse à l'égard des auxiliaires de justice
Ce grief se fonde sur les faits reprochés à Mme X lors d'une audience de février 2016 où elle aurait employé à l'égard de Me D un ton inadapté et interrompu cette avocate de manière intempestive.
Toutefois, cette attitude n'a été relevée qu'à l'occasion d'une seule affaire, les chefs de cour mentionnant n'avoir jamais été destinataires de courriers d'avocats se plaignant de l'attitude de Mme X et le bâtonnier de l'ordre indiquant, de la même façon, ne pas avoir été informé de courriers de plainte à l'encontre de Mme X.
Cet unique incident ne permet pas, dans les circonstances de l'espèce, de retenir ce grief à l'encontre de Mme X.
Sur la sanction :
Les faits reprochés à Mme X et retenus contre elle ont gravement perturbé le fonctionnement de la chambre qu'elle présidait et porté atteinte à l'image de la justice. Malgré les interventions de sa hiérarchie pour remédier aux difficultés, Mme X ne s'est pas remise en cause, imputant aux autres la responsabilité des dégradations constatées.
Les qualités professionnelles qui lui ont été reconnues dans sa carrière ne permettent pas de minimiser les faits reprochés, l'accession à la hors hiérarchie et les responsabilités de présidente de chambre qui lui ont été confiées impliquant au contraire un comportement exemplaire.
En refusant de répondre à la convocation du rapporteur, indiquant qu'elle ne comprenait pas « au sens étymologique de ce terme » son renvoi devant la formation disciplinaire, et en ne se présentant pas à l'audience, Mme X affiche une attitude conforme à la défense qu'elle a pu présenter au cours de son audition par l'inspection générale de la justice. Cette absence de remise en cause laisse craindre une réitération des faits si elle reprenait ses fonctions.
Les faits constatés et leur appréhension par Mme X, qui a refusé de les reconnaître et de se remettre en cause, ne permettent pas d'envisager la poursuite de sa carrière de magistrat et justifient le prononcé de sa mise à la retraite d'office, sanction prévue au 6° de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, et hors la présence de M. Danet, rapporteur ;
Statuant en audience publique, le 9 janvier 2019 pour les débats et le 22 janvier 2019, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
PRONONCE à l'encontre de Mme X la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office ;
DIT qu'une copie de la présente décision sera notifiée à Mme X.