Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
11/06/2004
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de respecter les exigences des bonnes mœurs), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Avis
Mise à la retraite d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (7 décembre 2004)
Mots-clés
Internet
Mise en examen
Photographies (pédophiles)
Pornographie
Mineur
Probité
Bonnes mœurs
Dignité
Honneur
Mise à la retraite d'office
Substitut général
Fonction
Substitut général
Résumé
Détention et transmission d’images pédophiles
Décision(s) associée(s)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance modifiée n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par les lois organiques n° 94-101 du 5 février 1994 et n° 2001-539 du 25 juin 2001 ;

Vu l’arrêté du 8 juillet 2003 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, portant interdiction pour M. X, d’exercer les fonctions de substitut du procureur général près la cour d’appel de V ;

Vu la dépêche du 31 juillet 2003 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, au procureur général soussigné, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, ainsi que les transmissions de pièces ultérieures ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de ce magistrat mis préalablement à sa disposition.

Considérant que les débats se sont déroulés dans les locaux de la Cour de cassation le vendredi 11 juin 2004 et que M. X a comparu, assisté de Maîtres Boualem Bendjador, Frédéric Landon et Jean-Yves Liénard, avocats aux barreaux respectivement de Tours et de Versailles ;

Considérant qu’en début des débats, la défense a demandé qu’eu égard à la nature des faits reprochés à M. X, la séance du Conseil supérieur de la magistrature se déroule à huis clos ; qu’après en avoir délibéré, le Conseil supérieur a décidé que, par application de l’article 65 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, l’audition de M. X étant susceptible de porter atteinte à l’intimité de la vie privée des membres de sa famille, notamment de son épouse et de ses enfants, cette partie de la séance devait se dérouler à huis clos, la publicité restant assurée pour la lecture du rapport ainsi que pour le prononcé des réquisitions du directeur des services judiciaires et les plaidoiries des défenseurs de M. X ;

Considérant que le rapporteur a procédé à la lecture de son rapport, à la suite de laquelle M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications, M. le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, Me Landon, Me Bendjador et Me Liénard ont été entendus en leurs plaidoiries et M. X a eu la parole le dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ; que l’affaire a alors été mise en délibéré ;

Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier qu’une enquête puis une information judiciaires ont été ouvertes, au cours de l’année 2002, à la suite de la découverte d’un forum de discussion à caractère pédophile nommé « Garçon sexe » et situé à W ; que parmi les internautes s’étant connectés à ce forum se trouvait M. X ;

Considérant que, placé en garde à vue le 12 mai 2003 ce magistrat a été mis en examen le 14 mai suivant par le juge d’instruction de W pour diffusion, fixation, enregistrement ou transmission d’images ou de fichiers à caractère pornographique représentant des mineurs au moyens de réseaux de télécommunication, détention de ces images, ou représentations et recel ; qu’il a, en outre, été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre au tribunal et à la cour d’appel de … et d’exercer sa profession ; qu’une mise en examen supplétive, pour des faits analogues, a été prononcée le 27 novembre 2003 ;

Considérant, en effet, que des perquisitions opérées à son domicile ont permis aux enquêteurs de découvrir sur les disques durs de ses ordinateurs et sur d’autres supports informatiques un nombre considérable de photographies pornographiques de jeunes garçons et, notamment, d’enfants de moins de dix ans subissant des atteintes sexuelles ; que l’on a retrouvé, par ailleurs, chez un tiers, un cédérom contenant des répertoires d’images pédopornographiques échangées avec M. X ;

Considérant que M. X reconnaît, en premier lieu, avoir détenu des photographies de jeunes garçons reçues depuis trois ou quatre ans, se bornant à soutenir que son intérêt allait plus volontiers vers les images de jeunes majeurs ; que c’était par habitude de garder toutes les photographies reçues qu’il avait conservé ces documents à caractère pédophile ;

Considérant, d’autre part, que M. X admet que ces images lui sont parvenues sous forme de « chats », de « mels » ou de « forums » ;

Considérant, en troisième lieu, que M. X avoue avoir échangé des photographies pornographiques mettant en scène des mineurs sur certains forums, notamment ceux appelés « Garçon sexe » ou « Jeune mec 100 », en utilisant des comptes intitulés « Erwann jm », « Kevin Mahel », « X David » ou « X Julien » ;

Considérant que l’information judiciaire a démontré que c’est par milliers que M. X a reçu, classé, collectionné et, pour certaines, envoyé des photographies dont une partie non négligeable représentait des mineurs subissant des atteintes sexuelles de différentes natures, ces derniers faits justifiant les poursuites pénales dont il est l’objet par ailleurs ;

Considérant que ces circonstances ne permettent pas de retenir que l’attitude de l’intéressé relève, comme il le soutient, « d’une démarche ludique et de détente, sans arrière-pensée perverse » ; qu’au contraire, la permanence, des années durant, de son voyeurisme sexuel par la voie informatique traduit un penchant pour le spectacle de sévices subis par des mineurs qui est indigne d’un magistrat et qui constitue un manquement à l’honneur et aux bonnes mœurs d’autant plus inadmissible qu’il existe une sensibilité particulière de notre époque à tout ce qui touche les enfants victimes de violences ou d’atteintes sexuelles ;

Considérant, à cet égard, qu’on ne peut évaluer la gravité des fautes commises par M. X sans référence à sa personnalité et à la considération qu’il s’était acquise au sein du corps judiciaire et au-delà ;

Considérant, en effet, que M. X, après une scolarité remarquée à l’École nationale de la magistrature, a effectué une brillante carrière à l’administration centrale du ministère de la justice où il a pris une part active au développement du bureau des études et de la programmation dont il devient le chef en ... ; qu’il a été un des artisans les plus compétents de l’informatisation des juridictions ;

Considérant que, nommé à la cour d’appel de V en qualité de substitut du procureur général, M. X a bénéficié de la confiance et de l’estime de ses collèges qui l’ont porté à exercer d’importantes fonctions ;

Considérant que les gages de poursuite d’une carrière à tous égards remarquable étant ainsi donnés, la révélation des graves défaillances de M. X a été cause d’un profond désarroi dans la magistrature, qui a ainsi été rendue témoin du dérèglement moral de l’un de ses membres les plus en vue ;

Considérant que la conscience que M. X, chez qui il n’a été relevé aucune anomalie mentale, se devait d’avoir de l’image très largement positive qu’il donnait du magistrat n’a pas constitué le frein que l’on était en droit d’attendre de la part d’une personnalité connue et largement médiatisée ; que, dès lors, au regard du caractère odieux des faits relevés, le maintien en activité de M. X ne paraît plus possible et implique que soit prise une sanction l’écartant définitivement de toute responsabilité judiciaire ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction, prévue à l’article 45, 6°, du statut de la magistrature, de mise à la retraite d’office ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.