Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège
Le Conseil supérieur de la magistrature réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège et siégeant à la Cour de cassation le 16 novembre 2005 ;
Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 18 avril 2005, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à rencontre de M. X, président du tribunal de grande instance de ..., ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu les rapports des 5 octobre, 13 octobre, 24 octobre et 28 octobre 2005 du premier président de la cour d’appel de ... et les pièces jointes à ces rapports ainsi que le rapport du 20 octobre 2005 du vice-président délégué pour présider le tribunal de grande instance de ... ;
Vu la convocation notifiée à M. X, le 3 novembre 2005, l’informant que le Conseil supérieur de la magistrature se réunirait le 16 novembre 2005, à 11 heures, en vue d’une éventuelle application de l’article 51, alinéa 3, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 et l’invitant à se présenter à cette séance pour y présenter sa défense ;
Vu la communication de la procédure à M. X et à son avocat ;
Après avoir entendu, le 16 novembre 2005, à 11 heures :
- M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Florence Butin, magistrate à l’administration centrale du ministère de la justice,
- M. ..., avocat au barreau de ..., conseil de M. X, lequel était absent, qui a déposé un mémoire aux fins de renvoi de l’affaire, et qui a eu la parole en dernier ;
Attendu que, le 18 avril 2005, conformément aux dispositions de l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, le garde des sceaux, ministre de la justice a dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature des faits motivant des poursuites disciplinaires concernant M. X, président du tribunal de grande instance de ... ; que, par ordonnance du 26 avril 2005, M. Valéry Turcey, membre du Conseil supérieur de la magistrature, a été désigné en qualité de rapporteur conformément aux dispositions de l’article 51, alinéa 2, du l’ordonnance précitée ;
Attendu que le 28 octobre 2005, le premier président de la cour d’appel de ... a rendu le président du conseil de discipline destinataire de divers rapports adressés au garde des sceaux, ministre de la justice, ainsi qu’au rapporteur et faisant état de graves difficultés dans le fonctionnement du tribunal de grande instance de ... provoquées par le comportement de M. X depuis l’ouverture de la procédure disciplinaire, en suggérant que, pour y mettre fin, l’intéressé soit « suspendu » de ses fonctions ;
Attendu que, par lettre du 28 octobre, M. X a été convoqué devant le conseil de discipline réuni pour statuer sur une éventuelle application de l’article 51, alinéa 3 de l’ordonnance précitée ; que, par l’intermédiaire de Me ..., avocat désigné pour le représenter, il a demandé le renvoi de l’affaire en invoquant l’impossibilité de se déplacer pour raisons médicales ; qu’après en avoir délibéré en considération des justifications produites, le conseil de discipline a passé outre à cette demande ; que tout en ayant déposé un mémoire, non signé, contenant à titre subsidiaire une défense sur le mérite de la mesure d’interdiction d’exercice des fonctions susceptible d’être prise à l’encontre de M. X, Me ... a informé le conseil de discipline qu’il n’était pas mandaté pour soutenir oralement une telle défense ;
Attendu qu’aux termes d’un rapport du 5 octobre 2005, le premier président de la cour d’appel de ... a informé le rapporteur qu’il n’avait plus de contacts directs avec M. X qui n’assistait plus aux réunions de présidents des tribunaux de grande instance du ressort de la cour ; que M. X n’avait pas pris l’ordonnance prévue par les articles L. 710 et R. 311-23 du code de l’organisation judiciaire, rendue nécessaire par le remplacement de certains juges le 1er septembre 2005, pour modifier la répartition des juges dans les différents services du tribunal mais s’était borné à confier aux nouveaux magistrats nommés les attributions de leurs prédécesseurs par une ordonnance « provisoire », signée le 5 septembre 2005 dans l’attente d’une assemblée générale qu’il n’a pas depuis lors convoquée ;
Qu’aux termes d’un rapport du 13 octobre 2005, le premier président de la cour d’appel de ... a rendu compte de la même situation au garde des sceaux, ministre de la justice, et ajoutant que le fonctionnement normal du service public de la justice dans l’arrondissement judiciaire de ... n’était plus assuré, a demandé qu’en conséquence soit prononcée contre le président de la juridiction une mesure de « suspension » ;
Qu’aux termes d’un nouveau rapport du 24 octobre 2005, adressé, aux mêmes fins, au garde des sceaux, ministre de la justice, et faisant suite à un rapport du 20 octobre précédent du vice-président délégué pour présider la juridiction par délégation, l’informant de la situation dégradée, confuse et du risque de chaos provoquée par l’attitude du président titulaire, le premier président de la cour d’appel de ... a encore exposé qu’en dépit de l’autorisation d’absence pour maladie dont il bénéficiait et de l’ordonnance prise par M. ..., vice-président du tribunal, suppléant le président empêché, M. X, écartant le magistrat régulièrement désigné pour la présider, avait tenu l’audience du juge de l’exécution du 20 octobre 2005 et, en outre, fait savoir qu’il présiderait le 25 octobre suivant la séance de la commission d’expulsion et la réunion du comité départemental d’accès au droit ; qu’ayant été convoqué par son chef de cour, le 21 octobre 2005, pour un entretien sur le fonctionnement de la juridiction, M. X, bien que médicalement autorisé à sortir de son domicile dans la journée, ne s’était pas présenté ; qu’enfin, le même jour, avaient une nouvelle fois été constatées la désorganisation du service de la présidence du tribunal, les nombreuses plaintes des justiciables et l’exaspération des auxiliaires de justice ;
Attendu qu’il ressort des rapports successifs de son supérieur hiérarchique que, depuis l’ouverture de la procédure disciplinaire, M. X n’assure plus les fonctions de direction et d’organisation imparties au président du tribunal de grande instance de ..., qu’il s’oppose à l’autorité du premier président de la cour d’appel en refusant tout entretien sur l’état de la juridiction et fait obstacle aux pouvoirs dévolus au vice-président du tribunal désigné pour le suppléer du fait de son indisponibilité pour cause de maladie ; qu’il en résulte, dans l’organisation de la juridiction, des désordres préjudiciables au bon fonctionnement de la justice ; qu’en raison de l’urgence résultant de cette situation gravement perturbée, l’intérêt du service commande que soit interdit à M. X l’exercice de ses fonctions jusqu’à décision définitive sur les poursuites disciplinaires engagées contre lui ;
Par ces motifs,
Interdit temporairement à M. X l’exercice de ses fonctions de président du tribunal de grande instance de ... jusqu’à ce qu’intervienne une décision définitive sur les poursuites disciplinaires engagées contre lui le 18 avril 2005 ;
Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de ... ;
Prononcé le 24 novembre 2005 par le Conseil supérieur de la magistrature réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège.