Conseil d’État, section du contentieux, requête n° 33724
Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 10ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’État le 27 avril 1981, présentée pour M. X, demeurant … et tendant à ce que le Conseil d’État :
1 - annule la décision en date du 8 février 1981 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé la révocation sans suspension des droits à pension de l’intéressé ainsi que les décisions avant dire droit des 6 et 7 février 1981 ;
2 - renvoie l’affaire devant le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les ordonnances n° 58-1270 et 58-1271 du 22 décembre 1958 ;
Vu la loi du 31 décembre 1973 autorisant la ratification de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le décret du 3 mai 1974 portant ratification de ladite Convention ;
Vu le code de procédure civile ;
Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Sur les moyens de légalité externe :
Considérant, d’une part, qu’il résulte des dispositions de l’article 1er de l’ordonnance du 22 décembre 1958 que le Conseil supérieur de la magistrature comprend notamment « trois membres de la Cour de cassation dont un avocat général » et « deux personnalités n’appartenant pas à la magistrature et choisies à raison de leur compétence » et qu’« aucun membre ne peut, pendant la durée de ses fonctions au Conseil supérieur, exercer ni un mandat parlementaire, ni les professions d’avocat ou d’officier public ou ministériel » ; qu’il ressort des pièces versées au dossier que ni M. Simon, avocat général à la Cour de cassation, ni Mme Lambert-Faivre, professeur de droit puis recteur de l’académie de Dijon, désignés en application des dispositions précitées, n’exerçaient un mandat parlementaire ou l’une quelconque des professions incompatibles avec l’exercice de leurs fonctions ; qu’ils ont régulièrement pu participer à la délibération par laquelle le Conseil supérieur a décidé de révoquer le requérant ; que, par suite, M. X, qui n’articule aucun grief personnel contre les deux personnes dont il conteste la participation n’établit pas qu’aucun des membres du Conseil supérieur ait manqué de l’indépendance requise, n’est pas fondé à soutenir par ce motif que cette juridiction était irrégulièrement composée quand elle a prononcé sa révocation ;
Considérant que les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sont pas applicables aux juridictions disciplinaires ; que M. X n’est donc pas fondé à soutenir que le Conseil supérieur de la magistrature aurait dû, en application de ces dispositions, siéger en séance publique lorsqu’il a examiné son cas ;
Considérant, enfin, qu’il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient le requérant, le Conseil supérieur de la magistrature a analysé les conclusions et moyens qu’il a présentés et y a statué par les décisions attaquées qui sont suffisamment motivées ; qu’aucune disposition n’imposait au Conseil supérieur de surseoir à statuer jusqu’à ce que le Conseil d’État ait statué sur le recours en cassation formé par le requérant contre une décision avant dire droit dudit Conseil ; que le moyen tiré de ce que le Conseil aurait retenu des faits non dénoncés par le ministre manque en fait ;
Sur les griefs retenus à l’encontre de M. X :
Considérant qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire » ;
Considérant que le premier grief retenu par le Conseil supérieur repose sur la circonstance que M. X s’est, dans une série de lettres rédigées en termes violents et discourtois, opposé, en matière d’organisation et de fonctionnement du service judiciaire, au président du tribunal de grande instance de V ; qu’en l’état de ces constatations qui ne reposent pas sur des faits matériellement inexacts, et dans le cadre de l’appréciation souveraine des faits qui lui appartient, le Conseil supérieur de la magistrature a pu légalement décider, alors même que les lettres n’ont pas été rendues publiques, que le grief ainsi retenu constituait un manquement à l’obligation de délicatesse et était de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
Considérant que le deuxième grief retenu par le Conseil supérieur repose sur la circonstance que M. X a, le 4 juillet 1980, exprimé, au cours d’une émission de la Radio Télévision Luxembourgeoise, son opinion sur une affaire dont il avait été saisi ; qu’il ressort des pièces versées au dossier du juge du fond et notamment de la transcription de cette émission que les faits retenus sont exacts ; que, dès lors, le Conseil supérieur de la magistrature a pu légalement décider que le grief ainsi retenu constituait un manquement à l’obligation de réserve et était de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
Considérant enfin que le Conseil supérieur de la magistrature a reproché à M. X, magistrat chargé du service du tribunal d’instance de W, d’une part d’avoir prononcé le 16 novembre 1979 une ordonnance dans une affaire dont il n’avait pas été saisi à nouveau et dont il avait été dessaisi par deux arrêts antérieurs de la cour d’appel de A annulant deux ordonnances précédemment rendues dans la même affaire, et, d’autre part, d’avoir, par une décision du 8 juin 1979, méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ; que la constatation des faits constitutifs de ces griefs résulte d’un arrêt de la cour d’appel de A du 22 novembre 1979 annulant l’ordonnance du 16 novembre 1979 et d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 1980 annulant la décision du 8 juin 1979 ; que, dès lors que les faits étaient ainsi établis dans des décisions rendues sur des recours dirigés contre les décisions litigieuses de M. X et devenues définitives, le Conseil supérieur a pu, dans son appréciation souveraine légalement décider que les violations par le requérant des règles de compétence et de saisine de sa juridiction constituaient des manquements graves et réitérés aux devoirs de son état de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
Sur la gravité de la sanction :
Considérant que le contrôle de l’appréciation de la gravité de la sanction échappe au juge de cassation ;
Décide :
Article 1er - La requête de M. X est rejetée.
Article 2 - La présente décision sera notifiée à M. X et au garde des sceaux, ministre de la justice.