Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, premier substitut du procureur général près la cour d’appel de V,
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance modifiée n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et notamment son article 58-1 ;
Vu les propositions, formulées le 11 février 2003 par M. le procureur de la République près le tribunal de grande instance de V et par M. le procureur général près la cour d’appel de W, d’interdire temporairement de ses fonctions M. X, premier substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V ;
Vu la dépêche en date du 19 février 2003 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, adressée au procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, soussigné, saisissant cette formation pour avis sur l’interdiction temporaire de l’exercice des fonctions de M. X ;
Vu le dossier administratif de ce magistrat et le dossier de la procédure qui lui ont été préalablement communiqués ;
A l’issue des débats qui se sont déroulés à la Cour de cassation le 14 mars 2003 à huis clos, sur le rapport du président de la formation disciplinaire, en présence de M. X assisté de son conseil, Me Dethomas, avocat au barreau de Paris, M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires accompagné de Mme Jaillon, magistrat à cette direction, ayant été entendu, Me Dethomas et M. X ayant eu la parole en dernier ;
Le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;
L’affaire ayant ensuite été mise en délibéré ;
Considérant qu’il ressort des documents versés au dossier que M. X a été placé sous mandat de dépôt le 11 février 2003, après avoir été mis en examen par un juge d’instruction de W des chefs de blanchiment aggravé, recel de fonds et valeurs provenant d’abus de biens sociaux et de banqueroute par détournement d’actifs, trafic d’influence et corruption passive ;
Considérant que la mise en cause de ce magistrat se situe dans le cadre de la vaste affaire actuellement instruite à W et communément appelée « affaire B » ; qu’au nombre des personnes impliquées dans ce dossier, se trouvent les nommés Y, dirigeant de sociétés, son fils Z, avocat, et A, transporteur, dont l’enquête en cours a révélé les liens d’amitié avec M. X ; qu’il est imputé à celui-ci d’avoir reçu, tant de Y que de A des espèces à de nombreuses reprises, soit contenues dans des enveloppes, soit de la main à la main, en échange de sa « protection juridique » ;
Considérant que M. X a reconnu avoir reçu, à compter de 1994, des sommes d’argent dont il a estimé le montant à 30 000 francs annuels, à raison de remises ponctuelles de 5 000 francs ; qu’il a également reconnu avoir bénéficié de divers cadeaux faits à lui-même ou à sa famille par A et par Y : un stylo et deux montres de luxe, trois costumes et des vêtements pour ses filles, un appareil photo numérique, des bijoux ; que l’une de ses filles aurait bénéficié, de la part de Y, d’un voyage en Grèce en 1992 ainsi que d’une scolarité gratuite dans l’École Pigier tenue par Mme Y ;
Considérant que M. X a évalué le total de ces libéralités entre 180 000 et 200 000 francs (soit entre 27 400 et 30 400 euros) s’agissant des espèces reçues, et entre 25 000 et 30 000 francs (soit entre 3 800 et 4 500 euros) le montant des cadeaux ; qu’il a également fait l’objet d’autres libéralités sous forme d’équipements électroménagers et de meubles offerts par A, des travaux ayant par ailleurs été effectués au domicile par deux employés de ce dernier ;
Considérant d’autre part, qu’une enquête préliminaire est diligentée à raison de comportements sexuels suspects que son entourage impute à M. X ;
Considérant que l’ensemble de la presse a largement relaté ces faits particulièrement graves ; qu’il en résulte un scandale public et, par suite, un discrédit patent pour l’intéressé comme pour l’institution judiciaire ;
Considérant, en conséquence que, l’urgence étant ainsi caractérisée alors même que l’intéressé est en détention provisoire, le maintien en fonction de ce magistrat n’est pas compatible avec l’autorité et avec la considération qui doivent être attachées aux membres du corps judiciaire et avec l’intérêt du service ;
Par ces motifs,
Émet l’avis d’interdire temporairement à M. X, premier substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, l’exercice de ses fonctions ;
Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X et à son conseil, par les soins du secrétaire soussigné.